Traité des Poisons de Maïmonide | ספר הסמים וההישמרות מפני הסממנים הקטלניים
Section II. Chapitre 4
Traduction I.-M. Rabbinowicz (1865)
Chap. IV. — Traitement à employer par celui qui connaît le poison qu’il a pris.
J’ai déjà prévenu que je ne parlerai que des substances qu’on peut manger par erreur, ou que la malveillance peut employer facilement. De ce nombre, est le sang de taureau qui est un de ces poisons les plus faciles à administrer par la malveillance ; on le mêle avec les mets ou les ragoûts préparés avec de la viande à l’aide desquels on veut commettre le crime, aussitôt ils deviennent un poison mortel. Dès qu’un individu reconnaît qu’on lui a fait prendre du sang de taureau, il doit se hâter de provoquer le vomissement avec de la caillette et du vinaigre de vin. Ensuite, il prendra de rechef comme vomitif : nitre, 2 drachmes bouilli dans du vinaigre de vin, puis on administre : graine de chou, 2 drachmes, asa fœtida, 1 drachme ; borax, 1 drachme ; on mettra le tout dans du vinaigre de vin, porté à l’ébullition et on fera boire. Si le vomissement a lieu, c’est bon. S’il reste quelque chose dans l’estomac, que le vomissement ne soit pas complet, c’est encore bon, et l’effet en est salutaire. Ensuite on provoque les selles avec de l’agaric et de l’hiera [1] dosée en raison de l’habitude et de l’âge du malade et de l’état qu’aura observé le médecin. On administre ensuite les contre-poisons mentionnés dans le chapitre qui précède.
Quand un médecin habile observateur réfléchit sur le traitement d’un poison nécessairement mortel, facile à employer par la malveillance, son diagnostic devient souvent difficile et sa pensée s’égare. En effet, les poisons minéraux, tels que la litharge, le vert de gris, l’arsenic (v. hébraïque, orpiment), ne communiquent point à la préparation alimentaire une odeur caractérisée qui puisse l’éclairer, mais une faible dose peut altérer la couleur d’une grande partie de ces préparations alimentaires ; d’autre part, il faut une grande dose de ces poisons pour donner la mort. Quant aux poisons végétaux, il en est qui, comme l’opium, n’agissent point sur la couleur, mais une faible quantité suffit pour causer dans l’odeur une altération très-notable. D’autres seront sans influence sur l’odeur et la couleur, tel que le lait d’euphorbe et le miel de l’anacarde ; mais si elles ne modifient point la couleur et l’odeur d’une manière appréciable, une petite quantité suffit pour changer le goût très-sensiblement. Ce qui ajoute à l’embarras du médecin, c’est qu’il se trouve une quantité d’individus qui sont victimes d’attentats commis par leurs femmes au moyen des aliments et qui meurent au bout d’un jour ou même de quelques jours, ou bien encore ces accidents auxquels la mort est cent fois préférable comme l’elephantiasis qui cause des ulcérations telles que les membres finissent par tomber.
J’ai vu dans toutes les contrées que j’ai parcourues, un bon nombre d’individus atteints de la maladie que j’indique, ce que moi et d’autres nous avons entendu dire, ce sujet est trop long pour être raconté. Les vieux médecins que j’ai pu rencontrer m’ont appris d’après leurs propres observations et les traditions des médecins plus anciens, ce qu’ils ont su de femmes débauchées ; ces femmes dirent à ces médecins que ce dont elles usaient, c’était du sang de leurs règles. Elles en recueillent le premier qui vient à paraître, et quelque faible que puisse être la quantité, elles l’introduisent dans un mets quelconque et il produit les tristes accidents observés. Mais jusqu’à ce jour, je n’ai rien vu ni lu de tel dans aucun livre de médecine, comment alors serait-il possible de donner un moyen de médication ? Ces médecins m’ont appris qu’ils avaient sauvé plusieurs individus de ces terribles maladies en s’y prenant dès le début. D’abord ils avaient recours aux moyens vulgaires tels que les vomissements comme nous les avons prescrits ; ils en venaient ensuite à l’usage prolongé des médicaments simples généralement reçus tels que le coagulum ou la caillette, le borax, le nitre, l’asa foetida, la graine de choux, la cendre de bois du figuier, le suc de la feuille du mûrier. Le médecin administre ces remèdes soit à l’état de médicament simple, soit à l’état composé (soit isolément, soit en les mêlant ensemble) ayant égard à l’âge de l’individu. Pour moi, j’avouerai que je n’ai aucune expérience acquise à cet égard, cependant je me suis cru dans la nécessité de rapporter ce que je savais de ces terribles affections pour qu’un autre en pût profiter et expérimenter ce qu’il pourrait.
Ainsi, celui qui veut se mettre en garde quand il a quelque soupçon contre un individu, ne doit point goûter le mets qui lui est présenté avant que l’individu soupçonné n’en ait mangé une quantité suffisante et ne pas se contenter qu’il en mange une seule bouchée comme j’ai vu que le faisaient les cuisiniers des princes en leur présence.
Ce qui est encore facile à employer comme poison c’est la ciguë (Conium maculatum, Linn.) et la jusquiame (Hyoscyamus niger, Linn.) ; quand un individu sait qu’il en a pris, il doit se hâter de recourir à l’écorce de mûrier, la faire bouillir dans du vinaigre, provoquer le vomissement avec ce remède d’abord, puis avec du lait, enfin il complétera le traitement avec ce que j’ai indiqué dans les prescriptions en général.
La noix de metel (Datura metel, Linn.) qui tue à la dose d’un mitskal, surtout l’espèce Indica. C’est une substance froide, elle passe pour donner la mort dans l’espace d’un jour par une sueur froide abondante et une respiration froide. C’est une drogue qui se trouve en abondance, et d’un emploi facilement trompeur, parce qu’elle est sans action sur le goût, sur l’odeur et la couleur des aliments, ou bien elle est masquée par le goût qu’ils ont eux-mêmes. Celui qui a la certitude d’avoir bu de ce poison, doit bien vite provoquer le vomissement au moyen du nitre, de l’eau chaude et de l’huile, ensuite il mangera beaucoup de beurre, il boira beaucoup de vin dans lequel il aura mis du poivre et de la cannelle pulvérisée.
La mandragore. Il est des individus qui mâchent sa tige sans en éprouver le moindre mal, mais l’écorce et la graine sont nuisibles pour tous les hommes. Combien j’ai vu de femmes et d’enfants qui en avaient mangé, ignorant sa nature malfaisante, et qui ont éprouvé les accidents indiqués, c’est-à-dire la rougeur du corps, l’enflure et un état d’ivresse. Le traitement est ici le même que pour le datura metel, la noix de métel.
La cantharide est encore une de ces choses avec lesquelles l’empoisonnement est facile. Elle cause des ulcérations à la vessie et le pissement de sang, donne des douleurs dans le ventre et de violentes inflammations, et le malade succombe au bout de quelques jours. Le traitement consiste à provoquer bien vite le vomissement suivant le procédé général que nous avons indiqué plus haut, au second chapitre de cette section, ensuite boire une décoction de figues sèches d’une manière continue, puis une potion mucilagineuse faite avec de la graine de plantago psyllium, d’eau de pourpier dans un julep ; on en continuera l’usage tant que durera l’inflammation, alors on pourra prendre du lait et de la soupe avec de la crème, suivant la prescription du chapitre 6, 1re section.
Une chose qu’on mange souvent sans qu’on en connaisse bien la nature, et qui pourtant est mortelle, c’est la truffe et le champignon. Ces deux genres de substances sont très-dangereuses. Les peuples de l’Occident et de la Syrie en font un très-grand usage. Dans chacun de ces deux genres il y a une espèce qui est mortelle : la couleur en est noire ou verte, ou elle exhale une mauvaise odeur. L’espèce saine elle-même cause à la longue des suffocations qui mènent à la mort, ou qui déterminent des coliques très-violentes. Celui qui fait usage des bonnes espèces, doit les assaisonner avec beaucoup de sel et de poivre et boire largement un vin pur et généreux. Quant à l’espèce délétère, celui qui en a mangé, doit se hâter dès le début des accidents, d’avaler une once de garum à l’orge, borax, 2 drachmes : sel indien, une demi-drachme. On se tient en repos tant que cette boisson reste dans l’estomac ; le vomissement s’opère et alors on boit du sagapenum (ferula pontica) avec du suc de feuille de raifort qu’on vomit encore. On boit alors un mélange de vinaigre et de sel, qu’on ne garde pas davantage ; on prend du lait en abondance que l’on conserve pendant une heure avant de le vomir, puis on fera boire au malade du vin pur par petites quantités.
Ce qu’on est exposé également à prendre par erreur, c’est la morelle noire de l’espèce stupéfiante (atropa belladona). Cette méprise est fréquente, parce que nous prescrivons du suc de solanum nigrum dans toutes les maladies qui affectent les organes intérieurs. Il y en a une espèce à baies noires qui est stupéfiante ; il y a cause d’erreur quand son fruit est encore vert, avant que la teinte noire n’apparaisse. On avale la préparation qui la contenait et il s’ensuit immédiatement une violente angine, des hoquets et des vomissements de sang. Il faut alors provoquer le vomissement par les moyens ordinaires indiqués précédemment ; on réitère la provocation du vomissement avec de l’eau miellée, on continue cette boisson largement, répétant chaque fois que la digestion en est faite ; on poursuit ainsi pendant un jour et une nuit, puis on revient à la nourriture habituelle et à la vie commune.
Voilà le développement que le serviteur a cru devoir donner à son travail, pour satisfaire aux ordres qu’il avait reçus ; il aura peut-être atteint son but par la grâce et la volonté divines.
A la fin de la version hébraïque qui est de Samuel Ebn Tibon on lit en hébreu.
J’ai trouvé écrit que celui qui a été mordu par un chien sans savoir s’il est enragé, doit tremper du pain dans le sang de la morsure et le donner à un autre chien ; si celui-ci mange le pain, le premier n’est pas enragé ; s’il le refuse, c’est que ce chien est enragé.
Autre moyen : piler des noix et les laisser sur la plaie un jour et une nuit, puis les donner à manger à un coq. Si le chien était enragé, le coq mourra dans le jour, s’il ne meurt pas, c’est que le chien n’était pas enragé.
Notes
[1] Médicament laxatif composé, décrit par Avicenne, texte II, p. 195, et trad. t. II, p. 233.
Traité des poisons de Maïmonide (XIIe siècle). Avec une table alphabétique de noms pharmaceutiques arabes et hébreux d’après le Traite des synonymies de M. Clément-Mullet. Traduit par le DrI. M. Rabbinowicz. Paris, Adrien Delayahe (éd.), 1865. [Version numérisée : archive.org]