תפסיר רס”ג | Traduction arabe du TaNaKh de R. Saadia Gaon
Traduction partielle en français du Tafsir du Rabbin Saadia Gaon (Rasag) publiée sous la direction de Joseph Derenbourg (1893-1899) incluant plusieurs parties de la Torah et les Livres d’Isaïe, des Proverbes et de Job avec en parallèle la traduction française du TaNaKh du Rabbinat français.

Introduction de R. Saadia Gaon

En ton nom, ô Miséricordieux ! Ceci est la traduction du Livre de la Justification, qui est attribué à Job, tel que l’a traduit le chef de l’Académie, notre guide et maître Saadia, le chef de l’École de Mahasia — que l’esprit de Dieu lui donne le repos ! 

INTRODUCTION DU LIVRE 

L’auteur commence en disant : Béni soit Dieu, le dieu d’Israël, qui a précédé tous les commencements, qui restera après toutes les fins, qui crée et forme, qui ramène et ressuscite, qui mérite la louange et la reconnaissance pour sa grâce générale et pour sa bienfaisance universelle.

Après cela, je dirai : Bien que l’idée delà bonté et de la bienfaisance ne puisse pas être divisée en elle-même, c’est-à-dire que, rare ou fréquente, la bonté mérite d’être considérée comme telle, d’une manière absolue, elle se divise néanmoins sous les rapports de la quantité et de la qualité. Ainsi, la bonté des créatures a une mesure, qui atteint son terme lorsque les créatures disparaissent, comme Celui à qui appartient la gloire a dit dans son livre : « Une voix dit : Proclame ! et je dis : Que dois-je proclamer ? Toute la chair est comme de l’herbe, toute sa bonté est comme la fleur des champs (Is., XL, 6) ». Mais la bonté de l’Éternel — qu’il soit glorifié et exalté ! — est infinie, puisqu’elle lui est inhérente, et la bonté et la bienfaisance divines n’ont ni limite ni terme. En voulant marquer avec toute la force possible la limite extrême de ce que peuvent atteindre les sens des êtres raisonnables, Dieu dit : « Comme les cieux sont élevés au-dessus de la terre, ainsi mes voies sont élevées au-dessus des vôtres et mes pensées au-dessus de vos pensées (Is., XLV, 9) ». Car, bien que les sens aperçoivent le ciel et la terre comme étant rapprochés l’un de l’autre, la raison prouve qu’il y a entre eux une grande distance. Ceux qui ont examiné et calculé (cette distance) ont assuré que la partie de la sphère la plus rapprochée de la terre est à plus de seize fois la totalité du diamètre de la terre, c’est-à-dire de la ligne qui en coupe la circonférence en deux moitiés ; mais la partie extrême de la sphère que le sens peut percevoir (est à une distance qui) dépasse plusieurs milliers de fois la mesure mentionnée. Or, si le Sage — qu’il soit béni et exalté ! — a dit que sa voie, en ce qui concerne la bonté et la grâce, est plus élevée et plus haute que la générosité et la bienfaisance des créatures, autant que les cieux sont élevés au-dessus de la terre, ce n’est pas qu’il soit allé jusqu’au bout en arrivant à cette limite, mais il n’a fait cette comparaison que parce que les sens des hommes ne parviennent pas à saisir une hauteur plus grande que celle-là. Il a dit de la même manière : « Comme les cieux sont élevés au-dessus de la terre, etc., comme l’orient est éloigné de l’occident, etc. »(Ps., CIII, 11-12l. Ce qui confirme cette (explication) de la manière la plus claire, c’est la parole du prophète : « Car ta bonté est plus grande en élévation que les cieux et ta grâce l’est plus que les nuées (Ib., CVIII, 5) ». Le prophète nous enseigne que la mesure de la bienfaisance et de la bonté du Créateur est plus élevée que les cieux et plus haute que les nuées, dans une proportion qui ne peut être atteinte ni comprise. Louange donc au Tout-Puissant qui n’a nulles limites à son autorité, dont la bonté et la grâce sont plus élevées que les sphères, plus étendues que le monde et qui est infini ! 

Ce qui est évident, c’est que le fait d’avoir donné l’existence aux créatures après qu’elles n’avaient pas été constitue la grâce la plus forte, puisque (Dieu) a créé le monde entier et y a fait habiter les êtres raisonnables pour leur être utile. À ce sujet le prophète dit : « Car je sais que ta bonté est établie éternellement et que ta fidélité durera aussi longtemps que subsisteront les cieux (Ps., LXXXIX, 3) ». De même, la vie qu’il accorde aux créatures et toute la bonne direction qu’il leur imprime et par laquelle il les conduit sont entièrement une grâce et un bienfait, comme a dit le prophète : « Tu m’as accordé la vie et la grâce ; ta sollicitude a conservé mon souffle (Job, X, 12) ». De même, les ordres et les défenses que Dieu a donnés aux hommes, soit en accordant à leur intelligence la faculté d’approuver ou de désapprouver, soit en leur faisant des communications et des révélations, tout cela est grâce et bienfait, comme il est dit : « Il aime l’équité et la justice, et sa bonté embrasse le monde (Ps., XXXIII, 5) », parole qui se rapporte au témoignage de l’intelligence. Puis il est dit : « Dieu ! comme ta bonté embrasse le monde, enseigne-moites prescriptions (ib., XIX, 64) », (parole) qui s’applique à ce qu’on apprend par la révélation véridique. Tout cela est appelé bonté. Même arriver à chanter, à glorifier et à louer Dieu de ce qu’il a créé et à le remercier de ses bienfaits, tout cela est nommé bonté, comme il est dit : « Ils remercient Dieu de sa bonté et de ses merveilles à l’égard des hommes (ibid., CVII, 8) ». Les douleurs, les maladies et les souffrances que Dieu a fait exister dans le monde sont encore un bienfait et un avantage pour les hommes, (car ils les amènent) à craindre son châtiment et à redouter sa vengeance, comme il est dit : « Et Dieu a agi de manière à ce qu’on le craigne (Eccl., III, 15) ». Donc Dieu — qu’il soit élevé ! — leur a fait ressentir les douleurs pour que, une fois qu’ils en sont délivrés, ils reconnaissent sa bonté et sa grâce, comme le prophète a dit : « Car ta bonté a été grande envers moi, et tu as sauvé mon âme de la tombe qui est en bas (ibid., LXXXVI, 13) ». Ce qui est vrai des douleurs que l’on ressent sans qu’elles affectent le corps, Test également des douleurs qui le touchent, à savoir que le Créateur n’en afflige son serviteur que pour son amélioration et pour son bien. Celui-ci alors passe par trois degrés. Dans le premier on instruit et on exerce la raison, car bien que ces actes soient douloureux pour les êtres intelligents à cause de la peine, de la fatigue et de l’application de la pensée, ce n’en est pas moins un bien pour eux. Là-dessus l’Écriture dit : « Ne dédaigne pas, ô mon fils, les leçons de Dieu, et ne sois pas lassé de ses avertissements (Proverbes, III, 11) ». L’Écriture compare Dieu au père qui éduque son fils en le grondant, en le frappant et en lui infligeant beaucoup de souffrances, afin de le former à l’obéissance et à la sagesse, comme il est dit plus loin :*« Car Dieu avertit celui qu’il aime, agissant à son égard comme le père trouve bon d’agir envers son fils (ibid., III, 12) ». De même, l’expérience montre que le sage se fatigue par des veilles, par la peine qu’il se donne de lire des livres et par l’emploi des réflexions et du discernement pour parvenir à les comprendre, sans se laisser rebuter par rien, comme le prophète « . dit : « Par suite de ses souffrances il verra (la récompense) et en sera rassasié ; et par son intelligence il proclamera l’innocence du juste. Tel est le rôle de mon prophète à l’égard de la foule (Isaïe, LIII, 11) ». Dans le deuxième degré l’homme subit la punition. Lorsque le serviteur a commis une faute pour laquelle il mérite d’être puni, c’est un effet de la bonté du Miséricordieux — qu’il soit glorifié et exalté ! — et de sa sollicitude pour son serviteur de lui causer une douleur quelconque qui efface ses mauvaises actions en entier ou en partie. Alors cette douleur est nommée épuration et, tout en étant une punition, elle doit être considérée comme un bienfait, puisqu’elle détourne le serviteur de la récidive et fait disparaître son passé ; c’est à ce sujet qu’il est dit : « J’ai châtié avec la verge leur péché et par des tourments leurs fautes, mais je ne détournerai pas de lui ma bonté (Ps., LXXXIX, 33, 34) ». L’expérience montre que le père fait parfois absorber à son fils les boissons les plus amères et les remèdes les plus désagréables pour le délivrer de ses maladies et pour améliorer la qualité de son tempérament. Au sujet de cette comparaison, Dieu dit : « Tu sauras dans ton cœur que, de même que l’homme corrige son fils, ainsi l’Éternel ton dieu te corrige (Déut., VIII, 5) ». Le sage d’entre les hommes agit parfois de la même manière. Le troisième degré, c’est l’état d’épreuve et d’examen. Lorsque Dieu sait que son serviteur pieux supportera avec résignation la souffrance qu’il lui envoie et persévérera dans sa piété, il la lui impose afin de le récompenser et de le favoriser pour sa résignation. Ce genre est encore de la bonté et de la bienfaisance, puisque Dieu fait obtenir à son serviteur un bonheur durable, comme il est dit : « Heureux l’homme que tu châties, ô Dieu, et que tu instruis par ta loi, afin de le reposer des jours de malheur, jusqu’à ce qu’un abîme se creuse pour le méchant (Ps., XCIV, 12, 13) ». 

Cette souffrance peut atteindre la fortune, le corps ou l’âme. Dieu nous a donc retracé l’histoire d’un homme pieux qu’il a mis à l’épreuve, qui a supporté cette épreuve avec résignation et qui a remercié Dieu. Aussi Dieu lui a-t-il promis un bonheur durable dans l’autre monde et s’est-il empressé de lui accorder dans ce monde ce qui devait lui confirmer cette espérance. C’est l’histoire de Job, le prophète, que la paix soit sur lui ! 

Ensuite, Dieu sachant que les réflexions qui se présentent à l’esprit des hommes, lorsque des souffrances leur arrivent, ont été, dans le cours du temps, de quatre sortes, comme cela eut lieu à l’époque de Job, il a trouvé nécessaire de nous mettre (l’histoire de Job) par écrit, afin que nous en tirions une leçon et que nous choisissions parmi ces réflexions le point de vue préférable, que nous le déclarions obligatoire et que nous écartions tous les autres. Dieu nous a donc fait connaître l’histoire des malheurs et des épreuves de Job, ses discours et les discours de ses amis, les allégations de chacun d’eux et la réfutation que leur opposa Elihou. Il s’est proposé de nous révéler ce qui se passe dans le cœur des hommes, lorsqu’ils sont peu résignés à l’épreuve. Aucune de ces cinq personnes ne prétend imputer une injustice au Créateur, et tous lui dénient tout genre d’injustice. Ainsi Job dit : « Certes, je sais qu’il en est ainsi et comment l’homme pourrait-il avoir raison contre le Tout-Puissant?(IX, 2) » ; Eliphaz dit : « L’homme sera-t-il plus juste que Dieu ? (IV, 47)» ; Bildad dit : « Est-ce que Dieu fausse la justice et le Tout-Puissant fausse-t-il l’équité ? (VIII, 3) » ; Sophar dit : « Car il connaît les hommes pervers (II, 11) » ; enfin Elihou dit : « C’est pourquoi vous, hommes de cœur, écoutez-moi ; loin du Tout-Puissant, toute injustice ! (XXXIV, 10) ». Mais la discussion entre ces hommes ne porte que sur les trois autres opinions. Job disait : Le Sage peut faire souffrir son serviteur, bien que celui-ci n’ait commis aucun péché, il le fait selon sa volonté puisqu’il est son maître et cela ne peut être nommé une injustice, comme il l’exprime clairement en disant : « Voici qu’il décide une chose. Qui lui résisterait et qui lui dirait : Que fais-tu ? (IX, 12) ». Ce qui portait Job à émettre cette opinion, c’est qu’il avait conscience d’être vertueux et que pourtant il avait été affligé de ces souffrances. Il se pourrait à l’inverse que Dieu fît du bien à l’infidèle, et que la cause en fût également dans sa volonté, comme il dit : « Les tentes des pillards sont en sécurité (XII, 6) » ; Eliphaz, Bildad et Sophar disaient tous : Dieu ne fait souffrir que l’infidèle, c’est-à-dire celui qui refuse de le servir, ou bien le pervers, c’est-à-dire celui qui commet des péchés graves qui lui ont été défendus, ou bien le pécheur, c’est-à-dire celui qui se rend coupable de péchés légers. Dans ce sens, Eliphaz dit : « Rappelle-nous donc si jamais un innocenta péri, etc., comme j’ai vu périr ceux qui préparent l’iniquité, etc. Ils périssent par le souffle de sa colère, etc. (IV, 7-9) ». Bildad dit : « Le papyrus grandit-il sans bourbier ? etc. Pendant qu’il est dans sa saison, on ne le coupe pas, etc. Tel est le sort de tous ceux qui oublient Dieu (VIII, 11-13) ». Sophar dit : « Les yeux des méchants regarderont fixement (XI, 20) ». Mais aucun d’eux n’admet de quelque manière que ce soit que Dieu envoie des souffrances à un serviteur pieux et tous disent à Job : S’il n’y avait pas de péchés que tu eusses commis, Dieu ne t’aurait pas frappé de ces malheurs, comme (Eliphaz) lui dit : « Ta méchanceté n’est-elle pas grande, etc. Ainsi tu prenais gratuitement un gage de tes frères, etc. Tu ne donnais point à boire à l’homme épuisé, etc. Voilà pourquoi des pièges t’entourent, etc. Ou bien tu seras dans l’obscurité où tu ne verras pas, etc. (XXII, 5-11) », et des passages semblables en grand nombre. Ce qui les porta à cette opinion, c’est que leur intelligence estimait que le Créateur — que ses noms soient sanctifiés ! — est équitable et ne fait pas d’injustice. En voyant ensuite Job affligé de douleurs, ils déclarèrent que Job ne l’aurait pas été s’il ne l’avait mérité par un péché antérieur. De notre temps, il y a des hommes qui tiennent de tels discours, qui adoptent ces opinions et qui ignorent l’opinion préférable, la troisième, celle d’Elihou, savoir que Dieu — qu’il soit célébré et exalté ! — fait parvenir parfois son serviteur au bonheur par l’un de trois moyens. Le premier, c’est le repentir qui suit un péché commis auparavant, ainsi qu’Elihou a dit : « Pour éloigner l’homme d’une mauvaise action, etc. En faisant cela, il sauve son âme de la perdition, etc. (XXXIII, 17) ». Le second moyen, ce sont les bonnes actions accomplies par le serviteur, fussent-elles même en petit nombre, comme Elihou a dit : « S’il a à son compte une bonne action sur mille, elle est pour lui comme un ange qui plaide pour lui, etc. », et ensuite : « En faisant cela, il sauve déjà son âme de la perdition et sa vie verra la lumière (XXXIII, 23 et 28) ». Le troisième moyen, ce sont les épreuves et les afflictions que Dieu lui a imposées et qu’il a supportées avec résignation, comme Elihou a dit : « Par là il détourne son âme de la perdition et pour l’éclairer par la lumière de la vie (XXXIII, 30) ».

J’expliquerai d’une manière complète ces idées dans ce livre, et je n’ai fait ici que les mentionner par avance. Cette opinion d’Elihou est imposée par la saine raison et par la démonstration juste. C’est pourquoi Dieu a donné tort à Job en disant : « Est-ce que tu voudrais casser mon jugement ? (XL, 8) », et à Eliphaz, Bildad et Sophar, en disant à Eliphaz : « Ma colère est enflammée contre toi et tes deux amis, car vous n’avez jamais rien dit de juste sur moi en ce qui concerne mon serviteur Job (XLII, 7) ». Mais Dieu n’a pas blâmé Elihou ; au contraire, il a conclu son discours à Job dans le même sens que Elihou, ce qui était donner raison à celui-ci. En outre, Elihou avait commencé son discours en disant qu’il réfuterait tout le monde, comme il avait dit à Job : « Je te répondrai par un discours à toi et à tes amis avec toi (XXXV, 4) »;puis il a prononcé quatre discours sans que personne pût répliquer. La conclusion fut donc telle qu’il l’avait voulue. 

Le Sage, — qu’il soit glorifié ! — nous a écrit l’histoire de Job et de ses amis et nous la proposée comme exemple pour nous fournir un enseignement et nous disposer à la piété, en sorte que nous sachions que, lorsque les douleurs et les malheurs nous atteignent, ils rentrent dans l’un des deux cas suivants : ou bien ils ont pour cause des péchés antérieurs, et alors ils sont nommés punition ; dans ce cas il convient que nous recherchions ces péchés, que nous corrigions nos actes et que nous cessions d’être négligents, comme il est dit : « Scrutons nos voies et examinons-les et retournons vers Dieu (Eccl., III, 40) » ; ou bien les malheurs sont une épreuve que le Sage nous envoie afin que nous la supportions avec résignation et qu’il nous en récompense. Nous ne devons attribuer, dans les deux cas, aucune injustice au Créateur, mais nous devons reconnaître la vérité de l’attribut qu’il s’est appliqué à lui-même dans son livre : « Dieu au milieu de cette ville est juste, Il ne commet pas d’injustice (Soph., III, 5) ». Pour cette raison ce livre a été nommé « Livre de la Justification ». 

L’auteur du commentaire dit : J’ai trouvé beaucoup de gens de la nation qui regardent ce livre d’un œil clos, et qui, en beaucoup de points, éprouvent de la difficulté à le traduire et à l’interpréter. Premièrement : qui était le Satan, que disait-il et comment se conduisait-il ? Deuxièmement : (pourquoi) des souffrances ont-elles été infligées à Job, le prophète, bien qu’il fût attesté qu’il était parfait et droit ? Troisièmement : comment se passa la discussion entre Job, ses amis et Elihou ? que prétendait chacun d’eux, et de quelle manière se répondaient-ils et se répliquaient-ils les uns aux autres ? Quatrièmement : la détermination des versets qui sont le but spécial de chaque discours a échappé à beaucoup de monde, parce que les paroles ont été multipliées et délayées, au point que les phrases accessoires qui doivent embellir le début (d’un morceau), en étendre la fin et en remplir le milieu couvrent les phrases qui forment l’objet même de ce morceau. Cinquièmement : quels sont les enseignements renfermés dans le discours de Dieu — qu’il soit béni et exalté ! — et quel en est l’enchaînement. On a été tellement troublé par ce livre qu’il a entraîné beaucoup de gens à nombre d’erreurs diverses. Ce livre donc, qui avait été destiné par le Sage à améliorer ses serviteurs, a failli les perdre. J’en ai été inquiet, et je me suis imposé d’interpréter ce livre, en suivant les trois principes à l’aide desquels on interprète tous les livres de Dieu, à savoir : les données de l’argumentation rationnelle ; l’usage de la langue des gens parmi lesquels le livre a été écrit, et les traditions qui ont été garanties à nos docteurs par leurs anciens, les prophètes de Dieu — qu’il soit exalté ! — (Ces principes) doivent être appliqués d’après une gradation fixe et je dirai : Dans toute traduction vient en première ligne le sens courant des mots du livre interprété, à moins que ce sens courant ne soit impossible rationnellement ou qu’il soit repoussé par les traditions. Ce qui vient en second ordre, c’est le sens figuré usité dans la nation. Il convient que l’interprète y ramène certains mots exprimant une idée contraire à la raison ou à la tradition ou à l’une des deux. L’explication métaphorique devra être judicieuse, de sorte qu’on la trouve admissible et qu’on ne la rejette pas, comme je l’ai indiqué et même largement expliqué dans l’introduction au commentaire de la Thora. 

C’est d’après ces prémisses que je traiterai les paroles (du livre) : je ferai ressortir dans chaque discours de Job et de ses amis les versets [essentiels au milieu de ceux] qui ne sont que remplissage dans le morceau et qui enveloppent une thèse, soit pour embellir le début, soit pour en étendre la fin. J’expliquerai toutes les réponses de chacun des interlocuteurs [conformément à la réponse] de l’ami qui l’a précédé. Ainsi, lorsque Job prononce un discours et qu’il entend ensuite la réponse d’Eliphaz, il ne se peut pas que ses allégations dans son second discours soient tout à fait les mêmes qu’il avait formulées dans son premier discours, puisque ces premières allégations il les avait formulées avant d’avoir entendu le discours d’Eliphaz ; il convient donc que ces secondes allégations, formulées après qu’il a entendu le discours d’Eliphaz, ajoutent quelque chose k ce qu’a dit Eliphaz. Il est de même impossible que la pensée exprimée par Bildad dans son discours soit la même qui a été exprimée par Eliphaz dans le sien, parce que la réponse d’Eliphaz doit se rapporter au premier discours de Job, tandis que celle de Bildad doit correspondre au second discours de Job. Je coordonnerai les autres discours d’après cette règle. Pareillement pour les trois discours que Job a prononcés et auxquels n’ont pas répliqué ses amis, Sophar, qui s’est arrêté le premier, Eliphaz et Bildad, discours qui ont été suivis des quatre d’Elihou : j’ai été obligé de signaler, dans chaque discours prononcé par Job, les trois versets qui en constituent le but, et de les mettre en face d’un ou de plusieurs versets tirés des paroles d’Elihou, qui forment ainsi une réponse parfaite. De la sorte, le premier discours d’Elihou est une réponse au premier discours de Job, le second (d’Elihou) au second (de Job) et le troisième au troisième. Et le quatrième (discours d’Elihou) reste en plus, sans qu’aucun des quatre personnages ait pu le réfuter. De même j’expliquerai le sens des trois [discours de Dieu]… 

Tu verras dans cet ouvrage la solution des obscurités de ce livre, l’éclaircissement du discours de chacun des personnages, en sorte que chacun d’eux réponde à l’orateur précédent, et l’exposé des cas où il faudra avoir recours aux exemples de métaphores dans le langage, ou d’arguments rationnels ou d’autres textes clairs ou de traditions authentiques des prophètes, tout cela brièvement pour qu’il n’y ait pas de longueurs fatigantes, et c’est à Dieu que je demande secours.

Sources
Présentation
R. Saadia Gaon (882-942) — dit le RaSaG — réalisa une traduction commentée en arabe du TaNaKh intitulée le tafsir (« commentaire »). Une partie de cette œuvre a été éditée et traduite en français sous la direction de Joseph Derenbourg (18933-1899). Voir notice bibliographique complète.
Tafsir
Traduction française : Version arabe du livre de Job dans : Œuvres complètes de R. Saadia ben Iosef al-Fayyoûmî, publication commencée sous la direction de Joseph Derenbourg continuée sous la direction de MM. Hartwig Derenbourg et Mayer Lambert. Volume Cinquième. Paris : E. Leroux, 1899 (Licence : Domaine public).
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