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Traité de Logique de Maïmonide | מילות הגיון
La Logique au service du Talmud par Moïse Ventura
Appendice au Chapitre 8
Traduction Moïse Ventura (1935)
Ainsi que nous l’avons annoncé dans notre Introduction, nous essaierons de donner ici au lecteur talmudiste, quelques indications portant sur les rapports des théories logiques et des règles herméneutiques [1].
Nous étudierons successivement l’usage que le Talmud fait : 1) du Syllogisme ; 2) du Raisonnement par l’absurde ; 3) du Raisonnement a fortiori ; 4) de l’Induction ; et 5) de l’Analogie.
Sommaire
Toggle1. Le syllogisme
Nous avons vu l’exemple donné par Al-Farabi du Syllogisme employé en matière juridique :
Tout vin est prohibé
Le contenu de ce vase, c’est du vin
________________
Le contenu de ce vase est prohibé [2].
Rien de plus simple que de mettre sous forme de Syllogisme les nombreux raisonnements talmudiques où il s’agit de déduire d’une loi générale, une loi particulière.
En voici un exemple :
Une loi talmudique générale veut que la femme soit exempte de tout précepte positif (מצות עשה) qui n’est praticable que périodiquement, à certains moments de la journée, ou à certains jours de l’année (שהזמן גרמא).[3].
Or, la lecture du Chema, la profession de foi israélite, est un précepte positif qui doit avoir lieu à certains moments de la journée [4].
Donc la femme est exempte de la lecture du Chema.
כל מצות עשה שהזמן גרמא נשים פטורות | Majeure |
קריאת שמע היא מצות עשה שהזמן גרמא | Mineure |
נשים פטורות מקריאת שמע | Conclusion |
2. Le raisonnement par l’absurde
Le Talmud fait usage du raisonnement par l’absurde, chaque fois qu’il emploie les expressions :
דאי לא תימא הכי… קשיא ! |
« Si tu ne dis pas ainsi, il y aurait une objection ! » |
דאי פליגא דעתך… קשיא ! |
« Si tu penses autrement, il y aurait une objection ! » |
L’exemple suivant est tiré de la Mishna où il ne peut pas être question de l’emploi de telles expressions.
L’homme, disent les docteurs, est responsable des dégâts causés par son bœuf ou par son âne ; mais non pas de ceux causés par son propre esclave.
A l’objection faite contre cette loi par les Saducéens, les Pharisiens répondent ceci :
Supposez que je sois responsable des dégâts causés par mon esclave ; celui-ci, étant un être doué de raison, le jour où je l’aurais indisposé, mettrait le feu au blé de mon voisin et m’obligerait à payer !
De l’absurdité de la conséquence on induit l’absurdité de la prémisse.
אם אמרו בשורי וחמורי שאין בהם דעת (שהוא חיב לשלם) תאמרי בעבד ואמה שיש בהם דעת, שאם אקניטנו ירק וידלים גרישו של אחר ואהא חיב לשלם! (משנה ידים ד’ ו’).
3. Le raisonnement a fortiori קל וחומר
Maimonide n’a pas fait mention dans son traité, du raisonnement a fortiori, mais à la fin du huitième chapitre [5], il parle de l’Enthymème auquel se rattache le raisonnement en question.
C’est, dira M. Lalande [6], un enthymème qui suppose une prémisse analogue à celle-ci : « Qui peut le plus peut le moins ».
Les docteurs du Talmud ont désigné ce raisonnement par le nom de Kal vahomer (קל וחמר) ce qui signifie léger et lourd, faible et fort ou bien encore le moins et le plus.
Il consiste à étendre une restriction qui, dans la Loi, est explicitement appliquée à un cas relativement peu important (קל), à un autre qui est d’une importance plus considérable (חמר).
Ainsi, étant donné que la sainteté du Sabbath est plus grande que celle des fêtes religieuses de l’année, il est logique que tout travail interdit, par la Thora, les jours des fêtes, le soit a fortiori le jour du Sabbath :
כל אלו בי »ט אמרו קל וחמר בשבת (משנה ביצה ה’ ב’)
On peut aussi, par le même raisonnement, établir que tout ce qui est permis de faire le Sabbath, l’est, a fortiori, les jours des fêtes.
Les docteurs du Talmud ont donné comme exemple, le passage suivant des Nombres, où la Thora fait usage du raisonnement a fortiori.
Miriam ayant médit de Moïse, Dieu, pour la punir, la couvrit de lèpre. Bientôt Moïse intercède en faveur de sa sœur, mais il reçoit cette réponse :
Si son père lui avait craché au visage, n’en serait-elle pas mortifiée durant sept jours ?
(A fortiori lorsqu’il s’agit de Dieu, qui peut le plus peut le moins) :
Qu’elle soit donc séquestrée sept jours hors du camp et ensuite elle y sera admise. (Nombres XII, 14).
L’examen de l’exemple cité a permis aux docteurs du Talmud d’en induire une règle qui est d’une importance capitale en matière de droit pénal.
Vu la gravité du cas, Miriam aurait dû être séquestrée quatorze jours plutôt que sept. Si elle ne l’a été que sept jours, c’est que la loi dérivée par un raisonnement à fortiori, ne doit pas dépasser en sévérité celle dont elle dérive.
Le Talmud appelant la loi dérivée : בא מן הדין et la loi dont elle dérive : דין, formule cette règle comme suit :
דיו לבא מן הדין להיות כנדון
« Il suffit que la loi dérivée ait autant d’étendue que la loi dont elle dérive ».
ולא תכלם שבעת ימים וחמר לשכינה ארבעה עשר אלא דיו לבא מן הדין להיות כנדון (כתרא קיא עא).
Nous restons ici dans les limites de la Logique formelle qui veut que la conclusion d’un syllogisme ne soit pas plus étendue que ses prémisses.
4. L’induction בנין אב
L’induction, avons-nous dit, d’après Aristote, c’est l’opération mentale qui fait passer du particulier à l’universel, le chemin qui mène au principe [7].
Les docteurs du Talmud ont nommé cette opération Binian av (בנין אב) construction du principe.
Grâce à cette opération, ils établiront des lois générales induites de lois particulières.
En voici un exemple :
L’Écriture dit : Si un homme blesse l’œil de son esclave ou de sa servante, de manière à lui en ôter l’usage, il le renverra libre à cause de son œil ; et s’il fait tomber une dent à son esclave ou à sa servante, il lui rendra sa liberté, à cause de sa dent. (Exode XXI, 26-27).
Une opération synthétique permettra aux docteurs du Talmud d’induire de ces deux lois particulières, une loi générale.
L’œil et la dent, disent-ils, ont certains caractères communs : ils sont visibles, leur perte est irréparable. La loi s’étend donc à tous les principaux membres du corps qui ont ces mêmes caractères :
תנא יוצא בשן ועין וראשי אברים שאינן חוזרים בשלמא שן ועין כתיבי אלא ראשי אברים מנלן דומיא דשן ועין מה שן ועין מומין שבגלוי ואין חוזרין אף כל מומין שבגלוי ואין חוזרין (קדושין כד עא)
5. L’analogie מה מצינו, הקש, גזרה שוה
Nous avons vu comment Maïmonide définit l’Analogie ((הקש ההמשל). Lorsque l’un des deux objets qui se ressemblent par un certain trait, possède un attribut quelconque, inaperçu dans l’autre, nous affirmons de ce dernier, le même attribut.
En matière juridique, il s’agirait d’étendre une loi qui concerne un certain cas, à un autre, par suite de la ressemblance des deux cas.
Jusqu’ici, il s’agit d’une ressemblance réelle. Mais le Talmud conclut aussi par analogie d’un cas à un autre, quand il n’y a entre eux qu’un simple rapport d’expression.
D’où deux sortes d’analogie dans le Talmud : 1) une analogie réelle qui s’exprime par les termes מה מצינו Ce que nous trouvons (dans un cas, nous l’appliquons à l’autre) et 2) une analogie formelle reposant sur un rapport d’expression et que le Talmud nomme, suivant les cas, הקש ou גזרה שוה.
Les détails de ces raisonnements dépassent le cadre de cet ouvrage. Nous renvoyons le lecteur, à cet effet, aux travaux consacrés à ce sujet [8].
Notes
[1] Voir notre Introduction, pages 23-24.
[2] A la fin du septième chapitre, en note.
[3] Voir Babil Kiddûchin 29 a.
[4] Voir Babli Berakhot 20 b.
[5] Voir plus haut page 72.
[6] Vocabulaire technique et critique de la philosophie art. a fortiori.
[7] Voir plus haut page 64.
[8] Voir plus haut page 23, Note 39.
Maïmonide. Makala Fi Sana’at Al-Mantik. מילות הגיון. Terminologie Logique. Edition critique par Moïse Ventura. Librairie Lipschutz, Paris, 1935.[Version numérisée : Alliance israélite universelle].