Kôl Kôré | קול קורא
Les Treize articles de foi de Maïmonide dans le Nouveau-Testament et le Talmud
Traduction R. Lazare Wogue (1870)
Chrétiens mes frères, depuis des siècles vous nourrissez des préventions hostiles contre les membres de ma communion, et ces préventions ont pour cause principale votre antipathie à l’endroit du Talmud, que nous révérons. Hélas ! permettez-moi de le dire, vous ne le connaissez pas, ce Talmud, objet de vos dédains, et vous en jugez comme un aveugle des couleurs14. Ce n’est pas vous-mêmes, d’ailleurs, mes frères, que j’accuse et de cette ignorance et de ces mépris ; ce sont « ces renardeaux qui saccagent les vignes15 » du Seigneur, je veux dire ces séducteurs gonflés d’orgueil et de haine, qui vous mettent sur les yeux l’épais bandeau du préjugé, distillent leurs poisons dans vos cœurs et sèment la désunion entre les frères, — le tout pour gagner quelques écus !
De pareilles visées ne sont point les miennes, et c’est pour les combattre, au contraire, que j’ai pris la plume. Certes, éloigné de ma patrie, malheureux et isolé, je n’ai pas grand salaire à attendre de mes peines ; mes forces et mon temps, c’est probablement en pure perte que je les aurai dépensés. Si l’Ecclésiaste a dit : « La sagesse des petits est dédaignée 16 », que sera-ce de la mienne, qui est si peu de chose, et à quels succès peut-elle prétendre ? — Mais n’importe ! mon but est grand, et résolument j’aborderai ma tâche. Je veux réconcilier mes frères chrétiens avec mes frères israélites ; « la mission d’Élie, comme dit le Talmud17, est de rapprocher les cœurs, non de les diviser. » Ce n’est point dans l’homme que j’ai placé ma confiance, c’est dans le Tout-Puissant, qui donnera à ma parole une force persuasive et qui la fera pénétrer dans les cœurs, parce que c’est le cœur qui l’aura dictée. Elle apaisera les luttes, elle fera taire la discorde, et ce sera là ma récompense.
Je veux démontrer que le Nouveau-Testament est pleinement d’accord avec le Talmud, non seulement en ce qui touche le droit mosaïque et la Loi orale, mais même en ce qui regarde les opinions, doctrines, institutions et règlements purement rabbiniques ; qu’à peine il diffère de ces derniers sur un ou deux points, et encore s’agit-il de points controversés dans le Talmud lui-même et qui n’y ont pas réuni tous les suffrages. Ces thèses seront établies dans le cours du présent travail. Mais auparavant il me paraît à propos d’exposer les principes de la croyance israélite, de les développer, de les examiner un à un, et de démontrer que la doctrine évangélique ne les contredit en rien.
Sommaire
ToggleRésumé des Treize articles
Ces principes fondamentaux se résument, selon Maïmonide18, dans treize articles de foi, qu’on a rédigés depuis sous la forme suivante, que le fidèle Israélite récite tous les jours :
Article Premier
« Je crois, d’une foi parfaite, que Dieu loué soit son nom ! est le créateur et le régulateur de tout ce qui est créé ; que c’est Lui seul qui a produit, qui produit et qui produira toutes choses. »
Article II
« Je crois, d’une foi parfaite, que Dieu loué soit son nom ! est un et unique, d’une unité incomparable ; que Lui seul est notre Dieu, qui a été, qui est et qui sera. »
Article III
« Je crois, d’une foi parfaite, que Dieu loué soit son nom ! — n’est point un corps, n’a rien de corporel, et qu’on ne peut se le représenter sous aucune image. »
Article IV
« Je crois, d’une foi parfaite, que Dieu loué soit son nom ! — est à la fois le premier et le dernier19. »
Article V
« Je crois, d’une foi parfaite, que Dieu — loué soit son nom ! — est le seul être qu’on doive prier, et qu’il n’en faut point adorer d’autre. »
Article VI
« Je crois, d’une foi parfaite, que toutes les paroles de nos prophètes sont vraies. »
Article VII
« Je crois, d’une foi parfaite, que notre maître Moïse, d’heureuse mémoire, fut un prophète de vérité et même le plus grand des prophètes, ses devanciers comme ses successeurs20. »
Article VIII
« Je crois, d’une foi parfaite, que la Loi entière, telle que nous la possédons, est celle qui a été donnée (de Dieu) à notre maître Moïse, d’heureuse mémoire. »
Article IX
« Je crois, d’une foi parfaite, que cette loi ne sera jamais changée et que le Créateur — loué soit son nom ! — n’en donnera point une autre. »
Article X
« Je crois, d’une foi parfaite, que le Créateur — loué soit son nom ! — connaît toutes les actions et toutes les pensées des hommes, ainsi qu’il est dit21 : « Il façonne leur cœur à tous, il connaît toutes leurs œuvres. »
Article XI
« Je crois, d’une foi parfaite, que le Créateur — loué soit son nom ! — récompense ceux qui observent ses commandements et punit ceux qui les transgressent. »
Article XII
« Je crois, d’une foi parfaite, à l’avènement du Messie ; et, quelque long que soit son retard, je l’attends tous les jours. »
Article XIII
« Je crois, d’une foi parfaite, à la résurrection des morts, qui aura lieu à l’époque qu’il plaira au Créateur : loué soit son nom et glorifié son souvenir, à jamais et dans tous les siècles ! »
Tels sont les principes religieux professés par la Synagogue, et qui ont eux-mêmes pour base les treize Articles ou Fondements de la foi juive, développés par Maïmonide dans son commentaire sur la Mischnah22. Nous allons maintenant les reprendre un à un, un, tels que les a exposés cet illustre docteur ; nous interrogerons successivement, sur chacun de ces dogmes, le Nouveau-Testament d’une part, le Talmud de l’autre, et nous nous convaincrons de la parfaite conformité qui règne entre les deux recueils.
Les Treize articles dans le Nouveau-Testament et le Talmud
Chapitre 1er : Existence de Dieu ; Providence
Nous croyons à l’existence de Dieu, c’est-à-dire d’un être parfait, cause première de l’existence et de la conservation de tous les êtres. Il est impossible de concevoir sa non-existence, parce qu’elle entraînerait nécessairement la non-existence de tous les êtres ; au contraire, la non-existence de ceux-ci n’impliquerait nullement la sienne et ne diminuerait Dieu en aucune façon ; il est donc indépendant de tous les êtres, et tous les êtres, au contraire, esprits purs ou anges, sphère céleste, monde sublunaire, dépendent essentiellement de lui. Ce premier article est enseigné par première parole du Décalogue23 : « Je suis l’Éternel, ton Dieu ».
La Providence divine est l’objet principal de ce premier dogme. Or, que dit le Talmud au sujet de la Providence ? Nombreuses sont les considérations qu’on y trouve, et nous les exposerons dans le cours de cet ouvrage. Nous ne voulons, quant à présent, en rapporter qu’une seule :
On lit dans le traité Baba bathra24 : « Lorsque Job doutait de la Providence divine, il blasphéma par la searah, et c’est aussi par la searah que Dieu le confondit. En effet, Job avait dit25 : “Il me froisse par une tempête (searah) et multiplie gratuitement mes plaies”, en d’autres termes : Quelque tempête aura passé devant l’esprit de Dieu, et alors il a traité Job en ennemi. Mais “Dieu le réfuta à son tour par la searah26“, c’est-à-dire par l’argument du cheveu, en cette forme : “J’ai semé sur la peau de l’homme un nombre infini de poils ; chacun d’eux a son bulbe spécial, et un même bulbe ne peut alimenter deux poils sans troubler l’économie du corps ; moi donc, qui sais distinguer entre un cheveu et l’autre, j’aurais confondu Iyôb avec Oyêb, — Job avec un ennemi !” »
Ne retrouvez-vous pas là les paroles de l’Évangile sur cette même question de la Providence ? « Les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés »27, dit Jésus à ses disciples lorsqu’il les envoie évangéliser le monde et qu’il veut leur inculquer, pour eux et pour les autres, la doctrine d’une Providence qui veille sur tous.
Ainsi, même pensée, et, qui plus est, même image, que nous venons de voir employées par le Talmud.
Chapitre II : Unité de Dieu
Nous croyons à l’unité de Dieu : c’est-à-dire que ce même Être, cause de l’univers, est un, non comme le genre est un, ni comme l’espèce est une, ni comme nous considérons l’individu, essentiellement complexe, ni comme le corps simple, qui n’en est pas moins divisible à l’infini ; mais il est un d’une unité absolue et incomparable. Ce deuxième article nous est enseigné par la parole de Moïse28 : « Écoute, Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un. »
Que dit le Talmud au sujet de l’unité de Dieu29 ? Lorsque Jacob réunit ses fils autour de son lit de mort et voulut leur annoncer leurs destinées futures, il sentit d’abord l’inspiration divine se retirer de lui. « Eh quoi ! s’écria-t-il, compterais-je dans ma postérité un membre dégénéré, comme mon aïeul Abraham eut parmi ses fils un Ismaël, et comme Isaac, mon père, eut un Esaü parmi les siens30 ? » Et ses fils lui répondirent : « Écoute, Israël31 ! l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un », c’est-à-dire : de même que l’unité est dans ton cœur, ainsi est-elle dans le nôtre. Alors Jacob conclut : « Louée soit à jamais la gloire de son règne32 ! »
Comment s’exprime le Nouveau-Testament sur le même dogme ? Selon le récit de Marc33, « un des scribes s’approcha et demanda à Jésus : Quel est le premier de tous les commandements ? Et Jésus lui répondit : Le premier de tous les commandements est celui-ci : Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. » — Et selon Mathieu34 : « Voici, quelqu’un s’approchant lui dit : Mon bon Maître, que dois-je faire ? etc. Il lui répondit : Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a qu’un seul bon, c’est Dieu… » — Et ailleurs35 : « N’appelez personne sur la terre votre père ; car vous n’avez qu’un seul Père, savoir, celui qui est dans le ciel. » — Et Paul, dans son Épitre aux Romains36 : « Car il y a un seul Dieu… » — Le même, aux Corinthiens37 : « Nous savons qu’une idole n’est rien dans le monde et qu’il n’y a qu’un seul Dieu. » — Le même encore, aux Éphésiens38 : « Un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et parmi tous, et en vous tous. » — Et dans l’Apocalypse39 : « Nous te rendons grâces, Seigneur Dieu tout-puissant, qui es, qui étais et qui seras40… » — Dans un autre endroit41 : « Et j’entendis l’ange des eaux qui disait : « Tu es juste, Seigneur, qui es, qui étais et qui seras… »
Donc, ici encore, conformité parfaite entre les docteurs du Talmud et ceux de la Nouvelle Alliance.
Comment, de ce dogme si grand et si simple : l’unité de Dieu, on est venu à celui de la Trinité, qui est aujourd’hui la doctrine de tous. nos frères chrétiens, — c’est ce que nous examinerons en temps et lieu.
Citons, en attendant, deux passages bien remarquables du Talmud, et qui rentrent dans notre sujet.
Voici le premier42 : « L’empereur dit un jour à R. Josué ben Chananya : Je voudrais voir votre Dieu. — Tu ne saurais le voir, lui répondit le docteur. — N’importe, fais-le-moi voir quand même. — Soit. On était alors en plein solstice d’été. Le rabbin plaça l’empereur en face du soleil et lui dit : Regarde ! — Mais cela m’est impossible. — Ainsi, ce soleil, qui n’est qu’un des serviteurs de notre Dieu, tu ne saurais en soutenir la vue, et tu voudrais contempler la Divinité elle-même ! »
On ne peut guère prendre ce récit au pied de la lettre. Est-il admissible que cet empereur ait voulu voir Dieu, ce Dieu qui a dit de lui-même43 : « Nul être vivant ne peut me voir », et dont un sage de l’antiquité disait avec tant de sens : « Si je pouvais connaître Dieu, je serais Dieu ? » — Ce que le Romain, selon moi, demandait au docteur juif, c’était de lui enseigner la véritable essence de Dieu, à savoir, si elle est une, comme le professe le judaïsme, ou multiple, comme l’admettent d’autres communions.
Voici donc le sens du dialogue : « Fais-moi connaître l’essence du Dieu que vous adorez. L’âme humaine est impuissante à s’en rendre compte, tant qu’elle est enfermée dans un corps mortel. — N’importe, donne-m’en toujours une idée approximative. — Soit ; regarde le soleil : est-ce un corps simple ou composé ? — Je ne saurais le dire. — Ainsi le soleil, qui est là sous tes yeux, que tu vois distinctement, tu ne peux juger de sa nature : comment donc prétends-tu connaître la nature de Dieu, qui se dérobe à toute perception ? »
Le second passage talmudique est celui-ci44 : « R. Siméon ben Yochaï raconte Le patriarche Abraham avait une pierre précieuse suspendue à son cou, et qui avait la propriété de guérir sur-le-champ tout malade qui la regardait. Après la mort d’Abraham, le Seigneur suspendit cette gemme au disque du soleil. » — Ce récit est visiblement allégorique, et en voici le vrai sens : Abraham fut le premier qui enseigna au monde le dogme de l’unité de Dieu, qui proclama, comme dit la Bible, le nom de l’Éternel, Dieu tout-puissant de l’univers45. Ce dogme sublime dont il était dépositaire, c’est la pierre précieuse de notre allégorie. Les malades du siècle, — les malades d’esprit, dont l’intelligence était faussée par les doctrines païennes et polythéistes, — n’avaient qu’à regarder cette pierre, qu’à écouter les enseignements du monothéisme, pour être incontinent guéris de leurs erreurs ; car Abraham leur démontrait l’absurdité de l’idolâtrie et ses pernicieuses conséquences, opposées à la vérité du dogme unitaire et aux voies du Seigneur. Abraham mort, il ne restait plus personne pour enseigner la sainte doctrine aux peuples, aussi éloquemment qu’il l’avait fait. Alors le Seigneur attacha cette pierre précieuse au disque du soleil ; en d’autres termes : si vous voulez connaître l’essence de Dieu, vous n’y pouvez parvenir que par la contemplation de ses œuvres, dont le soleil est le type le plus brillant. Examinez donc le soleil ; demandez-vous si ce disque majestueux qui trône dans le firmament est un corps simple ou composé, composé d’éléments hétérogènes ; puis, ce point résolu, vous passerez à d’autres plus transcendants, et vous arriverez finalement à résoudre les questions les plus hautes concernant la nature de l’être.
Toutefois, ce serait se faire illusion que de croire que nous puissions connaître dans sa réalité, percevoir intuitivement l’essence divine. Composé de corps et d’âme, l’homme, tant qu’il est dans ce bas monde, est tout à fait im puissant à saisir cette essence. Et non-seulement cette faculté lui est refusée, non-seulement ses efforts dans ce sens ne sauraient aboutir, mais ils constituent une témérité dangereuse et funeste ; et cet écueil nous est signalé par l’Écriture, lorsque Dieu dit à Moïse46 : « Va avertir le peuple qu’il se garde bien de vouloir pénétrer jusqu’au Seigneur ; car beaucoup d’entre eux en seraient victimes. Que les prêtres eux-mêmes, plus rapprochés de Dieu, se tiennent dans une religieuse réserve, car l’Éternel pourrait sévir contre eux. » — C’est-à-dire que non-seulement le vulgaire, mais les pontifes eux-mêmes, plus éclairés et plus saints, doivent bien se garder d’approfondir l’essence divine, car ils ne pourraient se représenter cette essence que sous une forme matérielle, ils prêteraient à Dieu un corps et des attributs humains, et se précipiteraient dans l’abîme redoutable de l’idolâtrie ; et ainsi, loin de parvenir à leurs fins, ils seraient fatalement victimes de leur imprudence.
Chapitre III. Immatérialité de Dieu
Dieu est incorporel. En d’autres termes, nous croyons que cet Être unique dont il a été parlé n’est ni un corps ni une force dans un corps47, et qu’il ne peut subir, ni essentiellement ni accidentellement, aucun des attributs afférents au corps, tels que le mouvement et le repos. C’est dans ce sens que nos docteurs ont dit48 : « Dieu n’est sujet… ni à la composition ni à la décomposition… » Et le prophète nous dit49 : « A qui pouvez-vous me comparer, et (à quoi) ressemblé-je, dit le Très-Saint ? » Or, si Dieu était corporel, il ressemblerait à tous les corps. Quant à ces passages de la Bible où l’on prête à Dieu des attributions corporelles, comme celles de marcher, se tenir debout, s’asseoir, parler, et autres semblables, tout cela doit s’entendre figurément, et la Bible, comme disent nos docteurs50, s’exprime en langage humain. C’est là, du reste, un point qu’on a maintes fois traité. Ce troisième article est indiqué par cette parole de Moïse51 : « Car vous n’avez vu aucune forme » ; c’est-à-dire, vous n’avez pas (lors du Décalogue) perçu Dieu sous une forme quelconque.
Nous lisons dans le Talmud52 : « À la différence de la vie présente, la vie future ne connaît ni le manger ni le boire, ni les passions ni les appétits physiques ; mais les bienheureux y trônent parés de leurs couronnes, et se délectent de la vue des perfections divines.»
En nous représentant les justes assis sur le trône, le Talmud fait visiblement allusion à la quiétude parfaite dont ils jouissent ; car lui-même nous apprend ailleurs53 que, dans le ciel, il ne peut être question d’être assis ni debout. Et ces couronnes dont ils sont parés, qu’est-ce autre chose que la félicité même qu’ils éprouvent à «contempler les perfections divines», félicité qui échoit à chacun d’eux selon ses œuvres, de sorte que chacun perçoit l’essence divine suivant qu’il s’en est rapproché davantage ici-bas par la méditation, par la piété, par la vertu ? Pour représenter cette joie suprême, rien ne convenait mieux que l’image de la couronne, cette couronne royale qui résume toutes les grandeurs et tous les bonheurs terrestres, ou du moins les plus hautes aspirations du vulgaire. Mais ici, comme il résulte évidemment de l’ensemble du passage, l’expression est figurée et s’applique à une félicité essentiellement spirituelle ; à peu près comme dans l’expression54 : «Une joie Éternelle sera sur leur tête», ce qu’il est impossible de prendre à la lettre. Et remarquez la finesse du terme talmudique : «Parés de leurs couronnes». En effet, ces couronnes sont bien à eux, puisqu’elles ne sont autres que la somme même et le résultat des œuvres qu’ils auront accomplies en ce monde, et en raison desquelles ils obtiendront une intuition plus ou moins vive, plus ou moins ravissante, de la splendeur divine. D’où il suit que, dans la pensée du Talmud, cette splendeur, qui est l’essence de Dieu, est éminemment spirituelle. »
Voici maintenant ce que rapporte l’Évangile55 : La Samaritaine rencontrée par Jésus lui ayant objecté : « Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous dites, vous autres, que le lieu où il faut adorer est Jérusalem », Jésus, dans le cours de sa réponse, lui dit : « Dieu est esprit… » De même, dans les Actes des Apôtres56, nous lisons : « Étant donc la race de Dieu, nous ne devons pas croire que la Divinité soit semblable à de l’or, ou à de l’argent, ou à de la pierre, œuvre de l’art et de la pensée57 des hommes… » C’est-à-dire : Ce que l’homme peut percevoir soit par les sens, soit même par la pensée, ne saurait être Dieu, parce que l’homme ne peut percevoir que des choses matérielles et que Dieu est immatériel.
Au premier abord, la réponse de Jésus à la Samaritaine peut sembler singulière : Dieu est esprit ! Mais l’esprit que nous connaissons, celui de l’homme, est une chose créée ; Dieu, au contraire, est essentiellement créateur ! Et c’est ainsi que, dans son Epître aux Romains58, Paul s’écrie : « Ils ont changé la vérité de Dieu en fausseté ; ils ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur, qui est béni Éternellement. »
Mais voici comment je m’explique la réponse de Jésus :
Selon Maïmonide59, les prophètes, voulant inculquer aux hommes la croyance en Dieu, et considérant que le vulgaire n’admet que ce qu’il peut se représenter matériellement, se sont résignés à représenter eux-mêmes la Divinité avec des attributs matériels, sauf à rectifier plus tard cette notion, une fois qu’on serait bien pénétré de la vérité du principe. C’est ainsi qu’ils prêtent au Créateur une main, des yeux, etc., tout en sachant fort bien qu’il n’a ni yeux ni mains. Car encore valait-il mieux nous en donner cette idée inexacte et imparfaite que de nous laisser ignorer son existence même ; et, entre deux maux, ils ont choisi le moindre. C’est encore là le sens de cette parole talmudique déjà citée60 : « La Bible s’exprime en langage humain », c’est-à-dire que, s’adressant à des hommes, ayant à leur enseigner des vérités importantes, elle s’est vue forcée d’emprunter leur langue, quelque vicieuse et erronée qu’elle soit.
Ceci peut servir à comprendre un passage remarquable et difficile de l’Exode. Nous y lisons61 : « Moïse dit au Seigneur : — Voici, j’irai trouver les enfants d’Israël, et je leur dirai : Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. S’ils me demandent alors : “Quel est son nom ?” que leur répondrai-je ? — Et Dieu dit à Moïse : Je suis ce que Je suis62… Et Dieu dit encore à Moïse : Tu parleras ainsi aux enfants d’Israël : l’Éternel, Dieu de vos pères, Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, m’a délégué vers vous. Tel est mon nom à jamais, tel est mon titre dans tous les âges. »
Or, il y a lieu de se demander :
1° Que signifie la question de Moïse ? Est-ce qu’il ne connaissait pas le nom de l’Éternel, de celui qui lui parlait comme Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ?
2° Que signifie la réponse de Dieu ? Il commence par dire : « Je suis ce que je suis », réponse évasive qui semble interdire la révélation du nom sacré ; puis, aussitôt après, il l’invite à révéler ce même nom !
Voici comment, selon moi, il faut entendre la chose :
La question de Moïse signifie : « Quel nom dirai-je aux Israélites, qui soit assez caractéristique pour leur faire connaître Dieu, sans les induire à des conceptions matérielles à son égard ? » Sur quoi Dieu répond : « Je suis ce que je suis », c’est-à-dire, tu ne prononceras d’abord aucun nom propre ; puis, lorsqu’ils connaîtront l’existence de cet Être mystérieux et tout-puissant qui s’intéresse à leur sort, tu leur nommeras l’Éternel. Et encore ce vocable n’est-il pas proprement mon nom, — je n’ai point de nom dans la langue humaine, qui ne peut nommer que des substances corporelles63, mais il a pour but de leur rappeler qu’il y a un Être créateur de l’univers64, un Être qui a été, qui est et qui sera Éternellement65, que l’homme est absolument incapable de percevoir et conséquemment de nommer.
Ceci, pour le dire en passant, donne la clef de certain passage talmudique relatif au texte même qui nous occupe. Sur ces mots : « Tel est mon nom à jamais, etc. », le Talmud66 commente : « Le nom divin s’écrit d’une façon, mais il se prononce d’une autre ; il s’écrit Jéhovah, mais on doit l’énoncer Adonaï. » Qu’est-ce à dire ? C’est que si nous l’appelions Jéhovah, mot qui a l’apparence d’un nom propre, il s’ensuivrait que nous connaissons, que nous percevons l’essence de Dieu, ce qui n’est pas et ne peut être ; au lieu qu’en prononçant Adonaï (mon Seigneur), qui n’est au fond qu’un qualificatif tiré de la langue usuelle, nous déclarons uniquement reconnaitre sa souveraineté absolue.
On comprendra maintenant sans peine la réponse de Jésus ci-dessus relatée : « Dieu est esprit. » En voici le développement. Nul homme sur la terre, étant composé de corps et d’âme, ne peut percevoir l’essence divine, ne peut dès lors donner un nom à Dieu ; mais si nous ne pouvons connaître Dieu directement, nous pouvons du moins le connaître par ses œuvres. Pénétré de ces vérités, voulant apprendre à la femme samaritaine qu’il y a un Dieu, que ce Dieu est incorporel, partant non perceptible, mais qu’on peut s’élever à sa connaissance par l’observation de ses œuvres, Jésus choisit, entre toutes les œuvres divines, à la fois la plus noble, la plus mystérieuse et la plus proche de nous-mêmes, je veux dire l’esprit, l’âme humaine ; et par ces mots : « Dieu est esprit », il lui montre comment la nature de son propre esprit lui révélera l’existence et la nature de Dieu. « Tu as une intelligence ? Oui, seigneur. — Peux-tu la percevoir?— Non. Est-ce une substance corporelle ? — Non, seigneur, non. — Eh bien ! ma fille, cette intelligence est créée, elle a donc un créateur, et ce créateur ne peut être d’une essence moins pure. Donc, il y a un Dieu, et ce Dieu est incorporel, et tu ne peux le percevoir. Voilà les trois points que tout croyant doit connaître ; grave-les au plus profond de ton cœur. »
Chapitre IV. Dieu est Éternel
Ce dogme consiste à croire que l’Être unique dont nous avons parlé est antérieur à toute chose67, d’une manière absolue et à l’exclusion de tout autre être. Les preuves bibliques de cette croyance sont nombreuses, et elles se résument dans cette parole de Moïse68 : « Le Dieu antérieur est un asile (pour Israël). »
À cette dernière citation de Maïmonide, on peut ajouter le verset69 auquel fait allusion la formule synagogale du même dogme : « Je suis le premier et le dernier, et hors moi il n’est point de Dieu. »
C’est à un point de vue semblable qu’on lit dans le Talmud70 : « Dieu a pour signature emeth (Vérité). » Sur quoi le Midrasch-rabba71 remarque : « Pourquoi emeth ? Parce que ce mot hébreu se compose de trois lettres : l’aleph, commencement de l’alphabet ; le mem, qui en est le milieu ; le taw, qui en est la fin ce qui veut dire que Dieu est le premier et le dernier, le commencement et la fin, et que hors lui il n’est point de Dieu. »
Or, à première vue, il n’y a guère de rapport appréciable entre la notion de vérité (émeth) et celle d’éternité ; mais on le saisira par ce que je vais dire. Nous lisons dans Jérémie72 : « Le Seigneur Dieu est vérité ; c’est le Dieu vivant et le roi de l’éternité. » Et Maïmonide explique73 :
« Dieu seul est vrai, et il n’y a point de vérité semblable à la sienne, nul être n’est réel comme lui. En effet, le nom d’Elohim indique la puissance dont Dieu dispose. Il est vrai que les dieux des Gentils s’appellent aussi Elohim ; ainsi on lit entre autres74 : “Tous les peuples s’avancent, chacun sous les auspices de son dieu.” Ces dieux, en effet, sont des puissances, car ils ne sont autre chose que les forces naturelles divinisées par l’erreur ; mais ce sont des puissances inconscientes, instruments de la Toute-Puissance intelligente qui est Dieu. Ainsi, on a vu le soleil, en apparence impérissable, éclairer, échauffer la terre, répandre journellement la vie sur tout ce qui la peuple, et on a adoré le soleil ; mais on n’a pas compris que c’est une force aveugle, que sa puissance est empruntée, qu’il ne fait autre chose qu’accomplir une mission, et qu’il y a une Intelligence supérieure, une Puissance créatrice et régulatrice qui lui a confié cette mission et communiqué ce pouvoir. Cet Être souverain est l’Éternel, et c’est pourquoi il s’appelle le Dieu des dieux75, et c’est pourquoi Jérémie le proclame un Dieu-Vérité, car lui seul est vraiment Dieu. Seul il est incréé, seul au-dessus du temps, c’est-à-dire seul Éternel et seul pouvant dire : “Je suis le premier et le dernier, hors moi point de Dieu !” »
Voyons maintenant si le Nouveau-Testament ne tient pas le même langage. Saint Paul, dans son Épître aux Hébreux76, répète les paroles du Psalmiste : « C’est toi, Seigneur, qui as fondé la terre dès le commencement, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains. Ils périront, mais tu subsistes toujours ; ils vieilliront tous comme un vêtement ; tu les ôteras comme un habit, et ils disparaîtront ; mais toi, tu es toujours le même, et tes années ne finiront point. — Écoutons l’Apocalypse77 : « Je suis l’alpha et l’oméga (l’aleph et le taw du Talmud), le commencement et la fin, dit le Seigneur, qui est, qui était et qui sera, le Tout-Puissant. » Ailleurs encore, dans le même livre78 : « Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu tout-puissant, qui a été, qui est et qui sera. » Et enfin79 : « Tu es juste, Seigneur, qui as été, qui es et qui seras. ».
Chapitre V. La prière n’est due qu’à Dieu
« C’est Dieu seul qu’il convient d’adorer, de révérer et de glorifier ; c’est à lui seul que nous devons rendre un culte, adresser nos prières, obéir d’une manière absolue. Aucun de ces hommages n’est dû à un être quelconque autre que lui,―ange, étoile, sphère céleste, éléments ou ce qui en est composé80, tous étant ses créatures, subordonnées à lui, soumises à sa loi et accomplissant fatalement leur destinée. On ne doit même pas les invoquer à titre d’intermédiaires, d’intercesseurs entre nous et Dieu ; mais c’est sur Dieu seul et exclusivement que doit se porter notre pensée. Ce principe n’est autre que la défense de l’idolatrie, défense si fréquemment répétée dans la loi mosaïque. »
« Où est le peuple assez grand, s’écrie Moïse81, pour avoir des divinités accessibles, comme l’Éternel notre Dieu l’est pour nous lorsque nous nous adressons à lui ? » ―À lui, commente le Talmud82, et non pas à ses attributs (qui ne sont autre chose, en réalité, que ses œuvres, c’est-à-dire les formes visibles ou latentes, les créatures ou les forces, par lesquelles se manifestent l’action de Dieu et son gouvernement dans le monde). Dans ce même Talmud, on lit encore83 : « Quiconque associe au culte de la Divinité celui d’un être quelconque sera retranché du monde, selon ce texte84 : « Celui qui sacrifie aux dieux sera anathème : l’Éternel seul doit avoir vos hommages. »
Il n’est pas sans intérêt de voir comment Maïmonide, dans son Abrégé du Talmud ou Mischné-Torah85, expose le même dogme et développe la même pensée, dont il a fait, comme on vient de le voir, le Ve article de foi :
« Le véritable sens des défenses mosaïques relatives à l’idolâtrie, c’est qu’il n’est permis d’adorer aucun être créé, ange, sphère ni étoile, ni aucun des quatre éléments, ni rien de ce qui en est formé. Même reconnaître l’Éternel comme vrai Dieu, et adorer à un degré quelconque une de ses créatures comme son délégué ou son représentant, c’est encore être idolâtre ; et tel est le sens de cette parole de Moïse86 : “Tu pourrais aussi porter tes regards vers le ciel, contempler ce soleil, cette lune, etc., et te laisser induire à les adorer, l’Éternel ton Dieu les ayant dispensés à tous les peuples sous le ciel…” C’est-à-dire : En contemplant les corps célestes et en méditant sur leurs fonctions, tu pourrais être amené à te dire : “Puisque les astres gouvernent le monde, puisque Dieu les a préposés à la terre en raison de leur vitalité87 et de leur nature incorruptible, il convient donc de se prosterner devant eux et de les adorer.” C’est à ce même point de vue que Moïse nous dit ailleurs88 : “Prenez garde que votre cœur ne s’égare et qu’alors, vous détournant de moi, vous ne portiez vos hommages à des dieux étrangers.” L’idolâtrie a donc pour cause un “égarement du cœur, une aberration du jugement, qui nous fait voir dans certains êtres des intermédiaires” naturels entre nous et Dieu, et par suite nous porte à les adorer. »
Le Nouveau-Testament professe les mêmes principes. L’auteur de l’Apocalypse raconte89 : « C’est moi, Jean, qui ai vu et qui ai ouï ces choses. Et après les avoir ouïes et vues, je me jetai aux pieds de l’ange qui me les montrait, pour l’adorer. Mais il me dit : Garde-toi bien de le faire ; car je suis ton compagnon de service90, et celui de tes frères les prophètes, et de ceux qui gardent les paroles de ce livre. Adore Dieu ! » — Ainsi, l’ange lui-même déclare à Jean que Dieu seul est adorable.
L’Évangile de Mathieu91 nous montre Jésus emporté par l’Esprit dans un désert, pour être tenté par Satan. Celui-ci lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire, et il lui dit92 : « Je te donnerai toutes ces choses si tu te prosternes devant moi et m’adores. Alors Jésus lui dit : Retire-toi, Satan ! car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul. » C’était lui dire : Dieu veut être adoré directement, et il n’est besoin d’aucun intermédiaire pour lui transmettre nos prières et nos hommages.
Citons encore les textes suivants : « Mais toi, quand tu pries…, prie ton Père, qui habite au secret (de ton cœur)93… » — « Vous donc, priez ainsi : « Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié94, etc. » — « Et il pria en disant : Mon Père, que ce calice passe loin de moi95, etc. » — « Il s’en alla encore pour la seconde fois et pria, disant : Mon Père96, etc. » — « Un jour que Jésus était en prière…, un de ses disciples lui dit : Seigneur, enseigne-nous à prier, etc. Et il leur dit : Quand vous priez, dites : Notre Père, qui es aux cieux97, etc. » — Et dans les Actes des Apôtres98 Ils prièrent en disant : Toi, Seigneur, qui connais tous les cœurs, etc. » — « Alors Simon répondit et leur dit : Priez vous-mêmes le Seigneur pour moi99… » — « Tandis que Pierre était gardé dans la prison (par l’ordre du roi Hérode), l’Église faisait sans cesse des prières à Dieu pour lui100. » — Mêmes témoignages dans les Épîtres de Paul ; « Je vous conjure donc, mes frères, par notre Seigneur Jésus-Christ…, de combattre avec moi dans les prières que vous ferez à Dieu pour moi101. » — « Trois fois j’ai prié le Seigneur que celui-là se retirât de moi102. » — « Et je prie Dieu que vous ne fassiez aucun mal103. » — Enfin, l’apôtre Jacques, dans son Épître catholique104 : « Quelqu’un est-il malade parmi vous ? Qu’il appelle les pasteurs de l’Église, et qu’ils prient pour lui et qu’ils l’oignent d’huile au nom du Seigneur. »
Les documents chrétiens s’accordent donc avec les nôtres pour proclamer cette importante vérité : que le culte d’adoration n’appartient qu’à Dieu et qu’on ne doit invoquer aucun ange, aucune créature, fût-ce à titre d’intermédiaire.
Chapitre VI. Autorité des Prophètes
« Il faut croire à la prophétie (ou à l’inspiration) ; c’est-à-dire qu’il existe dans l’espèce humaine certaines natures d’élite, douées de qualités exceptionnelles et d’une intelligence transcendante, propre à recevoir finalement la forme (l’empreinte) de l’Intelligence absolue. Une fois réalisé ce contact de l’intellect humain avec l’Intellect actif (universel), une émanation supérieure descend de celui-ci sur celui-là : c’est là ce qui constitue l’inspiration prophétique, c’est là ce qui fait le prophète. — L’analyse de ce dogme comporte de longs développements ; nous ne pouvons ici l’exposer en détail, non plus que les conditions où s’obtient la faculté prophétique, car il y faudrait, pour ainsi dire, le concours de toutes les sciences105. Je me bornerai donc à ce simple énoncé. Quant aux textes bibliques, ils font foi de cette inspiration accordée à nombre de prophètes. »
Ces textes, auxquels se réfère notre auteur, sont innombrables, et l’un des plus frappants est ce mot de Jéhu (II Rois, x, 10) : « Sachez bien qu’aucune des paroles de Dieu ne tombe à terre106. » C’est là, en effet, ce qui distingue les prophètes, organes du vrai Dieu, d’avec les astrologues, nécromanciens, augures et autres devins. Eux aussi annonçaient l’avenir ; mais leurs prédictions, conjecturales et arbitraires, ne s’accomplissaient jamais — si elles s’accomplissaient — que par hasard ou partiellement celles de nos prophètes, au contraire, se réalisent infailliblement et dans toute leur étendue. C’est pourquoi Isaïe (xlvii, 15) a pu dire : « Qu’ils viennent donc à ton aide, tes astrologues, qui te révèlent, mois par mois, quelque chose de ce qui doit t’arriver ! — Quelque chose, jamais tout », remarque avec raison le Midrasch-rabba (Genèse, § 85)107. Avec plus d’énergie encore, le même Isaïe (xliv, 25) s’écrie : « Dieu annule les pronostics des magiciens, il déjoue la parole des sorciers. » Mais de la parole de nos prophètes, qui est la parole de Dieu même, « rien ne tombe à terre », pas une syllabe ne reste inaccomplie.
Quelle est la doctrine du Talmud à cet égard ? Cette parole de Dieu à Moïse (Exod. xxiv, 12) : « Je veux te donner les tables de pierre, la Loi et les préceptes que j’ai écrits pour leur instruction (des Israélites) », est ainsi commentée par nos docteurs (Talm. Berakh. 5 a) : « … La Loi et les préceptes, cela signifie la loi écrite108 et la loi orale ; ce que j’ai écrit, ce sont les livres des Prophètes et des Hagiographes… ; d’où il suit que tous ces documents furent déjà communiqués à Moïse sur le mont Sinaï. » Manière allégorique de nous apprendre que la Bible tout entière est contenue, en germe et en esprit, dans le Pentateuque, et que par conséquent les paroles des prophètes sont véridiques et légitimes comme celles de Moïse.
Quant au Nouveau-Testament, est-il nécessaire de rappeler qu’il cite à chaque page les paroles des prophètes, qu’il s’appuie partout sur leur autorité, qui est le fondement même de la sienne et son unique raison d’être ? Mentionnons cependant cette parole célèbre de Jésus lui-même109 (Math. v, 17) : « Ne pensez point que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes ; je suis venu, non pour les abolir, mais pour les accomplir. » Plusieurs, à la vérité, traduisent : pour les compléter110 ; mais si le Christ eût parlé ainsi, il aurait ouvertement contredit cette Loi même qu’il ne veut pas abolir, cette Loi qui défend de rien ajouter à son texte, aussi bien que d’en retrancher quelque chose (Deut. iv, 2 et xiii, 1). — Ainsi, Jésus reconnaît aux prophètes la même autorité qu’à Moïse.
Une preuve peut-être plus remarquable encore de sa soumission, c’est lorsqu’il dit à un lépreux qu’il vient de guérir (Math. viii, 4 ; cf. Marc, i, 44, Luc, v, 14) : « Va-t’en, montre-toi au sacrificateur, et offre le don que Moïse a ordonné, afin que cela leur serve de témoignage… » Témoignage de quoi, si ce n’est du respect de Jésus pour la parole non-seulement de Moïse, mais d’un simple prêtre institué par Moïse ? En effet, la pureté et l’impureté légales dépendaient essentiellement de la déclaration du prêtre111, et la phrase de Jésus dit clairement : « Bien que ce soit moi qui t’aie guéri, va néanmoins auprès du sacrificateur (kohên), qui seul a qualité pour te déclarer pur. Et ce sera là un témoignage pour tous, comme quoi j’accomplis la loi de Moïse et l’observe strictement. »
Pareillement, nous lisons dans les Actes des Apôtres (xxiv, 14) que Paul, se justifiant devant le tribunal du gouverneur Félix, dit entre autres « Or, je reconnais que, conformément à la voie qu’ils appellent secte, je sers le Dieu de mes pères, croyant tout ce qui est écrit dans la Loi et les Prophètes. » Même livre (vii, 42) : « … Comme il est écrit dans le livre des Prophètes. » Et ailleurs (xxvi, 27) Paul s’écrie : « Roi Agrippa, ne crois-tu pas aux prophètes ? je sais que tu y crois. » Et le même aux Hébreux (iv, 12) : « Car la parole de Dieu est vivante », etc. Enfin, car il faut se borner, l’apôtre Jacques (Ep. cathol. v, 10) dit expressément : « Frères, prenez pour exemple de patience dans les afflictions les prophètes, qui ont parlé au nom du Seigneur. »
Ainsi, sur ce point encore, la doctrine évangélique est démontrée conforme à celle du Talmud et de la Synagogue.
Chapitre VII. Prééminence de Moïse
« Nous devons croire que notre maître Moïse a été le prince de tous les prophètes, de ceux qui l’ont précédé comme de ceux qui l’ont suivi. Tous lui sont inférieurs, car Moïse a été le privilégié de l’espèce humaine, celui qui a connu la Divinité plus qu’aucun homme ne l’a connue ou ne la connaîtra jamais. Il s’est tellement élevé au-dessus des conditions de l’humanité, qu’il est devenu l’égal des anges et a participé à leur nature. Il n’est pas resté (entre lui et la vérité divine) une seule barrière qu’il n’ait renversée et franchie, pas un de ces obstacles qui naissent de la matière et de ses imperfections112. En lui s’étaient anéanties toutes les facultés de l’imagination et des sens, tous désirs et appétits terrestres, de sorte qu’il était devenu une pure intelligence ; et c’est pourquoi l’on a dit de lui qu’il parlait à Dieu directement, sans l’intermédiaire des anges113… »
(Suivent des considérations sommaires sur l’importance de la question, et l’exposé des différences, au nombre de quatre, qui constituent la supériorité politique de Moïse. Nous ajournons quant à présent ces détails, qui feraient longueur ici, et qui se retrouvent d’ailleurs dans le Mischné-Tôrah du même auteur : hilkh. Yeçôdé ha-Tôrah, vii, 6 ; cf. Guide, part. 11, ch. 35.)
Le passage capital où se trouve établie et, en quelque sorte, définie la prééminence de Moïse, est celui-ci114 : « S’il (Moïse) n’était que votre prophète, moi, l’Éternel, je me manifesterais à lui par des visions, c’est en songe que je m’entretiendrais avec lui. Mais non : Moïse est mon serviteur ; de toute ma maison il est le plus dévoué. C’est face à face que je lui parle, par intuition et non par énigmes… »
Notre VIIe dogme, qui proclame non-seulement l’autorité de Moïse115, mais sa supériorité sur tous les autres prophètes, trouve un double écho dans le Nouveau-Testament. La chose est évidente pour le premier point, puisque l’Évangile tout entier fonde son autorité première sur le Pentateuque, et invoque à chaque page la parole de Moïse. Quant au second point, le témoignage de Dieu en faveur de Moïse est répété littéralement par Paul, dans son Épître aux Hébreux (i, 5) : « Et certes, Moïse fut le plus fidèle de toute sa maison116. »
Voici maintenant le point de vue du Talmud (tr. Yebham. 49 b) : « Tous les autres prophètes, dit-il, ont vu (Dieu ou la vérité) dans un miroir obscur ; Moïse a vu dans un miroir clair et net. » La métaphore a quelque chose de singulier. Le miroir ne peut que refléter la personne qui s’y regarde ; selon qu’elle-même sera belle ou laide, ainsi sera son image. La qualité de la vision tient donc à l’homme, non au miroir, et c’est de l’homme que le Talmud devait parler. Mais voici quelle était la pensée de nos docteurs.
On sait que l’homme est composé d’un corps et d’une âme, en d’autres termes de matière et d’esprit : l’un se manifeste par les appétits et les passions, l’autre par la raison, par la sagesse. Ces deux éléments opposés, qui se disputent notre être, font de l’homme, en quelque sorte, une antinomie vivante. Le corps l’enchaîne à la terre, l’âme le fait aspirer au ciel. L’un lui impose ses convoitises matérielles, la satisfaction de ses sens, l’assouvissement de ses appétences bestiales ; l’autre, dans son sublime essor, l’emporte vers les régions du vrai, du beau et du bien, vers la justice, la vertu et la science. C’est que le corps est fils de la poussière, que l’âme est un rayon de l’Éternelle Intelligence, et que chacun d’eux se ressent de son origine première. Tiraillé ainsi en sens contraires, sollicité par ces tendances contradictoires, c’est miracle que l’homme puisse vivre. Et il ne vit en effet que parce qu’une volonté toute-puissante retient ensemble les deux éléments qui le constituent, et il ne cesse de vivre que lorsque cette même volonté leur permet de se disjoindre. N’est-ce pas dans ce sens que le Talmud dit (tr. Abôth, iv, fin) : « C’est malgré toi que tu vis », c’est-à-dire que la vie humaine est un état de contrainte, la jonction contre nature de deux principes hostiles l’un à l’autre ?
Or, celui qui aspire à la perfection, à la possession de l’esprit saint, idéal de son âme intelligente, celui-là doit s’efforcer constamment de faire prévaloir les facultés et les tendances de son âme sur celles de son corps ; « toujours, ainsi s’expriment nos docteurs (Talm. Berakh. 5 a), l’homme doit exciter en lui l’esprit du bien contre l’esprit du mal », — les nobles passions contre les passions mauvaises, l’âme contre le corps. Oui, toujours ! car cette lutte doit être incessante, c’est la loi même de l’humanité. Qui n’avance pas recule, qui ne se perfectionne pas se dégrade ; et dans la voie de la vertu, comme dans celle de la science, nul ne peut rester stationnaire. « Pour l’homme intelligent, dit le livre des Proverbes (xv, 24), le chemin de la vie est en haut, et il évite ainsi l’abîme qui est en bas. » C’est-à-dire que l’homme de sens, qui veut gagner la vie Éternelle, ne cesse pas un seul instant de diriger ses yeux et son cœur, sa pensée et ses efforts, vers les régions supérieures où réside le bien117, sous peine de déchoir vers les basses régions du mal. Et lorsque l’âme est ainsi devenue maîtresse du corps, toute la conduite devient invariablement conforme aux exigences de la raison. Ainsi que l’ont dit nos sages (Berakh. 61 b) : « Les justes sont gouvernés par l’esprit du bien, les méchants par l’esprit du mal, le vulgaire par l’un et l’autre tour à tour. » L’esprit du bien, nous l’avons dit, c’est la raison, c’est-à-dire l’âme ; l’esprit du mal, c’est la passion, la sensualité, c’est-à-dire le corps. Les gens de bien obéissent à leur âme ; aussi chaque pas qu’ils font dans cette voie les y affermit davantage et leur vaut une perfection de plus : « La récompense du bien, c’est le bien » (tr. Abôth, iv). Les méchants sont asservis à leur corps ; aussi chaque pas dans la voie du mal les y enfonce davantage, et toute chute est pour eux l’occasion d’une chute nouvelle : « La punition du mal, c’est le mal » (ibid.). Enfin, les esprits médiocres et vulgaires cèdent tour à tour à l’un et à l’autre principe, aspirent tour à tour à monter, à descendre, subissent tantôt l’ascendant de l’âme qui les porte vers le ciel, tantôt celui du corps qui les entraîne vers la terre, et, ballottés par cette lutte qui les épuise, ils ne peuvent jamais s’élever à cette perfection qui fait le juste par excellence, moins encore à celle qui constitue le prophète.
C’est le cas de rappeler la remarquable assertion du Talmud (tr. Nedar. 38 a, cf. Schabbâth, 92 a) : « Le don de prophétie n’est accordé qu’à l’homme sage, fort et riche » ; assertion qui doit se compléter par les définitions de la Mischnah (tr. Abôth, iv) : « Qui est vraiment sage ? Celui qui sait apprendre de tout homme… », c’est-à-dire qui, tout savant qu’il soit lui-même, sait qu’il lui reste toujours à apprendre, consulte modestement les plus humbles, et ne dédaigne les leçons de personne. « Qui est vraiment fort ? Celui qui sait se vaincre lui-même… », c’est-à-dire qui ne craint point d’entrer en lutte avec les penchants vicieux de la matière, et qui a su les faire plier sous la domination de l’esprit. « Qui est vraiment riche ? Celui qui est content de son sort », car le riche mécontent du sien est pauvre, et le pauvre satisfait de sa destinée est riche. La sérénité de l’intelligence est la condition indispensable de sa lucidité, et sans cette dernière, à son tour, l’inspiration prophétique est impossible.
Du reste, les conditions de cette inspiration ont été exposées avec détail par Maïmonide dans plusieurs de ses écrits. Nous nous bornerons, pour abréger, à extraire le passage suivant de son Compendium du Talmud (Mischn. Tor., loc. cit., vii, 1 et 2) :
« Un des principes de la foi juive, c’est de reconnaître que Dieu accorde à certains hommes le don de prophétie. Ce don n’est accordé qu’à celui qui est sage118 par excellence, maître de ses passions qu’il soumet constamment au joug de sa raison, et doué du caractère le plus élevé et le plus généreux. L’homme qui possède toutes ces qualités peut impunément pénétrer dans le Pardès119 et s’adonner à la méditation des graves mystères qui le composent ; car son esprit est bien préparé pour les comprendre, il s’est sanctifié de plus en plus en se détachant des préoccupations matérielles du vulgaire, des soucis et des vains intérêts du siècle. Le regard sans cesse fixé sur les célestes hauteurs, l’âme attachée sous le Trône de Dieu120, il contemple les saintes et pures apparitions, se rend compte des merveilleuses harmonies de l’œuvre divine, depuis la Forme première jusqu’à l’ombilic de la terre, et y découvre partout la grandeur infinie du Créateur. Dès lors l’esprit saint l’inspire, et cette inspiration l’élève au niveau des anges appelés ischim121, tellement qu’il devient un autre homme, un homme supérieur même aux plus sages, et ayant conscience de cette transformation. C’est ainsi que Samuel a pu dire à Saül (I Sam. X, 6) : “En leur compagnie tu deviendras prophète, et tu seras soudain un autre homme.” — Or, il y a plusieurs degrés dans l’inspiration prophétique ; et comme, en fait de science, tel individu en possède plus que tel autre, de même, en matière d’inspiration, un prophète peut être supérieur à un autre prophète… »
On peut rapprocher, de ce passage de notre docteur, la gradation formulée par le Talmud (Abôd. zar. f. 20 b) : « L’étude de la loi divine a pour première conséquence la circonspection religieuse ; celle-ci conduit au zèle, le zèle à la continence, la continence à l’abstinence, cette dernière à la pureté, celle-ci à la piété, la piété à l’humilité, l’humilité à l’horreur du péché, cette crainte du mal à la sainteté, la sainteté à l’inspiration… » — Et pourtant, ces conditions requises pour obtenir le don de prophétie sont encore inefficaces si l’on n’y joint les suivantes :
1° Il faut s’en rendre digne par une retraite plus ou moins longue, où d’une part l’esprit se recueille dans la méditation et se prépare à mériter les communications d’en haut, et où d’autre part, libre des préoccupations terrestres, il puisse acquérir cette sérénité parfaite sans laquelle toute extase est impossible. C’est ainsi que nous voyons Élisée demander aux charmes de la musique les moyens d’arriver à cette disposition d’esprit, et « aussitôt que le musicien a joué de son instrument, la main du Seigneur (l’inspiration) se pose sur le prophète » (II Rois, iii, 15). — La Divinité, disent nos docteurs d’après ce texte même, ne se communique ni dans l’apathie, ni dans la tristesse, ni dans les occupations vaines ou les propos frivoles, mais seulement dans la joie qui suit une bonne action. (Tr. Schabb. 50b) Maïmonide, loc. cit. § 4, développe la même pensée.
2° Il faut avoir su, autant que possible, s’affranchir des exigences du corps. Entre le corps et l’âme il y a, nous l’avons dit, antagonisme naturel et permanent ; et, avec quelque puissance que l’âme s’élève au-dessus de la matière, il est rare qu’elle la domine assez pour apaiser la lutte. Aussi voyons-nous les prophètes en général122, même à l’heure de l’inspiration, éprouver un trouble physique extraordinaire, pâlir, trembler, défaillir. Abraham, dans la vision mystérieuse du chapitre xv de la Genèse (v. 12), est en proie à une « terreur sombre et intense », et Daniel, en pareil cas, nous raconte lui-même (Dan. x, 8) que sa physionomie s’est subitement altérée et qu’il est tombé dans une prostration profonde. C’est que la crise prophétique, où l’âme aspire au ciel tandis que le corps nous retient violemment à la terre, produit dans tout l’être une commotion qui peut aller, dans certains cas, jusqu’aux apparences de la folie.
À ce point de vue, on se rendra aisément compte du dire talmudique d’après lequel « quatre docteurs pénétrèrent dans le Pardès123, mais avec des succès bien divers : Ben Azaï, Ben Zôma, Acher124 et R. Akiba. Ben Azaï regarda témérairement, et il périt ; Ben Zoma, pareillement indiscret, fut atteint de folie ; Acher ravagea les plantes125 : R. Akiba, seul, put entrer et sortir sain et sauf. » Or, cette grave différence dans les résultats tient à la différence des individus eux-mêmes, de leur organisation et de leurs procédés. R. Akiba avait une saine et forte intelligence, qui savait commander au corps et l’empêcher de la contrarier dans ses aspirations ; aussi a-t-il pu « entrer impunément » dans le sanctuaire des vérités transcendantes et en rassasier son âme, et il en est aussi « sorti impunément », c’est-à-dire sans secousse ni perturbation pour son corps. Ben Zoma, lui, n’avait pas su dompter suffisamment ce corps rebelle, et moins encore l’avait su Ben Azaï ; leurs intelligences n’étaient ni assez robustes pour résister à ses entrainements, ni assez épurées, assez bien préparées, pour concevoir et s’assimiler les vérités transcendantes. Elles devaient succomber dans la lutte : l’une s’égara jusqu’à la folie, l’autre lâcha les rênes et ce fut la mort. Quant à Elischa Acher, sa préparation morale n’était pas seulement incomplète, elle était fausse ; il voulut approfondir, au flambeau de la raison humaine, des faits qui lui sont inaccessibles, des croyances étrangères à son domaine, et ne pouvant les raisonner il les répudia. C’est ainsi qu’on se perd avec les meilleures intentions, quand on les applique à contre-sens. Mais achevons d’exposer les particularités du prophétisme :
3° Les prophètes, en général, ne reçoivent l’inspiration, ne perçoivent les révélations divines, que par l’intermédiaire d’un ange ; et c’est là, comme l’explique Maïmonide, le propre sens du passage déjà cité du livre des Nombres : « S’il n’était que votre prophète, moi, l’Éternel, je me manifesterais à lui par une vision, c’est en songe que je m’entretiendrais avec lui… » Aussi la perception des prophètes, loin d’être une intuition claire et directe comme celle de Moïse, ne s’opère-telle d’ordinaire qu’à l’aide d’images symboliques qui leur apparaissent, sorte de voile interposé entre Dieu et l’homme, et qui ne permet au prophète de connaître la volonté di-vine qu’à proportion de son intelligence plus ou moins lucide. Ainsi s’explique, selon moi, le dialogue que nous lisons au début des prophéties de Jérémie. Dieu lui demande (Jér. i, 11, 12) : « Que vois tu, Jérémie ? — Je vois un rameau de l’arbre hâtif (l’amandier). — Tu as bien vu, répond le Seigneur : moi aussi je serai hâtif dans l’exécution de ma parole. » Que signifient cette question et cette réponse ? Et pourquoi ce compliment : Tu as bien vu ? Beau mérite, vraiment, de voir ce que Dieu lui fait voir ! Pas n’était besoin, pour cela, d’être prophète. Or, dans mon système, ces singularités s’expliquent fort bien. Jérémie, inférieur à Moïse comme tous les autres prophètes, n’avait pas perçu un fait distinct et unique, mais des images multiples et variées, entre lesquelles son intelligence sut démêler la principale, celle qui devait le mieux exprimer la pensée divine. Voici donc le sens du dialogue : « Entre les divers objets de ta vision, Jérémie, lequel distingues-tu comme le principal et le plus significatif ?— C’est le rameau d’amandier ; les autres images ou symboles ne sont que secondaires. — Bien jugé, prophète ! car moi aussi je serai hâtif, etc. »
4° Précisément à cause de ce caractère emblématique de leurs visions, nous voyons la plupart des prophètes communiquer au peuple le verbe divin sous une forme imagée, symbolique, souvent obscure et bizarre, chose qui n’arrive jamais à Moïse. « Les choses révélées au prophète, dit excellemment Maïmonide (loc. cit. § 3), lui apparaissent sous des symboles, dont il saisit aussitôt le sens et l’application véritable. Telle est la mystérieuse échelle que vit notre patriarche Jacob, et sur laquelle montaient et descendaient des anges (Gen. xxviii, 12) ; tels sont les animaux de la vision d’Ézéchiel (Ezéch. i) le pot bouillant et la branche d’amandier vus par Jérémie (Jér. i, 11-13), le rouleau d’Ézéchiel (Ez. i, 1-3), le boisseau de Zacharie (Zach. v, 6 et s.), etc. Tantôt le prophète raconte et le symbole et sa signification, et c’est le cas de ceux que nous venons de citer126 ; tantôt il n’expose que la signification seule127, et d’autres fois au contraire le symbole sans son application. Mais, quel que soit leur procédé d’exposition, leur inspiration a constamment lieu par voie de symboles et d’une façon énigmatique. »
Telles sont les conditions particulières dans lesquelles s’exerçait d’ordinaire la prophétie ; mais aucune d’entre elles ne s’applique à Moïse, le prince des prophètes128. Ainsi :
1° Dans toute sa carrière prophétique, il n’eut jamais besoin de se préparer pour recevoir l’inspiration ; et c’est ainsi, par exemple, que, dans une circonstance donnée, un cas douteux lui étant soumis, il put immédiatement faire appel aux lumières d’en haut : « Attendez, dit-il à ceux qui le consultent, je vais m’enquérir de ce que l’Éternel ordonne à votre égard » (Nomb. ix, 8). C’est que le corps de Moïse, depuis longtemps dompté par la puissance de l’esprit, s’était lui-même, pour ainsi dire, transfiguré et spiritualisé ; l’organisme et ses besoins s’étaient réduits à leur plus simple expression, et ne pouvaient plus faire obstacle à l’essor de l’intelligence. L’inspiration lui arrivait donc à volonté et à toute heure.
On s’explique, dès lors, l’étrange assertion de l’écrivain sacré (Deut. xxxiv, 6) : « On l’ensevelit (Moïse) dans la vallée, etc. ; mais nul ne connut sa sépulture… » Quoi ! même à l’époque où il fut enseveli — car « connut » est au passé — on ignora le lieu de sa sépulture ! Tout au moins devait-il être connu de celui qui procéda à l’inhumation et de ceux qui en furent témoins. Mais le véritable sens de cette phrase, c’est que « nul ne comprit sa sépulture », ne put concevoir qu’il y eût lieu de mettre en terre un corps comme celui-là. Je m’explique :
Tout corps humain, on le sait, est composé des quatre éléments : feu, air, eau et terre129. En qualité de substance composée, il se dissout nécessairement par la mort, et chacun de ces éléments retourne à sa source respective : l’élément air (esprit) retourne à l’esprit, l’élément terre à la terre selon cette parole de l’Ecclésiaste (xii, 7) : « La poussière redevient terre comme elle était, et l’esprit retourne à Dieu, qui l’avait donné » ; — les particules ignées sont reprises par le feu, les particules aqueuses par l’eau130. Or, la Bible n’a d’autre but que de nous montrer combien était saint et pur le corps de Moïse. Je paraphrase ainsi le texte On l’ensevelit dans la vallée ; mais personne ne comprit rien à cette sépulture, ne put s’expliquer pourquoi on avait inhumé ce corps glorieux, ce corps devenu dès longtemps, pour ainsi dire, une âme, et qui, n’ayant plus rien de terrestre, ne devait pas être rendu à la terre.
Citons encore, à ce propos, la Mischnah suivante du traité Aboth (ch. v, § 6) : « Dix choses furent créées le vendredi soir, au crépuscule, savoir le gouffre (de Coré), la parole de l’ânesse (de Balaam), l’arc-en-ciel… etc. ; d’autres y ajoutent le sépulcre (ou la sépulture) de Moïse. » Voici le sens du passage. On sait que tout ce qui existe (en dehors de Dieu) a été créé en six jours, et que, une fois le sabbat venu, il n’y eut plus de création nouvelle. D’autre part, toute chose créée est perceptible, soit à nos sens, soit au moins à notre imagination. Mais il y a dix choses, veut dire la Mischnah, auxquelles nous croyons sans pouvoir nous en rendre compte : ces choses n’ont pu être créées ni dans les six jours, puisque alors nous les concevrions, ni le sabbat, puisque la création était close. Donc elles ont dû apparaître131 en cet instant intermédiaire qui sépare le vendredi de la nuit du sabbat, instant insaisissable comme les choses mêmes qu’il a vues éclore. Et puisque la sépulture de Moïse figure dans cette catégorie, il s’ensuit que nos docteurs aussi considèrent ce fait comme quelque chose d’étrange et d’incompréhensible.
2° Lorsque Moïse recevait l’inspiration prophétique, loin de trembler et de défaillir comme les autres prophètes, il restait calme et imperturbable, parce que le corps, dès longtemps transfiguré et dompté par l’esprit, conservait naturellement son assiette. De là l’aisance parfaite avec laquelle Moïse recevait les révélations de Dieu et lui communiquait lui-même sa pensée, aisance que l’Ecriture caractérise si bien par ces mots (Exod. xxxiii, 11) : « L’Éternel s’entretenait avec Moïse face à face, comme un homme s’entretient avec un autre. »
3e La perception prophétique de Moïse lui arrivait toujours claire et distincte, sans intermédiaire d’aucune sorte entre Dieu et lui132 : ni ange qui lui transmit la volonté divine, ni symbole énigmatique à travers lequel il eût à chercher la vérité. C’est ce qu’indique nettement le texte des Nombres que nous avons déjà cité (xii, 6-8). Par exemple, tandis que Dieu, pour apprendre à Jérémie qu’il sera « prompt à accomplir ses desseins » sur Israël, a besoin de recourir à des détours, à la vision allégorique du rameau d’amandier, à Moïse il eût énoncé sa pensée sans ambages, et Moïse l’eût saisie sur-le-champ. C’est que, comme nous l’avons dit d’après le Talmud, le miroir où se reflétait pour lui la pensée divine était net, tandis que le miroir des autres prophètes était trouble, obscur, terni par les éléments humains.
4° Comme la perception de Moïse était éminemment lucide, ainsi sont lucides et sans voiles d’aucune sorte les termes dans lesquels il l’expose. Il appelle toutes choses par leur nom ; la simplicité et la clarté caractérisent constamment son langage. Il parle comme il a perçu, « par intuition, jamais par énigmes. »
Or, ces quatre sortes de supériorité, que Moïse posséda sur tout autre prophète, se résument dans la louange, déjà citée, que lui décerne Dieu lui-même (Nomb. loc. cit.) : « De toute ma maison, c’est le plus sûr, le plus intime », c’est-à-dire le plus intimement initié à ma pensée. Et puisque le Nouveau-Testament, nous l’avons vu (supr. p.56), reproduit textuellement cet éloge, il admet nécessairement tous les faits précités qui en sont la conséquence. Donc, ici encore, le Nouveau-Testament s’associe à la doctrine israélite, et il reconnaît avec la Synagogue que Moïse fut supérieur à tous les prophètes.
Chapitre VIII. La loi de Moïse est divine133
« C’est-à-dire que, d’après notre croyance, cette loi que nous possédons aujourd’hui a été donnée à Moïse et émane tout entière de la Divinité. Moïse l’a reçue, d’un bout à l’autre, par une voie que la Bible appelle figurément parole134, voie incompréhensible à tout autre qu’à celui-là même qui fut l’objet de cette faveur. Moïse n’a été qu’un secrétaire, écrivant, sous la dictée d’en haut, tous les faits historiques, les discours et les préceptes, d’où son nom de mehôkeê135 (Nomb. xxi, 18 et Deut. xxxiii, 21). Et il n’y a aucune différence entre des phrases telles que : “Les enfants de Cham furent Kousch et Misrayim” (Gen. x, 6) ; “Le nom de sa femme était Mehêtab’ el” (ibid. xxxvi, 39) ; “Timna était la concubine d’Eliphaz136” (ibid. 12), — et ces autres phrases : “Je suis l’Éternel ton Dieu” (Exod. xx, 2) ; “Écoute, Israël : l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un” (Deut. vi, 4). Les unes comme les autres émanent de Dieu même137, et toutes appartiennent à cette loi de Dieu qui est parfaite, pure, sainte, véridique. Aussi, d’après nos docteurs, le roi Manassès, qui considérait certains passages du Pentateuque comme l’œuvre personnelle de Moïse, doit être tenu pour infidèle et hérétique138 au premier chef ; parce qu’il estimait que la Loi a (partout), à côté du sens apparent, un sens mystérieux, et que les phrases en question, n’ayant pour nous aucune importance, ne peuvent appartenir qu’à Moïse. Telle est, selon nos docteurs, l’hérésie de ceux qui nient la divinité de la Loi. Dût-on la reconnaître divine dans sa totalité, à l’exception d’un seul texte qu’on attribuerait à Moïse, on est déjà, suivant eux (Talm. Synhéd. 99 a), un hérétique, et l’on a, comme dit l’Écriture, “méprisé la parole du Seigneur”. (Nomb. xv, 31). Non ! il n’est pas un mot dans la Loi qui n’ait sa raison d’être et qui ne cache des profondeurs merveilleuses pour qui sait la comprendre. (Ou plutôt) personne ne peut aller jusqu’au fond de cette science, “grande comme le monde, vaste comme l’océan” (Job, xi, 9). Nous devons donc nous conformer à l’exemple de David, de l’Oint du Dieu de Jacob, qui a dit (Ps. cxix, 18) : “Eclaire mes yeux, pour que je découvre les merveilles de ta Loi.” — Pareillement, l’explication traditionnelle139 de la Loi émane directement de la Divinité. Ainsi, ce que la Synagogue enseigne relativement à la forme et aux diverses conditions de la soukkah, du loulab, du schophar, des franges, des phylactères, etc., est identiquement conforme à ce que Dieu lui-même a révélé à Moïse140 et que celui-ci nous a transmis en fidèle mandataire. Le verset (principal) où ce dogme est affirmé est celui-ci (Nomb, xvi, 28) : “Alors Moïse dit : Par ceci vous reconnaîtrez que c’est l’Éternel qui m’a donné mission d’accomplir toutes ces choses, que je n’ai rien fait de mon chef.” »
On sait que, lorsque Dieu ordonna à Moïse d’aller demander à Pharaon la liberté pour les Israélites, il hésita d’abord à accepter cette mission. Le motif réel du refus de Moïse, je le trouve dans cette judicieuse parole de Maïmonide (H. yeçôd. hat. viii) : « Celui qui ne croit qu’en vertu de miracles (opérés par un homme) ne peut avoir une foi absolue ; car il peut toujours lui rester un doute, à savoir, que les miracles soient l’effet de quelque prestige, de quelque opération magique ou autre…. Moïse le savait bien, et c’est pourquoi il se déroba d’abord à sa mission. » De fait, lorsque Moïse dit à Dieu (Exod. iii, 11) : « Qui suis-je, pour aller chez Pharaon, et pour faire sortir les enfants d’Israël de l’Égypte ? » cette objection en renferme deux : 1° Je suis trop petit pour une telle démarche ; 2° dussé-je la faire, je ne pourrai faire sortir les Israélites de l’Égypte, parce que les Israélites eux-mêmes ne croiront pas à ma puissance. À cette double objection, Dieu oppose une double réponse (ib. 12) : « Ces signes (ou miracles) seront pour toi, indiquant que je t’ai envoyé ; (mais) lorsque tu auras tiré ce peuple de l’Égypte, vous servirez Dieu sur cette montagne141. » En d’autres termes, Dieu répond à Moïse: 1° C’est de Dieu que tu tiens ton autorité, et tu ne peux l’établir que par des miracles. Bien qu’ils soient sujets à caution, c’est donc par là que tu débuteras, afin qu’on sache que tu es mon mandataire. 2° Mais plus tard, « vous servirez Dieu sur cette montagne », sur le Sinaï, où les Israélites jugeront par eux-mêmes et accorderont foi entière à ta mission, à ton autorité. — C’est ce qui arriva effectivement lors de la promulgation du Décalogue, à la veille duquel « le peuple entier, d’une voix unanime, s’écria : Tout ce que dira l’Éternel nous le ferons (ib. xix, 8) ! » C’est-à-dire : C’est Dieu lui-même que nous voulons entendre, et alors nous croirons. Voilà pourquoi Moïse dut « rapporter au Seigneur les paroles du peuple », lui déclarer que ce dernier voulait entendre par lui-même, que sa foi et son obéissance étaient à ce prix. Et alors, « Dieu dit à Moïse : Eh bien ! je te visiterai moi-même au plus épais du nuage, afin que le peuple entende (et comprenne) que c’est moi qui te parle, et qu’en toi aussi ils aient foi désormais », — parce que dès lors aucun doute, aucune suspicion ne pourra plus planer sur ta parole ni sur tes actes.
Aussi lisons-nous dans le Talmud (tr. Makkôth, 24 a) : « Les deux premiers commandements, c’est de la bouche de Dieu même que nous les avons entendus. » C’est-à-dire que les Israélites ont connu, par une révélation directe, et la Providence universelle de Dieu, — ce qui résulte de la première parole du Décalogue : « Je suis l’Éternel ton Dieu, etc. », et son unité absolue, — ce qui résulte de la deuxième : « Tu n’auras point d’autre dieu que moi, etc. » Seulement, comme ils n’étaient pas assez parfaits, assez détachés de la tyrannie du corps pour supporter davantage le verbe divin, ils durent y renoncer aussitôt, et de là leur requête à Moïse (Exod. xx, 16) : « Que ce soit toi qui nous parles, et nous pourrons entendre ; mais que Dieu ne nous parle point, nous pourrions mourir. »
C’est par la même raison que le Talmud nous dit encore (tr. Schabbâth, 88 b) : « À chaque parole du Décalogue que Dieu prononçait, les Israélites tombaient inanimés… Mais, poursuit le Talmud, s’ils étaient inanimés après la première phrase, comment donc ont-ils pu entendre la seconde ? C’est que Dieu, après chaque phrase, envoyait, pour ranimer son peuple, la rosée de la résurrection142. » — Voici quelle est la pensée de nos docteurs. On a déjà vu (chap. vii) que l’âme ne peut entrer en communication avec l’esprit divin qu’autant que le corps a été, au préalable, épuré et sanctifié ; qu’il doit l’être d’autant plus que l’inspiration est plus élevée, et que, là où manque cette condition, la lutte entre le corps et l’âme est assez violente pour amener leur rupture, c’est-à-dire la mort. C’est ce qui arriva et devait arriver à la masse des Israélites, insuffisamment préparés, et c’est à quoi Dieu ne put remédier que par un moyen surnaturel, analogue à celui qui ressuscitera les morts, car cela aussi fut une résurrection.
Bref, si les Israélites ont cru à la mission législative de Moïse, ce n’est pas en vertu de ses miracles, mais bien du propre témoignage de leurs sens ; c’est parce qu’ils ont vu de leurs yeux, entendu de leurs oreilles la sublime scène du Sinaï et les premières paroles du Seigneur. Moïse sut bien le leur rappeler à la fin de sa carrière (Deut. iv, 35) : « Quel peuple a entendu, comme tu l’as entendue, la voix de Dieu143 parlant du sein de la flamme, — et a pu vivre ? » Ainsi, nous avons constaté personnellement que la loi de Moïse est divine, et c’est pourquoi, depuis lors, nous y avons cru invariablement.
C’est donc avec grande raison que nos docteurs ont dit (Mischn. Synhéd. x ou xi, 1 ; Ghemar. ib. 90 a) : « N’auront point part à la béatitude future, celui etc…, ni celui qui soutient que la Loi n’est pas divine. » C’est justice, en effet, que celui qui voit dans le mosaïsme l’œuvre de l’esprit saint jouisse de la félicité Éternelle, qui n’est autre que la communication de ce même esprit144 ; mais celui qui élimine l’esprit de Dieu de ce livre dont Dieu a signé toutes les pages, n’est-il pas logique qu’il soit puni par où il pèche ?
L’autorité divine de la loi de Moïse est pleinement reconnue par le Nouveau-Testament. Nous avons déjà cité cette parole de Jésus au lépreux : « Va-t’en, montre-toi au sacrificateur, et offre le don que Moïse a ordonné, afin que cela lui serve de témoignage145. » Ajoutons-y ces autres textes : « Abraham lui répondit (au mauvais riche) : Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent (Luc, xvi, 29). » — « Car la Loi a été donnée par Moïse….. (Jean, i, 17) » — « Moïse ne vous a-t-il pas donné la Loi (ib. vi, 19) ? » — « Nous savons que Dieu a parlé à Moïse (ib. ix, 29). » — « La Loi donc est sainte et le commandement est saint, juste et bon (Rom. vii, 12). » — « C’est lui (Moïse) qui, lorsque le peuple fut assemblé au désert, s’entretenait avec l’ange qui lui parlait sur la montagne de Sinaï ; c’est lui qui fut avec nos pères, et qui a reçu des paroles de vie pour nous les donner (Act. vii, 38). » — « Le tabernacle du témoignage146 a été avec nos pères au désert, comme l’avait ordonné Celui qui avait dit à Moïse de le faire, etc. (ib. 44). » — « Vous qui avez reçu la Loi en présence147 des anges (ib. 55)… » — « Car il est écrit dans la loi de Moïse : Tu ne muselleras point le bœuf qui foule le grain (I Cor. ix, 9). » — « … Un service qui n’est qu’une image et une ombre des choses célestes, selon l’ordre que Dieu donna à Moïse lorsqu’il devait dresser le tabernacle (Hébr. viii, 5). »
En voilà assez pour établir que le Nouveau-Testament respecte la loi de Moïse comme le fait la Synagogue elle-mème. Toutefois, il n’a été question ici que de la Loi écrite. En ce qui concerne son développement traditionnel ou la Loi orale, nous espérons démontrer, quand nous analyserons ex professo le Nouveau-Testament en général et les Évangiles en particulier, que sur ce point même, et quoi qu’on en dise, ils sont entièrement d’accord avec nos docteurs, et que leur croyance est la nôtre.
Chapitre IX. La loi de Moïse est immuable148
« C’est-à-dire que cette loi ne sera point » abrogée, que jamais aucune autre loi ne sera donnée de Dieu, qu’il n’y a rien à y ajouter, rien à en retrancher, — soit qu’il s’agisse de la Loi écrite ou de la Loi orale ; car il est dit (Deut. xiii, 1) : « Tu n’y ajouteras rien, tu n’en retrancheras rien. » — Nous avons suffisamment développé ce dogme dans l’introduction du présent ouvrage149. »
Le passage cité par Maïmonide se retrouve, plus développé, dans un autre chapitre du Deutéronome (iv, 2), où nous lisons : « N’ajoutez rien à ce que je vous prescris et n’en retranchez rien, pour observer150 les préceptes de l’Éternel votre Dieu, que je vous donne (en son nom). » En d’autres termes : quand même vous feriez ces changements à bonne intention, en vue d’observer la loi de Moïse, mais à votre manière, vous n’en avez pas le droit. Témoin la suite du passage (ib. 2) : « Vos propres yeux ont vu ce que l’Éternel a fait à l’occasion de Baal-Peôr : quiconque avait adopté (les rites de) Baal-Peôr », même en vue de le ridiculiser151 et de rendre ainsi indirectement hommage au vrai Dieu, « l’Éternel ton Dieu l’a exterminé du milieu de toi. » Le même sens résulte de la citation de Maïmonide, qui débute ainsi dans le texte : « Toute la loi que je vous prescris, celle-là vous l’observerez exactement… » ; ainsi, celle-là seule, sans la modifier sous aucun prétexte.
À cette question se rattache un récit talmudique (tr. Bab. bathr. 59 b), dont voici la substance : « Rabbi Eliézer, discutant avec la majorité des docteurs sur un point douteux, s’écria, à bout d’arguments : Si j’ai raison, que le ciel prononce en ma faveur ! Et une bath-kol (voix céleste) se fit entendre, disant : Prétendez-vous contester avec R. Eliézer, qui fait autorité en toutes questions religieuses ? Mais R. Josué se leva et dit : “Notre loi n’est pas dans le ciel152“, elle est dans le livre dont les origines remontent au Sinaï, et qui nous enseigne qu’en matière de délibérations “la majorité fait loi”153 ». — Donc, d’après le Talmud, on ne doit pas déroger à ce qu’ordonne la loi de Moïse, quand même une voix céleste semblerait nous y convier.
Quant au Nouveau-Testament, nous avons déjà rapporté (page 52) la fameuse déclaration de Jésus : « Ne pensez point que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes ; je suis venu, non pour les abolir, mais pour les accomplir » ; et nous avons prouvé que ce dernier verbe répond indubitablement à la pensée de Jésus. Voici, du reste, d’autres passages qui attestent la même doctrine : « Car je vous dis en vérité que, jusqu’à ce que le ciel et la terre passent, il n’y aura rien dans la Loi qui ne s’accomplisse, jusqu’à un seul iota et à un seul trait de lettre154. Celui donc qui aura violé l’un de ces plus petits commandements, et qui aura ainsi enseigné les hommes, sera estimé le plus petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui les aura observés et enseignés, celui-là sera estimé grand dans le royaume des cieux » (Math. v, 18, 19). — Voyez encore Luc, xvi, 17 ; Ep. de Jacques, i, 10. Plus, la parole de Jésus au lépreux, que nous avons également citée et commentée plus haut (ibid.). — Nous lisons encore : « Quelqu’un, s’approchant, dit (à Jésus) : Mon bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie Éternelle ? Il lui répondit : Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a qu’un seul bon, c’est Dieu. Que si tu veux entrer dans la vie (Éternelle), garde les commandements » (Math. xix, 16, 17). — « Anéantissons-nous donc la Loi par la foi ? Dieu nous en garde ! Au contraire, nous établissons la Loi » (Rom. i, 31, alias 50), c’est-à-dire nous la maintenons, nous la fortifions. — « Si quelqu’un a violé la loi de Moïse, il meurt155 sans miséricorde, sur le témoignage de deux ou trois personnes… » (Héb. X, 28).
On le voit donc, Jésus et les Apôtres rendent hommage, eux aussi, à l’autorité indéfectible de la loi de Moïse.
Toutefois, avant d’aller plus loin, je ne puis m’empêcher de citer encore, quoique toute moderne, l’importante déclaration d’un chrétien, Simon Budny156 : « La loi divine, donnée aux Israélites par l’entremise de Moïse, est parfaite, immuable, et il n’y en a point d’autre. Ceux qui prétendent qu’il y a deux lois (divines), l’une de Moïse, l’autre de Jésus, sont dans l’erreur : Jésus n’a pas institué une loi nouvelle, il a seulement prêché l’observance de la loi mosaïque… »
Chapitre X. Omniscience de Dieu157
« Dieu connaît toutes les actions des hommes. Il ne dédaigne nullement de s’en occuper, comme le croient ceux qui disent : “L’Éternel néglige la terre” (Ezéch. viii, 12; ix, 9) ; mais au contraire, “grand dans le conseil, puissant dans l’exécution, ses yeux sont constamment ouverts sur la conduite des hommes, afin de récompenser chacun selon ses œuvres” (Jér. xxxii, 19). Et c’est pourquoi nous lisons (Gen. vi, 5) : “L’Éternel vit que les méfaits de l’homme se multipliaient sur la terre (et il résolut de le punir)” ; et ailleurs (ibid. xviii, 20) : “L’Éternel dit : Comme le décri de Sodome et de Gomorrhe est grand,” comme leur perversité est excessive, je veux y descendre, etc. Ces textes sont la preuve biblique du présent dogme. »
La preuve talmudique, nous la trouvons dans cette maxime du traité Abôth (ii, 1) : « Songe toujours à trois choses, et tu ne seras pas exposé à pécher : sache qu’il y a là-haut un œil qui te voit, une oreille qui t’entend, un registre où sont consignées toutes les actions. » — Ces trois choses que le Talmudiste recommande à notre attention, se rapportent aux trois ordres de faits qui caractérisent l’homme : l’action, la parole, la pensée. — Le registre où s’inscrivent nos actions nous rappelle qu’elles doivent toujours être sanctifiées par la pensée de Dieu et conformes à sa volonté. — Cette oreille qui entend tout, nous avertit de veiller scrupuleusement sur chacune de nos paroles, de n’en jamais proférer de répréhensible ; d’où cette assertion du Talmud (B. kamma, 38 b) : « Dieu ne laisse sans récompense aucun mérite, pas même celui d’une bonne parole. Ainsi, des deux filles de Loth, l’aînée appelle son fils Moab158, et Dieu nous défendra plus tard de faire la guerre aux Moabites, ses descendants (Deut. ii, 9) ; de leur faire la guerre, non de leur imposer des corvées. Au contraire, la cadette donne à son fils le nom de Ben-Ammi159, et Dieu la récompensera en défendant d’attaquer et de molester en aucune façon ses descendants, les Ammonites (ibid. 19). »
— Enfin, l’œil qui voit, c’est la pensée même de Dieu sondant la nôtre ; c’est ce clairvoyant regard qui lit au fond des cœurs et en pénètre les replis les plus cachés. Nous lisons pareillement dans les Psaumes (xxxiii, 18) : « L’œil du Seigneur est sur ceux qui le révèrent », c’est-à-dire sa pensée, sa sollicitude. Aussi nos docteurs disent (tr. Berakh. 6 a) : « Si quelqu’un a l’intention de faire une bonne œuvre et n’en est empêché que par une cause indépendante de sa volonté, l’intention lui est réputée pour le fait160. »
Donc, l’homme doit veiller sur sa conduite entière, pensées, paroles, actions. Et c’est là, selon moi, le sens de la dernière phrase de l’Ecclésiaste : « Car l’œuvre entière (de l’homme), Dieu l’évoquera à son tribunal, — même l’œuvre cachée (la pensée),— et il jugera si elle fut bonne ou mauvaise. »
Passons aux données fournies par le Nouveau-Testament sur le dogme qui nous occupe. Dans Mathieu (vi, 17, 18), Jésus enseigne lui-même : « Quand tu jeûnes, oins ta tête et lave ton visage, afin qu’il ne paraisse pas aux hommes que tu jeûnes, mais seulement à ton Père, qui habite au secret (de ton cœur)161 ; et ton Père, qui te voit dans le secret, te récompensera publiquement. » — « Ne vous mettez point en peine, dit encore Jésus à ses disciples, de ce que vous mangerez ou de ce que vous boirez, et n’ayez point l’esprit inquiet. Car ce sont les nations du monde162 qui recherchent toutes ces choses ; mais votre Père sait que vous en avez besoin » (Luc, xii, 29, 30). — « Pour vous (Pharisiens), vous voulez passer pour justes devant les hommes, mais Dieu connaît vos cœurs… (ibid. xvi, 15). — « Celui qui sonde les cœurs connaît quelle est l’affection de l’esprit… » (Rom. viii, 27). — « Car la parole de Dieu est vivante et efficace, et plus pénétrante qu’une épée à deux tranchants ; elle atteint jusqu’au fond de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles, et elle juge des pensées et des intentions du cœur. Et il n’y a aucune créature qui soit cachée devant lui, mais toutes choses sont nues et entièrement découvertes aux yeux de Celui auquel nous devons rendre compte (Héb. iv, 12, 13). — « Pourquoi ? Est-ce parce que je ne vous aime pas ? Dieu le sait » (II Cor. xi, 11). — « Le Seigneur connaît que les pensées des sages ne sont que vanité » (I Cor. iii, 20). — « Que si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît toutes choses » (Ire Ep. de Jean, iii, 20).
Ainsi, sur ce point encore, le Nouveau-Testament n’est que la confirmation de l’Ancien ainsi que du Talmud.
Chapitre XI. La Rémunération
« Nous croyons que Dieu récompense celui qui obéit aux commandements de sa loi, et punit celui qui les viole163 ; que la principale récompense consiste dans la félicité du monde futur, et le châtiment par excellence dans le kéreth (anéantissement de l’âme)164. — Nous avons déjà développé ce point165. Le passage qui indique ce dogme est celui-ci (Exod. xxxii, 52) : « Et maintenant (dit Moïse au Seigneur), puisses-tu pardonner leur faute ! Sinon, veuille m’effacer du livre » que tu as écrit. — Celui qui a péché envers moi, répond l’Éternel, c’est celui-la que j’effacerai de mon livre166. » Preuve que telle est la destinée respective du fidèle et de l’insoumis167, que l’un recevra une récompense, l’autre une punition. »
Le Talmud abonde en données sur cette matière ; nous n’en voulons citer qu’une seule, moins comme argument que comme anecdote instructive et touchante : « L’illustre Johanan ben Zakkaï, raconte le traité Berakhôth (f. 28 b), étant malade (et près de mourir), ses disciples vinrent le voir. En les apercevant, il se mit à pleurer. — Maître, s’écrièrent-ils, pourquoi pleures-tu, toi le flambeau d’Israël, la colonne de la Synagogue, l’oracle de nos discussions ? Je vais vous le dire. Si j’étais appelé à comparaître devant un roi mortel, dont la colère ne peut avoir qu’un temps, et qui ne pourrait m’infliger qu’une peine passagère, cette peine fût-elle la mort ; un roi que je pourrais désarmer soit par la persuasion, soit par des présents corrupteurs, je n’en serais pas moins désolé, épouvanté. Or, je vais comparaître devant le Roi des rois, devant le Très Saint, devant l’Éternel, dont la justice est infinie, qui peut m’infliger un supplice sans fin et une mort sans rémission, que je ne puis ni gagner par des paroles ni corrompre par des présents, — et vous demandez pourquoi je pleure ! Deux chemins vont s’ouvrir devant moi, l’un qui conduit à la béatitude, l’autre qui mène à la perdition ; j’ignore par lequel des deux je passerai, — et je ne pleurerais point !… »
Maintenant, interrogeons le Nouveau-Testament sur les faits relatifs à la rétribution des œuvres. « Quand tu feras l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite ; que ton aumône se fasse en secret, et ton Père… te le rendra publiquement » (Math. vi, 3, 4). — « Mais moi, je vous dis que celui qui se met en colère contre son frère, sans cause168, sera puni par le jugement… ; et celui qui lui dira rebelle169 sera puni par la Géhenne du feu » (ib. v, 22). – « Il vaut mieux pour toi qu’un de tes membres périsse, que si tout ton corps170 était jeté dans la Géhenne » (ib. 29 et 30). — « Il y aura là des pleurs et des grincements de dents » (ib. viii, 12 ; cf. xiii, 42, xxiv, 51, xxv, 30). — « Alors les justes luiront comme le soleil171 dans le royaume de leur Père » (xiii, 43). — « Il en sera de même à la fin du monde : les anges viendront, et sépareront les méchants du milieu des justes172, etc. » (ib. 49). — « Et ceux-ci s’en iront aux peines Éternelles ; mais les justes s’en iront à la vie Éternelle173 » (xxv, 46). — « Il vaut mieux pour toi que tu entres dans la vie (Éternelle) n’ayant qu’un pied, que d’avoir deux pieds et d’être jeté dans la Géhenne, dans le feu qui ne s’éteint point174 » (Marc, ix, 45). Et dans Luc (xviii, 29, 30), Jésus dit à ses disciples : « Je vous dis en vérité qu’il n’y a personne qui ait quitté maison, ou père, mère, frères, femme ou enfants, pour le royaume de Dieu, qui ne reçoive beaucoup plus en ce monde-ci175, et dans le monde à venir la vie Éternelle. » — Évangile de Jean (v, 29) : « Ceux qui auront fait de bonnes œuvres sortiront (du sépulcre) et ressusciteront pour la vie ; et ceux qui en auront fait de mauvaises, ressusciteront pour la condamnation. » — Paul aux Romains (11, 6-8) : « (Dieu) rendra à chacun selon ses œuvres, savoir, la vie Éternelle à ceux qui, en persévérant dans les bonnes œuvres, cherchent la gloire, l’honneur et l’immortalité ; mais l’indignation et la colère seront sur ceux qui sont… rebelles à la vérité et qui obéissent à l’injustice. » — Le même aux Hébreux (xi, 6) : « Il faut que celui qui s’approche de Dieu croie que Dieu… est le rémunérateur de ceux qui le cherchent. » — Enfin, l’apôtre Pierre, dans sa seconde Epître (ii, 9) : « Le Seigneur saura aussi délivrer de l’épreuve ceux qui l’honorent, et réserver les injustes pour être punis au jour du jugement… »
Ces citations prouvent amplement que la vérité d’un avenir, que le dogme de la vie future ou de l’immortalité de l’âme, est une croyance non moins chère à la nouvelle Alliance qu’à l’ancienne, à l’Eglise qu’à la Synagogue.
Chapitre XII. Le Messie
« Nous devons croire et tenir pour certain que le Messie viendra, qu’il viendra exactement à son heure : « si même il semble tarder, tu dois l’attendre » (Hab. 11, 5). On n’a pas le droit d’assigner une date à sa venue, de la calculer à l’avance au moyen d’inductions fondées sur les textes de l’Ecriture : le Talmud maudit ceux qui se livrent à ces sortes de calculs176. — Nous croyons, conformément aux prédictions de tous nos prophètes, depuis Moïse jusqu’à Malachie, que le Messie surpassera en dignité, en gloire et en grandeur tous les rois qui auront jamais existé. Douter de sa venue ou de l’importance de son rôle, c’est renier la Tôrah elle-même, qui l’a annoncé expressément et dans la section de Balaam (Nomb. xxiv, 17 et s., cf. ibid. 7-9), et dans celle de Nittsabîm (Deutér. Xxx, 1-10). — Une des croyances qu’implique ce dogme, c’est qu’Israël ne peut avoir pour roi (légitime) qu’un descendant de David et de Salomon177 ; et celui qui conteste le droit de cette famille se met en opposition avec la volonté de Dieu et avec la parole de ses prophètes. »
En ce qui concerne la personne même du Messie, j’observe une erreur très-grave répandue chez beaucoup de nos frères israélites et chez presque tous nos frères chrétiens, — j’entends ceux qui croient, dans la sincérité de leur cœur, à l’avénement futur du Messie178, et qui, malgré sa lenteur à se manifester, l’attendent chaque jour avec une infatigable persévérance. Cette erreur consiste à croire que le Messie sera un être surnaturel, supérieur et aux besoins et aux faiblesses de l’humanité, quelque chose enfin comme un ange ou un dieu. Ils n’imaginent pas qu’il puisse en être autrement, et ils s’appuient d’ailleurs, de très-bonne foi, sur des textes qui leur semblent établir clairement la chose. Hérésie grave, je le répète, puisqu’elle touche à l’idolâtrie ou qu’elle peut y conduire, en ce qu’elle tend à diviniser la créature. Aussi nous croyons-nous obligé de la combattre de toutes nos forces, et d’emprunter le secours des textes eux-mêmes pour restituer son véritable sens au dogme messianique.
Le mot hébreu Maschiach, dont on a fait Messie, signifie simplement « oint » et s’applique, dans la Bible, aux dignitaires éminents — notamment aux rois qu’on sacrait au moyen de l’huile d’onction179. Citons quelques exemples. I Sam. ix, 15, 16 : « L’Éternel avait dit à Samuel, un jour avant la visite de Saül : Demain je t’enverrai un homme… que tu dois oindre comme chef de mon peuple Israël, etc. » — Ibid. x, 1 : « Et Samuel prit une fiole d’huile, en répandit sur la tête de Saül, et l’embrassant lui dit : Te voilà oint, de par l’Éternel, comme prince de son héritage. » — Ibid. xxvi, 8-11, lorsque Abisaï veut frapper Saül endormi, David lui dit : « Garde-t’en bien ! Qui pourrait impunément mettre la main sur l’oint du Seigneur ? Par le Dieu vivant, qu’il meure de sa belle mort, ou qu’il périsse dans un combat ; mais Dieu me garde de porter la main sur son oint ! » Ainsi David l’appelle par deux fois le Maschiach (messie, oint) du Seigneur ; pareillement l’Ecriture le qualifie « l’élu du Seigneur » (II Sam. xxi, 6), et pourtant Saül fut un homme comme un autre, mangeant et buvant, prenant femme et en ayant des enfants ; un homme doué de liberté morale, usant et même abusant de cette liberté, comme il l’avoue lui-même (I Sam. xxvi, 21, etc.), et qui, en définitive, mourut comme le dernier de ses sujets !
De même, Dieu donne mission à Samuel d’aller oindre David (ib. xvi, 1) ; Samuel s’acquitte de cette mission (v. 15), et la Bible l’appelle en conséquence « l’oint, le messie du Dieu de Jacob » (II Sam. xxiii, 1), ce qui ne l’exempta ni des appétits, ni des passions, ni des imperfections du commun des mortels, ne l’empêcha ni de faillir en vertu de son libre arbitre, ni de se repentir de ses erreurs ; et c’est précisément cette pénitence qui lui valut la continuation des faveurs divines, et le maintien de cette glorieuse alliance que célèbre le Psaume lxxxix, et qui se renouvellera, pour ne plus finir, dans la personne de son héritier le Messie !
Pareillement, David lui-même, dans ses vieux jours, ordonne de sacrer son fils Salomon (I Rois, i, 34), et ce sacre est effectué avec l’huile sainte du tabernacle (v. 59) ; l’Ecriture atteste que « Dieu l’aima » (II Sam. xii, 24), et d’avance Dieu avait dit, par l’organe du prophète Nathan : « Je serai pour lui comme un père, il sera pour moi comme un fils » (ib. vii, 14), et néanmoins Salomon ne fut pas affranchi des besoins de l’humanité, il vécut et mourut comme tout le monde ; bien mieux, il aima un grand nombre de femmes, et l’on sait où le conduisit cet amour.
Au dire du Talmud (tr. Synhéd. 94 a), Dieu voulait faire d’Ezéchias le Messie, n’était que sa justice même s’y opposa. Et pourtant, lui aussi fut semblable à tout le monde : il mangeait et buvait, dormait et veillait, avait femme et enfants… Je me trompe il ne voulut pas d’abord prendre femme, prévoyant qu’il naîtrait de lui une postérité indigne. Et alors Dieu lui fit dire par Isaïe (Is. xxxviii, 1) : « Tu vas mourir, et tu ne vivras point ! » C’est-à-dire, explique le Talmud180, tu mourras dans ce monde et tu ne revivras point dans l’autre, parce que tu n’as pas voulu prendre femme. — Enfin, nous lisons dans Esdras (i, 1, 2) : « La première année du règne de Cyrus, roi de Perse…, le Seigneur lui inspira la pensée de publier cette annonce dans tout son royaume : L’Éternel, Dieu du ciel, m’a donne tous les royaumes de la terre, et c’est lui qui m’ordonne de faire relever son temple à Jérusalem… » Or, Cyrus n’était pas Juif, et cependant le Dieu d’Israël l’inspire, il lui confie une grande mission, et, longtemps avant sa naissance, il l’avait, par l’organe du prophète Isaïe (Is. xlv, 1), proclamé son Maschiach, son oint, son messie !
De ces textes il résulte clairement que les messies établis de Dieu et sacrés en son nom, dans les temps bibliques, étaient tous et de tout point de simples mortels, sujets aux besoins, parfois aux défaillances de la nature humaine ; que, de plus, aucune espèce de miracle, aucune dérogation à l’ordre naturel et accoutumé ne s’est accomplie sous leurs règnes.
Mais, objectera-t-on, si cela est vrai pour les époques bibliques, si les périodes du premier et du second temple ne furent signalées effectivement par aucune révolution surnaturelle, qui nous dit qu’il en sera de même sous le régime du temple futur, du temple réédifié par le Messie ? Est-ce que nous n’avons pas pour garant la parole de Dieu même ? Est-ce qu’une foule de textes, soit dans la Bible, soit dans le Midrasch, n’affirment pas le caractère merveilleux et du Messie et de son règne ?
Tel est, en effet, j’en conviens, le sens apparent de plusieurs textes. Mais s’il fallait les prendre au pied de la lettre, d’où vient que Bar-Coziba181 put se faire accepter comme le Messie par l’immense majorité d’Israël, peuple et docteurs, et régner comme tel durant deux ans et demi ? Bar-Coziba ne fit cependant aucun miracle182 ; ni dans sa personne, ni dans ses entours, ni sous sa domination en général, nous ne voyons rien de surnaturel. Comment donc les sages les plus renommés, et entre tous l’illustre Akiba, purent-ils saluer en lui le libérateur attendu, et se dévouer à lui jusqu’au martyre ?
Physiquement donc, je le répète, le Messie sera un homme comme un autre. Illustre par son extraction, éminent par son mérite et par ses œuvres, il n’aura, quant à sa nature, rien qui le tire de pair, rien qui en fasse un dieu. Que si ma parole, chers lecteurs, vous semble avoir trop peu de valeur pour ébranler vos convictions et vous imposer la mienne, vous écouterez du moins une voix plus autorisée, celle du grand Maïmonide, l’oracle de la Synagogue, celui-là même qui a placé la croyance messianique au nombre de nos articles de foi, et qui considère le moindre doute sur son avénement ou sa personnalité comme une négation de la Tôrah elle-même. Or, voici comment il s’exprime dans son commentaire sur la Mischnah, dans l’introduction au formulaire même que je commente ici :
« Quant à l’époque dite du Messie, c’est celle où Israël doit recouvrer son autonomie et reprendre possession de la Palestine. Le Messie sera un grand roi, qui aura sa résidence à Sion ; sa renommée s’étendra au loin, plus loin que ne fit celle du roi Salomon ; tous les peuples seront en paix avec lui et lui rendront hommage, à cause de ses vertus et des merveilles de son règne… Nombre de textes bibliques témoignent de ses succès et de la prospérité que nous lui devrons. Toutefois, à part la restauration de la royauté juive, il n’y aura à cette époque rien d’insolite, aucune dérogation miraculeuse à l’ordre actuel ; nos docteurs l’ont dit (tr. Berakh. 54 b, Synhéd. 99 a, etc.) : “Entre le régime actuel et celui des temps messianiques, il n’y a d’autre différence que la domination étrangère183.” Alors comme aujourd’hui, il y aura des riches et des pauvres, des forts et des faibles ; seulement, à cette époque, la vie sera beaucoup plus facile, en ce sens que les hommes pourront aisément et à peu de frais se procurer les commodités de l’existence. Ainsi, lorsque le Talmud dit (Schabb. 30 b, Kethoub. 111 b) : “Un jour on verra le pays d’Israël produire spontanément des gâteaux et des tissus précieux”, cela doit se prendre au figuré, à peu près comme nous disons d’un homme, quand on pourvoit à tous ses besoins : “Il a du pain sur la planche ; les alouettes lui tombent toutes rôties dans la bouche184.” La preuve qu’il n’y a là qu’une figure, c’est que nous lisons (Is. lxi, 5) : “Les fils de l’étranger seront vos laboureurs et vos vignerons”, d’où il suit qu’on labourera et cultivera la terre à cette époque185. C’est même pour cela que le talmudiste, auteur de ce dire, se fâcha contre le disciple naïf qui avait pris sa phrase à la lettre, et opposa à sa raillerie une réponse qui n’avait elle-même rien de sérieux, comme l’atteste d’ailleurs la citation du Talmud à ce propos : “Ne réponds pas au sot selon sa sottise186.” — Le grand avantage dont nous jouirons à cette époque, ce sera d’être émancipés de ces dominations oppressives qui nous empêchent d’observer intégralement les préceptes de la Loi ; de sorte que la science (religieuse) abondera parmi nous, ainsi qu’il est écrit (Is. x1, 9) : “La terre sera remplie de la connaissance du Seigneur…” Alors aussi les guerres seront supprimées, comme il est écrit (ib. ii, 4 et Mich. iv, 3) : “Nations contre nations ne tireront plus l’épée, et l’on ne s’exercera plus à la guerre.” Enfin, nous arriverons alors à un haut degré de perfection (morale), qui nous rendra dignes de la béatitude future. Du reste, le Messie sera un simple mortel, et après sa mort son fils lui succédera, puis son petit-fils (et ainsi de suite) ; et cette condition mortelle résulte clairement des paroles du prophète (Is. xlii, 4) : “ll ne s’éteindra pas et ne sera pas brisé187, avant d’avoir fait régner la justice sur la terre.” Cependant son règne, à lui, aura une très-longue durée, et longue sera aussi, à cette époque, la vie des hommes en général, la longévité étant la conséquence ordinaire de l’absence de chagrins et de soucis. Que le régime messianique se maintienne durant des milliers d’années, il n’y a rien d’impossible à cela : les sages n’ont-ils pas dit qu’une société bien ordonnée ne se dissout pas aisément ? — Si nous devons désirer et attendre188 la période messianique, ce n’est pas pour les richesses qu’elle doit nous apporter, ni dans l’espoir sensuel d’y jouir de tous les plaisirs de l’existence, comme se l’imaginent les faibles d’esprit. Non, les prophètes et les justes n’ont soupiré après cette période qu’à cause de l’excellente société et du sage gouvernement qui en seront l’honneur, à cause des vertus, de l’équité, de la haute intelligence de ses rois189, de leurs relations avec la Divinité, enfin parce qu’alors nous observerons librement, avec ardeur et persévérance, tous les préceptes de la loi de Moïse. Car ainsi parle l’Ecriture : “Ils n’auront plus besoin de s’instruire mutuellement à connaître l’Éternel ; car tous, du plus petit au plus grand, me connaîtront alors, dit le Seigneur” (Jer. xxxi, 34). — “Je mettrai ma doctrine dans leur sein, et je la graverai dans leur cœur” (ib. 35). — “J’arracherai de votre poitrine le cœur de pierre, et j’y substituerai un cœur de chair” (Ezéch. xxxvi, 26, cf. xi, 19), — et nombre de promesses semblables. Dans de telles conditions, nous pourrons compter avec assurance sur la possession de la béatitude Éternelle. »
Vous le voyez, lecteurs, Maïmonide enseigne, comme un dogme fondamental, la croyance à l’avènement du Messie ; il considère celui qui n’y croit pas comme un négateur de la loi divine, et cependant, selon le même docteur, le Messie ne sera pas autrement fait que nous tous ; il aura femme et enfants, il mourra, et sa postérité lui succédera. Sans doute, cet homme élu de Dieu pour être son oint, cet homme qui doit éclairer et régénérer le monde, sera nécessairement saint et supérieur aux autres mortels ; supérieur en qualités, mais non en nature, et nous devons bien nous garder de le supposer dieu.
Il est temps de voir ce que pensent, sur ce dogme, le Talmud et le Nouveau-Testament. Les données talmudiques sont très-nombreuses. Plus tard, dans le cours de cet ouvrage, nous rapporterons les plus intéressantes ; pour l’instant, nous nous bornerons aux deux suivantes :
1° Synhédrin, f. 97 b : « Qu’ils soient maudits, ceux qui calculent l’échéance (messianique) ! Car, voyant que le Messie n’arrivait pas à l’échéance (fixée par leurs calculs), ils ont désespéré de sa venue (et renoncé à leur croyance). Toi, persiste à l’attendre, car il est dit (Habac. ii, 3) : “Dût-il tarder (en apparence), attends-le, car certainement il viendra, et ne différera point d’un jour !” — Mais peut-être, diras-tu, tandis que nous attendons le Messie ; Dieu ne l’attend-il point ? — Erreur, car il est dit (Is. xxx, 18) : “Certes, l’Éternel attend pour vous faire grâce, et il se glorifiera un jour en vous prenant en pitié ; car c’est un Dieu équitable que l’Éternel, heureux qui aura compté sur lui !” »
2° Même traité, f. 99 a, — relativement à l’époque où doit paraître le Messie — : « Je l’ai révélée à mon cœur, je ne l’ai révélée à mes lèvres » dit l’Éternel, d’après ce texte (Is. lxiii, 4) : « Elle est dans mon cœur, l’époque vengeresse, l’année où doit s’accomplir ma revendication ! » — Tant qu’un homme renferme sa pensée dans son cœur, veut dire le Talmud, tant que sa bouche ne l’a point formulée, personne ne peut la connaître. Exprimée verbalement, au contraire, il peut arriver qu’une oreille quelconque la recueille. La date messianique, Dieu ne l’a dite à personne, il n’a point, en quelque sorte, lâché le mot de cette énigme, c’est un secret qu’il s’est réservé à lui seul. Personne donc, pas même les anges (comme ajoute le Talmud), ne peut se flatter de le connaître.
Quant au Nouveau-Testament, nous y trouvons ce qui suit : « Celui qui aura fermement attendu jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé » (Math. x, 22 ; comparez ibid. xxiv, 13 et Marc, xiii, 15). — « Pour ce qui est du jour et de l’heure, dit encore Jésus, personne ne le sait, non pas même lés anges du ciel, mais mon Père seul (Math. xxiv, 36) ; personne ne le sait, dit-il ailleurs, pas même le Fils, mais seulement le Père » (Marc, xiii, 32). Ainsi Jésus lui-même, il l’avoue, ne savait ni ne pouvait savoir quand arrivera cette grande époque de la revendication. Et il le répète, non moins nettement, dans les Actes des Apôtres (i, 6), à ses disciples qui lui demandent s’il rétablira bientôt le royaume d’Israël : « Ce n’est pas à vous de savoir les temps ou les moments dont le Père a réservé la disposition à sa propre puissance… »
Ainsi, même sur le dogme messianique, le Nouveau-Testament, quoi qu’en dise le préjugé vulgaire, se trouve d’accord avec le Talmud ; d’accord non-seulement sur le principe même, — la venue d’un Messie futur, — mais sur l’indétermination de la date assignée à son avénement.
Chapitre XIII. La Résurrection
« Nous nous sommes déjà expliqué sur ce dogme. Celui qui croit fermement à tous les dogmes ci-dessus, est un vrai membre de la société israélite ; nous sommes tenus de l’aimer, de le protéger, de pratiquer, en un mot, à son égard tous les devoirs de charité fraternelle que Dieu nous ordonne de remplir les uns envers les autres. De plus, eût-il commis tous les péchés possibles, sous l’empire de ses passions ou d’une nature vicieuse qu’il n’aurait pas su dominer, il sera puni sans doute pour ses péchés, mais il participera néanmoins à la vie future…. »
On remarquera que ce dogme de la « résurrection des morts » comprend deux croyances distinctes, toutes deux fondées sur les enseignements de la Bible et du Talmud, toutes deux professées avec une foi égale par nos frères israélites et par nos frères chrétiens :
1° la résurrection proprement dite, c’est-à-dire que les morts seront un jour rappelés à la vie. À quelle époque et dans quelles conditions s’opérera ce phénomène, c’est un grave sujet de controverse entre les docteurs, et la question, jusqu’à présent, est restée indécise. Tout ce que nous pouvons et devons faire, c’est d’admettre ce dogme in globo, et de croire, selon la formule de la Synagogue, que les morts ressusciteront à l’époque fixée par la volonté divine.
2° L’immortalité de l’âme ; c’est-à-dire que, même après la mort, l’àme humaine survit à la dissolution des organes pour jouir d’une félicité toute spirituelle, à savoir la connaissance de l’essence divine. Cette essence, elle la contemplera sinon dans sa plénitude, au moins dans une mesure bien supérieure à ce qu’elle pouvait atteindre dans l’obscure prison du corps ; et l’étendue de cette félicité, le degré de cette connaissance, sera proportionné au mérite individuel, à l’importance des œuvres qu’on aura accomplies ici-bas.
Or, ces deux croyances, ai-je dit, sont enseignées l’une et l’autre par la Bible et par le Talmud. Si Maïmonide n’a pas mentionné expressément l’immortalité de l’âme190, c’est parce qu’il procède ici à l’instar de la Loi de Moïse, où l’on ne trouve qu’incidemment et indirectement des indices de cette croyance. Et pourquoi ? parce que l’immortalité de l’âme, l’existence d’une vie future, est un fait évident de soi et qui était évident pour nos pères. Quand nous voyons ici-bas — et nous le voyons trop souvent — l’homme de bien poursuivi par le malheur, le méchant heureux et triomphant, comment croire qu’il n’existe pas un monde meilleur où seront largement réparées ces criantes anomalies, si incompatibles avec l’équité du souverain Juge ? On peut donc considérer cette vérité comme un axiome, et nos pères le connaissaient si bien qu’on le retrouve jusque dans la bouche d’une femme, comme nous le verrons ci-après.
Les preuves ou les allusions relatives à ces deux croyances abondent dans la Bible et dans le Talmud, contentons-nous d’en rapporter quelques-unes.
Pour la résurrection, nous lisons dans le Talmud (tr. Synhédrîn, 90 b) : « Une des preuves mosaïques de la résurrection est le passage où Dieu dit à Moïse (Exod. vi, 4) : De plus, j’avais établi mon alliance avec eux (avec les patriarches Abraham, Isaac et Jacob), promettant de leur donner le pays de Canaan… De leur donner, donc ils le posséderont un jour, et conséquemment ils ressusciteront. » — Nous lisons, plus clairement encore, dans les Hagiographes (Dan. xii, 2) : « Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront un jour, les uns pour la vie Éternelle, les autres pour l’opprobre et pour une honte ineffaçable. »
Quant à l’immortalité de l’âme ou à la vie future, elle est indiquée et par la Loi, et par les Prophètes, et par les Hagiographes. Par la Loi, car nous lisons dans le Talmud (fin du tr. Choullîn, et Kiddousch. 39 b) : « Tout précepte mosaïque accompagné d’une sanction rémunératoire implique l’idée d’une vie future. Le devoir de la piété filiale est sanctionné par ces mots : « Afin que tu vives longtemps et que tu sois heureux » (Deut. v, 16) ; celui qui se rapporte aux couvées d’oiseaux (ib. xxi, 6 et 7) se termine par ceux-ci : « Afin que tu sois heureux et jouisses d’une longue vie. » Or, voici un homme à qui son père a dit : « Monte sur cette tour et va me quérir ce nid de pigeons. Il monte, prend les petits, laisse en liberté la mère, et en redescendant il fait un faux pas et meurt. Que sont devenues, pour ce bon fils, les promesses de la Loi ? C’est qu’elles s’appliquent au monde futur, qui est le bonheur véritable et la longue vie par excellence. » — Viennent ensuite les Prophètes, où nous voyons Abigaïl, une simple femme, dire à David (I Sam. xxv, 29) : « L’âme de mon seigneur sera liée dans le faisceau des vivants191, auprès de l’Éternel ton Dieu. » — Enfin, dans les Hagiographes, David lui-même s’exprime ainsi (Ps. xxxi, 20) : « Qu’ils sont grands les trésors que tu réserves à qui te révère, que tu prépares à ceux qui se confient en toi, à l’encontre des fils de l’homme ! » ce que j’interprète ainsi : « Par le sort que tu prépares à tes adorateurs », par les tribulations que tu envoies aux gens de bien, et qui vont à l’encontre des sentiments de l’homme », qui choquent les notions naturelles de la justice, nous pouvons juger « quels trésors de félicité tu réserves (dans l’autre monde) à ceux qui te révèrent. »
Ecoutons maintenant le langage des Evangiles au sujet des croyances en question. Les Saducéens, qui les niaient l’une et l’autre, viennent trouver Jésus et lui font cette question (Math. xxi, 24 et s.) : « Maître, Moïse a dit : Si quelqu’un meurt sans enfants, son frère épousera sa veuve et suscitera lignée à son frère. Or, il y avait parmi nous sept frères, dont le premier, s’étant marié, mourut ; et n’ayant point eu d’enfants, il laissa sa femme à son frère. De même aussi le second, puis le troisième, jusqu’au septième. Or, après eux tous, la femme mourut aussi. Duquel des sept sera-t-elle femme dans la résurrection ? car tous les sept l’ont eue. » Sur quoi Jésus répond : « Vous êtes dans l’erreur, parce que vous n’entendez pas les Ecritures, ni quelle est la puissance de Dieu. Car, après la résurrection, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris ; mais ils seront comme les anges de Dieu, qui sont dans le ciel. » Jésus admet donc la résurrection, et sa croyance à l’immortalité résulte non moins clairement de la suite de son discours : « Et quant à la résurrection des morts, n’avez-vous point lu ce que Dieu vous a dit : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Or, Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais celui des vivants. » Même langage dans l’Évangile de Marc (xii, 19 à 27) et dans celui de Luc (xx, 28 à 38), ce dernier plus explicite encore, puisqu’il ajoute : « Il est le Dieu des vivants, car tous vivent devant lui. » Et ailleurs (ib. xiv, 13, 14) : « Quand tu feras un festin, convie les pauvres, les impotents, les boiteux et les aveugles, et tu seras heureux de ce qu’ils ne peuvent pas te le rendre ; car tu en recevras la récompense à la résurrection des justes. » Item, dans les Actes des Apôtres (xxiv, 15) : « Ayant cette espérance en Dieu, que la résurrection des morts, tant des justes que des injustes, qu’ils attendent aussi eux-mêmes, arrivera… » Enfin, Paul dit aux Romains (iv, 17) : « Abraham est notre père devant Dieu, auquel il a cru, et qui fait revivre les morts… »
Ici encore, vous le voyez, la conformité est palpable entre les doctrines de la Synagogue et celles du Nouveau-Testament.
Ce parallèle que je viens d’établir entre les documents des deux confessions, et qui forme la première partie de mon programme, a dû, je crois, porter la lumière de la conviction dans les esprits les plus prévenus. Vous avez vu, analysées une à une, toutes les croyances que professe la Synagogue, selon les enseignements de la Bible et du Talmud, et vous avez pu vous assurer, en les confrontant avec les indications du Nouveau-Testament, que celui-ci les professe comme nous, qu’il en proclame lui aussi la vérité, qu’il les recommande au respect et à la foi de tous. Et maintenant, ô chrétiens, mes frères ! je vous en conjure, rentrez en vous-mêmes et sondez vos consciences.
Que signifient ces arguments dont vous ne cessez de poursuivre vos frères israélites, ces vaines prétentions que vous leur opposez au sujet de la personnalité de Jésus ? Qu’avons-nous à rechercher si Jésus est assis à la droite de Dieu ou à sa gauche ? Je ne sache pas, quant à moi, que Dieu ait une gauche ni une droite ; mais ce que je sais bien, c’est que celui qui a été vertueux ici-bas, qui a cultivé et perfectionné les facultés de son âme, qui a exercé les œuvres de la charité, celui-là, quel qu’il soit, aura une bonne place dans le ciel, je veux dire qu’il jouira de l’Éternelle béatitude dans la mesure de ses mérites. Savoir quel sera le degré de félicité de chacun, si tel en jouira plus que tel autre, ou s’il n’en jouira pas du tout, cela n’est donné à personne ici-bas : c’est le secret de Dieu et de l’avenir. Et c’est même là, selon moi, ce que signifie cette parole de Job (II, 19) : « Petit et grand sont là » ; en d’autres termes, là seulement, dans l’éternité, on saura qui est petit ou grand, qui aura mérité une part plus ou moins considérable de rémunération ; ici-bas nul ne le sait, et, par conséquent, nous ignorons quel rang Jésus occupe dans le ciel.
Quant au Messie que nous attendons les uns et les autres, et à cette restauration pour laquelle déjà tant de projets ont été proposés, voici quel serait mon humble plan, si l’on veut bien y prêter l’oreille. L’ancien emplacement du temple de Jérusalem est parfaitement connu. L’architecture entière du temple futur ne l’est pas moins, grâce à l’exacte et minutieuse description qu’en a tracée le prophète Ezéchiel (ch. xl et suiv.). Il s’agirait donc, selon moi, de nous concerter ensemble, Juifs et Chrétiens, et de faire des démarches collectives auprès des cinq grandes Puissances européennes, afin d’obtenir du sultan la libre disposition du terrain où s’élevait le temple de l’Éternel et où, de nouveau, il doit s’élever un jour. Sans aucun doute, Sa Hautesse agréera cette demande, car elle sait, Elle aussi, « que nous sommes tous enfants d’un même père et créatures d’un même Dieu » (Mal. ii, 10). Cela fait, on recueillera de toutes parts les sommes nécessaires pour la reconstruction du temple, sommes naturellement productives d’intérêts, et qui resteront en réserve pour ce grand objet lorsque l’heure sera venue de le réaliser. Ainsi fit David, qui, pouvant lui-même bâtir le temple, en laissa l’honneur à Salomon, son fils, à qui il remit argent et matériaux, qu’il avait, que longtemps à l’avance, amassés pour cette sainte entreprise… Mais, direz-vous, qu’avons-nous besoin de coopérer à un dessein qui n’intéresse les Israélites ? À eux de se procurer les fonds, puisqu’il s’agit de leur temple, puisqu’eux seuls doivent y prier, y adorer l’Éternel ! — Non, mes frères, ce temple de l’avenir ne sera pas exclusivement le nôtre, puisque celui du passé ne devait pas l’être. Salomon, en le dédiant, n’a-t-il pas prononcé ces mémorables paroles (I Rois, viii, 41-43) : « Même l’étranger, qui ne fait point partie de ton peuple Israël, lorsqu’il viendra des pays lointains pour invoquer ton nom, — pour te prier dans cette maison, — toi, Seigneur, tu l’exauceras du haut des cieux, ton Éternelle demeure, tu accueilleras les vœux de l’étranger, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom et apprennent à te révérer comme ton peuple Israël…, etc. » Et Isaïe n’a-t-il pas prophétisé à son tour que le temple de Jérusalem sera l’oratoire de tous les peuples (Is. lvi, 7) ?
Vous le voyez donc, chrétiens mes frères, si nous attendons le Messie avec tant d’ardeur, ce n’est pas dans des vues égoïstes, moins encore avec l’ambitieux et chimérique espoir de dominer sur un peuple quelconque ; le principal bienfait que nous attendons de son règne, c’est, avec notre autonomie recouvrée, la diffusion et le triomphe universel de notre croyance à l’unité absolue de Dieu, ainsi que de la concorde générale et de tous les biens qui en sont la conséquence. Qui sera le Messie ? qui relèvera les ruines de Jérusalem et du temple, les sentiments et les croyances de l’humanité ? Dieu le sait, et, vienne l’heure, il saura bien le manifester.
Mais, je le répète, le Messie sera un personnage purement humain, et son rôle n’aura rien de surnaturel. Nous lisons dans le Talmud (Berakh. f. 4a) : « Dieu aurait dû faire des miracles pour Israël du temps d’Esdras, comme il en avait fait du temps de Josué ; nos péchés seuls s’y sont opposés. » C’est-à-dire que les Israélites auraient quitté la Babylonie de haute lutte, « par une main forte et un bras étendu », par des moyens surnaturels, comme ils avaient quitté l’Egypte sous Moïse et conquis la Palestine sous Josué ; mais ils n’étaient pas assez vertueux pour cela. Dieu employa donc une voie en quelque sorte purement humaine, en faisant dépendre la cessation de l’exil babylonien de la libre initiative de Cyrus, comme il est dit (II Chron. xxxvi, 22; Esd. I, 1) : « Dieu inspira à Cyrus, roi de Perse, la résolution, etc. » Le Messie d’alors, ce fut donc Cyrus, et c’est en effet le titre que lui donnait d’avance Isaïe (xlv, 1). — Peut-être, aujourd’hui encore, Dieu inspirera-t-il à quelqu’un de nos monarques la pensée de restaurer son temple, de relever les ruines de Jérusalem, et celui-là aussi sera un « messie » de l’Éternel.
Puissent-ils tous, peuples et rois, accueillir ce projet ! Puissent-ils tous se confondre dans cette grande et humanitaire entreprise, se tendre une main fraternelle, se concerter pour la restauration de la cité divine et de ce temple auguste dédié à l’Éternel ! Alors s’accomplira sur nous tous et par nous tous cette consolante prophétie (Is. lvi, 7) : « Je les amènerai sur ma sainte montagne, je les rendrai heureux dans ma maison de prières, leurs holocaustes et leurs offrandes seront les bienvenus sur mon autel ; car ma maison sera appelée l’Oratoire de tous les peuples ! » Amen.
Chapitre XIV. Origine du dogme de la Trinité
Avant d’aborder l’examen détaillé du Nouveau-Testament, objet principal de ce livre, il me paraît convenable de tenir une promesse que j’ai faite précédemment (p. 25), c’est-à-dire de rechercher l’origine de cette croyance à la Trinité, devenue depuis si longtemps la base et comme le trait distinctif du christianisme. Quel est le point de départ de l’idée trinitaire ? Comment, par quelle suite de raisonnements ou d’erreurs y est-on arrivé ? Quelle a été la croyance première, et d’où vient qu’on s’est avisé de la remplacer par une croyance tout opposée ?… Israélites et chrétiens me l’ont maintes fois demandé ; j’y ai beaucoup réfléchi, et je veux maintenant exposer le résultat de ces réflexions, que je crois conforme à la vérité.
Nous lisons dans Jérémie : « Qui ne te révère, Seigneur, Roi des nations, digne de tous les hommages ? Les plus sages parmi les peuples et dans tous leurs empires reconnaissent que nul ne t’égale. Sur un seul point ils sont ineptes et insensés sur une discipline chimérique, qui se formule par un morceau de bois ! » Voici comment j’explique le passage : Les sages mêmes des nations païennes, bien qu’ils adressent un culte au soleil, à la lune et aux constellations, n’en adorent pas moins le vrai Dieu, n’en sont pas moins convaincus de son unité. Mais leur déraison et leur erreur consistent dans certaines pratiques, imaginées il est vrai dans un esprit de discipline et à bonne intention, avec le désir de plaire à Dieu ; seulement, ces intentions sont illusoires et ces pratiques absurdes, puisqu’elles aboutissent à l’adoration du bois, de la pierre, vain simulacre de la Divinité. — De fait, si nous recherchons l’histoire de l’idolâtrie, si nous nous demandons comment on a pu abandonner le culte du Créateur pour celui de la créature, nous trouverons qu’en principe on n’avait d’autre but que la glorification du vrai Dieu, et que cette pensée, louable en elle-même, a eu pour conséquence les fatales aberrations de l’idolâtrie. De ce fait, je trouve la preuve et dans la Loi et dans les Prophètes.
Nous voyons, en effet, dès les premiers âges du monde, l’idolâtrie naître parmi les hommes. Ce fut à l’époque d’Enosch, dont il est dit (Genèse, iv, 26) : « C’est alors qu’on profana l’invocation du nom divin. » Or, comment s’avisa-t-on d’un si étrange abus, dont les générations antérieures, celles d’Adam et de Seth, n’avaient assurément pas donné l’exemple ? La meilleure réponse à cette question a été, selon moi, indiquée par Maïmonide, dont il me paraît utile de reproduire ici les paroles. En voici la substance (Mischn. Thôr., h. Akkoum, 1, 1 et 2) :
« Du temps d’Enosch, une grave erreur se répandit parmi les hommes, même parmi les «plus sages, et Enosch aussi fut du nombre. Puisque Dieu, disaient-ils, a créé tous ces astres et ces sphères pour diriger notre monde, puisqu’il les a honorés en les suspendant dans le ciel, puisqu’ils sont, en quelque sorte, ses serviteurs immédiats, il convient que l’homme aussi les honore et les glorifie. Dieu veut sans doute qu’on rende hommage à ceux qu’il a élevés en dignité, comme tout roi veut qu’on rende hommage à ses ministres, car c’est l’honorer lui-même. Partant de là, on se mit à élever des temples en l’honneur des astres, à leur offrir des sacrifices, à se prosterner devant eux, en un mot à les adorer, dans la folle pensée de complaire par là au Créateur. C’est là l’origine et la véritable base de l’idolâtrie, et ainsi parlaient ceux de ses sectateurs qui en connaissaient le point de départ ; mais ils ne croyaient en aucune façon que tel astre fût le vrai Dieu… Puis, à la longue, il s’éleva parmi les hommes de faux prophètes, qui prétendirent que Dieu leur avait ordonné d’adorer tel astre, ou tous les astres, de leur offrir tels ou tels sacrifices et libations, de leur bâtir des temples, d’en fabriquer l’image, devant laquelle devaient se prosterner hommes et femmes, grands et petits ; et cette image, vain symbole conçu par eux-mêmes, ils supposèrent l’avoir connue par voie de révélation. Puis on établit des images de ce genre dans les temples, au pied des arbres, au sommet des montagnes et des collines, on se groupa autour d’elles, et on fit accroire à la foule qu’elles avaient le pouvoir de faire aux hommes du bien et du mal, qu’il fallait en conséquence les adorer et les servir… Vinrent ensuite d’autres imposteurs, qui dirent que l’astre lui-même, ou la sphère ou l’ange, leur était apparu et leur avait dit de quelle manière il entendait être adoré, qu’il fallait faire ceci et ne pas faire cela. Ainsi se répandit peu à peu dans le monde entier l’usage d’adorer toute sorte d’images et de symboles, de leur sacrifier et de se prosterner devant eux, avec divers rites et cérémonies. Avec le temps, le nom du vrai Dieu s’effaça de la bouche et du cœur de tous les hommes ; et finalement tous les gens du vulgaire, ainsi que les femmes et les enfants, ne connaissaient plus que ce simulacre de bois ou de pierre, que ce temple ou cet autel, qu’ils avaient été élevés depuis l’enfance à adorer et à servir. Quant aux gens instruits, tels que les prêtres, ils ne considéraient comme divinités que les astres ou sphères que les simulacres en question étaient censés représenter. Mais le vrai Créateur de l’univers était partout oublié, partout méconnu, à l’exception d’un petit nombre d’élus tels que Hénoch, Mathusalem, Noé, Sem et Héber. Et ainsi alla le monde, jusqu’à ce que surgit la colonne de l’humanité, notre patriarche Abraham… »
Ainsi, en principe, l’intention des hommes était bonne et religieuse ; mais pour avoir été détournée de son véritable et légitime objectif, elle s’égara, elle se pervertit, et le culte symbolique devint le culte réel.
Un jour, dans une de ces occasions où les Hébreux du désert murmuraient « contre Dieu et contre Moïse » (Nomb. xxi, 5), le Seigneur suscita contre eux des serpents venimeux qui en firent périr un grand nombre. Moïse intercéda auprès de Dieu, qui lui ordonna de fabriquer un serpent d’airain, et de le placer en évidence : quiconque, ayant été mordu, lèverait les yeux vers ce serpent, serait sauvé. « Eh quoi ! demande à ce propos le Talmud (Rôsch-hasch, 29 a), regarder un serpent, est-ce là ce qui fait vivre ou mourir ? Non, mais quand les Israélites, élevant ainsi leurs regards, faisaient acte de soumission au Père céleste, ils étaient sauvés ; sinon, ils périssaient. » — Or, nous le voyons clairement, l’érection du serpent n’avait d’autre but, but assurément très-louable, que de diriger la pensée des Hébreux vers leur Père céleste ; et cependant cette D bonne pensée devait avoir de pernicieuses conséquences, et cette image si salutaire devait engendrer une idolâtrie ! Le roi Ezéchias, raconte le IIe livre des Rois (xviii, 4), mit en pièces le serpent d’airain que Moïse avait fait, parce que les Israélites, jusqu’à cette époque, lui avaient voué un culte… » Destiné seulement à rappeler Dieu, il était devenu Dieu lui-même !
Eh bien ! chers lecteurs, toute semblable est l’histoire du dogme trinitaire. Citons d’abord, pour vous la faire mieux comprendre, les paroles de Maïmonide (loc. cit. hilkh. Yeçôd. hatt. ii, 10) : « Dieu connaît son essence, il la connaît telle qu’elle est, et la connaissance qu’il en a n’est pas distincte de lui-même, comme notre science est distincte de nous. Nous et notre science, cela fait deux ; mais chez Dieu, l’être, la connaissance et la vie sont une seule et même chose, une en tous sens et à tous égards. S’il vivait d’une vie adventice, s’il connaissait par une science acquise, il y aurait donc plusieurs dieux : lui-même, puis sa vie et sa science. Or, il n’en peut être ainsi ; Dieu est donc éminemment un et indivisible. C’est pourquoi encore on a dit qu’il est l’Intelligent, l’Intelligible et l’Intellect, tout cela identiquement. C’est là une chose que la bouche ne peut. formuler, ni l’oreille entendre, ni la pensée concevoir à fond… »
Cela posé, je dis que lorsque les peuples voulurent se rapprocher de Dieu et connaître sa véritable essence, les sages contemporains craignirent de les voir s’égarer dans ces recherches et tomber de nouveau dans l’abîme de l’idolâtrie ; ils savaient, d’ailleurs, quelle témérité il y a dans ces sortes de méditations et à quels dangers elles exposent. Ils dirent donc à leurs frères : « Ce n’est pas cette voie qui vous conduira à la vérité. La voie la plus sûre, c’est d’abord de renoncer aux vanités et aux préoccupations du siècle, afin de vous absorber dans la contemplation du Trône divin, des formes saintes et pures, qui vous donneront quelque idée de la sagesse et de la grandeur infinies de Dieu ; vous comprendrez alors que, tant que l’homme est enfermé dans ce corps. matériel et périssable, il lui est impossible de connaître l’essence divine. » Ainsi firent-ils, et ces spéculations métaphysiques les initièrent graduellement à la connaissance des formes saintes et pures, et ils comprirent que ces formes — les anges — sont douées d’une connaissance supérieure à la nôtre, puisqu’elle perçoit mieux l’essence divine ; d’une vie supérieure, puisqu’elle est immortelle, mais vie et connaissance imparfaites, insuffisantes, parce qu’elles sont empruntées. L’une et l’autre leur viennent de Dieu, et Dieu seul les possède dans leur plénitude, ou plutôt Dieu est la science même comme il est la vie, et voilà pourquoi il est un, et son essence est incompréhensible. Mais qu’arriva-t-il ? c’est que cette sublime pensée s’altéra par sa profondeur même et fut, en quelque sorte, divinisée à son tour. On se dit : Il n’y a qu’un Dieu, mais sa vie et son intelligence sont distinctes de lui-même, quoique infiniment supérieures à celles des anges. C’est ainsi que l’essence simple dégénéra en essence triple. Puis, quand se produisit une personnalité éminente, entourée d’un grand prestige de vertu et de sainteté, on en vint à honorer, puis à adorer son âme comme une émanation directe de l’intelligence divine, comme une image de Dieu sur terre ; on consacra, on perpétua cette image, et il vint un temps où le vulgaire ne connaissait plus que l’image humaine de bois et de pierre, tandis que les sages de ce même peuple croyaient à un Dieu d’essence une et triple à la fois : l’Être lui-même, sa vie et sa science.
À l’appui de cette conjecture, j’ai le bonheur de pouvoir citer des témoignages qu’on ne suspectera pas. Premièrement, un ami m’a fait connaître, depuis que ces lignes sont écrites, un petit livre très-curieux et très-rare, qui semble avoir été inspiré par la même idée que celui-ci. Cet opuscule, imprimé en 1866 d’après un manuscrit de la bibliothèque de M. Gunzbourg, fut composé par don David Naci (le Prince), à Candie, en 1430, sous le titre de Hôdaath baal-din, « les Aveux de l’Adversaire. » Je ne puis m’empêcher d’extraire ces quelques lignes de la préface :
« Depuis ma jeunesse, l’illustre cardinal François Benteoli m’a honoré de sa confiance, admis dans son intimité, comblé de ses bienfaits… Après m’avoir nommé son intendant, il m’a fait présent d’une propriété territoriale voisine de sa demeure et s’est plu souvent à s’entretenir avec moi des questions religieuses et des textes bibliques, dont il avait désiré que je lui apprisse la langue. C’est dans ces entretiens et ces discussions que ses yeux furent dessillés, qu’il reconnut la grandeur du judaïsme… C’est à son intention que j’ai composé ce petit ouvrage, destiné à mettre sous ses yeux la substance des vérités que je lui avais démontrées, et à donner une forme précise aux convictions qui s’étaient formées dans son esprit… »
Or, dans ce même ouvrage (p. 22 et 23), David Naci constate, comme je l’ai fait plus haut, que l’unité absolue de Dieu est formelle ment et itérativement consacrée par le Nouveau-Testament.
Mais j’ai à parler d’un autre témoignage, plus précieux encore et qui m’est tout personnel. Ayant eu l’occasion, dans ces derniers temps, de nouer des relations suivies avec deux chrétiens illustres, deux nobles Polonais le comte Xavier Branicki et son frère le comte Constantin, j’ai admiré leur sagesse, la profondeur de leur doctrine et de leurs connaissances religieuses, et je me suis souvenu du mot de l’Ecclésiaste (vii, 28) : « Entre mille hommes, j’en ai trouvé un ! » Ou plutôt, je puis bien le dire, entre dix mille, je n’ai pas trouvé leurs pareils. Ayant demandé, entre autres, à M. Constantin Branicki comment il entendait la croyance trinitaire, j’en reçus cette réponse : « Gardez-vous de croire que nous adorions réellement une Trinité, trois dieux qui n’en fassent qu’un, un seul dieu qui soit trois personnes. Non ; la Trinité, telle que je la conçois, n’est qu’un symbole mystérieux destiné à nous montrer combien l’essence du Dieu Un est impénétrable. » Et je me suis écrié, avec le roi Salomon (Prov. xxiv, 26) : « Une parole bien appliquée, c’est comme un baiser sur les lèvres. » Plût à Dieu qu’une doctrine aussi pure et aussi élevée fût celle de tous les chrétiens nos frères, qu’à eux aussi « le Seigneur envoyât son inspiration » (Nomb. xi, 29) ! C’est bien alors que nous ne formerions, eux et nous, qu’un seul peuple.
Toujours est-il, on le voit, que la chrétienté compte aussi des âmes d’élite, des esprits sages, qui professent la croyance trinitaire dans le même sens, dans la même mesure où l’entendaient les anciens docteurs dont j’ai parlé, et qui voulaient préserver de toute atteinte l’idée de l’essence divine.
Une particularité historique vient encore en aide à la conjecture que j’ai émise. Je veux parler de l’antique idole de Markoulis192, dont il est question dans le Talmud (Synhéd. 64 a et Abod. Zar. 50) et qui se composait, dit-il, de deux pierres parallèles sur lesquelles une troisième était posée horizontalement ; on honorait cette divinité, tantôt en jetant ou déposant des pierres sur le monument, tantôt au contraire en en retirant une ou plusieurs. Or, on peut se demander quelle est l’origine et de cette étrange idole et de ce culte non moins bizarre. Que penser des docteurs, des prêtres, qui toléraient ou inspiraient de pareilles extravagances ? — La chose, à moi, me paraît assez simple. Les sages de ces peuples, pour les empêcher de sonder l’insondable essence de Dieu, les avaient, comme je l’ai dit, invités à ne contempler que certaines de ses créatures, les plus hautes et les plus pures ; or, ce qui devait les sauver fut précisément ce qui les perdit, car ces mêmes créatures devinrent un objet d’adoration, et le vrai Dieu fut méconnu. Alors les sages, consternés, firent appel à la multitude et lui tinrent à peu près ce langage :
« Qu’avez-vous fait, et quelle est votre erreur ! Vous remplacez Dieu par son œuvre, la vérité par le mensonge, et vous adorez la créature au détriment du Créateur ! Nous vous avions engagés à porter vos méditations sur les créatures spirituelles ; et vous, au lieu d’y puiser la conviction et de l’unité de Dieu et du caractère occulte de son essence, vous vous imaginez que ces créatures elles-mêmes sont dieux, que un est trois et que trois sont un, que Dieu est un et trois tout ensemble !… Eh bien ! qui aime l’Éternel nous suive193 ! Réhabilitez-vous en ce jour devant le Seigneur, et le Seigneur vous bénira. Ainsi parle le Dieu un : — Passez, repassez d’une porte à l’autre, élevez partout des monuments de trois pierres et rendez-leur un culte religieux, qui consistera soit à en retirer des pierres, soit à en ajouter… »
Le chiffre trois se trouvait ainsi diminué dans le premier cas, augmenté dans le second, et dans l’un et l’autre il perdait sa valeur. Expédient ingénieux, qui respectait en apparence le principe trinitaire, pour mieux le détruire en réalité ; mais expédient inutile, hélas ! puisque cette trinité… de pierre n’en finit pas moins par devenir Dieu, et usurper les hommages qui ne sont dus qu’à Dieu. L’apôtre Paul n’avait-il pas raison de s’écrier, dans son épître aux Romains (1, 25) : « Eux qui ont changé la vérité de Dieu, etc. » ; ce que je traduirais librement ainsi : « Que faites-vous, mes frères ! Jésus est venu vous enseigner qu’il fallait renoncer au culte des idoles et n’adorer qu’un seul Dieu ; et vous, vous avez mis un simple mortel aux lieu et place du Créateur Éternellement béni !… »
Et maintenant, chers frères, laissez-moi vous faire un simple raisonnement. L’Écriture sainte fait l’éloge d’Ézéchias comme d’un homme agréable au Seigneur, et elle le loue, entre autres, d’avoir anéanti ce serpent d’airain qui était devenu une pierre d’achoppement pour Israël. Et cependant, Dieu lui-même en avait ordonné l’érection, et l’intention la plus pieuse y avait présidé ! Mais cette intention n’avait pas empêché l’abus ; Ézéchias n’hésita point. Pourquoi donc hésiterait-on à renoncer au dogme trinitaire, à une invention purement humaine, inspirée sans doute, nous l’avons dit, par de bonnes intentions, mais qui finalement a engendré le polythéisme, substitué l’homme à Dieu, et tourné ainsi contre son propre but ! Si Moïse, dirai-je encore, revivait aujourd’hui parmi nous, — ce même Moïse à qui le Nouveau comme l’Ancien Testament rendent ce commun témoignage « qu’il fut le plus fidèle serviteur dans la maison de Dieu » — et si les Israélites, épris d’admiration pour cette haute figure, s’avisaient d’offrir un culte, je ne dis pas à son corps, mais à son âme, de lui adresser des vœux et des prières, je ne dis pas comme à une divinité, mais comme à un ange, simple intermédiaire entre les hommes et Dieu, que dirait-on des Israélites ? Ne les taxerait-on pas d’idolâtrie ? Et à combien plus forte raison, si ces hommages s’adressaient à Moïse mort ! À bon entendeur, salut !
Je n’ai plus rien à dire sur ce point. La question, je le sais, est délicate, mais c’est une des plus importantes qui nous divisent ; j’avais à cœur d’opérer un rapprochement entre les deux communions, et ma conscience me commandait de parler. Je l’ai fait avec toute la discrétion possible. Puissent mes paroles n’être point perdues ! Puissent-elles être accueillies par qui de droit ! Ce sera un bonheur pour les uns et les autres.
Chapitre XV. Du Style de l’Évangile
Avant de procéder à l’analyse raisonnée que j’ai promise, et qui constitue la partie essentielle de cet ouvrage, quelques observations me paraissent nécessaires.
Avant tout, il importe de se rendre compte du langage des évangiles, qui ne saurait être jugé, ni conséquemment interprété, de la même façon que le langage du premier livre venu. Tout est hébreu, tout est israélite en quelque sorte dans les évangiles. Chacun sait qu’ils furent écrits par les premiers disciples de Jésus, tous ou presque tous Juifs comme l’avait été Jésus lui-même ; que l’un des évangélistes est aussi l’auteur des Actes des apôtres, et que ces divers ouvrages furent pensés en hébreu, sinon écrits en cette langue. Il est d’ailleurs avéré, par les témoignages les plus anciens et les plus irrécusables, que le premier évangile, celui de Mathieu, fut composé originairement en hébreu194, ou du moins dans l’hébreu altéré qu’on parlait alors, et que les trois autres évangiles s’en rapprochent par des analogies plus ou moins frappantes, souvent textuelles. On sait aussi que la primitive Eglise était fortement imprégnée d’hébraïsme, et que, d’après Eusèbe, qui écrivit son Histoire ecclésiastique vers la fin du IIIe siècle de l’ère chrétienne (quelques générations après Jésus), les quinze premiers évêques de Jérusalem furent circoncis, observèrent les principales lois de Moïse, le chômage du sabbat et des fêtes, comme l’avait fait Jésus lui-même. — Le premier des évêques en question fut Jacob le Pieux, auteur de l’épître de saint Jacques, et qui vivait à l’époque de la conquête de Jérusalem par Vespasien ; le deuxième fut Siméon, fils de Cléophas ; le troisième, Justus (Tsadok) ; le quatrième, Zacharie ; le cinquième, Tobie ; le sixième, Benjamin ; le septième, Jean (Yohanan) ; le huitième, Mathieu (Mattithyahou) ; le neuvième, Philippe ; le dixième, Sénèque (en latin, le Vieux) ; le onzième, Justus ; le douzième, Lévi ; le treizième, Ephras (Ephrath) ; le quatorzième, Joseph ; le quinzième, Juda. Tous Israélites, comme l’indiquent déjà leurs noms, qui ne sont que de l’hébreu pur ou à peine altéré par la traduction grecque ou latine.
Quoi qu’il en soit, et en quelque langue qu’ils aient été primitivement rédigés, il est certain que les livres de la Nouvelle Alliance, surtout les Évangiles, sont basés sur la Loi et les Prophètes ; que toutes leurs pages en respirent l’esprit, en imitent ou en traduisent le langage. Il faut donc les expliquer comme on explique la Bible.
Or l’hébreu, idiome de la Bible, est une langue pauvre et concise, obligée de dire beaucoup avec peu de paroles, et où, par suite, abondent les métaphores et les homonymes ; je veux dire qu’en hébreu, plus souvent que dans d’autres langues, un même mot s’emploie tour à tour au propre et au figuré, ou sert d’expression à des idées toutes différentes. La réflexion ou le contexte peuvent seuls nous aider à restituer aux termes impropres leur véritable sens.
Pour ne citer qu’un exemple de chaque sorte : le verbe râah (voir) s’applique, en principe, à la vision physique. Mais lorsque nous lisons dans l’Ecclésiaste (i, 16) : « Mon esprit a vu (râah) beaucoup de sagesse et de science », il est clair que, dans sa pensée, voir veut dire ici comprendre. Voilà une métaphore, une extension du sens primitif. Mais l’extension est bien plus forte encore, l’impropriété plus manifeste, dans des phrases telles que : « J’ai vu (raïthi) l’Éternel assis sur son trône… » (I Rois, xxii, 19), ce qui évidemment ne désigne que la perception prophétique, l’inspiration. Si l’on s’avisait de prendre cette « vision » dans son sens propre et physique, on déclarerait par là même Dieu corporel ; blasphème énorme dans le judaïsme.
Le verbe nittsâb signifie d’ordinaire se tenir droit ou debout. Ainsi : « Sa sœur se tint (vattêtatsab) à distance » (Exod. ii, 4) ; « Dathan et Abiron s’avancèrent debout (nittsabîm)… (Nomb. xvi, 27). Mais ce mot marque aussi la durée et la perpétuité, comme dans ce verset (Ps. cxix, 89) : « À jamais, Seigneur, ta parole est stable (nittsâb) dans le ciel», ce que, par parenthèse, j’explique ainsi : Ta parole relative au ciel est stable, c’est-à-dire que la parole primordiale qui créa le ciel et ses lois continue de s’accomplir jusqu’à la fin, et que l’univers reste fidèle aux mouvements qui lui furent tracés dès l’origine. Mais supposer que Dieu ou sa parole soient debout dans le ciel, ce serait matérialiser l’un ou personnifier l’autre, hérésies que le judaïsme ne saurait ad mettre. — Cette double acception du mot nittsâb est une pure homonymie.
On voit combien il importe à la saine intelligence de la Bible en général et du Nouveau-Testament en particulier d’examiner si les mots et les tours sont employés dans leur sens propre ou métaphorique, s’ils n’ont qu’une acception ou s’ils en comportent plusieurs. Faute de cette attention, l’on s’expose à tomber dans les hérésies et les erreurs les plus déplorables. Ce sera donc, selon moi, rendre service aux lecteurs scrupuleux que de leur signaler, dans un chapitre spécial, un certain nombre d’expressions bibliques plus ou moins importantes, susceptibles d’acceptions diverses, d’interprétations différentes, et qui, mal comprises, seraient incompatibles avec l’esprit ou les doctrines israélites.
Une autre observation qui a sa valeur, et qui touche de près à la précédente, c’est que le devoir de quiconque interprète un texte ou un livre est de consulter, non-seulement le sens littéral des mots, mais le sens réel, l’idée, telle que l’indique le contexte ; et ce devoir est plus impérieux encore lorsqu’il s’agit d’un livre écrit depuis des siècles, dans une langue morte et mal connue. Le Talmud lui-même, sur ce passage du Pentateuque (Deut. i, 28 et ix, 1) : «… Des villes grandes et fortifiées jusqu’au ciel», dit expressément (tr. Choullîn, 90 b) : La Loi parle ici dans un sens emphatique, hyperbolique. De même, quand on lit dans les Prophètes (I Rois, i, 40) : « Leurs clameurs faisaient éclater la terre », c’est une pure hyperbole. Ainsi le Talmud nous enseigne à considérer l’idée plutôt que le sens littéral, quand celui-ci est invraisemblable. Et il s’applique cette règle à lui-même, puisque, à propos de mainte expression de la Mischnah, il dit : « Ceci est une forme exagérative » (gouzma) : — Moi aussi donc je suivrai cette voie, et dans l’analyse des textes évangéliques je tiendrai, avant tout, compte du sens rationnel, sans toutefois renoncer systématiquement au sens littéral, qui a ses droits aussi. Puisse l’Éternel me favoriser de sa grâce et m’assister dans cette œuvre, entreprise pour son saint nom ! Puisse-t-elle être bénie de Dieu et des hommes ! Et puissent mes paroles, toutes sorties de mon cœur, pénétrer dans le cœur de ceux qui me liront, et les disposer à servir le Dieu unique d’une volonté unanime !
14Voir ci-dessus p. 7, note.
15Cantique des C., II, 15.
16Chap. IX, v. 16.
17Mischn., tr. Edouyôth, VIII, 7. Le Talmud parle ici du prophète Elie, annoncé comme le précurseur du Messie (Malach. III, 23, 24), et l’auteur, en reproduisant ce passage, fait allusion à son prénom.
18L’importance de ce nom dans la matière nous engage à lui consacrer ici une courte notice bibliographique.
Maïmonide, proprement Moïse ben Maïmoun, que les Israélites nomment aussi par abréviation Rambam, naquit à Cordoue en mars 1135, et mourut au Vieux-Caire en décembre 1204. Egalement distingué comme médecin, astronome, talmudiste et théologien, il composa un grand nombre d’ouvrages, la plupart fort importants et faisant autorité dans la science. Les principaux sont les suivants :
I. OUVRAGES THÉOLOGIQUES :
1. Le Guide des Egarés, traduit de l’arabe en hébreu par Samuel Ibn-Tibbon, sous le titre de Morė Neboukhim ; en latin par Giustiniani (Dux seu Director dubilantium, Paris, 1520), et J. Buxtorf (Doctor perplexorum, Bâle, 1629) ; en français, avec l’original arabe et des notes, par feu S. Munk, 3 vol. (Paris, 1856-1866).
2. Pirké ha-Halslacha, deux chapitres traitant de l’âme et de la félicité future ; Salonique, 1567, et aussi dans le Peêr ha-Dor de Mord. Tama (Amsterdam, 1765).
3. Maamar Techiyat ha-Mêlhim, opuscule sur la Résurrection, traduit en hébreu par S. Ibn-Tibbon (Constantinople, 1568).
II. OUVRAGES RABBINIQUES :
4. Kitab al-Sarrag (Livre de l’Eclaircissement), commentaire complet de la Mischnah, traduit en hébreu par divers auteurs, et partiellement en latin par Buxtorf, Prideaux, Ullman et autres. Pococke en a publié les diverses introductions dans le texte arabe et avec traduction latine, sous le titre de Porta Mosis (Oxford, 1655).
5. Sépher ha-Mitswôth, Exposé raisonné des 613 préceptes du mosaïsme, traduit de l’arabe en hébreu par Moïse Ibn-Tibbon (Constantinople, 1517 ; Vienne, 1535, etc.). C’est comme une introduction à l’ouvrage suivant.
6. Mischné Torah, dit communément Yâd chazakah, « la Main forte, » abrégé du Talmud, ou exposition complète du droit mosaïco-rabbinique ; en quatre parties, comprenant 14 livres (mnémonisés par le mot Yâd). Cet ouvrage, qui renferme aussi des parties théologiques, cosmologiques et même médicales, a été souvent réimprimé, commenté et partiellement traduit en latin, en allemand et en anglais.
III. OUVRAGES SCIENTIFIQUES :
7. Biour Millôth ha-Higgayôn, Vocabulaire de la Logique, traduit de l’arabe en hébreu par Moïse Ibn-Tibbon (Venise, 1550, etc.), en latin par Séb. Munster (Bâle, 1527), en allemand par S. Neumann (Vienne, 1822), et commenté en hébreu par le célèbre Mendelssohn (Berlin, 1766).
8. Shemônah Perakim, « les huit Chapitres » extraits de son commentaire sur la Mischnah et servant d’introduction au traité Abôth (Naples, 1492) ; traduits en latin par Vythage (Leyde, 1683), pareillement en allemand et en français. Cet opuscule est une suite de dissertations sur divers points de psychologie et de morale.
9. Aphorismes de médecine, extraits d’Hippocrate, de Galien, etc., traduits en hébreu sous le titre de Pirké Moscheh, « Les Chapitres de Moïse, » et en latin sous celui de Aphorismi R. Mosis medici (Bâle, 1579, etc.).
On a encore de Maïmonide un grand nombre d’autres ouvrages relatifs à la médecine, à l’hygiène, à la pharmacopée ; des Lettres et Consultations sur différents sujets théologiques, talmudiques et autres, recueillies à diverses époques.
19Cette expression, empruntée à la Bible (Isaïe, XLIV, 6 ; XLVIII, 12), signifie que Dieu est Éternel. La fin de l’article II, exprimant la même idée, paraît faire double emploi, et nous conseillerions de la supprimer.
20Nous avons conservé ici l’ambiguïté du texte, qui peut signifier également ceux qui ont succédé à Moïse, et ceux qui pourront lui succéder jusqu’à la fin des temps, y compris le Messie. Mais l’infériorité de ce dernier à l’égard de Moïse n’est pas péremptoirement établie. Voir Albo, Sépher Ikkarîm, III, 19, et ci-après chap. VII. 18
21Psaum. XXXIII, 15.
22Traité Synhédrin, introduction au chap. X, dit Pérek Chêlek. J’ai suivi, pour la traduction de ces treize articles, le texte arabe donné par Pococke (ci-dessus page 12, No 4), texte beaucoup plus correct que celui des éditions hébraïques.
23Exod. xx, 2, et Deutér. v, 6.
24Fol. 17 a. Il y a plusieurs jeux de mots dans ce passage, ce qui arrive souvent dans les dires talmudiques. Searah, en hébreu, signifie indistinctement lempéle et cheveu (ou poil). Iyôb, Job, est l’anagramme de Oyêb, ennemi. Naturellement, ces calembours sont intraduisibles.
25Job, IX, 17.
26Ibid. XXXVIII, 1.
27Math. x, 30 ; Luc, XII, 7.— Nous avons suivi généralement la version d’Ostervald.
28Deutér. VI, 4.
29Traité Peçachim, f. 56 a.
30Le Talmud suppose que, selon les idées du temps, l’indignité du fils pouvait rejaillir sur le père et le priver, dans certains cas, de la faculté prophétique.
31Il est aisé de voir qu’Israël désigne ici le patriarche lui-même.
32Cette formule, insérée dans le Rituel à la suite de la précédente, aurait donc, selon le Talmud, été créée par Jacob.
33XII, 28, 29.
34XIX, 16, 17. Cf. Marc, x, 17, 18 ; Luc, XVIII, 18, 19.
35XXIII, 9.
36III, 29.
37I Cor. VIII, 4.
38IV, 6.
39XI, 17.
40Littéralement, d’après les Septante et la Vulgate : « qui dois venir. »
41Ibid. XVI, 5.
42Choullin, f. 59 b-60 a. L’empereur en question est probablement Trajan.
43Exod. XXXIII, 20. (Voir, dans ma traduction du Pentateuque, la note sur ce passage.)
44Baba bathra, f. 16 b.
45Genèse, XXI, 33.
46Exod. XIX, 21, 22. — Comparez l’appréciation de l’auteur avec celle de Maïmonide, Guide des égarés, 1, 5.
47C’est-à-dire une âme, qui est non-seulement créée et contingente, mais limitée par le corps qui la renferme et soumise, dans une certaine mesure, à ses imperfections.
48Talm. Chaghigah, f. 15 a. Selon Raschi et d’autres, ce passage s’applique aux anges.
49Isaïe, XL, 25.
50Baba Metsia, 31 b ; Synhédr. 64 b, et passim.
51Deutér. IV, 15, cf. ibid. 12.
52Tr. Berakhôth, 17 a.
53Chaghig. 15 a.
54Isaïe, XXXV, 10 ; LI, 11.— Cf. Maïm. Michné Torah, hilkh. Teschoub. VIII, 2.
55Evang. de Jean, IV, 20-24.
56Ch. XVII, v. 29.
57Ostervald dit l’industrie ; mais cette version n’est conforme ni au grec ni au latin.
58Ch. Ier, v. 25.
59Guide, part. I, chap. 26, 46, etc.
60Voir ci-dessus p. 31, note 1.
61Ch. III, v. 13-15.
62Voir la traduction du Pentateuque par L. Wogue, vol. II, p. 20-21, notes 3 et 4.
63Il va sans dire que nous laissons à l’auteur la responsabilité de cette assertion, ainsi que de plusieurs autres. L.W.
64Le mot du texte leolâm, que nous avons traduit à jamais, signifie, d’après l’auteur, pour l’univers ; acception rare dans la Bible, mais très-ordinaire dans l’hébreu rabbinique et moderne.
65Tel est, suivant la plupart des exégètes, le sens probable du saint Tétragramme, en hébreu Jéhovah ; nom ineffable selon la Synagogue, et que nous avons rendu, d’après l’usage le plus accrédité, par son équivalent l’Éternel. Voy. Préliminaires de notre Pentateuque, pages L et LI ; ibid. vol. II, page 42, note 3.
66Tr. Peçach. 50 a ; Kiddousch. 71 a.
67Ce qui d’une part implique, par déduction, qu’il est aussi postérieur à toute chose, en d’autres termes Éternel (mot qui manque à la langue arabe) ; et, d’autre part, exclut le système d’une matière préexistante et qui serait coÉternelle à Dieu. Voy. Guide, I, 57, etc.
68Deutér. XXXIII, 27 ; traduit selon la pensée probable de Maïmonide.
69Isaïe, XLIV, 6 ; cf. ibid. XLVIII, 12, etc.
70Schabbath, 55 a ; Yômá, 69 b ; Synhed. 64 a.
71Deutér. paragr. Ier.
72Ch. x, v. 10.
73Mischné Tôrah, première partie, I, 4.
74Michée, IV, 5.
75Deutér. x, 17, et passim.
76Ch. X, 10-12. Comparer Ps. CII, 26-28.
77Ch. 1, v. 8. Comp. ibid. XXI, 6 et XXII, 13, où l’on ajoute : « le premier et le dernier ».
78IV, 8.
79XVI, 5. Voir ci-dessus, page 25, note 3.
80Ce qui est composé des quatre éléments admis par les anciens (le feu, l’air, l’eau et la terre), en d’autres termes, le monde sublunaire ou le globe terrestre, considéré dans son ensemble ou dans ses parties. En refusant ci-après, par le mot « fatalement », le libre arbitre à tous les êtres hormis Dieu, Maïmonide, croyons-nous, n’en excepte pas l’homme lui-même ; car notre liberté aussi est l’œuvre de Dieu, et nous ne pouvons, le voulussions-nous, cesser d’être libres.
81Deutér. IV.
82Siphrê, ad Deutér. IV.
83Soukkah, 45 b, et Synhédr. 63 a.
84Exod. XXII, 20 (19).
85Hilkhôth Akkoum, ch. II, § 1.
86Deutér. IV, 19. (Traduit selon la pensée présumée de Maïmonide.)
87Le texte porte ici lih’yôth ; il faut lire probablement lih’yotham. — Maïmonide croit, avec plusieurs autres théologiens, que la sphère céleste et les astres sont doués de vie et même d’intelligence ; qu’en outre, bien qu’ils aient commencé, ils ne finiront point. La trace de ces croyances se retrouve çà et là dans notre rituel et même, jusqu’à un certain point, dans la Bible.
88Deutér. XI, 16.
89XXII, 8, 9.
90Dans le grec, sundoulos ; dans la Vulgate, conservus. Il s’agit du service de Dieu, et ce terme rappelle d’une manière frappante la dénomination de mal’akhé ha-scharêth que le Talmud donne aux anges.
91Chap. IV.
92Ibid. v. 9 et 10.
93Ibid. VI, 6.
94Ibid. v. 9.
95Ibid. XXVI, 39.
96Ibid. v. 42.
97Luc, XI, 1, 2.
98I, 24.
99Ibid. VIII, 24.
100Ibid. XII, 5.
101Rom. Xv, 30.
102II Cor. XII, 8.
103Ibid. XIII, 7.
104V, 14.
105Maïmonide a traité ce sujet en détail dans son Guide, part. 11, ch. 32 et suivants.
106C’est-à-dire, ne demeure sans effet, ne manque de s’accomplir. Cf. Isaïe, LV, 10, 11. — Toutefois, il ne s’ensuit pas que toutes les paroles des prophètes doivent s’accomplir littéralement. Plusieurs de leurs prédictions, notamment messianiques, ne peuvent, selon nos meilleurs théologiens, s’interpréter qu’au figuré.
107Comp. Maïmonide, Hilkh. Yeçôdé ha-Tôrah, ch. x.
108Littéralement, l’Ecriture (mikra) ; mais il ne peut s’agir ici que du Pentateuque seul, puisque les autres parties de la Bible, les Prophètes et les Hagiographes, vont être mentionnées tout à l’heure.
109Il est vrai qu’elle s’applique d’une manière plus directe et plus complète à l’article IX ci-après.
110Le grec pléróçaï comporte les deux acceptions. La Vulgate dit adimplere, accomplir.
111Voir Lévitique, ch. XIII-XV.
112Il est permis, croyons-nous, au plus fervent Israélite, de trouver quelque exagération dans cette pensée de Maïmonide, ou du moins dans son langage. Aux yeux de la Bible et de la Synagogue, Dieu seul est parfait et infaillible. Pour être supérieur aux autres hommes, Moïse n’en fut pas moins homme : c’est ce qui ressort deux fois du témoignage du Pentateuque (Exod. XXXIII, 20, et Nomb. xx, 12), de celui du Talmud (Siphrè sur Nomb. XXXI ; Pecach. 66 b, etc.), et de celui de Maïmonide lui-même (Huit Chap. ch. IV).
113Allusion au surnom que les Arabes donnent à Moïse : Kalim Allah, l’Interlocuteur de Dieu. (Note de Pococke). — D’après une communication de M. Goldberg, ce terme signifierait plutôt : Le porte-parole de Dieu, celui qui transmet sa parole et ses ordres. Comparez l’amora du Talmud.
114Nomb. XII, 6, 7 ; paroles de Dieu à Aaron et à Marie. La traduction de ce difficile passage est empruntée à notre version du Pentateuque, où l’on peut lire les notes qui la complètent et la justifient. Mais il va sans dire que nous ne l’imposons point, et nous la modifierons ci-après selon l’exigence des cas.
115Voir ci-dessus, p. 16-17.
116La maison du Seigneur. Traduit d’après les textes grec et latin.
117Comparez la formule de la liturgie catholique : Sursum corda !
118Maïmonide fait visiblement allusion, dans cette phrase, aux trois conditions de la prophétie indiquées par le Talmud (voir ci-dessus p. 60). Or, le sage étant précisément celui qui est « maître de ses passions’, il faut, sous peine de double emploi, donner ici à hakham, sage, le sens post-biblique de savant ; et pareillement les derniers mots de la phrase équivalent sans doute à ce que le Talmud appelle : content de son sort.
119Le Paradis, où sont réunies toutes les âmes pures, toutes les intelligences d’élite, et où sont révélés tous les arcanes de l’être. Cette expression figurée est prise du Talmud (Chaghig. 14 b), selon lequel il n’est donné qu’à bien peu d’hommes d’aborder les questions de haute métaphysique sans risquer d’y perdre la raison, la foi ou même la vie. Le mot impunément, employé ici par Maïmonide, fait allusion à cette assertion talmudique. Comp. Guide des égarés, part. I, ch. 31 à 35, et voyez encore ci-après, p. 65 et s.
120C’est-à-dire absorbée dans la contemplation des perfections divines ; métaphore empruntée au Talmud. Voir par exemple tr. Schabbâth, f. 152 b.
121La dernière des dix catégories d’anges, littéralement hommes ; ainsi nommés de leur proximité plus grande avec l’espèce humaine, et de leur relation avec elle par la voie du prophétisme. Voy. Maïmonide, h. yeçodé ha-tôrah, ch. II, §7.
122Cette observation, empruntée comme plusieurs autres à Maïmonide, ne nous paraît pas suffisamment démontrée, même en ce qui concerne les prophètes autres que Moïse.
123Voir ci-dessus, p. 61, note 2. La version adoptée ici par l’auteur est plus conforme au texte du Talmud de Jérusalem, même traité, ch. II.
124Littéralement : autre ou étranger (alienus, abalienatus) ; surnom ou pseudonyme d’Elischa ben Abouyah, dû probablement à la circonstance même relatée ci-après.
125Expression figurée qui signifie « tomber dans l’hérésie », et qui est en rapport avec celle de PARDÈS, dont le sens propre est verger.
126Excepté toutefois Jacob, qui d’ailleurs ne raconte rien lui-même. Seulement, Maïmonide supplée au silence du Pentateuque, par une interprétation dont nous lui laissons la responsabilité. Comp. l’introduction du Guide, trad. Munk, p. 23.
127En d’autres termes, la prédiction pure et simple, sans images ni allégories.
128Cette idée a été développée par Maimonide dans la plupart de ses œuvres théologiques et rabbiniques.
129Selon les principes de l’ancienne physique. — Nous faisons toutes réserves de droit sur les théories de l’auteur et sur son exégèse, d’ailleurs ingénieuse. On remarquera que dans ce qui suit, ainsi que dans la note ci-après, il joue quelque peu sur le mot hébreu rouach, qui signifie à la fois vent ou air, et esprit ; à peu près comme le grec pneuma et le latin spiritus.
130Ne trouve-t-on pas ici l’origine d’un usage bien connu, et commun aux Juifs comme aux chrétiens, celui de placer de l’eau et de la lumière près du mort ou dans la chambre mortuaire ? A côté de ce corps inerte, qui n’est plus que de la terre, voici le feu et l’eau ; reste l’élément air (l’esprit) ; et puisque ce dernier est absent, c’est donc qu’il n’appartient plus à ce bas monde. N’est-ce pas là un symbole expressif de notre croyance à la spiritualité de l’âme, conséquemment à son immortalité ? (Note de l’auteur.)
131Ou du moins et dans un sens un peu plus rationnel, être décrétées d’avance par la volonté divine.
132Ceci nous semble résulter implicitement, et même à fortiori, de l’observation précédente. ́
133Nous devons rappeler que nous suivons partout l’original arabe, tel que l’a publié et traduit Pococke. Dans le présent article surtout, ce texte diffère, à plusieurs égards, de la version hébraïque.
134« L’Éternel parla à Moïse en ces termes », etc. »
135« Celui qui grave ou écrit. » On traduit-d’ordinaire législateur.
136Toutes phrases en apparence insignifiantes et sans intérêt pour les Israélites.
137La dernière des phrases citées ne peut être textuellement de Dieu, comme l’indique sa teneur même (NOTRE DIEU). Mais si Moïse l’a prononcée, c’est Dieu qui l’a inspirée, et c’est lui encore, selon la croyance israélite, qui a ordonné ultérieurement à Moïse de la consigner dans le Pentateuque.
138Pococke traduit hypocrite : c’est à la fois un contre-sens et une absurdité.
139Ce qu’on appelle communément la Loi orale.
140On trouve, il est vrai, dans le Talmud, un grand nombre de dissidences et de controverses sur ces différentes pratiques et d’autres semblables ; par exemple, si le fruit désigné par la loi du Lévitique (XXIII, 40) est bien le cédrat ou un autre végétal ; si la femme est dispensée ou non de l’obligation des phylactères, etc. Mais il ne s’ensuit pas que les Talmudistes aient ignoré ces choses. Comment n’auraient-ils pas su, par exemple, que leurs mères et leurs aïeules ne mettaient pas de phylactères ? que partout et toujours la Synagogue avait adopté le cédrat et non un autre fruit, avait donné telle forme et non une autre à la soukkah et au loulab ? Ce n’est donc pas sur les faits en eux-mêmes que portent les discussions talmudiques, mais simplement sur la question de savoir si ces révélations de la Loi orale sont déjà indiquées par voie d’allusions dans la Loi écrite, et quelles sont ces allusions. (Note de l’auteur).
141Nous traduisons ce verset — invitâ Minervâ — de manière à l’accommoder à l’explication qu’en donne ici l’auteur.
142D’après une croyance consignée plusieurs fois dans les deux talmuds et fondée principalement sur Isaïe, XXVI, 19, c’est au moyen d’une rosée mystique que doit s’opérer la résurrection des morts. De là sans doute l’usage de mentionner, dans notre prière la plus importante (AMIDAH), la rosée ou la pluie à côté de la résurrection. Cf. Talm. Jérus. Berakh. ch. v.
143Du vrai Dieu, alias d’un dieu quelconque. Voir, dans notre traduction, la note sur ce passage.
144Voir ci-dessus, pages 31 à 33.
145Voir ibid., page 52.
146Mieux du Statut, comme nous l’avons traduit dans notre Pentateuque ; parce que le tabernacle renfermait l’arche du Statut, c’est-à-dire la caisse où était déposée la loi fondamentale, le Décalogue.
147Ostervald et autres : « par le ministère. » Peu conforme au grec et au latin, qui du reste ne sont pas très-clairs.
148Littéralement, d’après l’arabe : De l’abrogation de la Loi. Selon la version hébraïque : « De la transmission ; c’est-à-dire que cette loi a été transmise par le Créateur et non par tout autre, qu’il n’y a rien à y ajouter… » (le reste comme dans Pococke). Le traducteur hébreu avait sans doute sous les yeux une leçon différente, mais certainement vicieuse ; car d’une part elle juxtapose deux dogmes distincts, et de l’autre, elle commence par un double emploi avec l’article précédent.
149C’est-à-dire du commentaire sur la Mischnah.
150Cette version et l’exégèse qu’y rattache l’auteur ne sont rien moins que naturelles, et le véritable sens est celui que nous avons donné dans le Pentateuque. Voir nos notes sur cet important passage et sur celui du chap. XIII. Pour le fond, toutefois, l’auteur se rencontre à peu près avec Albo, Ikkarim, III, 14.
151Comparez Talmud, Synhédr. 64 a.
152Allusion au passage Deutér. xxx, 12.
153Principe énoncé implicitement (Voir notre note y relative) dans l’Exode, XXIII, 12.
154« Iota », mieux yod, qui est en effet la plus petite lettre de l’alphabet hébreu, dit carré ou assyrien. Il n’en serait pas de même pour l’alphabet samaritain, qui passe pour le plus ancien. — « Trait de lettre » (grec kéraïa, lat. apex) répond au talmudique kôts (V. par exemple Menachôth, f. 29 b). Plusieurs traduisent accent ; mais l’accentuation hébraïque paraît n’avoir été introduite que plusieurs siècles après Jésus.
155Ostervald traduit : Si quelqu’un avait violé…, il mourait… Version fautive les verbes sont au présent dans les textes originaux. — Le passage auquel saint Paul se réfère ici se trouve Deutér., XVII, 6.
156Brevis demonstratio, etc., pages 39, 41 et ailleurs. (Cité également par le Chizzouk émounah, part. 1, ch. 19, et par don David Naci, p. 13). — Budny, hérésiarque polonais du xvre siècle, chef des unitaires ou Ebionites de Lithuanie, fut, cela va sans dire, excommunié pour ses « erreurs. »
157Considérée, non sous le rapport de sa providence, qui rentre dans le Ier dogme, ni de sa prescience, qui résulte du VIe ; mais eu égard à la conduite morale des hommes. Ce dogme est la prémisse, la condition nécessaire du suivant.
158« Né de mon père », dénomination peu respectueuse et qui rappelle l’inceste inconscient de Loth.
159« Fils de mon peuple », de ma famille ; appellation plus discrète et qui atteste plus de pudeur.
160Cette pensée, d’ailleurs évidente, est déduite, par le Talmud, de Malachie, III, 16. — La question des « intentions » est traitée ex professo, Talm. Kiddouschin, f. 40.
161Nous traduisons comme ci-dessus, page 47.
162Les gentils ou païens, qui ne croient pas à une providence. — On remarquera que cette citation ne se rattache qu’indirectement à la question spéciale traitée dans ce chapitre (V. page 90, note 1).
163Maïmonide a écrit : qui en viole les défenses. C’est sans doute un lapsus du grand docteur ; car il est certain que la violation d’un précepte affirmatif, c’est-à-dire un péché d’omission, est punissable au même titre, sinon au même degré, que la transgression d’une loi négative, c’est-à-dire un péché de commission ou d’action.
164Sur le sens du kéreth ou karêth mosaïque, voir notre Pentateuque, spécialement au IIIe volume, p. 241, note 6. L’explication qu’en donne Maïmonide — explication aussi hardie que peu philosophique — n’appartient qu’à lui et ne peut être admise sans certaines réserves. Voy. son Mischné-Tôrah, h. Teschoub. VIII, 1, avec les commentateurs.
165Dans l’introduction au présent formulaire, et dans l’ouvrage précité.
166Le livre où sont censées inscrites et les œuvres de chacun, et la destinée heureuse ou malheureuse qui en sera la conséquence. Cette métaphore n’est pas le seul indice biblique de la rémunération future ou, si l’on veut, de l’immortalité de l’âme ; mais Maïmonide le détache comme le plus concluant selon lui.
167Version hébraïque : « Preuve que Dieu connaît le fidèle, etc., pour donner à l’un une récompense, etc. » Contre-sens, et double emploi avec l’article x qui précède.
168Voir Morale juive et morale chrétienne, par M. Benamozegh (révisée par le traducteur du présent ouvrage), où se trouvent, p. 179 et suiv., de curieuses réflexions sur ce « sans cause. »
169On traduit communément fou, d’après le fatue de la Vulgate, et tel serait effectivement, en grec, le sens de l’original : môré, vocatif de môros. Mais il est plus probable que ce mot est sémitique comme le raka qui précède ; or, môré en hébreu signifie rebelle, insoumis.
170On voit que Jésus croyait à la matérialité des rétributions futures. C’est aussi l’opinion de quelques talmudistes ; mais les meilleurs théologiens du judaïsme n’admettent que des rémunérations spirituelles.
171Comp. Jug. v, 31 ; Dan. XII, 3, etc.
172Comp. Malach. III, 18.
173Comp. Dan. XII, 2.
174Imité du dernier verset d’Isaïe, qui ne paraît nullement, dans ce passage, avoir fait allusion à l’enfer.
175Ici et plus loin, on traduit communément siècle. Cette version trop fidèle est une infidélité, puisqu’elle ne peut qu’induire en erreur celui qui ne connaît pas le sens ecclésiastique du mot « siècle. »
176Lesquels, comme l’histoire l’atteste, ont constamment abouti à des déceptions, et souvent, par suite, à des défections. Voir le traité Synhėdr. 97 b, dont le texte est lu diversement : nos éditions portent alsmân, la glose de Raschi nafschân, Maïmonide (éd. Poc.) dâtân, le même (vers. hébr.) rouchân, etc. Du reste, ces variantes ne diffèrent pas sensiblement quant au sens, qui est assez clair, et qu’on devinerait difficilement dans la version de Pococke : Infletur sententia corum qui, etc.
177D’où il suit que le Messie, pour se faire reconnaître, devra nécessairement et avant tout justifier de cette descendance. Cf. Maïm. Mischn.-Tor., hilkh. melakhim, xi, 4. De là son nom classique de Maschiach ben David, opposé au Maschiach ben Joseph (Talm. Soukkah, 52 a), sorte de précurseur essentiellement éventuel et hypothétique, qui rappelle à certains égards le Messie de l’Eglise chrétienne.
178Car l’Eglise croit, elle aussi, à un Messie de l’avenir. Seulement, le christianisme dit : Il reviendra, tandis que nous disons : Il viendra. On le voit, une simple particule nous sépare : désaccord minime en apparence, énorme en réalité !
179Dans certains cas indiqués par le Talmud : tr. Hôraïôth, 11 et 12 ; Kerith. 5 b. On sait que Christ (Christos) n’est que la traduction grecque de « Messie », de même que le saint chrême correspond à notre « huile d’onction. »
180Tr. Berakh. f. 10 a, où se trouve aussi cette légende, qui n’a, cela va sans dire, aucune valeur historique.
181Plus connu sous le surnom de Bar-Cochab ou Barcochébas, que lui donna R. Akiba, et que, selon d’autres, il s’était donné lui-même. Sa tentative et sa mort eurent lieu sous l’empereur Adrien, vers l’an 130 de l’ère vulgaire.
182Il en aurait fait un, et même par une sorte de faculté innée, selon le Talmud de Babylone, Synhéd. 93 b. Rien n’empêche, du reste, d’admettre des miracles dans l’avenir, comme la Bible nous en montre dans le passé. Mais conclure de là à la nature divine du Messie serait un paralogisme, une hérésie énorme, et c’est là, selon nous, le point essentiel à dégager de cette discussion.
183Littéralement : « la soumission aux royautés’, qui alors n’existera plus, comme Maïmonide le dit clairement un peu plus loin. Pococke traduit, avec le sens actif : « l’asservissement des royautés » par Israël, comme si nous rêvions pour le Messie la monarchie universelle. Cf. ses Notæ miscell., ch. VI, p. 110 : Nisi quod tum subjugan la sint regna. Rien que cela ? En vérité, ce nisi quod est admirable. Si jamais la Synagogue avait rêvé la monarchie universelle, on conviendra au moins qu’elle aurait formulé son rêve d’une manière plus logique.
184Nous devons avertir que cette traduction n’est qu’un équivalent.
185Or, le Talmud ne pouvait ni ignorer cette prédiction, ni se mettre en contradiction avec elle.
186Prov. XXVI, 4. Nous remarquerons que Maïmonide est ici en désaccord avec Raschi, qui applique à cette circonstance la maxime opposée (ib. v. 5) : Réponds au sot selon sa sottise ; et nous ajouterons que, même dans son hypothèse, l’interprétation de Raschi paraît bien plus plausible. Du reste, tout ceci n’a trait qu’à la leçon du traité Schabbâth ; celle du traité Kethoubôth est beaucoup plus simple, et se prêterait moins bien à l’opinion de Maïmonide.
187Le sens de ce verset, dans l’original, est obscur, et si on l’entend comme notre auteur, la suite n’est guère propre à l’éclaircir. Car si le Messie ne doit pas mourir avant d’avoir établi le règne de la justice, il en résultera, ou qu’elle sera lente à s’établir, ou que le règne du Messie pourra être fort court : deux alternatives également déplaisantes.
188Vers. hébr. : Si nous désirons et attendons… Nous, c’est-à-dire les vrais Israélites, les sages ; voyez ci-après. Comparez aussi hilkh. Teschoub ch. VIII, § 6, et chap. IX ; hilkh. Melakhîm, XII, 4.
189Mot à mot : de son roi ; mais on a vu que le Messie aura des successeurs, et nécessairement ses héritiers seront dignes de lui. Cela résulte de l’économie entière du présent dogme.
190Il la mentionne et même la développe amplement dans vingt autres endroits, notamment dans le préambule du présent formulaire, dans son Guide des égarés, dans le Mischné-Tôrah (h. Teschoubah) et dans les « Chapitres de la Béatitude », insérés dans le recueil Peêr ha-dôr.
191Ou de la vie (Éternelle).
192Probablement Mercure ou Hermès, le Dieu Terme. Les dolmens druidiques avaient précisément la forme indiquée ici.
193Ce passage, avec la suite, est imité d’Exod. 32, 26-29.
194On trouvera ci-après, dans notre commentaire sur l’évangile de Mathieu, une preuve frappante de cette assertion.
קול קורא / Kôl Kôré (vox clamantis). La Bible, le Talmud et l’Évangile. Par le Rabbin Elie Soloweyczyk. Traduit de l’hébreu par Lazare Wogue. Paris (Imprimerie de E. Brière), 1870. [Version numérisée : Google].