Traité des Poisons de Maïmonide | ספר הסמים וההישמרות מפני הסממנים הקטלניים

Section I. Chapitre 5

Traduction I.-M. Rabbinowicz (1865)


Chapitre V. Traitement spécial des morsures faites par un animal bien connu.

Le scorpion. On commence, comme je l’ai dit précédemment, en traitant du traitement en général, par la scarification, la succion et la ligature ; puis on applique sur la plaie un linge enduit d’un de ces médicaments simples qui sont spéciaux pour la piqûre du scorpion. On prend aussi de ces potions simples ou composées, également spéciales pour ces sortes de plaies, quelle que soit celle que je vais indiquer dans ce chapitre. Feuilles de mélisse, on en prend en potion à la dose de 3 drachmes, et on en bassine la plaie. Graine amère de citron en boisson à la dose de 2 drachmes, racine de coloquinte ; c’est encore un médicament très efficace contre la piqûre du scorpion ; on la prend en boisson, quand elle est verte : la plus forte quantité est de 2 drachmes ; on en bassine la plaie. Quand la plaie est fraîche, on l’applique en compresses et on en bassine la plaie, si elle est sèche on la pulvérise, on la pétrit avec du vinaigre et du miel et on l’applique comme emplâtre sur la partie malade. L’asa foetida préparé avec de l’huile et du vinaigre, appliqué en cataplasme sur la piqûre, la graine de sisou ammi, bouillie à la dose de 1 once dans deux rotls d’eau, jusqu’à ce qu’il ait perdu sa force, puis on lave la plaie. Le soufre mêlé au fenouil, pris ensemble en quantités égales, et appliqués en compresses. Du sel, de la graine de lin, une partie de chaque ; oignon deux parties ; on pile le tout et on l’applique sur la piqûre. La thériaque diatessaron est aussi un antidote tout spécial contre la piqûre du scorpion. On en prend depuis 1 drachme jusqu’à 4. Galien a indiqué une thériaque particulière pour la piqûre du scorpion et la morsure de l’araignée (phalangium, tarentule). Voici sa recette : aristoloche, 4 mitskals ; poivre, 2 mitskals ; opium, un ; anthemis pyrethrum, 3 mitskals ; on pétrit le tout ensemble dans du miel, et on en fait des pilules de la grosseur d’une fève d’Égypte ; on la prend ensuite en deux pilules avec 3 onces de vin pur. On ne doit jamais prendre aucun de ces remèdes simples ou composés, préparés pour la piqûre du scorpion, autrement qu’avec du vin pur et fort, parce que c’est un poison froid en excès qui tue par sa nature froide. Si on ne peut avoir du vin, on fait une décoction d’anis, comme je l’ai dit. Un spécifique dont l’expérience a été faite, c’est de l’encens pilé, 1 mitskal, et tamisé pris avec un rotl de vin. Les modernes citent encore comme étant éprouvé, de la soude verte pulvérisée et passée au tamis de soie ; on l’épaissit avec du beurre de vache et on pétrit avec du miel. On en administre à l’individu qui a été piqué par un scorpion, à la dose de 2 mitskals, et la douleur se calme immédiatement. Honein dit que, lorsqu’il a frotté une piqûre de scorpion avec du naphté blanc, la douleur cesse aussitôt.

L’auteur ajoute : l’insecte venimeux cité dans les livres de médecine sous le nom de djerrarah, est une espèce de scorpion de petite taille qui ne relève point sa queue en arc quand il marche, comme le fait le scorpion ordinaire, mais qui la traîne à terre, d’où lui vient son nom de scorpion djerrarah qui veut dire traîneur. On le trouve dans les contrées orientales. On le dit plus dangereux que celui qui habite notre pays, mais tout ce qui est bon contre la piqûre de ce dernier est bon contre la piqûre de l’autre.

La rotaïle. Ce nom s’applique à un grand nombre d’espèces ; les uns en admettent six, d’autres en citent huit ; toutes appartiennent au genre araignée. Des médecins habiles disent que la plus mauvaise et la plus grande de toutes est l’Égyptienne, mais que les deux espèces qui se trouvent partout, et dans toutes les maisons sont deux espèces d’araignées proprement dites. L’une des deux est une araignée portée sur des pattes longues, son corps est petit, elle établit entre les murailles et les toits des fils nombreux de couleur noirâtre. L’autre a le corps plus gros, les pattes plus courtes, elle file après les toits. Son fil est blanc, et brillant comme les vêtements nommés nicafé [1]. Ces deux espèces sont peu nuisibles et souvent il arrive que l’on sent à peine leur morsure ; si elle a lieu la nuit, le lendemain on voit la place rouge et enflée. En appliquant du pain mâché, ou de la farine bouillie avec de l’huile d’olive et du sel, les accidents disparaissent dans le jour même. Les autres espèces de rotaïle se trouvent dans les plaines voisines des eaux, celle qu’on dit être couverte de duvet qui est nommée au Caire abou soufa (père de la laine). La morsure de toutes ces espèces est presque aussi mauvaise que celle du scorpion, aussi tout ce qui est employé contre la piqûre de ce dernier trouve ici son application. Il existe aussi des remèdes spéciaux contre cette morsure. De ce nombre est la racine d’asperge qu’on prend à la dose de 5 drachmes, on la fait bouillir avec 6 onces de vin qu’on boit ; on prend aussi de la mélisse (melissa officinalis, Linn.). On la pile et on en boit une jusqu’à quatre onces dans du vin et on en applique en compresse sur la plaie. Le fruit du tamarise, qu’on prend en potion depuis la dose de 2 drachmes jusqu’à 6. Les feuilles de mûrier pilées : on en exprime le suc dont on boit jusqu’à la quantité de 10 drachmes. Toutes ces substances doivent se prendre avec du vin ou une décoction d’anis, un mitskal de nigelle de Damas, pilée avec de l’eau froide. Parmi les choses qu’on peut employer pour bassiner les morsures, on cite le suc de myrte, mêlé avec du vin, du lait, et de la laitue cultivée [2] ; quelle que soit la chose qu’on ait à sa disposition, il faut se hâter de l’employer après la scarification ou la succion.

Pour la piqûre des abeilles ou des guêpes, 5 drachmes de graines d’althéa (guimauve) bouillies dans un demi rotl d’eau, 1 once de vin, et le tout se prend en potion. — Autre : Menthe des bois, sa feuille prise à la quantité de 1 mitskal en boisson avec 2 onces d’oxymel. — Coriandre sec, partie égale de sucre pilés ensemble à la dose de 1 mitskal qu’on boit dans de l’eau froide. On administre de la même manière les légumes froids, tels que la laitue, la chicorée, le pourpier, le concombre, parce que toutes ces plantes sont employées utilement. On fait aussi usage, comme boisson, avec du vin, des grenades, ou bien du verjus bus avec de l’eau froide. Parmi les choses qu’on emploie comme emplâtre sur les piqûres des guêpes et des abeilles il y a l’argile avec du vinaigre, la lentille d’eau aussi avec le vinaigre, un linge également imbibé de vinaigre. Le camphre, l’eau de rose appliqués en compresses sur la plaie. La coriandre verte, soit avec la joubarbe, soit avec des feuilles de jujubier (Ziziphus lotus, Spreng.) ou bien avec un mélange de miel, de vinaigre et de sel.

Les serpents. On sait qu’il n’y a point de remède plus énergique que la grande thériaque contre toute espèce de poison, de morsure d’animaux, ou de piqûres d’insectes, et particulièrement contre le venin de la vipère. Ce reptile est si dangereux pour l’homme, que les anciens philosophes, de même que les anciens médecins, ont porté leur attention particulière sur son étude, et les expériences ont été si souvent répétées dans le cours des siècles, qu’on est enfin parvenu à composer la grande thériaque pour guérir ses morsures. Si on en manque, il faut se hâter de recourir au mithridate, et si celui-ci vient encore à manquer, on a recours aux pastilles de vesce noire (ervum ervilia) dont voici la composition : méliot bleu, aristoloche longue, rue sauvage, de la farine de vesce noire, parties égales pétries avec du vinaigre de vin, on en fait des pastilles et on en prend à dose de 1 mitskal avec 1 once de vin vieux.

On a prétendu que cette composition pouvait remplacer la grande thériaque pour la morsure de la vipère. Il est convenable d’en avoir toujours à sa disposition. On a prétendu aussi que le capillaire (adiantum capillus veneris) bouilli dans du vin et pris en potion, était également bon contre la morsure de la vipère. On a parlé encore pour ce cas, de la racine de couleuvrée blanche (Bryonia dioica, L.) bouillie à la quantité de 6 drachmes dans du vin et prise en boisson. L’agaric a été aussi indiqué comme une thériaque, on le pulvérise, on le passe au tamis, on en boit à la dose de 1 mitskal dans un demi rotl de vin vieux. Il arrête tous les accidents. Ce qu’il convient encore particulièrement d’appliquer sur les morsures ou piqûres après la succion et la scarification, c’est du suc de chou cultivé, mêlé avec du vin et appliqué en compresse.

Galien indique un emplâtre pour les morsures de la vipère, dont voici la composition : sagapene, asa foetida, opoponax, 1 mitskal de chaque, du galbanum, du soufre natif qui n’ait point subi l’action du feu, 2 mitskals de chaque ; on pulvérise les substances, on les tamise avec une étoffe grossière ; on fait ensuite dissoudre de la gomme dans du vin, on jette cette dissolution sur les substances, on les manipule jusqu’à la consistance d’un emplâtre qu’on applique sur la plaie et qu’on recouvre de feuilles de figuier et d’ortie (urtica urens).

Le chien enragé. Les médecins ont indiqué un grand nombre de symptômes qui signalent le chien enragé. Tous sont exacts : ce serait allonger inutilement ce traité de les reproduire. L’homme à la simple vue d’un chien enragé s’en éloigne instinctivement, comme il s’éloigne de la vipère ou du scorpion. Le chien enragé. Les chiens eux-mêmes s’enfuient à son aspect ; et l’on voit toujours cet animal aller isolément. Sa démarche est incertaine, il se range contre les murailles qu’il ne quitte point, n’aboyant jamais. Il est certain que dans tous les pays, et partout où on rencontre un chien enragé, on s’empresse de le tuer aussitôt qu’on l’a reconnu. Quelquefois il mord avant qu’on ait pu le reconnaître, quelquefois aussi, l’obscurité empêche de distinguer si l’animal est malade ou non. Tous les médicaments indiqués qu’on rencontre ne peuvent être utilement employés qu’autant qu’on le fait avant la manifestation de l’hydrophobie, car après l’invasion de ce symptôme, je n’ai jamais vu de malade survivre.

La morsure d’un chien enragé ne cause pas une douleur plus vive que celle qui résulte de la morsure de tout autre chien bien portant. Les symptômes caractéristiques de la rage ne commencent le plus souvent à se montrer qu’au bout de huit jours, quelquefois c’est plus tard. C’est pourquoi celui qui a été mordu par un chien qu’il ne connaît pas, doit se hâter de recourir aux moyens généraux, tels que la ligature, la scarification, la succion, l’application de ventouses, pour faire couler le sang en abondance ; faire vomir et administrer la thériaque. Il faut aussi employer ce qu’on peut avoir sous la main de remèdes spéciaux contre la rage, boissons ou topiques qui vont être de suite indiqués dans ce chapitre, suivant le but de ce traité. Au nombre de ces substances, est le liciet des Indes. On en boit tous les jours à la quantité d’un demi mitskal avec de l’eau fraîche. — Autre remède : un demi drachme d’asa foetida dissous dans l’eau fraîche. — Autre : la nigelle de Damas, pulvérisée et tamisée, en prendre tous les jours un demi mitskal dans l’eau froide. La poudre tamisée de gentiane à la même dose et aussi dans de l’eau froide. Ce qui suit est plus énergique que tout cela ; on fait brûler des écrevisses, on les pulvérise, et on projette la cendre dans l’eau, pour la prendre tous les jours à la dose d’un drachme.

Quant aux médicaments composés dont l’efficacité paraît à Galien et aux autres médecins confirmée par l’expérience, c’est ce qu’on appelle la thériaque de la morsure du chien enragé ; voici sa composition : Encens de Perse 1 partie ; gentiane, 5 parties ; cendre d’écrevisses de rivière, 6, on pile le tout comme quand on prépare du collyre, on en boit dans l’eau fraîche 2 drachmes le premier jour, et on augmente chaque jour la dose d’un demi drachme de manière à ce que le neuvième jour on ait atteint 6 drachmes ; ensuite on va encore en augmentant, mais peu à peu. — Autre remède éprouvé : de la gentiane et de la myrrhe, chacune 1 drachme, cendre d’écrevisse de rivière, 2 drachmes ; on boit tous les jours cette préparation avec de l’eau froide.

Parmi les préparations simples qu’on peut appliquer comme emplâtre sur la morsure d’un chien enragé, après l’emploi des moyens extractifs ordinaires, je citerai la farine de vesce noire (ervum ervilia, L.) pétrie avec du vin. L’amande amère pétrie avec du miel jusqu’à la consistance d’emplâtre. Des feuilles de menthe verte mêlées de sel et pilées. Prenez de l’asa foetida, mouillez-le avec du vin et remplissez-en la cavité de la plaie après l’avoir bien agrandie. L’amande mondée, de la noix, du sel et de l’oignon pilés ensemble avec du miel en parties égales, jusqu’à la consistance de cataplasme et ensuite appliqués sur la morsure. Il faut toujours s’empresser de recourir à la première de ces choses qui tombe sous la main, et continuer le traitement du malade par les boissons et par l’application des cataplasmes pendant quarante jours au moins. C’est pourquoi il faut entretenir la plaie ouverte, et si par hasard elle tend à se fermer, il faut maintenir les bords écartés au moyen des emplâtres usités dans ces circonstances. Il est connu que nécessairement pendant le cours de ces quarante jours il survient des accidents en raison de la constitution du malade et de son tempérament ; dans ce cas, il faut recourir au régime des purgatifs, de la saignée, des lavements, modifier la nourriture et les topiques ; mais il n’entre point dans le plan de ce traité de parler de toutes ces choses ; ce que nous avons voulu indiquer, c’est ce qui doit être fait de suite en attendant l’arrivée du médecin, ou ce qui peut suffire rigoureusement dans les localités où manque un médecin habile qui puisse compléter le traitement que réclame une position aussi difficile.

La morsure du chien non malade [3] a de l’analogie avec celle de l’homme et des animaux non venimeux. Il suffit dans cette circonstance de remplir la plaie d’huile chaude à plusieurs reprises jusqu’à ce que la douleur soit calmée ; ensuite on applique de la fève d’Égypte mâchée jusqu’à ce qu’elle soit réduite à la consistance d’emplâtre. Le froment peut être employé de la même manière. Si celui qui fait cette mastication est à jeun, si c’est au commencement du jour, et qu’elle soit pratiquée par un jeune homme, elle sera bien plus efficace. On peut encore prendre de l’oignon, le piler, le mêler avec du miel, et l’appliquer sur la plaie. La farine de vesce noire pétrie avec le miel s’emploie aussi en cataplasme. La mie de pain de pâte fermentée, mâchée, peut encore s’employer de même. Quel que soit celui de ces remèdes qu’on emploie, il suffit.

Il faut savoir que la morsure la plus dangereuse est celle que fait un animal à jeun. En effet, on est généralement d’accord sur ce point, c’est que si l’animal est d’un tempérament vicié, que sa nourriture soit de mauvaise nature et si de plus il est à jeun, sa morsure se rapproche de celle des animaux venimeux, si, surtout, l’individu qui la reçoit est rempli d’humeurs mauvaises et que le membre mordu soit faible ; souvent aussi la gangrène survient et alors la chose prend beaucoup de gravité. Il n’entre point dans le plan de ce traité d’indiquer les moyens de médication pour ces accidents ; mais seulement d’indiquer ceux qui conviennent aux morsures les plus habituelles et les plus connues, comme les piqûres de ces animaux qu’on rencontre le plus fréquemment dans les villes et dans les habitations qui les avoisinent et que nous avons indiquées. Pour ces cas, ce que nous avons dit doit suffire, par la grâce de Dieu.

Toi lecteur, garde-toi bien d’accorder une trop grande confiance à ce qui est écrit dans les livres sur les caractères qui distinguent la morsure du chien enragé de celle du chien qui ne l’est pas, car elle a causé la perte de plus d’un individu, suivant ce que m’ont raconté les vieillards que j’ai eu l’occasion de rencontrer. La première règle de la prudence, c’est que tu saches qu’il faut vérifier si le chien qui t’a mordu n’est pas malade, s’il ne l’est pas en employant le traitement indiqué, la plaie devra guérir. Mais si l’état du chien présente du doute, il faut alors recourir au traitement indiqué contre la morsure du chien enragé. Un vieillard qui était un des médecins les plus distingués, m’a raconté qu’il avait eu l’occasion d’observer à Almérie, un jeune homme d’une bonne conduite (tisserand, vers. heb.) qu’un chien avait mordu. Il n’éprouva aucun des symptômes qui accompagnent la morsure du chien enragé. Les médecins décidèrent que le chien n’était point malade, ils laissèrent donc la plaie se cicatriser, ce qui eut lieu au bout d’un mois ou environ. Le jeune homme fut donc réputé guéri, et les choses restèrent dans cet état assez longtemps ; mais ces heureux symptômes changèrent de caractère, des accidents fâcheux se manifestèrent, l’hydrophobie survint, puis la mort. Que ces exemples t’apprennent à te tenir en garde contre le danger caché des poisons et que les écrits ne te servent point exclusivement de règle.


Notes

[1] La version hébraïque porte « qui sont nommées bougarau, c’est-à-dire bougran ou buracan. »

[2] Version hébraïque, pavot des jardins.

[3] Litt., chien domestique.

Traité des poisons de Maïmonide (XIIe siècle). Avec une table alphabétique de noms pharmaceutiques arabes et hébreux d’après le Traite des synonymies de M. Clément-Mullet. Traduit par le DrI. M. Rabbinowicz. Paris, Adrien Delayahe (éd.), 1865. [Version numérisée : archive.org]

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