Épître de Rav Sherira Gaon | אגרת רב שרירא גאון
Introduction de Léo Landau
(1904)
Edition numérique partielle de l’introduction de Léo Landau contenant les aspects biographiques de Sherira Gaon (p.xxxi-xxxiv).
Scherira bar Chanina Gaon, « le père d’Israël »1 , né en 9002 appartenait à une famille de noble origine, ses aïeux, tant parternels que maternels, comptaient des Exilarques3 et, après que cette dignité eut dégénérée, ils remplirent des fonctions honorables dans le Gaonat.
Scherira fait remonter sa généalogie jusqu’à Zérubabel ben Schéa’thiel et jusqu’au roi David. Ibn Daud dit avoir vu gravé dans le sceau de Haï b. Scherira un lion, ce qui aurait été l’emblème des rois de la Judée4 .
Scherira était déjà un vieillard quand il entra dans le Gaonat et fonctionna depuis l’année 968, pendant trente ans de suite comme avant-dernier Gaon à Poumbaditha, (le seul siège du Gaonat après la mort de Saadia). Il avait la vocation des recherches historiques et écrivait l’hébreu, l’araméen et l’arabe.
Scherira eût été la personnalité la plus apte à empêcher la chute de l’école de Poumbaditha, si déjà il n’eût été trop tard. Le zèle pour l’étude du Talmud avait disparu maintenant de la Babylonie et avait trouvé un nouveau terrain dans l’Europe Occidentale.
Il s’en suivit que, Scherira, malgré ses efforts, ne put rien faire pour le relèvement de l’École. Sa renommée de savant s’étant étendue au loin, de tous côtés des questions ayant trait aux branches les plus diverses de la littérature talmudique, de la Halakha, de l’Agada, des demandes d’explication de mots et de choses, lui étaient adressées5 ; et toujours il y répondit avec ampleur consciencieuse et avec grande compétence. Le goût des sciences ayant disparu de la Babylonie, les savants manquaient pour occuper la chaire d’Ab-beth-Din (Juge suprême); il en résulta, qu’il resta à Scherira la seule ressource de confier cette fonction, en l’an 9856 , à son fils Haï, à peine âgé de 18 ans. Cette circonstance peut bien avoir provoqué la suspicion et elle est peut-être la raison, restée inconnue jusqu’à ce jour, de la calomnie dont Scherira fut accablé auprès du calife Alkadir (992-1031). A la suite de cette calomnie, tous deux, père et fils, furent jetés en prison et restèrent jusqu’à ce que, par l’intercession d’une personne considérée, ils furent rendus à la liberté et réintégrés dans leurs fonctions antérieures. Scherira ne garda ses fonctions que pendant un court espace de temps, remit sa charge à son fils (998) et mourut deux ans plus tard7 .
David Aboudraham nous apprend quels honneurs furent décernés à Scherira et à son fils: le Sabbat, que suivit la mort de Scherira, on fit dans les Synagogues la lecture de Nombres 27, 15 et suivants et la Haphtara (fin) 1 Rois, 2, 1-12 et au lieu de la phrase finale: « et Salomon s’assit sur le trône de son père David », on lut : « Haï s’assit sur le trône de son père Scherira et son pouvoir s’établissait de plus en plus »8 .
En dehors des nombreuses décisions rituelles (Responsa), qui nous ont été conservées, il ne nous est resté des travaux scientifiques de Scherira qu’un seul ouvrage d’Agada, connu par les citations sous le titre de Meguillath Setarim (Rouleau des secrets).
Parmi les nombreuses réponses consultations du Gaon il y en a une, qui se distingue de toutes les autres, et à laquelle notre Gaon doit sa célébrité. Ce document est d’une valeur inappréciable et, pour ainsi dire, l’unique source véridique pour la chronologie de l’époque gaonique. Il est connu sous le titre de : Épître (Igguéreth) de R. Scherira Gaon.
Cet écrit, que nous traduisons en français avec un commentaire contient une chronique des Tanaïm, Amoraïm, Saboraïra et Gueonim.
Jacob ben Nissim de Kairouan avait demandé au Gaon Scherira, au nom de cette commune : Comment la Mischna, la Thosephtha, les Baraïthoth et le Talmud furent-ils écrits? Pourquoi dans ces ouvrages, quand les traditions sont réellement si anciennes, ne cite-t-on que des docteurs d’un temps plus récent ?
Quel ordre chronologique suivit-on pour leur rédaction ? Pourquoi est-ce R. Chiyya et non pas Rabbi qui a écrit la Thosephtha, étant donné que celle-ci, comme la Mischna, provient des Tanaïm? Quel est l’ordre de succession des Saboraïm et Gueonim et pendant combien de temps fonctionnèrent-ils ?
La précision avec laquelle il répondit à ces questions, démontre l’importance que Scherira attachait à ses fonctions de Gaon. Il a donné un exposé complet de la Tradition, en tant que cela avait trait aux questions posées et a fourni un précis historique d’une remarquable compétence.
Assurément, son travail ne représente pas une histoire au sens moderne, mais quand on le compare avec des écrits analogues de son temps, on trouve, que Scherira a tout au moins écrit aussi bien que ses contemporains. L’étendue et la solidité de la réponse de Scherira ont du faire apprécier à ceux qui le consultaient l’étendue de ses connaissances dans ce domaine et les engager à recourir à lui sur d’autres points concernant la Tradition.
Cette réponse est écrite en néo-hébreu et en araméen et présente aussi plusieurs nouvelles formes et expressions que nous ne rencontrons pas dans le Talmud. Nous les avons toujours fait ressortir dans le courant des notes. Quelques-unes, toutefois, méritent d’être mentionnées ici : L’emploi surabondant des matres lectionis, surtout de א, après le Quamez et Pathach. Nous croyons avoir remarqué ici une forme plurielle, inconnue avant les Gueonim, entre autres celle avec א, pr. ex. p.19 הלכתאתהון ; p.29 טריפאתא et p. 33 רשואתא etc., que nous pouvons dénommer « pluriel gaonique. » Un pronom ind. בשום et l’expression זוד דזוד, voyez notre note 448.
Malgré la haute valeur que nous reconnaissons à cette réponse, nous ne pouvons cependant passer sous silence, que Scherira a trop pris au sérieux l’Agada et s’est trop strictement tenu au texte de celle-ci, quoi qu’ailleurs il dise lui-même expressément, que l’Agada ne mérite d’être crue, que quand elle est admissible pour l’esprit humain9 .
Un exemple le montrera. Scherira admet comme prouvé, que la Thosephta existait déjà du temps de Rabbi en se fondant sur l’Agada de Chaghiga 3a d’après laquelle deux écoliers muets récupérèrent la voix sur la prière de Rabbi, et qu’il se trouva alors qu’ils connaissaient la Mischna, le Siphra, Siphré, la Thosephta et tout le Talmud. D’une source analogue sont nées chez lui certaines assertions, ainsi p. 4, 15 et suivante : « Même les thèses d’Abayi et de Raba appartiennent à de plus anciens »10 , p.7, 7 : « Les Tanaïm n’ont rien ajouté aux sciences des savants de la grande synagogue. »
Néanmoins au XIe siècle, cette Épître fut déjà employée par le premier et le plus important commentateur du Talmud11 , au XIIIe siècle elle était déjà si connue qu’elle était citée sans nom d’auteur et simplement par les trois premiers mots כיצד נכתבה המשנה12 ; et aujourd’hui encore, elle représente la source principale pour la connaissance de la littérature talmudique.
1Nachmanides, dans Milchamoth sur Pessachim, 158 b.
2Suivant Ibn Daud ספר הקבלה, éd. Neubauer, p. 67 ; cf. aussi Zunz, Die gottesdienstlichen Vorträge, p. 305.
3Scherira. Epîtres, p. 23, 4.
4Ibn Daud, loc. Cit., p. 66.
5Joël Millier, מפתח לתשובות הגאונים Einleitung in die Responsen der babyl. Geonim, Berlin 1891, p. 183 et suiv.
6Scherira, loc, rit,. 41,8. c. à. d. deux ans avant la rédaction de la Réponse.
7Voyez Harkavy dans la Monatsschrift de Frankel, 1883, p. 182.
8Mentionné dans Bikkouré ha-Ittim, XIe année (1830), p. 85.
9Abraham b. Isak, Schola talmudica etc. réédité par le Pr. Auerbach, Halberstadt 1867, 2e partie, p. 47.
10Voyez. S. H. Weiss, Zur Geschichte der Jüd. Tradition IIe partie, 2e editior, p, 187.
11Salomon b. Isak (Raschi), 1040-1105, dans Guittin, 60 b. et Kethouboth, c.5.
12Nachmanides dans son commentaire à Alfasi, Milchamoth-haSchém, Kethouboth, c. 5.
Épître historique du R. Scherira Gaon. Traduite de l’hébreu moderne-araméen et commentée avec une introduction par Léo Landau, Imp. Léon Bary, Anvers, 1904. [Version numérisée : archive.org].