Traité de Logique de Maïmonide | מילות הגיון

Chapitre 7

Traduction Moïse Ventura (1935)


Il résulte de ce qui précède que le rapport qui lie les deux prémisses d’un syllogisme peut se présenter sous une des trois formes suivantes :

1°) Le moyen terme est sujet dans l’une des prémisses (la majeure) ; prédicat dans l’autre (la mineure). Tel est le cas de l’exemple précité :

Tout animal est sensible
Tout homme est animal.

L’assemblage de prémisses dont les éléments sont ainsi disposés constitue ce que nous appelons la première figure du syllogisme.

2°) Le moyen terme est prédicat dans les deux prémisses. Ex. :

Nulle pierre n’est animal
Tout homme est animal.

L’assemblage de prémisses dont les éléments sont ainsi disposés constitue ce que nous appelons la deuxième figure du syllogisme.

3°) Le moyen terme, enfin, est sujet dans les deux prémisses. Ex. :

Quelques animaux sont blancs,
Tout animal est sensible.

L’assemblage des prémisses dont les éléments sont ainsi disposés constitue ce que nous appelons la troisième figure du syllogisme.

Les figures du syllogisme sont donc au nombre de trois[1]. Il importe de noter que n’importe quel assemblage de deux propositions, liées entre elles par le moyen terme, sous une des trois formes ci-dessus signalées, n’implique pas nécessairement un syllogisme légitime ; cela dépend de certaines règles spéciales.

En effet, chaque figure de syllogisme pourrait donner lieu à trente-six combinaisons[2] et l’ensemble des trois figures comporterait ainsi cent huit combinaisons[3]. En fait, les combinaisons qui concluent et qui, par conséquent, forment des syllogismes légitimes, ne sont qu’au nombre de quatorze dont chacune est qualifiée de mode.

Parmi les quatorze modes quatre appartiennent à la première figure ; quatre à la deuxième ; et six à la troisième [4].

Ces modes ont été déjà formulés de telle sorte que tu peux identifier chaque syllogisme en disant p. ex. celui-ci est du quatrième mode, de la première figure ; celui-là, du troisième mode, de la deuxième figure ; et tel autre enfin du cinquième mode, de la troisième figure.

Explication hors du traité [5]

Dans la première figure la majeure doit être universelle ; la mineure affirmative. La conclusion peut être universelle aussi.

La deuxième figure s’accorde avec la première quant à la quantité ; elle s’en sépare, quant à la qualité. Cela concerne à la fois les prémisses et la conclusion.

Je dis qu’il y a accord quant à la quantité dans les prémisses, dans ce sens que la deuxième figure conserve l’ordre de l’universalité, c’est-à-dire que la majeure est toujours universelle, comme dans la première figure.

Je dis qu’il y a le même accord dans la conclusion : celle-ci pouvant être universelle aussi, comme dans la première figure.

Je dis que la deuxième se sépare de la première quant à la qualité. En effet, la deuxième figure a un avantage sur la première dans ce sens que la mineure dans la deu­xième ne doit pas être uniquement affirmative ; par contre, elle a un désavantage, par rapport à la pre­mière, dans ce sens que la conclu­sion de la deuxième n’est jamais affirmative.

La troisième figure s’accorde avec la première, quant à la quali­té, et s’en sépare, quant à la quan­tité. Cela concerne à la fois les prémisses et la conclusion.

Je dis qu’il y a accord, quant à la qualité, dans les prémisses, dans ce sens que la troisième conserve l’ordre de l’affirmation, c’est-à-di­re que la mineure est nécessai­rement affirmative.

Je dis qu’il y a le même accord dans la conclusion : celle-ci pou­vant être affirmative aussi.

Je dis qu’il y a désaccord quant à la quantité dans le sens que la troisième figure a un avantage sur la première : la majeure de celle-là ne devant pas être uniquement uni­verselle. Par contre, la troisième a le désavantage relatif de ne pas pouvoir fournir de conclusion uni­verselle.

La deuxième et la troisième fi­gures sont opposées quant à la quantité et quant à la qualité. J’en­tends par là que la deuxième con­serve l’ordre de l’universalité, et non pas l’ordre de l’affirmation. La conclusion peut être universelle aussi, mais jamais affirmative. Dans la troisième figure, c’est le contraire qui a lieu : elle conserve l’ordre de l’affirmation, mais non pas celui de l’universalité.

La conclusion peut être affirmative aussi ; mais jamais universelle.

D’une manière générale : la deuxième figure ne conserve pas l’ordre de l’affirmation et ne l’engendre point ; la troisième ne conserve pas l’ordre de l’universalité et ne l’engendre point [6].

Les syllogismes légitimes de la première figure se présentent sous quatre formes ; le moyen terme étant sujet dans une prémisse, prédicat dans l’autre.

  1. Tout B est A
    Tout C est B
    ________________
    Tout C est A [7]

  2. Nul B n’est A
    Tout C est B
    ________________
    Nul C n’est A [8]

  3. Tout B est A
    Quelques C sont B
    ________________
    Quelques C sont A [9]

  4. Nul B n’est A
    Quelques C sont B
    ________________
    Quelques C ne sont pas A [10]

Les syllogismes légitimes de la deuxième figure se présentent également sous quatre formes ; le moyen terme étant prédicat dans les deux prémisses.

  1. Nul A n’est B
    Tout C est B
    _____________________
    Nul C n’est A [11]
  2. Tout A est B
    Nul C n’est B
    ________________
    Nul C n’est A [12]
  3. Nul A n’est B
    Quelques C sont B
    ________________
    Quelques C ne sont pas A [13]
  4. Tout A est B
    Quelques C ne sont pas B
    ________________
    Quelques C ne sont pas A [14]

Les syllogismes légitimes de la troisième figure se présentent sous six formes. Le moyen terme étant sujet dans les deux prémisses.

    1. Tout B est A
      Tout B est C
      ________________
      Quelques C sont A [15].

    2. Nul B n’est A
      Tout B est
      ________________
      Quelques C ne sont pas A [16].

    3. Tout B est A
      Quelques B sont C
      ________________
      Quelques C sont A [17].

    4. Quelques B sont A
      Tout B est C
      ________________
      Quelques C sont A [18].

    5. Nul B n’est A
      Quelques B sont C
      ________________
      Quelques C ne sont pas A [19].

    6. Quelques B ne sont pas A
      Tout B est C
      ________________
      Quelques C ne sont pas A [20].

Jusqu’ici hors du traité

Toutes les combinaisons autres que ces quatorze, à savoir : les quatre-vingt-quatorze qui restent ne sont point de syllogismes, parce qu’elles ne sont pas concluantes. [21]

Quant à la démonstration de ce qui fait que ces quatre-vingt-quatorze modes sont rejetés et que les quatorze sont maintenus, ainsi que les détails de ces derniers ; cela occupe une importante place dans la Logique, mais n’entre pas dans le cadre de ce traité.

Les quatorze modes en question sont dits des syllogismes catégoriques [22]. Quant aux syllogismes hypothétiques, ils sont de deux sortes : l’hypothétique conjonctif et l’hypothétique disjonctif.

Ex. du syllogisme hypothétique conjonctif :

Si le soleil se lève, il fait jour ; puis nous ajoutons : or, le soleil se lève. Donc il fait jour. Tout raisonnement ainsi conçu est un hypothétique conjonctif.

Ex. de l’hypothétique disjonctif :
Ce nombre est pair ou impair ; ou bien cette eau est chaude, froide ou tiède. Puis nous disons à propos du premier exemple : or, ce nombre est pair, donc il n’est pas impair. Ou bien, à propos du deuxième exemple : or, cette eau est chaude ; donc elle n’est ni froide ni tiède.

Tout raisonnement ainsi conçu est un hypothétique disjonctif.

Les syllogismes hypothétiques qui concluent se divisent en cinq modes dont les deux comportent des hypothétiques conjonctifs et les trois des hypothétiques disjonctifs. Mais la démonstration et les exemples de ce genre de raisonnement n’entrent pas dans le cadre de ce traité.[23]

Les logiciens ont un autre genre de raisonnement qu’ils appellent le raisonnement par l’absurde. Voici en quoi il consiste : lorsque, voulant démontrer une proposition, nous recourons à un des modes du syllogisme catégorique qui conclut à l’assertion que nous avons voulu démontrer, nous usons d’une démonstration syllogistique directe. Par contre, nous pouvons démontrer cette même proposition par une autre voie, à savoir : nous commençons par admettre, par hypothèse, la proposition contradictoire à celle qu’il s’agit de démontrer ; puis, ayant prouvé par un syllogisme l’absurdité de cette hypothèse, nous en déduisons que la contradictoire à celle-ci, c’est-à-dire : la proposition initiale, celle que nous voulions prouver est nécessairement vraie [24]. Un tel argument qui démontre l’absurdité de la proposition contradictoire à celle qu’il s’agit de démontrer est un raisonnement par l’absurde [25].

Nous avons un autre genre de raisonnement que nous appelons l’induction. Il consiste à partir de quelques assertions particulières, admises comme vraies par expérience, pour aboutir à une proposition générale dont on pourrait faire une prémisse de syllogisme [26].

Nous avons un autre genre de raisonnement encore que nous appelons l’analogie. Il consiste en ceci : lorsque l’un de deux objets qui se ressemblent par un certain trait possède un attribut quelconque, inapercçu dans l’autre, nous affirmons de ce dernier le même attribut.

P. ex. supposez que l’on demande si le ciel est un objet créé. Nous disons : oui, preuve que le ciel est un corps et que le mur est un corps. Or le mur est un objet qui a été fait, il en est de même du ciel. Un tel raisonnement s’appelle analogie.

Mais si nous démontrons ce fait en étendant notre recherche à tous ou à la plupart des corps soumis au devenir et que, les ayant trouvés façonnés, créés, nous appliquons le même attribut au ciel, nous faisons dans ce cas une induction. Ex. Nous entendons par corps, l’armoire, la chaise, la lampe et tous les objets qui leur ressemblent. Ils sont tous faits. Or, le ciel entre aussi dans la catégorie des corps. Donc il est aussi créé. Cela s’appelle une induction [27].

Il est enfin une catégorie de raisonnements que l’on intitule juridiques [28] et qui ne peuvent pas être ici traités.

Les termes interprétés dans ce chapitre sont au nombre de douze :
la première figure du syllogisme, la deuxième ibid, la troisième ibid, les modes des figures du syllogisme, les syllogismes catégoriques, les syllogismes hypothétiques, l’hypothétique conjonctif, l’hypothétique disjonctif, le syllogisme catégorique direct,
le raisonnement par l’absurde, l’induction, l’analogie.


Notes

[1] En prenant B comme moyen terme, on pourrait formuler les trois figures syllogistiques de la manière suivante : (abstraction faite de la qualité des propositions).

1ère Fig. 2e Fig. 3e Fig.
B = A
C = B
A = B
C = B
B = A
B = C

Si l’on examine ces formules, on se rendrait compte qu’il y a une quatrième combinaison possible : le cas où le moyen terme serait le prédicat de la majeure et le sujet de la mineure :

A = B
B = C

C’est en effet une quatrième figure possible ; mais elle est si peu naturelle qu’Aristote ne l’a pas adoptée comme telle. Plus tard, ayant attribué la découverte de cette 4ᵏˣᴏʳᴇ figure à Galien, on en a formulé ses cinq combinaisons légitimes.

[2] Nous avons adopté la version שלשים וששה (ל »ו) חבורים d’après l’original et aussi d’après le manuscrit hébraïque 7 (983).

[3] Les logiciens, d’après Aristote (Premiers Analytiques, L. I, ch. 4-6) considèrent plutôt seize combinaisons possibles pour chaque figure (et non pas trente-six). Il y aurait ainsi quarante-huit combinaisons, en tout, pour Aristote, qui ne reconnaît que trois figures ; et soixante-quatre pour ceux qui admettent la quatrième figure de Galien (et non pas cent huit).

Maïmonide semble considérer outre les prémisses formées des propositions A E I O, celles qui seraient formées des propositions singulières affirmatives et des propositions singulières négatives ; et cela, bien entendu, pour les éliminer ensuite, étant donné que ces propositions ne sont jamais concluantes.

Si donc nous signalons par Sa la singulière affirmative et par Sn la singulière négative, nous pourrions présenter par le tableau suivant les trente-six combinaisons possibles dans chaque figure :

A AA AE AI AO ASa ASn
E EA EE EI EO ESa ESn
I IA IE II IO ISa ISn
O OA OE OI OO OSa OSn
Sa SaA SaE SaI SaO SaSa SaSn
Sn SnA SnE SnI SnO SnSa SnSn

Si maintenant nous éliminons de ce tableau Sa et Sn comme étant a priori des propositions stériles, dans n’importe quelle figure du syllogisme, nous aurions les seize combinaisons des logiciens, d’après Aristote :

A AA AE AI AO
E EA EE EI EO
I IA IE II IO
O OA OE OI OO

[4] On verra plus loin que chaque figure a ses règles spéciales. Aussi dans la première figure p. ex. la majeure doit être universelle et la mineure affirmative. Aussi, en barrant du tableau des seize combinaisons possibles, toutes celles qui ne répondent pas à ces conditions, n’en reste-t-il que quatre légitimes :

AA AI
EA EI

[5] Ces explications complémentaires ne figurent ni dans l’original arabe, ni dans certains manuscrits de la version hébraïque. Les erreurs pullulent ici dans les éditions ; et l’on trouve de nombreuses variantes dans les manuscrits.

[6] Résumons ici en le complétant ce qui vient d’être dit :
Dans la première figure, la majeure doit être universelle ; la mineure affirmative. C’est une figure complète dans ce sens qu’elle a une conclusion universelle affirmative (A), une universelle négative (E), une particulière affirmative (I), une particulière négative (O).
Dans la seconde, la majeure doit être universelle, et l’une des deux prémisses, négatives (ce dernier trait n’est pas précisé dans le texte). Elle est relativement incomplète puisqu’elle n’a que des conclusions négatives.
Dans la troisième, la mineure doit être affirmative. Elle est également incomplète puisqu’elle n’a que des conclusions particulières.

[7] Nous donnons ici pour les quatorze modes des exemples que nous empruntons à l’ouvrage d’Al-Farabi intitulé : ספר הקש Manuscrit de la Bibliothèque Nationale Fonds hébreu 928 fol. 66 a. Nous y avons interverti l’ordre des prémisses (sauf pour les modes de la 3e figure).

Ex. du premier mode :
Tout composé est créé
Tout corps est composé
________________
Tout corps est créé

[8] Ex. du deuxième mode :
Nul composé n’est éternel
Tout corps est composé
________________
Nul corps n’est éternel.

[9] Ex. du troisième mode :
Tout composé est créé
Quelques êtres sont composés
________________
Quelques êtres sont créés.

[10] Ex. du quatrième mode :
Nul composé n’est éternel
Quelques êtres sont composés
________________
Quelques êtres ne sont pas éternels.

[11] Ex. du cinquième mode (1ᵉ de la 2ᵉ figure) :
Nul être éternel n’est composé
Tout corps est composé
________________
Nul corps n’est éternel

[12] Ex. du sixième mode (2ᵉ de la 2ᵉ figure) :
Tout être éternel est exempt d’accident
Nul corps n’est exempt d’accident
________________
Nul corps n’est éternel.

[13] Ex. du septième mode (3ᵉ de la 2ᵉ figure) :
Nul être éternel n’est composé
Quelques êtres sont composés
________________
Quelques êtres ne sont pas éternels.

[14] Ex. du huitième mode (4ᵉ de la 2ᵉ figure) :
Tout ce qui se meut est un corps
Quelques êtres ne sont pas de corps
________________
Quelques êtres ne se meuvent pas.

[15] Ex. du neuvième mode (1er de la 3e figure) :
Tout ce qui se meut est un corps
Tout ce qui se meut est créé
________________
Quelques êtres créés sont des corps. כל מתנענע מחודש גשם

[16] Ex. du dixième mode (2e de la 3e figure) :
Nul être éternel n’est un corps
Tout être éternel est être actif
________________
Quelques êtres actifs ne sont pas des corps.

[17] Ex. du onzième mode (3e de la 3e figure) :
Tout corps est composé
Quelques corps sont des êtres actifs
________________
Quelques êtres actifs sont composés.

[18] Ex. du dixième mode (4e de la 3e figure) :
Quelques corps se meuvent
Tout corps est créé
________________
Quelques êtres créés se meuvent. מחודש מה מתנועע

[19] Ex. du treizième mode (5ᵌ de la 3ᵌ figure) :
Nul corps n’est éternel
Quelques corps sont des êtres actifs
________________
Quelques êtres actifs ne sont pas éternels.

[20] Ex. du quatorzième mode (6ᵌ de la 3ᵌ figure) :
Quelques corps ne se meuvent pas
Tout corps est créé
________________
Quelques êtres créés ne se meuvent pas.

[21] La scolastique exprimait par des mots artificiels réunis en vers les modes concluants. En voici ceux qui concernent les quatorze modes des trois premières figures (Nous passons sous silence les cinq modes de la prétendue quatrième figure de Galien) :

Barbara — Celarent — Darii — Ferio
Cesare — Camestres — Festino — Baroko
Darapti — Disamis — Datisi — Felapton
Bokardo — Ferison

Les trois voyelles de chaque mot désignent la qualité et la quantité des propositions qui forment le syllogisme du mode en question.
Ainsi les voyelles des trois syllabes de Barbara, symbole qui représente le premier mode, indiquent que ce syllogisme est formé de trois A, c’est-à-dire de trois propositions universelles affirmatives.

On sait que les syllogismes de seconde et de troisième figures peuvent se ramener à la première au moyen de la conversion. Les consonnes initiales des symboles précités (BCDF) indiquent les rapports entre les modes des différentes figures.

Ainsi Cesare, Camestres, sont réductibles à Celarent ; Darapti à Darii ; Ferison à Ferio. Les autres consonnes montrent si l’on doit recourir pour cette réduction à une conversion simple (s), à une conversion par accident, ou par limitation (p) etc. Nous ne croyons pas devoir nous attarder sur ces détails.

Notons que les modes de la troisième figure ne sont exposés, ni dans le texte de Maïmonide ni dans les exemples d’Al-Farabi dans le même ordre qu’ils le sont dans les vers ci-dessus. L’ordre suivi par Maïmonide et par Al-Farabi est plutôt :

Darapti, Felapton, Datisti, Disamels (plutôt IAI) Ferison, Bocardo.

[22] Mendelssohn lit משאיים avec chin et fait dériver ce mot de la racine נשה (prêter) parce que, dit-il, les parties d’un syllogisme prêtent l’un à l’autre : בי תלקי החלק נושא איש באיש.

Sa conjecture nous paraît insoutenable. Le mot משאים reflète le mot arabe, il dérive donc de נשא (porter). Ce sont là des propositions dont les sujets (נשאים) portent catégoriquement les prédicats (נושאים) respectifs. C’est ainsi que le traducteur de l’ouvrage cité d’Al-Farabi, et Joseph de Lorki dans la version du présent ouvrage ont rendu ce mot par נשאים au lieu de משאים.

[23] Les philosophes juifs du moyen-âge ont fait un emploi assez large du raisonnement hypothétique. On trouve fréquemment dans leurs écrits des expressions comme celles-ci :

חיוב הקודם יוליד חיוב המתאחר, יוליד כנגד הגלות ויוליד כנגד המוקדם, סותר הקודם לא יוליד סותר הנמשך…

Des expressions techniques de ce genre se retrouvent même chez les commentateurs de la Bible. Aussi, avons-nous cru devoir nous attarder à préciser les sens de ces termes. Le lecteur profane

qui aura suivi nos explications aurait la satisfaction de comprendre des textes obscurs comme celui que nous empruntons à un commentateur sur Rachi :

אמר זה מפני שהסכיון מן המקרא הזה הוא א השלילה המתהכבת מן החיוב ואע »פי שזהו כשהקודם יוליד סותר הנמשך מיעוט מן הנמשך והוא זרך כעפר הארץ כמו אלה זכתיב בו או כשאחד מהם יוליד סותר הנמשך הנה סותר הקודם לא אחר כהכרח (רא »ם על התורה).

« Il (Rachi) a dit cela parce que, ce que l’Écriture entend ici, c’est la négation qui résulte de l’affirmation. Bien que la négation de l’antécédente ne puisse entraîner la négation de la conséquente, cela ne s’applique qu’aux cas où l’antécédente est moins étendue que la conséquente. Mais lorsqu’elles sont d’égale étendue comme le cas présent où il est dit : Ta postérité sera comme la poussière de la terre et aussi lorsque l’un des membres de la proposition constitue une différence spécifique ou un attribut propre de l’autre ; dans pareils cas la négation de l’antécédente entraîne nécessairement la négation de la conséquente. » (Réém sur le Pentateuque)

Pour comprendre ce passage, il importe de noter ce qui suit :

Un raisonnement hypothétique conjonctif peut être mis sous forme d’un syllogisme. Ainsi pour reprendre l’exemple de Maïmonide, nous pouvons dire :

Si le soleil se lève il fait jour
Or, le soleil se lève.
________________
Donc il fait jour.

On voit que la majeure est composée de deux parties. La première (si le soleil se lève), c’est la condition (התנא) ; la deuxième (il fait jour), la proposition conditionnée (המונותית).

On qualifie aussi la première, d’antécédente (קודם, מוקדם) ; l’autre, de conséquente (נלוה, נמשך).

Quant à la mineure, elle consiste en une seule proposition catégorique. Il en est de même de la conclusion.

On remarquera que dans l’exemple cité, la conclusion est identique à la conséquente.

Il y a deux espèces de raisonnements hypothétiques conjonctifs. Ceux dont la conclusion reproduit la conséquente appartiennent à la première ; ceux dont la conclusion reproduit l’antécédente en la niant, appartiennent à la deuxième.

Voici d’après une note marginale du manuscrit cité d’Al-Farabi (fol. 70 a) l’énoncé et des exemples des deux espèces du raisonnement hypothétique conjonctif :

Dans la première espèce, la mineure affirme l’antécédente, cela engendre l’affirmation de la conséquente.

Dans la deuxième espèce, la mineure nie la conséquente, cela engendre la négation de l’antécédente.

Ex. de la première espèce :

Si l’homme existe, l’animal existe
L’homme existe
________________
L’animal existe.

Ex. de la deuxième espèce :

Si l’homme existe, l’animal existe
L’animal n’existe pas
________________
L’homme n’existe pas.

Telles sont, d’après les logiciens, les seules possibilités de conclure, dans ce genre de raisonnements et Mendelssohn formule ces règles de la façon suivante :

חיוב הקודם יוליד חיוב המתאחר ; ושלילת המתאחר, שלולת הקודם ; אבל שלולת הקודם ו חיוב המתאחר לא יולדו מאומה.

« L’affirmation de l’antécédente engendre l’affirmation de la conséquente ; et la négation de la conséquente, la négation de l’antécédente ; mais la négation de l’antécédente et l’affirmation de la conséquente n’engendrent rien. »

Nous pouvons passer maintenant à l’interprétation du texte ci-dessus cité. Il concerne le passage de la Genèse XIII, 16 où Dieu promet au Patriarche Abraham une nombreuse postérité :
Si l’on peut compter la poussière de la terre, ta postérité aussi pourrait se compter.

Nous sommes ici en présence d’une proposition hypothétique conjonctive qui demande une explication. C’est le commentateur Rabbi Salomon Ishaki (Rachi) qui nous la donne, en ces termes :

« De même qu’il est impossible de compter les grains de la poussière, de même ta postérité ne pourrait se compter. »

בשם שאי אפשר למנות את גרגירי העפר כך גם זרער לא ימנה

Nous pouvons donc établir le syllogisme dont nous possédons tous les éléments :

Si l’on peut compter la poussière de la terre, ta postérité aussi pourrait être comptée.

Il est impossible de compter les grains de la poussière.
________________
Ta postérité ne pourra pas se compter.

Mais ce raisonnement viole la règle des logiciens citée plus haut et d’après laquelle la négation de l’antécédente n’aboutit à aucune conclusion. Or, la mineure (Il est impossible de compter les grains de la poussière) n’est que la négation de l’antécédente. C’est à à quoi le commentateur sur Rachi, Rabbi Eliya ben Abraham Mizrahi (Réem) vient remédier par la remarque suivante :

La règle, en question, des logiciens, concerne les cas où l’antécédente est moins étendue que la conséquente (Ainsi dans l’exemple précité : Si l’homme existe, l’animal existe : le terme homme de l’antécédente a moins d’étendue que le terme animal de la conséquente.) Tel n’est pas le cas de la proposition interprétée par Rachi : le terme poussière de l’antécédente y a la même étendue que le terme postérité de la conséquente. (On lit, en effet, dans le même texte : ta postérité sera comme la poussière de la terre.) Dans pareils cas la négation de l’antécédente entraîne nécessairement la négation de la conséquente.

Le commentateur Réem, poussant plus loin son explication, montre un cas particulier de propositions conjonctives où l’antécédente et la conséquente sont d’égale étendue : lorsque l’une constitue la différence spécifique (הבדל) ou l’attribut propre de l’objet exprimé par l’autre (סגולה).

Nous reviendrons plus loin (Ch. 10) sur le sens de ces termes techniques. Ici, nous nous contenterons d’illustrer l’idée par des exemples :

Si l’animal doué de raison (différence spécifique) existe, l’homme existe.

Si l’homme existe, l’être qui rit (attribut propre) existe.

On peut se rendre facilement compte que dans chacun des exemples cités, l’antécédente et la conséquente sont d’égale étendue, et que, par suite, la négation de l’antécédente y entraîne nécessairement la négation de la conséquente. On pourrait dire ainsi : si l’animal doué de raison n’existe pas, l’homme n’existe pas ; ou bien si l’homme n’existe pas, l’être qui rit n’existe pas.

Nous avons parlé jusqu’ici des deux espèces du raisonnement hypothétique conjonctif. Voici maintenant en quoi consistent les trois espèces du raisonnement hypothétique disjonctif dont parle Maïmonide.

Dans la première espèce, dit Al-Farabi (Ouvrage cité fol. 70b-71a) il y a deux éléments contradictoires. Ex. : Ce nombre est pair ou impair ; l’affirmation de l’un des termes entraîne la négation de l’autre et vice versa.

Dans la deuxième, il y a plus de deux éléments contradictoires. Ex. : Ce nombre est supérieur, égal ou inférieur à… L’affirmation de l’un des termes de l’alternative entraîne la négation des autres et vice versa.

Dans la troisième, il y a deux ou plusieurs éléments qui ne sont pas contradictoires entre eux. Ex. : Ruben est en France ou en Espagne. Le fait d’être en France implique qu’il n’est pas en Espagne ; mais le fait de ne pas être en France, n’implique pas celui de ne pas être en Espagne.

[24] Des phrases entières manquent ici dans les éditions et il y a de nombreuses variantes dans les manuscrits. Nous avons adopté une version conforme à l’original.

[25] Voici l’exemple que donne Al-Farabi dans l’ouvrage cité (fol. 71b).

Nul être éternel n’est composé
Le monde est éternel
_________________________
Le monde n’est pas composé.

La fausseté évidente de cette conclusion doit découler de la fausseté d’une des deux prémisses. Or l’une (la majeure) étant indubitablement vraie, il s ’ensuit que c’est la mineure qui est fausse. Donc le monde n’est pas étem el.

דמיון זה העולם נצחי ואין נצחי אחד מחובר. ויליד כי העולם אינו מחובר. וזה כזב מבואר השררות. הנה כבר נכנס בהקש כזב ; אבל כי אחת משתי הקדמותיו צודקת מבוארת האמת והיא מחובר. והכזב אם כן אמנם הגיע בתולדה מן ההקדמה האחרת הנה הוא כזב. הנה אם כן אמרנו : העולם נצחי הוא. העולם נצחי אינו נצחי.

[26] L’induction c’est cette opération mentale qui, selon l’expression d’Aristote, nous fait passer du particulier à l’universel (Topiques). C’est aussi également d’après Aristote, le chemin qui mène aux principes. (Premiers et Derniers Analytiques).

Les logiciens appellent inductrices, les propositions singulières ou spéciales données ; induites, les propositions plus générales auxquelles on aboutit.

L’induction est formelle si le dénombrement des cas particuliers est complet. Elle est amplifiante lorsque la relation formulée s’applique à tous les termes d’une classe, alors que cette relation n’a été affirmée que de quelques-uns seulement d’entre eux. (Lalande.)

[27] Pacius, pour faire comprendre la différence qui existe entre le syllogisme, l’induction et l’exemple (analogie), donne le tableau suivant (Premiers analytiques. Note de Barth. St-Hilaire p. 333)

Syllogisme : La guerre contre les voisins est fatale. Or, la guerre des Athéniens contre les Thébains est une guerre contre les voisins. Donc la guerre des Athéniens contre les Thébains sera fatale.

Induction : La guerre des Thébains contre les Phocéens, la guerre des Athéniens contre les Thébains et toutes les guerres analogues sont fatales. Donc toute guerre contre des voisins est fatale.

Exemple : La guerre des Thébains contre les Phocéens a été fatale. Donc la guerre des Athéniens contre les Thébains sera fatale.

[28] Al-Farabi, dans l’ouvrage cité (fol. 79b), donne comme exemple le syllogisme suivant :

Tout vin est prohibé
Le contenu de ce vase c’est du vin
_________________________
Le contenu de ce vase est prohibé.

Maïmonide. Makala Fi Sana’at Al-Mantik. מילות הגיון. Terminologie Logique. Edition critique par Moïse Ventura. Librairie Lipschutz, Paris, 1935.[Version numérisée : Alliance israélite universelle].

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