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Un Tanah, étude sur la vie et l’enseignement de Rabbi Méïr
Chapitre 5. Halachah : Jurisprudence civile
Raphaël Lévy (1883)
Dans les questions de droit civil, lorsqu’il s’agit de contestations judiciaires et que des intérêts matériels se trouvent en jeu, R. Méir jouit d’une autorité considérable, malgré son rigorisme.
La propriété, chez les anciens, différait complètement de ce qu’elle est chez nous, et c’est ce qui explique peut-être la sévérité inattendue de notre docteur. Ainsi les collègues de R. Méir, et R. Méir lui-même, accordent une entière confiance aux dernières volontés exprimées par un malade ; mais quand le testament d’un malade indique qu’un tiers est débiteur d’une certaine somme, R. Méir exige la preuve de cette créance et oblige les héritiers du défunt à fournir cette preuve. La déclaration du moribond, déclaration même faite devant témoins, n’a pour lui dans ce cas aucune valeur juridique [1].
De même, quand deux témoins viennent dire : « Nous avons vu un tel écrire un contrat », leur déclaration n’est reçue en justice, dit R. Méir, « qu’autant que ces mêmes témoins apposent leur signature au bas de ce contrat. »
[2]ורבן שמעון בן גמליאל סבר לה כרבי מאיר, דאמר: עדי חתימה כרתי.
Tout dommage causé par la faute d’un autre doit être réparé, d’après R. Méir.
La Torah, parmi les prescriptions relatives aux esclaves, oblige le maître à affranchir l’esclave qu’il aurait blessé [3].
Mais, ajoute R. Méir, le maître n’a pas besoin de donner à son esclave un acte d’affranchissement. Le seul fait de l’avoir blessé lui rend la liberté [4].
Si quelqu’un met de la paille dans la rue, devant sa maison, pour convertir cette paille en fumier, il est responsable des chutes que peut causer cet obstacle mis par lui sur la voie publique. Par contre aussi, du moment que le propriétaire est responsable, cette paille ne saurait être déclarée הפקר, accessible à tout venant, et celui qui s’en emparerait se rendrait coupable de vol.
Les docteurs qui discutent ce point se prévalent tous d’une opinion exprimée par R. Méir, et qui est ainsi conçue : Un billet où est mentionné un intérêt au-dessus du taux légal est nul, d’après R. Méir. On punit le créancier et il ne touche ni l’intérêt ni le capital. D’après ses contradicteurs, l’usurier est puni d’une amende et on le prive de l’intérêt stipulé sur le billet. Par cela seul que la mention du taux usuraire constitue un dommage au détriment du débiteur, on en conclut que R. Méir aurait également pu adopter la proposition énoncée plus haut [5].
Après cette citation caractéristique, que reste-t-il du préjugé qui fait de tous les juifs des prêteurs sans pudeur ? Rien qu’une calomnie de plus que nous pourrions réfuter plus au long si cette réfutation n’excédait le cadre de notre étude.
On ne s’étonnera pas d’apprendre quelle haute valeur R. Méir attribuait au serment. Pénétré de cet ordre de la Torah : מדבר שקר תרחק, « tu t’éloigneras de toute parole mensongère » [6], et de cet adage talmudique, si beau dans sa simplicité : חותמו של ה »ק »ב »ה אמת, « le sceau de Dieu est Vérité » [7], il ne pouvait admettre un seul instant qu’un homme pénétré de l’idée du devoir proférât un mensonge.
Le serment, d’après lui, pour être valable, n’a pas besoin d’être prononcé suivant les formules consacrées. Le témoin qui est adjuré de dire la vérité est croyable quelle que soit la formule employée par celui qui lui demande serment et quel que soit l’attribut de la Divinité invoqué. Celui qui blasphème est également puni, même quand il ne se sert dans ses imprécations que d’un attribut quelconque de Dieu. Ces deux opinions de notre docteur, dont l’une est la conséquence logique de l’autre et qui toutes deux font honneur au caractère de R. Méir, se trouvent consignées dans la Mischnah suivante :
משביעני (אני) עליכם …… הרי אלו חייבין: בשמים ובארץ הרי אלו פטורין: באלף דלת, ביוד הי, בשדי, בצבאות, בחנון ורחום, בארך אפים, ברב חסד, ובכל הכנויין הרי אלו חייבין המקלל בכולן חייב דברי רבי מאיר וחכמים פוטרין: המקלל אביו ואמו בכולן חייב דברי רבי מאיר:
Si quelqu’un dit à deux témoins : Je vous adjure, vous ordonne…, de dire la vérité suivant la formule inscrite dans la Loi, ces témoins sont punis si leur témoignage est reconnu faux. Si quelqu’un dit à deux témoins : Je vous adjure de dire la vérité en invoquant le ciel ou la terre, ces témoins ne sont pas punis si leur témoignage est reconnu faux. Si quelqu’un dit à deux témoins : Je vous adjure de dire la vérité en invoquant Aleph Daleth, Yod Hé [8], le Tout-Puissant, Zebaoth, le Bienfaisant, le Longanime, le Miséricordieux, ou tout autre attribut de Dieu, ces témoins sont punis si leur témoignage est reconnu faux. Celui qui blasphème en employant les attributs qui précèdent est puni. Telle est l’opinion de R. Méir. Les autres docteurs ne punissent pas un tel blasphème. Celui qui maudit son père ou sa mère en employant les attributs qui précèdent est puni. Telle est l’opinion de R. Méir [9].
Symmachos, disciple de R. Méir, n’imposait le serment que lorsqu’il y avait force majeure. Deux hommes qui se disputent la propriété d’une trouvaille, d’une somme d’argent quelconque, ne doivent jurer ni l’un ni l’autre. L’argent leur est partagé par voie d’arbitre : ממון המוטל בספק חולקין בלא שבועה (Baba Metzia, 3 a).
Pour notre docteur deux témoins sont toujours écoutés, et les négations de l’accusé ne font rien à la chose.
Lorsque deux témoins viennent dire à quelqu’un : Tu as mangé de la graisse par mégarde, et qu’il répond, c’est faux, les Chachamim le dispensent d’apporter un sacrifice ; mais R. Méir leur dit : « Comme deux témoins peuvent par leur déposition faire condamner un homme à mort, à plus forte raison pourront-ils le faire condamner à un sacrifice qui est une peine plus légère ! » (Ibid., 3 b.)
Notre docteur punit le faux serment avec la plus grande rigueur. Scrupuleux observateur de sa parole, il n’a aucune confiance en celui qui manque à la foi jurée, et, par analogie,
Il déclare suspect sous tous les rapports celui qui est suspect pour une seule chose :
חשוד על דבר אחד חשוד על כל התורה כולה:
Non seulement il condamne les faux témoins à la peine de Malkoth [10], mais il leur applique strictement le verset de l’Écriture : ועשיתם לו כאשר זמם, « vous le punirez de la peine à laquelle il voulait faire condamner son prochain » [11].
Des témoins qui viennent déposer contre un homme en disant qu’il doit deux cents souses sont condamnés, quand leur faux témoignage est reconnu, d’abord à Malkoth, ensuite à payer deux cents souses (זוז) d’amende, לוקין ומשלמין, parce que, dit R. Méir, ils commettent un double délit tombant sous la double application de la loi [12].
שלא השם המביאן לידי מכות מביאן לידי תשלומין, דברי רבי מאיר:
De même, quand ces faux témoins viennent accuser quelqu’un d’un délit entraînant la peine de Malkoth, il est juste de les condamner, quand leur faux témoignage est prouvé, à deux fois Malkoth, une fois, dit R. Méir, comme application du verset : « Vous le punirez de la peine à laquelle il voulait faire condamner son prochain », et une fois, pour avoir transgressé la défense du Décalogue : לא תעגה ברעך עד שקר, « tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain » [13].
Cette sévérité de R. Méir allait même plus loin pour tout ce qui concernait ces hautes questions de probité et d’honneur. Un acte répréhensible devait, d’après lui, être puni, et il n’avait pour l’auteur d’un méfait ni complaisances fâcheuses, ni accommodements de mauvais aloi. Aussi disait-il souvent :
כל החשוד על הדבר לא דנו ולא מעידו:
« Un homme suspect ne peut être ni témoin ni juge quand il s’agit de décider sur la chose même qui l’a rendu suspect » [14].
R. Méir fait preuve dans cette parole et d’un véritable sentiment de délicatesse et d’un grand respect pour la justice dont les décisions doivent, comme la femme de César, être à l’abri de tout soupçon. C’est, sous une autre forme, le principe moderne : On ne peut être à la fois juge et partie. Il est inutile de démontrer que, l’impartialité du juge étant facilement discutée, la sentence qu’il prononcerait le serait également. Aussi le principe de R. Méir est-il devenu la loi et la pierre angulaire de notre législation [15].
D’après ce qui précède, on ne sera pas étonné de cette autre décision de notre docteur au sujet d’un faux témoin, décision qui confirme en partie la jurisprudence moderne. Quiconque a été déclaré une seule fois עד זומם, faux témoin, est désormais indigne de toute confiance pour l’exécution des prescriptions de la loi : עד זומם פסול לכל התורה כולה [16].
Partant toujours du même principe et contrairement à l’opinion des Chachamim, R. Méir admet qu’un juge qui est apte à siéger dans une affaire criminelle peut également siéger dans une affaire civile ; mais si ce même juge, soupçonné de se prêter à des complaisances intéressées ou d’être d’une naissance illégitime, est inapte à siéger dans une affaire civile, il ne peut en aucun cas siéger dans une affaire criminelle [17] :
כל הראוי לדון דיני נפשות ראוי לדון דיני ממונות יש ראוי לדון דיני ממונות ואין ראוי לדון דיני נפשות:
Un autre dissentiment entre les חכמים et R. Méir porte sur les objets pour lesquels le serment judiciaire peut être déféré. D’après la jurisprudence talmudique, le serment est déféré à la partie adverse pour les biens meubles, et non pour les immeubles. Or R. Méir soutient, contrairement aux Chachamim, que les plantes, quoique attachées à la terre, doivent, au point de vue testimonial, être considérées comme biens meubles :
יש דברים שהן בקרקע ואנין כקרקע:
« Deux plaideurs, dit-il, sont, par exemple, devant le tribunal ; le demandeur prétend avoir livré dix pieds de vigne ; le défendeur, s’il prétend n’en avoir reçu que cinq, doit prêter serment, les plants devant être considérés comme biens meubles, étant transportables, comme eux [18]. »
Voici au sujet des plantes une autre discussion bien importante où intervient R. Méir :
« Lorsque deux jardins sont l’un au-dessus de l’autre, à quel propriétaire reviennent les légumes qui poussent entre les deux ? R. Méir dit, à celui qui possède le jardin du haut, car la terre qui est au milieu peut être considérée comme la suite du jardin supérieur. R. Jehoudah dit, au propriétaire du jardin inférieur, car ces légumes poussent grâce à la température d’en bas, bien qu’ils tirent leur sève de la terre d’en haut. R. Méir, à l’appui de son opinion, dit : Si le propriétaire du jardin d’en haut retirait la terre, il n’y aurait plus de légumes. — D’accord, répond R. Jehoudah ; mais le propriétaire du jardin inférieur pourrait élever le niveau de son jardin, et il n’y aurait plus de légumes non plus. — Eh bien ! puisque tous les deux propriétaires peuvent empêcher la venue des légumes, ils doivent appartenir, répond R. Méir, au jardin d’où ils tirent leur sève. Le Talmud conclut en disant comme R. Méir. La discussion, en effet, ne porte pas sur les légumes eux-mêmes pris d’après leur racine, mais d’après leurs branches et leurs feuilles. La racine, dans tous les cas, appartient au jardin supérieur ; les branches appartiennent, suivant leur direction, au jardin vers lequel elles se rapprochent le plus. » (Baba Metzia, 118 b et 116 a.)
R. Méir assimile la question de la lèpre à une cause judiciaire, et il fonde son opinion sur le verset où la Torah parle à la fois du tribunal et de la lèpre :
היה רבי מאיר אומר, מה תלמוד לומר ״על פיהם יהיה כל ריב וכל נגע״? וכי מה ענין ריבים אצל נגעים? אלא מקיש ריבים לנגעים: מה נגעים ביום, דכתיב ״וביום הראות בו״, אף ריבים ביום. ומה נגעים שלא בסומין, דכתיב ״לכל מראה עיני הכהן״, אף ריבים שלא בסומין. ומקיש נגעים לריבים: מה ריבים שלא בקרובים, אף נגעים שלא בקרובים. אי מה ריבים בשלשה – אף נגעים בשלשה? ודין הוא: ממונו בשלשה, גופו לא כל שכן? תלמוד לומר: ״והובא אל אהרן הכהן או אל אחד וגו׳״. הא למדת שאפילו כהן אחד רואה את הנגעים.
« R. Méir dit : Pourquoi la Torah réunit-elle dans le même verset les questions d’intérêt et les plaies de la lèpre ? Quel rapport entre ces deux choses ? C’est qu’elles ont en effet plusieurs points de ressemblance. Les plaies ne peuvent être inspectées que de jour, comme il est dit : « Le jour où il fera voir les plaies au Cohen » [19] ; de même les affaires judiciaires doivent être jugées pendant le jour. — Les plaies ne sauraient être visitées par un aveugle, puisqu’il est dit : « Selon ce qui apparaîtra aux yeux du Cohen » [20] ; de même les affaires judiciaires ne peuvent être jugées par des aveugles. — Dans les affaires judiciaires, les juges ne peuvent être parents d’aucune partie ; de même pour les plaies, le Cohen visiteur ne doit avoir aucun lien de parenté avec le malade. — Nous aurions pu croire que l’analogie se poursuit : les affaires judiciaires exigent trois juges, de même il faudrait trois prêtres pour visiter les plaies, ce qui serait logique. Du moment qu’il faut trois personnes quand il s’agit d’une affaire d’argent, n’en faut-il pas trois aussi quand il s’agit de notre corps ? — Non, car il est écrit au sujet des plaies : « Et on amènera le lépreux à Aron, le prêtre, ou à l’un des prêtres » [21]. Ce qui prouve qu’un seul Cohen peut statuer sur le cas de lèpre, tandis que pour les contestations judiciaires trois juges sont nécessaires [22].
Les questions de dépôt et de garde prêtent à mille interprétations, et voici une des solutions de R. Méir dans la matière. Si quelqu’un met en dépôt chez un banquier de l’argent renfermé dans un sac fermé et cacheté, le banquier, d’une part, ne peut en disposer ; mais, d’autre part, il n’est pas responsable en cas de perte. Si au contraire le banquier reçoit en dépôt une somme d’argent de la main à la main, et que cette somme ne soit pas renfermée dans un sac, d’une part, il peut en disposer et, d’autre part, il est responsable en cas de perte. Si un particulier reçoit en dépôt de l’argent, qu’il soit ou non renfermé dans un sac, il ne peut en disposer et n’est pas responsable en cas de perte. R. Jehoudah, ayant voulu assimiler un commerçant ordinaire au banquier, חנוני כשולחני, et le déclarer responsable dans le cas de dépôt libre avec faculté de disposer de l’argent pour les besoins de son commerce, R. Méir parvint à faire triompher l’opinion contraire et à faire décider que tout commerçant, du moment qu’il n’est pas banquier, est assimilé à un simple particulier et qu’il lui est défendu de disposer de l’argent confié, qu’il soit renfermé dans un sac ou non, et, par conséquent, aussi dispensé de toute responsabilité en cas de perte [23].
D’ailleurs, dans toutes ces questions R. Méir penche toujours en faveur du droit absolu. C’est son disciple Symmachos qui se charge de nous renseigner à cet égard : « Si quelqu’un loue une bête pour porter une certaine charge, il ne peut pas dépasser le poids mentionné dans le contrat de louage. S’il le fait et que la bête meure par suite de cet excès de charge, le propriétaire doit être indemnisé [24]. »
D’après le droit talmudique, celui qui trouve un objet doit chercher à remettre cet objet à son légitime propriétaire. Cette obligation est tirée du précepte de la Torah qui ordonne à celui qui trouve le bœuf ou l’âne de son voisin de les lui rendre. R. Méir, lui, ne s’en tient pas à la lettre sèche du texte ; il exige que celui qui a trouvé un objet le fasse publier jusqu’au jour où la trouvaille sera de notoriété publique [25].
ועד מתי חייב להכריז? עד כדי שידעו בו שכניו:
Ceci démontre comment les rabbins savaient interpréter la lettre du texte sacré, et avec quel esprit de rigueur ils savaient le faire quand il s’agissait de probité et de morale. C’est précisément pour n’être pas lié par un texte insuffisant qu’ils vont au-delà de la parole, mais jamais de la pensée du divin législateur.
Nous avons vu plus haut que les juges ne peuvent être parents d’aucune des parties ; mais, voulant toujours favoriser les plaideurs, R. Méir leur permet même de récuser, à leur choix, tout arbitre qu’ils auraient accepté primitivement, pourvu que ce juge ne soit pas un Daiyan, membre d’un tribunal établi.
Voici le texte de la Mischnah :
אומר נאמן עלי אבא נאמן עלי אביך נאמנים עלי שלשה רועי בקר רבי מאיר אמור יכול לחזור בו:
« Celui qui dit : J’accepte comme arbitre mon père, ton père ou ces trois bergers, peut toujours revenir sur sa décision », d’après R. Méir [26].
R. Méir déclare aussi que celui à qui le serment judiciaire est déféré et qui emploie avec l’autorisation de la partie adverse une formule non consacrée par la loi, le serment ainsi prêté est considéré comme nul et non avenu si l’adversaire exige ensuite un serment véritable : חייב לחבירו שבועה ואמר ליה דור לי בחיי ראשך רבי מאיר אומר יכול לחזור בו, « Celui qui doit prêter serment et auquel son adversaire dit : Jure-moi sur ta tête, l’adversaire peut revenir sur sa parole et exiger un véritable serment », d’après R. Méir [27].
Dans la question des hypothèques, voici un des principes de R. Méir : שטר שאין בו אחריות נכסים גובה לא ממשעבדי ולא מבני חורין, « toute créance qui ne mentionne pas expressément une hypothèque en faveur du créancier ne peut jamais servir à faire mettre en vente les biens du débiteur. »
On sait que les דיני נפשות, causes criminelles, ne pouvaient être jugées que par des tribunaux de vingt-trois membres, répondant à nos cours d’assises. Le nombre de ces tribunaux était très restreint.
Dans le but de faciliter à la justice une prompte répression du délit et de procurer aux intéressés un tribunal voisin de leur demeure, R. Méir décida que les accusés de viol, de séduction ou de diffamation, seraient jugés par les tribunaux civils établis dans chaque localité et qui pouvaient connaître l’affaire, puisque ces causes, d’ordinaire, se terminent presque toujours par une indemnité pécuniaire [28]. ואונס המפתה והמוציא שם רע בג׳.
D’ailleurs, pour faciliter aux lecteurs peu familiarisés avec le Talmud ce qui précède et pour éclaircir plusieurs opinions de notre docteur, que nous aurons dans la suite l’occasion de rapporter, nous allons rapidement esquisser un tableau de l’organisation judiciaire du Talmud telle que l’a laissée R. Méir.
Le tribunal civil se compose de trois juges. Deux désignés par les plaideurs, et le troisième nommé par les deux premiers juges. Ce dernier préside la cause et son avis est prépondérant.
דיני ממונות בג׳ זה בורר לו אחד וזה בורר לו אחד ושניהם בוררים להם עוד אחד דברי ר׳ מאיר:
R. Méir admet, en outre, que chacune des parties peut récuser le juge choisi par l’autre partie. Il va sans dire que cette récusation ne peut avoir lieu que lorsqu’elle est basée sur des motifs sérieux.
זה פוסל דייניו של זה וזה פוסל דייניו של זה דברי ר׳ מאיר:
Ce qui est vrai pour les juges, l’est aussi pour les témoins qui peuvent toujours, sur des motifs valables, être récusés.
[29]זה פוסל דייניו של זה וזה פוסל דייניו של זה דברי ר׳ מאיר:
C’est là une mesure juste qui garantit l’indépendance de la magistrature et enlève aux plaideurs toute possibilité de récriminer contre la sentence, une fois la cause jugée.
Les tribunaux de vingt-trois membres pouvaient seuls appliquer les quatre genres de mort mentionnés dans le Talmud : Serépha, Sekilah, Hérègh et Chénèk.
La Serépha, ou la peine du feu, consistait à verser dans la bouche du condamné du plomb fondu [30] ; pendant toute la durée de notre histoire nationale, nous ne voyons pas que ce supplice ait été appliqué une seule fois [31]. Il était d’ailleurs principalement réservé à la fille du prêtre qui avait oublié ses devoirs d’épouse et méconnu ce qu’elle devait à la race sacerdotale [32].
Quiconque connaît la pureté de nos mœurs sait très bien qu’un pareil cas ne pouvait se produire que dans cette famille iduméenne des Hérodes, plante exotique, violemment greffée sur le tronc si pur des Asmonéens, ces libérateurs de la patrie et du culte, et dont les nobles traditions ne lui ont pas survécu.
Mais, lorsque cette famille vint s’imposer à la Palestine, les Romains avaient déjà enlevé aux Juifs le droit de prononcer la peine de mort, et la preuve de cette assertion, c’est le genre de supplice auquel fut condamné le fondateur de la religion chrétienne, le contemporain d’Hérode, Jésus de Nazareth.
Le crucifiement est un supplice essentiellement romain et qu’un tribunal juif n’eût pu édicter. Cette seule considération fait ainsi tomber la ridicule appellation de déicides, qui pendant si longtemps a été la cause de persécutions cruelles, de malheurs immérités et dont nous subissons encore, dans bien des pays, les injustes conséquences.
La Sekilah, ou la lapidation, se faisait de la manière suivante : Le condamné était placé sur le bord d’une terrasse assez élevée, et dont on avait enlevé la balustrade obligatoire [33].
De là, le patient, à qui on avait bandé les yeux, était poussé dans le vide ; il était très rare qu’il ne fût pas mort en touchant le sol. Les témoins dont la déposition avait causé la mort de l’accusé jetaient sur lui les premières pierres, le lapidaient ; puis les assistants les imitaient, lançaient des pierres, et en formaient un monceau (גל) qui cachait le cadavre à tous les yeux.
Ce genre de supplice, affecté à différentes transgressions, était spécialement réservé aux violateurs du sabbat et au fils rebelle qui avait méconnu l’autorité paternelle [34] : בן סורר ומורה.
Lorsque le fondateur du christianisme disait : Que celui d’entre vous qui n’a point péché lui jette la première pierre (Évangile selon saint Jean, VIII, 7), il faisait évidemment allusion à la première pierre que le témoin devait lancer à la victime.
Le Hérègh, ou la décollation, se faisait de la manière suivante : Le condamné était attaché à un poteau ; on lui bandait les yeux, et, avec un glaive, on lui tranchait la tête. Ce supplice, le moins barbare de tous, est appliqué, d’après le Talmud, dans toutes les occasions où il est dit : « Il mourra », sans préciser le genre de mort.
Le Chénêk [35] enfin, ou strangulation, se pratiquait de la manière suivante : Deux hommes se plaçaient l’un à droite, l’autre à gauche du condamné. Celui-ci était enfoncé dans un trou jusqu’aux épaules. Une pièce de toile très solide était enroulée autour du cou du patient qui, comme dans les autres genres de supplices, avait les yeux bandés.
La mort s’obtenait ainsi par les deux bourreaux qui tiraient chacun de leur côté. Le cadavre était ensuite pendu à un bois de justice (עץ) où il restait exposé jusqu’au coucher du soleil. À ce moment on l’enlevait et on l’enterrait suivant l’ordre de Moïse : « Ce cadavre, tu ne le laisseras pas exposé pendant la nuit » [36] : לא תלין נבלתו על העץ.
Pour expliquer pourquoi le cadavre du pendu ne devait pas rester exposé, R. Méir se sert d’une ingénieuse allégorie :
משל למה הדבר דומה:
C’est comme s’il s’agissait de deux frères jumeaux demeurant dans la même ville (ils se ressemblent tous deux, et l’homme lui aussi a été créé à l’image de Dieu). L’un est proclamé roi, l’autre se livre au brigandage, est pris, condamné et exécuté. La foule, à la vue du cadavre, s’écrie : « Tiens, le roi qui est pendu ! » Le roi alors ordonne de faire disparaître le cadavre. (V. Synhédrin, 16 a et b.)
Malgré l’apparente prodigalité avec laquelle nous rencontrons la peine de mort dans les livres mosaïques, il est certain que dans la pratique elle n’était appliquée qu’avec la plus grande circonspection et dans des cas excessivement rares. Nous n’en voulons d’autre preuve que cette assertion talmudique qui nous apprend qu’un tribunal qui prononce la peine de mort une fois en soixante-dix ans est flétri du nom de tribunal sanguinaire, רצחנים.
Ceci démontre jusqu’à l’évidence combien grand était chez nos ancêtres le respect de la vie humaine. En outre, les tribunaux juifs connaissaient déjà cette fameuse théorie des circonstances atténuantes ; ils la mettaient en pratique, devançant ainsi de dix-huit siècles notre législation moderne [37] ; ils exigeaient de plus le commencement de l’application de la peine par les témoins accusateurs, ils adoucissaient les derniers moments du condamné, et s’entouraient, avant de prononcer la sentence, de précautions plus scrupuleuses les unes que les autres, et qu’il serait très intéressant de mettre sous les yeux du lecteur.
Malheureusement le cadre et la nature de ce travail ne comportent pas cette longue énumération, dont le traité Synhédrin parle d’une façon si explicite.
Après avoir montré l’autorité de R. Méir dans la jurisprudence civile, nous désirons, d’ailleurs, entrer avec notre docteur dans le domaine religieux qui, lui aussi, fait partie d’un fief régi et gouverné par les principes de R. Méir. Rappelons seulement, en terminant, qu’au-dessus des tribunaux civils et criminels dont nous venons de parler, la Judée possédait un tribunal de soixante et onze membres siégeant à Jérusalem. Cour suprême pour tout l’État judaïque, ce tribunal jugeait toutes les affaires importantes ; il décidait de la paix ou de la guerre, appelait à sa barre le grand prêtre qui avait failli, etc., et l’on ne peut mieux comparer les attributions du Synhédrin qu’à celles du Parlement de Paris dans les quatre premiers siècles de la monarchie capétienne [38].
[1] Baba Bathra, 138 b
[2] Loc. cit., 170 a.
[3] V. Exode, XXI, 26-27.
[4] Jalkout, Exode.
[5] Baba Kamah, 30 b.
[6] Exode, XXIII, 7.
[7] Joma, 69 b ; Schabbath, 55 a, et Synhédrin, 64 a.
[8] Le nom de la Divinité, que nous prononçons Adonaï, s’écrit de deux manières, par Aleph Daleth ( אדוני) et par Yod Hé (יהוה).
[9] Scheboouth, 35 a.
[10] Trente-neuf coups de nerf de bœuf.
[11] Deutéronome, XIX, 19.
[12] Makoth, 4 a.
[13] Makoth, 4 a.
[14] Bechoroth, 35 b.
[15] C’est sans doute aussi parce que l’homme est responsable de toutes ses actions publiques ou privées, que R. Méir considère comme nuls les actes, les contrats faits par des mineurs ou des infirmes (sourds-muets, etc.). (V. Jebamoth, 105 a et b.)
[16] Synhédrin, 27 a. Le Talmud pourtant ne conclut pas avec cette sévérité. Un faux témoin n’est pas indigne de confiance dans l’exécution des autres prescriptions de la Torah. Le contradicteur de R. Méir est ici R. José, et chaque fois que ces deux docteurs discutent sur un point de doctrine, l’on suit toujours l’opinion de R. José : ר׳ מאיר ור׳ יוסי הלכה כר׳ יוסי (Ibid., a et b).
[17] Synhédrin, 27 b. V. aussi Nidah, 49 b. Cette dernière Mischna est de R. Méir.
[18] Synhédrin, 15 a.
[19] Lévitique, XIII, 14.
[20] Lévitique, XIII, 13.
[21] Lévitique, XIII, 2.
[22] Synhédrin, 34 b. Le simple aveu suffit aussi. Le signataire d’un acte quelconque reconnaît-il sa signature, il est inutile, d’après R. Méir, de légaliser cet acte : םודה בשטר שכתבו אינו צריך לקיימו (Baba Bathra, 154 b.)
[23] Baba Metzia, 43 a.
[24] Baba Metzia, 80 a. C’est en se basant sur le même principe que R. Méir dit : « Si quelqu’un vend à un autre un vignoble, il lui vend en même temps tous les instruments, tous les outils qui se trouvaient dans le vignoble. (B. Bathra, 66 b) ; « Si quelqu’un achète deux arbres dans le champ de son voisin, il achète en même temps la terre ; le sol dans lequel ils sont plantés. » (Ibid., 81 a.)
[25] Baba Metzia, 28 a. Mais des objets de peu d’importance, et que l’on ne peut reconnaître, comme des fruits disséminés sur la route, de la petite monnaie, etc., lui appartiennent dès qu’il les a trouvés, et il n’a pas besoin de les publier. (Ibid., 21 a.)
[26] Synhédrin, 24 a.
[27] Synhédrin, 24a. Il est à remarquer qu’il n’y a aucune contradiction entre cette opinion et celle émise plus haut au sujet de la formule du serment. Dans le premier cas le serment est valable, quelle que soit la formule adoptée, parce que celui qui jure ne revient pas sur son serment.
[28] Synhédrin, 2 a.
[29] Synhédrin, 23 a.
[30] Loc. cit., 52 a.
[31] Le Talmud (loc. cit.) mentionne un fait de ce genre qui se serait passé pendant l’enfance de R. Eliezer ben Zadok.
[32] Lévitique, XX, 14, et XXI, 9.
[33] On sait en effet que la Torah oblige le propriétaire à faire établir une balustrade autour de la terrasse de sa maison pour éviter tout accident. (Deutéronome, XXII, 8.)
[34] Deutéronome, XXI, 18 et sq.
[35] V. plus loin, page 88.
[36] De plus, les cadavres des suppliciés, d’après R. Méir, n’étaient pas enterrés dans le caveau de leur famille. Il y avait deux cimetières distincts pour les condamnés : l’un pour ceux qui mouraient par le glaive et par la corde, l’autre pour ceux qui mouraient par la pierre et par le feu.
אחת לנהרגין ולנחנקין ואחת לנסקלין ולנשרפין:.
Lorsque plus tard la chair entrait en décomposition, on recueillait leurs ossements, et seulement alors ils étaient réunis aux ossements de leurs ancêtres.
[37] V. plus loin, pages 101.
[38] V. Synhédrin, 1re Mischnah.
Source : Un Tanah : Étude sur la vie et d’enseignement d’un docteur Juif du IIe siècle. Raphaël Lévy. Paris, éditions Maisonneuve, 1883. [Version originale numérisée : Bibliothèque numérique de l’AIU]