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Traité de Logique de Maïmonide | מילות הגיון
Chapitre 4
Traduction Moïse Ventura (1935)
Deux propositions ayant le même sujet et le même prédicat, mais dont l’une est affirmative, l’autre négative, nous les appelons : opposées et nous désignons sous le nom d’opposition, le fait même à la fois de cette affirmation et de cette négation. Ex. : Ruben est sage, Ruben n’est pas sage ; l’homme a la faculté d’écrire, l’homme n’a pas la faculté d’écrire. Ces propositions ainsi que toutes celles qui leur ressemblent sont respectivement opposées.
Lorsque les propositions opposées sont marquées de signes, leur opposition est désignée sous des noms spéciaux, à savoir :
Si les deux propositions opposées sont accompagnées du signe universel, p. ex. : tout homme est animal, nul homme n’est animal ; nous les appelons contraires [1] et l’opposition elle-même, le contraire.
Si les propositions opposées sont accompagnées du signe particulier, p. ex. : quelques hommes ont la faculté d’écrire, quelques hommes n’ont pas la faculté d’écrire, nous les appelons subcontraires[2].
Si l’une est accompagnée du signe universel ; l’autre, du signe particulier ; nous les appelons contradictoires[3]. Celles-ci se présentent sous deux formes :
1° L’une des propositions est affirmative universelle, l’autre, négative particulière ; par ex. : tout homme est animal, quelques hommes ne sont pas animaux. Ces deux propositions sont contradictoires.
2° L’une des propositions est négative universelle ; l’autre, affirmative particulière ; par ex. : nul homme n’est oiseau, quelques hommes sont oiseaux. Ces deux propositions sont également contradictoires.
Il est avéré que chaque fois que l’on affirme ou que l’on nie une chose d’une autre, ce rapport d’affirmation ou de négation doit être apodictique, possible ou enfin impossible ; p. ex. : la proposition : tout homme est animal, nous la qualifions d’apodictique ; celle-ci : tout homme est oiseau, nous la qualifions d’impossible ; celle-ci : quelques hommes ont la faculté d’écrire, nous la qualifions de possible.
Nous groupons sous le vocable nécessaire, ce qui est à la fois apodictique et ce qui est impossible. Car nous disons : l’homme est nécessairement animal et au même titre : nécessairement l’homme n’est pas oiseau [4].
Lorsque, en parlant de Ruben p. ex. aussitôt après sa naissance, nous disons qu’il a ou qu’il n’a pas la faculté d’écrire, nous énonçons des propositions réellement possibles. Tandis qu’une affirmation de ce genre appliquée à Ezra le Scribe à l’époque où il exerçait, ne serait pas une proposition possible ; mais plutôt absolue ou actuelle [5]. Car une proposition possible est avant tout éventuelle. Elle est possible avant que l’un des termes de la possibilité se soit réalisé ; mais après sa réalisation, la proposition qui l’énonce ne peut plus être considérée comme possible [6]. Car lorsque nous affirmons de Ruben, p. ex. pendant qu’effectivement il se lève devant nous : Ruben se lève, cela n’implique nullement une possibilité à son égard, mais plutôt quelque chose de semblable à une affirmation apodictique.
Les termes interprétés dans ce chapitre sont au nombre de treize :
L’opposition, le contraire, la contradiction, les (propositions) opposées, les contraires, les contradictoires, les subcontraires, la proposition apodictique, la proposition impossible, la proposition nécessaire, la proposition absolue, la proposition actuelle, la proposition possible.
Notes
[1] Les propositions contraires sont incompatibles, si l’une est vraie, l’autre est fausse, étant donné qu’elles sont faites de propositions universelles et que, par suite, l’une et l’autre prennent le sujet dans toute son étendue. Elles peuvent néanmoins être toutes les deux fausses. Ex. : Tous les hommes sont savants ; nul homme n’est savant.
[2] Les subcontraires peuvent être toutes les deux vraies ou fausses parce que, étant particulières, ni l’une ni l’autre ne prennent le sujet dans toute son étendue. Aussi la partie du sujet considérée dans l’une peut-elle ne pas être la partie du même sujet, considérée dans l’autre.
[3] De deux contradictoires, l’une est nécessairement vraie ; l’autre, nécessairement fausse. L’auteur ne parle pas ici de propositions subalternes, celles qui ont même qualité mais qui diffèrent par leur quantité. Pour lui, la différence de qualité constitue seule une opposition. Nous croyons néanmoins devoir ajouter ici cet élément que l’on rencontre dans les manuels de logique :
L’affirmative universelle et l’affirmative particulière, d’une part ; la négative universelle et la négative particulière, d’autre part, sont dites subalternes.
Ex. : Tous les hommes sont bimanes, quelques hommes sont bimanes ; ou bien : nul homme n’est quadrupède, quelques hommes ne sont pas quadrupèdes. Il est évident que la vérité de l’universelle entraîne la vérité de la particulière ; mais la réciproque n’est pas vraie.
On indique habituellement par le tableau ci-dessous les rapports étudiés (Pour le sens des lettres A E I O Voir Ch. II, Note 2).
[4] Car quand on dit d’une chose qu’il est impossible qu’elle soit, on peut dire de la même chose qu’il est nécessaire qu’elle ne soit pas. Le Livre de l’Interprétation au début du ch. 13.
Maïmonide reprendra plus tard ces notions dans le Guide I, Ch. 73, pour soutenir contre les Mutakallimim que par possible et impossible, il faut entendre ce qui est rationnellement possible ou impossible et non pas ce qui peut être imaginé ou non.
[5] Voir Métaph. L. IV, 12. Ce n’est qu’en un sens impropre que l’actuel peut être dit possible.
[6] Cette remarque qui semble oiseuse est d’une importance capitale dans la philosophie médiévale. On y discute longuement, en parlant de la prescience divine, la question de savoir si Dieu connaît le possible. À ce titre, cette notion mérite d’être bien définie.
Maïmonide. Makala Fi Sana’at Al-Mantik. מילות הגיון. Terminologie Logique. Edition critique par Moïse Ventura. Librairie Lipschutz, Paris, 1935.[Version numérisée : Alliance israélite universelle].