Traité des Poisons de Maïmonide | ספר הסמים וההישמרות מפני הסממנים הקטלניים

Section I Chapitre 1

Traduction I.-M. Rabbinowicz (1865)


1ʳᵉ SECTION. — Chapitre 1ᵉʳ. Du traitement des piqûres en général [1]

Aussitôt qu’un individu a été piqué ou mordu, on doit se hâter de pratiquer une ligature au-dessus de la plaie.

Cette ligature doit être très serrée pour arrêter la marche du poison et l’empêcher de se répandre dans le corps. En même temps qu’on fera cette ligature, une autre personne devra élargir la plaie au moyen d’une incision, et avec sa bouche faire une succion aussi forte que possible, et cracher tout ce qu’elle pourrait absorber.

Avant de le faire, rincer sa bouche avec de l’huile d’olive seule ou mêlée de vin. Il faut aussi frotter ses lèvres avec de l’huile de violette ou, si on en manque, avec de l’huile d’olive, et bien prendre garde qu’on ait dans la bouche quelque ulcération ou dent gâtée.

Quelques médecins exigent que la personne qui fait la succion soit à jeun ; d’autres au contraire veulent que cette personne mange quelque chose avant de la faire. Quant à moi, mon opinion est que celui qui est à jeun procure plus de soulagement au blessé, mais aussi, il y a pour lui plus de danger.

Quand on a mangé, l’action est moins efficace, parce que la salive de l’homme à jeun porte en elle-même la guérison des piqûres des insectes et de beaucoup de plaies mauvaises.

S’il ne se trouve personne pour faire la succion, il faut se hâter d’appliquer les ventouses, soit à l’aide du feu ou sans le secours du feu. L’opération aidée du feu est plus puissante et plus énergique, et elle réunit l’avantage de l’extraction à celui de la cautérisation.

Il faut ensuite expulser par le vomissement ce qui peut être contenu d’aliments dans l’estomac ; mais si le vomissement devenait difficile, il faudrait le provoquer avec de l’huile ou du beurre (fondu), mais il faut bien se garder de recourir aux moyens violents.

On donnera ensuite la grande thériaque, si on en a ; sinon, on y suppléera par le mithridate, ou bien on prendra une de ces grandes préparations qui en général sont employées contre les poisons.

Si on manque de toutes ces choses, on usera des médicaments simples qui sont communément employés contre la piqûre des reptiles.

Plus bas, nous donnerons la description de ces remèdes et la manière de les administrer. On applique ensuite sur la plaie une préparation soit simple, soit composée, enfin celle qu’on pourra trouver, pour attirer le poison au dehors.

Au bout de quelque temps, on examine l’état du malade et les symptômes qu’il présente. Si la douleur est calmée, que le pouls soit vigoureux et que la couleur devienne bonne, il ne faut rien faire de plus, seulement on veille à ce que le malade ne s’endorme pas, car alors la chaleur naturelle et les humeurs se concentrent à l’intérieur du corps, le poison pénètre dans les points les plus intimes, il envahit les parties nobles et détermine la mort.

Il faut donc veiller constamment auprès du malade pour qu’il ne s’endorme point, que la plaie ne se referme point, qu’elle reste toujours ouverte pour l’écoulement du virus, tant que les effets délétères du poison laissent de la crainte. Si vous voyez que la ligature trop serrée cause de la douleur, relâchez-la un peu.

Quand le remède sorti de l’estomac aura produit son effet, ce qui ne peut avoir lieu avant un laps de temps de huit heures au moins, donnez l’alimentation qu’on donne habituellement dans ce cas.

Mais si vous remarquez que la douleur de la plaie devienne plus vive et plus cuisante, avant de donner aucun aliment, enlevez le remède que vous y aurez appliqué, prenez des pigeonneaux, tuez-les et fendez-les immédiatement et appliquez-les sur la morsure.

Aussitôt que le malade sentira que la chaleur de l’oiseau diminue, ôtez-le et appliquez-en un autre ; si on n’a point de pigeonneaux, on peut y suppléer par des poulets, des coqs et des poules. On ne tue ces oiseaux que l’un après l’autre.

On dit que dans ce cas la belette jouit d’une propriété efficace très-grande, c’est-à-dire qu’on lui fend le corps, puis on l’applique comme emplâtre sur la plaie pour enlever la douleur.

On continue l’application de ces animaux parce que ce procédé calme la douleur et attire au dehors tout ce qu’il peut y avoir encore de poison.

Il est des médecins qui commencent par l’application des animaux avant d’en venir aux topiques extractifs du venin, simples ou composés. Si les animaux manquent, on met sur la plaie du vinaigre chaud avec de la farine cuite dans de l’huile d’olive, car c’est une des préparations calmantes.

Mais si malgré tous ces soins la douleur, loin de se calmer, devient plus aiguë ; que les symptômes s’aggravent et que la syncope survienne, il y a pour chacun de ces accidents un traitement dont l’indication ne fait point partie de ce traité, aussi est-ce le cas d’appeler un médecin intelligent qui agira en raison des phénomènes, en se conformant aux principes généraux indiqués dans les livres où la matière est traitée avec étendue ; toutefois, il devra être tenu compte de la constitution physique du malade.


[1] La version hébraïque porte serpents.

Traité des poisons de Maïmonide (XIIe siècle). Avec une table alphabétique de noms pharmaceutiques arabes et hébreux d’après le Traite des synonymies de M. Clément-Mullet. Traduit par le DrI. M. Rabbinowicz. Paris, Adrien Delayahe (éd.), 1865. [Version numérisée : archive.org]

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