Yoré Déa | יורה דעה

De l’abatage des animaux | הלכות שחיטה

Jean de Pavly & R. Abel Neviasky (1898)


Introduction des traducteurs

Les lois relatives au mode d’abatage ne sont pas de source biblique, mais traditionnelle. Dieu les aurait, selon le Talmud (Yoma, 75b, et ‘Houlin, 28a1 et 85b), révélées à Moïse verbalement, dans les quarante jours que celui-ci passa au mont Sinaï. Il croit trouver une allusion à cette révélation dans les paroles de l’Écriture (Deut. XII, 21) : Occides de armentis el pecoribus quæ habueris, sicut præcept Libr. Sicul præcepi2 suppose quelque précepte concernant l’abatage. Or, il n’en existe aucun dans l’Ecriture.

Bien qu’une loi révélée n’ait guère besoin d’être justifiée, certains auteurs s’ingénient à motiver le précepte touchant le mode d’abatage. D’après les uns ce mode est le plus propre à produire un écoulement complet du sang. Selon les autres — et c’est l’avis partagé par la plupart des commentateurs — la méthode d’abatage indiquée par la loi est la plus rationnelle et la plus humaine, vu qu’elle fait souffrir l’animal le moins de temps possible (Sefer ha’hinoukh, § 440)3.

Quoi qu’il en soit, tous les auteurs s’accordent sur ce point que les motifs donnés ne sont que conjecturaux (Eliyahou rabba, II, ch. vi).

Les principales conditions requises par la loi sont :

1) Que l’abatage s’opère par un mouvement du couteau en avant et en arrière sans la moindre pause (שהייה, 23) ;

2) Que l’abatage s’opère sans que le couteau exerce la moindre pression sur les troncs artériels (דרסה, 24, art. 1) ;

3) Que l’abatage s’opère sans transfixion (חלדה, ibid., art. 7);

4) Que la section de la trachée et de l’oesophage ne soit faite ni plus haut ni plus bas du point indiqué par la loi (הגרמה, ibid., art. 12-14);

5) Que les troncs artériels ne soient pas arrachés au lieu de sectionnés (עיקור, ibid., art. 15 et 16).

L’inobservation d’une de ces cinq conditions rend la viande exécrable4. Commentant ces conditions avec sa méticulosité habituelle, le Talmud arrive, par inductions plus ou moins logiques, à les aggraver considérablement. Ainsi, pratiquer la section avec un couteau ayant une brèche (פגימה) à peine perceptible à l’oeil nu constitue pour lui une infraction à la cinquième loi, parce qu’un couteau ébréché arrache les artères au lieu de les sectionner (§18). La laine sur le cou du mouton couvre-t-elle le couteau pendant l’opération, cela constitue déjà une transfixion (§24, art. 8).

Que l’on ajoute encore à ces lois les règlements concernant le praticien-boucher5 (§1 et 2), la défense d’abattre les petits animaux avant le huitième jour du vêlement de la mère, ou d’abattre la vache et son petit dans une même Journée (Lévit. XXII, 27 et 28 et 15 et 16), la prescription de prononcer la formule d’action de grâce avant l’opération (§19), et enfin l’obligation de couvrir avec de la terre le sang des animaux sauvages ou de la volaille, écoulé à la suite de l’opération (Lévit. XVII, 15, et 28), et on aura énuméré toutes les matières qui forment le premier traité.


1תניא רבי אומר וזבחת כאשר צויתיך מלמד שנצטוה משה על הושט ועל הקנה ועל רוב אחד בעוף ועל רוב שנים בבהמה:

2Note biblioj : Trop éloigné du lieu choisi par l’Éternel, ton Dieu, comme siège de son nom, tu pourras tuer, de la manière que je t’ai prescrite, de ton gros ou menu bétail que l’Éternel t’aura donné, et en manger dans tes villes tout comme il te plaira (Trad. Rabbinat français, 1899).

3Lorsque, il y a quelques années, le gouvernement helvétique, cédant aux instances réitérées des sociétés protectrices des animaux, avait demandé au suffrage de résoudre la question concernant le mode d’abatage usité chez les Juifs, j’éprouvais le très naturel désir d’être fixé à ce sujet, et j’ai pensé ne pouvoir mieux y parvenir qu’en demandant, à cet effet, l’avis de mon illustre ami et condisciple, le docteur Newell Martin, professeur de biologie à l’Université de Baltimore et incontestablement un des plus éminents physiologistes de notre siècle. Je ne puis pas résister à l’envie de reproduire de la lettre qu’il a bien voulu m’adresser, le 41 novembre 1893, le passage suivant, aussi spirituel que catégorique :« En ce qui concerne la revendication des Sociétés protectrices des animaux ayant pour objet l’interdiction des abatages selon le rite juif, je tiens à te dire d’abord qu’à mon avis toute cette question est fort puérile. Porter la pitié envers l’animal destiné à être mis à mort jusqu’au point de s’opposer à un mode d’abatage qui n’amène la mort que deux secondes plus tard (car il ne s’agit en l’occurrence que de 2 à 3 secondes), voilà qui est souverainement ridicule. Qu’on laisse faire Messieurs les protecteurs des animaux et nous aurons bientôt une revendication chevaline visant le règlement de huit heures de travail, une revendication féline ayant pour objet la fixation d’un minimum de salaire payable en mou ou en souris, et ainsi de suite. Mais revenons à la question, puisque question il y a. Le mode d’abatage pratiqué par les Juifs est, au point de vue de l’humanité, le plus humain, parce que l’animal souffre moins quand on le tue de cette façon que quand on lui porte préalablement le coup de massue. J’ai pu me convaincre, à la suite d’expérimentations faites sur des animaux, que la section du cou pratiquée avec un couteau bien tranchant amène chez l’animal au bout de deux ou trois secondes la perte totale de connaissance et ceci presque sans nulle douleur. Alors que le coup de massue, outre qu’il est souvent porté maladroitement, ce qui est un vrai martyre pour l’animal, occasionne, alors même qu’il est bien porté et amène, par conséquent, la perte de connaissance au bout dune seconde, une telle douleur à l’animal que, si celui-ci avait le choix, il préférerait certainement d’être tué 3 fois selon le rite juif que de recevoir un seul coup de massue. Conclusion : Si je faisais partie de l’honorable corporation des protecteurs des animaux d’abattoir, loin de demander la suppression de la méthode d’abatage usitée par les Juifs, j’insisterais pour quelle soit rendue obligatoire pour tout  le monde.  »Voilà qui est parler péremptoirement.

4La viande défendue est appelée exécrable (נבילה), ou immangeable (טריפה), selon le cas respectif. Quant à la différence entre ces deux sortes de viande, voyez §16, art. 9 et ailleurs.

5Le terme de sacrificateur, par lequel on désigne communément en France le fonctionnaire juif qui pratique l’abatage, est incorrect, vu que cette opération n’a rien de sacré ; au contraire, il est expressément défendu (§ 5) de pratiquer l’abatage en l’honneur de Dieu ou avec l’intention que la bête serve d’holocauste. Praticien- boucher correspond mieux au mot wשוחט dont les Allemands ont formé le verbe schächten et le nom Schächter.

Rituel du judaïsme. Traduit pour la première fois sur l’original chaldéo-rabbinique et accompagné de notes et remarques de tous les commentateurs, par Jean de Pavly avec le concours de M. A. Neviasky.  Premier traité : De l’abatage des animaux. Orléans, 1898. [Version numérisée : archive.org]

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