Tana Débé Eliyahou Rabba | תנא דבי אליהו רבה
Avant-propos au Tana Débé Eliyahou Rabba
Joseph Kaoua (1901)
Qu’est-ce que le Tâna débé Éliyaou ? Quel est son auteur ? Telles sont les deux questions qui se présentent d’abord à l’esprit de toute personne qui aura pris en main ce livre et qui voudrait les voir résolues avant de commencer la lecture de cette traduction.
Le Tâna débé Éliyaou, ou l’Enseignement de l’école d’Élie, est un des ouvrages appelés midrachime, c’est-à-dire Commentaires, qui tient une place honorable dans la littérature hébraïque[1]. C’est un résumé varié de morale et de théologie, un curieux et agréable commentaire de versets bibliques. Son style est d’une grande simplicité et d’une forte concision. Par la vérité et la profondeur des préceptes qu’il contient, par les nombreuses métaphores qu’il ne cesse d’employer pour mieux captiver l’esprit, par les vives couleurs avec lesquelles il peint ses allégories, il charme le lecteur et même le saisit. À ce titre on peut dire qu’il égale les meilleures productions des grands penseurs modernes, car sa simplicité fait sa beauté, sa variété fait son charme.
Mais nous sommes persuadé que la lecture seule de la traduction de cet ouvrage suffira à le faire apprécier comme il le mérite. Il est donc inutile de l’analyser même succinctement.
Le Tâna débé Éliyaou grandira encore plus à nos yeux si nous jetons un regard sur son origine et sur son auteur.
Le Talmud de Babylone rapporte, en effet[2], que ce livre n’est rien moins que l’enseignement que venait donner souvent l’ange Élie au vénérable rabbin Anane[3]. De là son titre : Tâna débé Éliyaou ou Enseignement de l’école d’Élie. Ceux que la théologie ou les profondes spéculations de la métaphysique auront convaincus de l’existence du surnaturel, admettront facilement ce renseignement talmudique, car le fait d’entendre les paroles d’un ange n’est pas un miracle plus grand que ceux que la Bible mentionne en si grand nombre, et qu’ils acceptent, a priori.
Mais malheureusement il restait à savoir si le Tâna débé Éliyaou que nous possédons aujourd’hui, était bien celui que nous avait annoncé le Talmud ?
La critique littéraire, qui aime tout autant à parler qu’à entendre, s’avance au-devant de nous armée de solides objections.
Trois passages, en effet, de notre livre, sont trop expressifs pour qu’on puisse lui attribuer l’origine précitée[4]. Comment ! ils nous donnent une date bien postérieure au Rab Anane, puisqu’ils parlent eux-mêmes du dixième siècle ; ensuite d’autres phrases nous semblent dévoiler une personne réelle et non l’ange Élie. Tous ces détails du reste se rencontreront dans le courant de la lecture du livre.
Voilà donc la division jetée dans l’école des littérateurs. Nous en donnons l’idée générale ici, mais non point l’histoire, car pour esquisser l’ensemble des opinions qui ont été émises il serait impossible de se renfermer dans le cadre si étroit d’un avant-propos, tel que celui-ci : il faudrait une brochure, que dis-je, un livre spécial, comme il en a déjà paru. Je me contente d’annoncer que quelques savants se tenant au renseignement du Talmud, opinent que ce Tâna débé Éliyaou est bien celui qui est rapporté au traité des Ketoubbotes. Quant aux objections, ils sauront les résoudre, en mettant les divers passages en question, sur le dos de quelques copistes qui les auraient écrits, pour certains motifs, dans le corps des manuscrits qu’ils avaient à transcrire et se seraient faits ainsi des interpolateurs dangereux.
Parmi ces premiers savants nous rencontrons le célèbre R. Azoulay (R. Hida), dont nous indiquons plus loin les éloquents articles.
Le camp opposé des littérateurs qui ne voient dans le nom d’Éliyaou que celui d’un rabbin du dixième siècle (974), auteur de ce livre, est beaucoup plus nombreux et compte entre autres, MM. Zunz, Oppenheim, etc., qui sont également des lumières d’Israël.
Je prie donc les lecteurs qui voudraient approfondir ce point de critique littéraire de consulter les travaux nombreux qui ont été écrits à ce sujet et dont le nombre grandira encore certainement[5]. Ils pourront peut-être, pour employer un hébraïsme, « étancher leur soif ».
Nota. — Chacun sait que le devoir de tout traducteur est de refléter non seulement la pensée du texte qu’il a sous les yeux mais également la forme, autant que possible, afin de rendre le ton général du style qu’il traduit ; j’ai donc essayé dans la mesure que permettent les règles de la syntaxe française, de ne pas m’écarter de la simplicité du texte hébreu.
Je pense que cette modeste traduction n’aura fait que gagner à cela. Puisse-t-elle être l’image assez exacte de notre bien-aimé midrache qui, je crois, n’est pas assez connu même des hébraïsants.
Joseph Kaoua
[1]Un paragraphe du Tâna débé Éliyaou est, en effet, inséré à la fin de nos prières du matin, pour être récité journellement.
[2]Traité des Ketoubbotes, f. 105 b. et 106 a.
[3]Rab Anane vivait, au commencement du 4e siècle de l’ère vulgaire. Il était contemporain du R. Nahmane, comme on le voit au traité mentionné plus haut. Or R. Nahmane vivait au commencement du 4e siècle, selon : Seder Haddorot (Article R. Nahmane).
[4]Les chapitres II, VI, XXXI, contiennent ces passages.
[5]Voici ces ouvrages : Chem-Hagguédolime de R. Azoulay, articles : Tâna débé Éliyaou, Séder Éliyaou raba. — Béer Chabâ, Tossafotes sur le traité Sanédrine, folio 92. — Revue des études juives, n°5, Juillet-Septembre 1881, pages 121-2. — Bét-Talmoud, Vienne, 1881, volume 1, p. 265 et suiv. — Zunz, Gottesdienstiche Vortrage der Juden, page 112 et suiv. — Kénesséte Israël, année 5647, page 379 et suiv. — Hacqéréme, année 5648, page 96 et suiv. — Rappoport, Biographie de R. Nathan, note 43. (Biccouré haëttime, vol. X, 1829).
Source : Tana Débé Eliyaou ou l’Enseignement de l’école d’Elie. Traduit de l’Hébreu avec de nombreux éclaircissements par Joseph Kaoua. Tome Premier. Alger, 1901, p.vi-x. [Version numérisée : Gallica].