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Traité de Logique de Maïmonide | מילות הגיון
Chapitre 13
Traduction Moïse Ventura (1935)
Chapitre 13 [1]
Le mot que le grammairien arabe appelle verbe, nous l’appelons mot attributif [1]. Nous en avons déjà parlé plus haut [2]. Le mot (que le grammairien appelle) particule, nous l’appelons : mot instrumental [3].
Quant au nom il est direct ou décliné [4]. Abu Naṣr al-Farabi l’a déjà précisé dans ces termes : Le nom dont la dernière syllabe est marquée de la voyelle ou est, pour le logicien, un nom direct ; celui dont la dernière syllabe est marquée des voyelles i ou a est pour le logicien un nom décliné [6].
Tel est le propos d’Abu Naqr.
Quant au nom indéterminé, c’est celui qui est composé du mot instrumental non et de l’attribut. Ex. non voyant, non savant, non parlant [7].
Les noms que le grammairien arabe appelle (participes) actifs et (participes) passifs, nous les appelons noms dérivés [8] ; celui que le grammairien appelle nom d’action [9], nous l’appelons l’exemplaire original [10] ; ceux que le grammairien appelle noms latents comme je, tu, ainsi que les suffixes ו, ה, כ, י, p. ex. dans les mots עבדו (son esclave à lui), עבדה (son esclave à elle), עבדך (ton esclave), עבדי (mon esclave) : nous les appelons aussi noms latents ou pronoms.
Le nom et son épithète constituent ensemble une phrase déterminative [11]. Ex. Ruben le Scribe, Siméon le blanc. Il en est de même du nom lié à un complément déterminatif — ce qu’en grammaire s’appelle rapport d’annexion — l’ensemble constitue une phrase déterminative. Quant à la phrase énonciative, nous l’appelons aussi phrase attributive.
Les noms, en n’importe quelle langue, se divisent nécessairement en trois catégories. Ils sont distincts, synonymes ou homonymes.
Lorsque le même objet est désigné par plusieurs noms, ceux-ci sont des synonymes.
Lorsque plusieurs objets sont désignés par un seul nom ; ce nom est un homonyme.
Lorsque des objets différents sont respectivement désignés par des noms différents, ceux-ci sont des noms distincts.
En voici des exemples : les noms אדם, איש, אנוש désignant l’homme ou les noms סכין, מאכלת désignant le couteau sont des synonymes. Le nom עין qui désigne à la fois l’œil et la source d’eau, est un homonyme, tandis que les noms eau, feu, arbre, sont des noms distincts. Il en est de même de tous les cas analogues.
Les homonymes se divisent en six classes, à savoir : 1) les homonymes, proprement dits, 2) les appellatifs, 3) les amphibologiques, 4) les homonymes par généralisation et par spécification, 5) les métaphoriques, 6) et les homonymes par extension.
L’homonyme proprement dit est le nom qui désigne deux objets sans qu’il y ait entre eux aucune relation qui pût être la cause de cette communauté de nom. Ex. le nom עין désignant l’œil et la source d’eau, ainsi que le nom כלב (chien) désignant à la fois une étoile [12] et un animal [13].
Lorsque deux ou plusieurs objets ont la même quiddité, on leur applique un nom appellatif (ou commun). Celui-ci désigne la quiddité de chacun de ces objets [14]. Ex. le nom animal qui s’applique à la fois à l’homme, au cheval, au scorpion et au poisson, est un nom appellatif. Car le caractère d’animalité qui consiste dans la nutrition et dans la sensibilité, s’étend à toutes ces espèces et en constitue la quiddité. Il en est de même, d’une manière générale, de tout nom de genre appliqué aux espèces comprises dans ce genre ; et de tout nom désignant une différence spécifique, appliqué aux individus compris dans l’espèce. Dans tous ces cas les noms sont employés appellativement.
Quant au nom amphibologique, c’est celui qui s’applique à deux ou à plusieurs objets à cause d’un trait commun à tous, trait qui néanmoins n’en constitue pas la quiddité. Ex. On appelle homme l’être vivant et doué de raison appelé Ruben et aussi le cadavre d’un homme, ainsi que l’effigie d’un homme, sculptée en bois ou en pierre, et l’homme représenté en peinture. Le nom homme leur est appliqué à cause de leur trait commun : l’aspect et la configuration de l’homme. Or, ce trait ne constitue pas la quiddité de l’homme. Le nom ainsi appliqué ressemble à certains égards au nom appellatif puisque c’est le trait commun aux objets cités qui les fait désigner du nom homme ; mais il ressemble aussi au nom proprement homonymique parce que tous ces objets diffèrent par leurs quiddités. C’est pourquoi, on l’appelle amphibologique.
Les homonymes par généralisation et par spécification sont des noms qui ont un sens général et un sens spécial : ceux qui s’appliquent à la fois à un genre et à une de ses espèces. Ex. le nom כוכב désigne toutes les étoiles en général et, particulièrement la planète Mercure. Il en est de même du nom arabe hachicha qui désigne toutes sortes d’herbes et spécialement la fleur jaune employée dans la teinturerie.
Le nom métaphorique est celui qui à l’origine n’avait dans la langue qu’une acception propre : l’objet qu’il désigne d’une façon permanente ; mais ultérieurement le même nom se trouva provisoirement appliqué à un autre objet. Ex. le nom lion qui désigne l’animal connu sous ce nom, et qui s’applique parfois à un homme vigoureux. C’est dans ce même sens que l’homme généreux est qualifié de mer. Les poètes font de nombreux emprunts de ce genre.
L’homonyme par extension est le nom qui, désignant à l’origine un certain objet, se trouva ultérieurement appliqué à un autre objet, tout en gardant sa première acception. Cela peut se produire soit par suite d’une certaine ressemblance, soit sans qu’il n’y ait aucune ressemblance entre ces deux objets. Ex. le nom תפלה qui, à l’origine, désignait une requête en général, et qui ultérieurement prit le sens spécial d’une prière, sous une forme déterminée. Il en est de même des termes עמידה (action de se tenir debout) עליה (action de monter) ירידה (action de descendre) צורף (adjonction) משקל (poids) חתוך (action de couper) הבדל (différence) נח (en repos) נראה (visible) etc. ; mots dont chacun désigne dès l’origine autre chose que ce que leur attribuent les grammairiens ; ceux-ci ayant donné respectivement d’autres acceptions à ces noms [15].
Les noms interprétés dans ce chapitre sont au nombre de dix-huit : le mot attributif [16], le nom direct, le nom décliné, le nom indéterminé, le nom dérivé, l’exemplaire original, les noms latents, les pronoms, la phrase déterminative, la phrase attributive, les synonymes, les noms distincts, l’homonyme proprement dit, le nom appellatif, le nom amphibologique, l’homonyme par généralisation ou par spécification, le nom métaphorique, l’homonyme par extension.
Notes
[1] Ce chapitre a pour objet l’étude des différentes fonctions des parties du discours qui, en arabe, sont au nombre de trois : le nom, le verbe, et la particule. L’auteur avait déjà parlé occasionnellement aux chapitres précédents, de certaines d’entre elles. Il les les reprend ici pour les préciser. (Voir notre Introduction p. 21).
[2] Le mot קנין que le traducteur emploie ici est assez vague. Nous l’avons traduit, au chapitre XI, par propriété. Nous le traduisons ici par mot attributif, d’après le contexte. Le verbe est, en effet, un signe d’attribution, pour le logicien (Voir Interprétation Ch. 3). Plus loin le même mot est employé dans le sens d’attribut : מלת לא וקנין Dans le sens du mot attributif, le terme דבור (דבור ואנחנו נקרא הפעיל) Ajoutons que le mot קנין est ici remplacé par le mot דבור dans le manuscrit 8 (1116) où nous lisons : הוא אשר נקראה אנחנו הדבור.
[3] À la fin du chapitre III : Voir note précédente. Comtino nous renvoie au chapitre XI où il est question du mot קנין mais dans un autre sens.
[4] Le mot אות reflète ici le mot arabe הלה ; et le mot מלה que les logiciens emploient dans le sens de particule et dont le sens propre est : instrument.
Dans la version d’Achitouv, on trouve ici : ונקרא המלה הכלי
[5] Voir ch. XI, p. 101.
[6] En arabe, on désigne les cas d’un nom en changeant la voyelle de la dernière syllabe ; la voyelle ou désigne le nominatif ; a, le cas direct ; i, le cas indirect.
[7] Voir Interprétation Ch. 2.
[8] Ils sont en effet dérivés du nom d’action dont il est question immédiatement après.
[9] Le nom d’action correspond à peu près à l’infinitif français. Il désigne simplement l’action indépendamment de celui qui en est l’auteur ou de celui qui la subit.
[10] Mot à mot : le premier exemple. Le traducteur d’Al-Farabi (Abrégé de l’Organon, Manuscrit de la Bibliothèque Nationale N° 917) rend la même expression par השם הראשון. Cela signifie simplement que le nom d’action est l’exemplaire original des noms qui en sont dérivés.
[11] Par opposition à la phrase attributive dont il sera question plus loin et où il y a une affirmation ou une négation. Les éditions ajoutent ici פי׳ חבור ותנאי.
[12] L’étoile Sirius de la constellation Grand-Chien.
[13] On trouve ici dans les éditions l’interpolation suivante qui ne figure dans aucun manuscrit :
רוצה לומר על הכוכב המדברי והכוכב חמי והכוכב השמיני והשם הכוכב הנאמר על הכוכב ועל העשב.
[14] Nous avons supprimé du texte, d’après le manuscrit 5 (971), les mots suivants qui semblent une répétition :
בענין העניין אשר ישתפו בו אותן העצמיות
[15] Chacun des mots cités prit, en effet, en grammaire, une acception différente. Ainsi עומר, en parlant des verbes, signifie intransitif ; עולה ויורד désigne un accent employé dans les trois livres poétiques de la Bible : Psaumes, Proverbes et Job ; צרוף ou הצטרפות désigne le rapport entre un nom et son complément déterminatif ; משקל désigne la forme-type d’un nom ; נחת (ou נגר) a le sens de dérivé et aussi משפט מחובר signifie une proposition énonciative ; הבדל, en parlant d’une définition, désigne différence spécifique et enfin נח désigne un signe quiescent ; נראה un signe qui se prononce.
[16] Le terme עצמות employé ici par le traducteur ne peut être que l’équivalent de קני interprété au début du chapitre. Il ne peut pas avoir le sens d’essence ou de substance.
Maïmonide. Makala Fi Sana’at Al-Mantik. מילות הגיון. Terminologie Logique. Edition critique par Moïse Ventura. Librairie Lipschutz, Paris, 1935.[Version numérisée : Alliance israélite universelle].