Traité des Poisons de Maïmonide | ספר הסמים וההישמרות מפני הסממנים הקטלניים

Préface de Maïmonide

Traduction I.-M. Rabbinowicz (1865)


Au nom du Dieu clément et miséricordieux, maître de tous secours.

Mousa ben Obéid Allah de Cordoue dit : C’est une chose aujourd’hui généralement répandue dans notre pays, que dis-je, dans tous les climats du monde, que la noble conduite de notre maître, le glorieux et l’illustre cadi Fadhil, que Dieu prolonge ses jours et son existence ! Son but unique en ce monde est de faire participer tous les hommes en général aux grandes faveurs dont Dieu l’a comblé, à savoir : d’éloigner d’eux ce qui est nuisible et de leur procurer tout le bien-être possible, en y consacrant constamment ses biens, sa puissance, sa parole et sa pensée. Ses richesses largement employées fournissent suffisamment aux besoins des pauvres et des indigents. Il fait élever les orphelins, il rachète les captifs, il fait construire des écoles dans les provinces ; le nombre de savants et de ceux qui étudient s’est multiplié. Par sa puissance, que Dieu veuille augmenter encore et étendre, il a comblé les hommes remarquables de dignités et d’honneurs ; les chefs des familles illustres ont pu recevoir Leurs revenus, et les hommes de valeur ont été mis à l’abri des vicissitudes du sort. Par l’éloquence, la clarté et la facilité de l’élocution qu’il a reçues de Dieu, il a surpassé tout ce qui l’a précédé en fait de savant. Il est parvenu à modifier les habitudes des rois et des princes qui le plus communément commencent par ajouter foi aux accusations portées contre les absents, et se laissent facilement aller à des actes de vengeance, associant le mal à l’injustice. Il poursuit le but qu’il s’est proposé par tous les moyens possibles. Il est arrivé à faire pénétrer dans leurs cœurs des idées de générosité telles, que par là de grands personnages ont échappé à une ruine certaine. Il n’y a pas d’hommes de mérite qu’il ne sache distinguer, soit au milieu des autres, soit au milieu des villes. Il a su aussi conserver aux habitants des provinces soumises leurs biens et leurs richesses, seuls motifs qui portent le soldat à se battre, et ce qui éveille la cupidité des souverains est devenu sacré. Combien de fois le feu de la guerre s’est allumé entre les musulmans et il l’a éteint. Combien de fois encore n’a-t-il pas appelé à la guerre sainte contre les infidèles, et que n’a-t-il pas fait pour ouvrir leur cœur à la raison et répandre le principe de l’unité de Dieu parmi les peuples et les provinces. Il a délivré la ville sainte des abominations, et le principe du monothéisme y est florissant.

Tous ces actes, il les a accomplis avec la volonté de Dieu, par la puissance de sa parole, de sa plume et de son intelligence. Il a composé le traité de La prudence étendue (Al-hilah Al-bahidah) qui a pour objet la direction des princes de ces contrées en leur traçant des règles de justice et de modération qui ont élevé leur réputation s’est étendue jusqu’au ciel, répandant sa renommée au loin, et par suite, la condition des sujets s’est améliorée. Les mœurs des peuples de ces provinces, qui ont pris pour modèle notre maître, sont devenues les plus remarquables de toutes celles dont on ait jamais entendu parler. La célébrité de ces merveilles est telle qu’elles n’ont pas besoin d’être décrites. Ce n’est du reste pas le but que je me suis proposé en écrivant ces lignes, puisque déjà, les poètes de notre pays ont embouché la trompette, et leur génie s’est trouvé impuissant pour célébrer et décrire sa glorieuse vie. Ce qui précède est seulement un souvenir de gratitude pour celui qui m’a demandé ce traité. Ce que je vais exposer maintenant m’a poussé à le faire précéder de ce préliminaire. Notre illustre maître, dont Dieu veuille prolonger les jours, parmi les choses que sa pensée auguste a faites pour le bien-être des peuples, comme je l’ai déjà dit, a ordonné aux médecins du Caire de préparer la grande thériaque et le confect de mithridate, deux préparations difficiles à réaliser dans cette ville, parce que de toutes les substances qu’exige la grande thériaque, on n’y trouve que le pavot. On fit donc, par ses ordres, venir des parties éloignées de l’Orient et de l’Occident, les drogues médicinales, et les deux préparations furent faites au complet, et laissées à la disposition de tous ceux auxquels les prescrivaient les médecins. Mais comme ces deux médicaments sont du nombre de ceux qu’on ne trouve même pas dans la plupart des trésors des rois, comment alors espérer les trouver sur les marchés ? Toutes les fois donc qu’une des deux préparations venait à manquer ou qu’elle tirait à sa fin, il donnait ses soins à ce qu’on en confectionnât d’autres, toujours mu par cette pensée qui cherche tout ce qui peut contribuer au bien-être de l’humanité.

Ainsi, pendant que nous étions dans le mois glorifié du ramadhan de l’année 595 (juillet 1198), notre maître, s’adressant au plus humble de ses serviteurs, daigna lui dire : Je pensais hier que quand un individu a été piqué par un animal vénimeux avant qu’il ait pu venir jusqu’à nous chercher le contre-poison, le venin a pu se répandre dans le corps et causer la mort ; surtout si c’est la nuit que l’accident a eu lieu, il ne peut venir que le lendemain matin. D’un autre côté, la confection de ces deux préparations est trop difficile pour qu’on les emploie pour des accidents de moindre gravité tels que celles du scorpion et de l’araignée, pour lesquelles peuvent suffire la thériaque diatessaron, etc.

Par tous ces motifs, je te commande de composer un traité, petit de volume, concis d’expressions, indiquant ce que doit faire immédiatement celui qui a été atteint par un animal vénimeux, quel traitement il doit suivre. Ce traité prescrira le régime thérapeutique et diététique et fera connaître quelques-uns de ces contre-poisons généraux et communs usités dans ces circonstances, mais autres que les deux grandes thériaques, toutefois sans omettre de les indiquer dans les cas où on ne peut le suppléer. Nul doute que notre maître, par suite de ses études, n’eût appris que les médecins, tant anciens que modernes, avaient composé sur cette matière des ouvrages assez longs, et sa profonde intelligence avait vu la plupart des choses qu’ils ont dites en explorant les livres de médecine. Le but de celui dont Dieu veuille prolonger les jours, fut de recueillir ce qui a été écrit de la manière la plus facile et la plus à la portée de tous, pour en vulgariser la préparation et le souvenir, et en même temps en disséminer la connaissance parmi le peuple. Je me mis donc très promptement à l’ouvrage afin que l’obéissance répondît au commandement ; j’ai composé ce traité auquel j’ai donné le nom de Traité fadhiliteh [1]. Je ne me suis point proposé de rapporter ces choses extraordinaires qu’on n’écrit point, ni ces singularités qu’on ne peut comprendre, j’ai au contraire cherché à me conformer à l’esprit de l’ordre suprême qui m’a été donné. J’ai seulement recueilli des prescriptions, petites en nombre, mais grandes en utilité. Quand je fais l’énumération des médicaments simples, je me suis bien gardé de rapporter tous ceux qui ont été cités, ce qu’il fallait bien éviter, car en multipliant trop les prescriptions, la mémoire n’aurait pu s’en charger. D’autre part, les hommes embarrassés par les longueurs du livre n’auraient pu que difficilement trouver ces prescriptions dans les cas de nécessité, tandis que quand il n’y a pas trop de choses, on se les rappelle. Je me suis donc attaché à ne citer parmi les médicaments que ceux qui sont les plus efficaces pour les cas qui nous occupent, les plus faciles à se procurer dans ces contrées. Souvent, des médecins indiquent des médicaments simples, disant bien qu’ils sont bons contre les poisons, sans jamais faire connaître la manière de les préparer, ni à quelles doses on doit les administrer, se reposant à cet égard sur ce que le médecin doit connaître les règles générales de la médecine (de la thérapeutique). C’est pourquoi, dans cet écrit, j’ai donné des explications claires et précises qui pussent dispenser de la présence du médecin. Pareillement, pour les médicaments composés, je prescris ceux dont la préparation est la plus facile et qui ont le plus d’énergie dans leur action.

J’ai donc divisé ce traité en deux sections :

Iʳᵉ SECTION. Piqûres des serpents et insectes et morsures de quelques animaux.

IIᵉ SECTION. Traitement de celui qui a pris du poison.

Iʳᵉ SECTION. — Chapitres dont elle se compose : ils sont au nombre de six :

  • Chap. I. Traitement de l’individu qui a été piqué, en général.
  • Chap. II. Médicaments simples ou composés appliqués comme topiques sur les morsures ou piqûres.
  • Chap. III. Médicaments simples qui peuvent être utiles contre la piqûre de tous les insectes et reptiles.
  • Chap. IV. Remèdes composés utiles dans le même cas.
  • Chap. V. Traitement spécial en cas de morsures par un animal connu.
  • Chap. VI. Régime diététique en général et en particulier, à observer par les individus qui ont été piqués ou mordus. Particularités qui se rattachent à ce sujet.

IIᵉ SECTION. — comprenant quatre chapitres :

  • Chap. I. Manière de se garantir du poison.
  • Chap. II. Traitement de celui qui a été empoisonné ou qui suppose l’être, en général.
  • Chap. III. Médicaments simples ou composés qui peuvent convenir pour quelque poison que ce soit.
  • Chap. IV. Traitement de celui qui connaît la nature du poison qu’il a pris. Je ne citerai dans ce chapitre que certaines des substances qu’on peut manger par l’ignorance de leur nature ou qui, étant très répandues, rendent plus faciles les tentatives d’empoisonnement, afin de diminuer le volume de ce traité et pour obéir aux ordres qui m’ont été donnés. Dieu veuille nous diriger dans la bonne voie.

[1] Fadhiliteh vient du mot Fadhel, le nom du cadi qui a commandé de composer ce traité.

Traité des poisons de Maïmonide (XIIe siècle). Avec une table alphabétique de noms pharmaceutiques arabes et hébreux d’après le Traite des synonymies de M. Clément-Mullet. Traduit par le DrI. M. Rabbinowicz. Paris, Adrien Delayahe (éd.), 1865. [Version numérisée : archive.org]

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