Commentaire sur le Séfer Yeṣira ou Livre de la Création par Saadia Gaon

Chapitre 8

Trad. Mayer Lambert (1891)


On se trompe parfois dans ce chapitre sur un mot, en disant riḥa vesaryut ; quelques-uns disent riḥa vetaḥarut, c’est uniquement vetatrut avec trois tav, comme nous l’avons écrit. Tatrut c’est le nom de l’absence d’odorat, comme les sages disent dans le Talmud : Il est arrivé qu’on a dit à quelqu’un que sa femme était « privée d’odorat » (tatranit). (Celle-ci) entra dans des ruines, et lui entra derrière elle pour l’éprouver. Il lui dit : Je sens une odeur de rave dans la Galilée[1]. Le mot raʿabton (signifie) faim extrême, qu’on appelle (en arabe) yarkuʿ. Sérus c’est la castration ; giddemut c’est l’amputation, et c’est le contraire de l’action, puisque l’action ne se produit que par les doigts, or (l’amputation) les fait disparaître.

Pourquoi l’enlèvement de la rate est-il le contraire du rire ? Nous répondrons : Le rire s’augmente et se fortifie par la pureté et la finesse du sang, or la propriété de la rate est toujours d’attirer à elle la bile noire du sang et de l’enfouir dans sa profondeur, jusqu’à ce que le sang soit affiné et purifié. Si la rate est faible, elle n’attire plus beaucoup la (bile noire), qui reste mêlée au sang et le noircit ; le rire et la joie diminuent ; et il vient à la place le chagrin, la tristesse, l’inquiétude qui tourmente l’âme, lorsqu’elle va dans un sang noir, comme s’inquiète celui qui marche dans l’obscurité. Pourquoi le contraire de la pensée est-il l’enlèvement du cœur ? C’est qu’il est clair que la réflexion se produit dans le cœur ; et si l’auteur du livre n’a pas compté (le cœur) parmi ces douze (organes), c’est parce qu’il l’a cru au-dessus d’eux et les a considérés comme attachés à lui. Pourquoi le contraire du sommeil est-il un mort qui s’en est allé ? C’est que (l’auteur) a en vue spécialement la veille continuelle qui tue et non la mort ordinaire ; car la mort ordinaire fait partie de ce qui correspond aux sept (faits) qui sont rattachés aux (lettres bgdkfrt). Puis nous demanderons : Puisque ces douze ont aussi des contraires, comment sont-ils simples ? Nous répondrons à cela que pour les sept il faut à toute force que chacun existe ou son contraire, et que leurs contraires sont des choses existantes ; mais le contraire de ces douze peut ne pas exister du tout, c’est une simple absence, par exemple, quand on prend l’inverse de la sagesse, la sottise, et de la richesse, la pauvreté ; la sottise et la pauvreté sont quelque chose[2] ; mais si l’on prend l’inverse de la vue : la cécité, et de l’ouïe : la surdité, il n’y a là rien du tout.

Les cinq règles générales que (l’auteur) ajoute à la fin du livre ont leur sens : Une partie de ceux-ci se mêlent à ceux-là ; cela désigne le mélange d’une partie (d’une qualité) entière, alors la victoire reste à ce qui est plus considérable.

Ceux-ci et ceux-là désigne le mélange d’une partie avec une partie, ou d’un entier avec un entier, et alors une qualité ne l’emporte pas sur l’autre. Ceux-ci remplacent ceux-là désigne les différents accidents dont l’un prend la place de l’autre. Ceux-ci sont contre ceux-là, désigne l’opposition (des accidents) tant que dure la substance constante. Enfin : Si ceux-ci ne sont pas, ceux-là disparaissent ; c’est que, comme nous l’avons mentionné[3], celui qui accomplit une action naturelle cesse dès que son œuvre cesse. (En disant :) Tous sont attachés, il ramène (les phénomènes) à leur principe, de sorte (qu’il le) place comme leur commencement et leur fin.

Ensuite (l’auteur) montre à qui (revient) l’ensemble du livre en disant : Et lorsque Abraham notre père eut compris, etc. En effet, Abraham notre père était parmi les hérétiques, et nos traditions rapportent qu’il s’est présenté devant Nemrod et a discuté avec lui, et Nemrod a dit : J’ai une épreuve facile : j’adore le feu, je t’y jetterai, et si ton maître est plus fort que lui, il saura bien te délivrer. Il l’y a jeté et le Miséricordieux l’a sauvé, comme il est dit : Je suis l’Éternel qui t’ai fait sortir de Ur Kasdim[4]. Il est bien vrai que Ur Kasdim est une ville, mais elle a tiré son nom du feu allumé à cause de ce qui s’y est passé de relatif à cet événement. Comme Massah et Meribah ont été nommées à cause de la dispute (rib) des enfants d’Israël et parce qu’ils ont tenté (nassotam)[5] et Tab‘éra parce que (la colère divine) s’est enflammée (ba‘ara) contre eux[6]. La ville de Ur Kasdim a donc été appelée ainsi parce qu’on y a allumé une fournaise pour Abraham. Et ce mot se trouve dans l’Écriture très souvent : Parole de l’Éternel qui a une flamme (ur) à Sion, et une fournaise à Jérusalem[7], et ailleurs : Tantôt il se réchauffe et il dit : Ah ! j’ai chaud, je vois la flamme[8] ; ailleurs : Il n’y a pas de charbon pour se réchauffer, de flamme pour s’asseoir vis-à-vis[9] ; Allez à la flamme de votre feu et aux éclairs que vous avez allumés[10].

Dans le mot : Il a combiné, cherché et pensé, il s’agit des sujets qui viennent d’être exposés. Le sens de : Et cela lui a réussi, c’est que (Abraham) est parvenu au monothéisme et a achevé l’œuvre, comme il est dit : Le travail de la réparation fut achevé par leur main[11] ; et il y a là (le sujet) sous-entendu.

Quant au mot : Dieu s’est révélé à lui et lui a appliqué ce verset : Avant que je t’aie formé dans le sein (maternel), je t’ai connu[12] ; il ne signifie pas que (Dieu ait dit) ce verset, dans sa forme et son ordre, car il a été dit seulement à Jérémie, mais (l’auteur) a en vue le sens (du verset) : Le Créateur — qu’il soit exalté et célébré ! — l’a destiné, avant qu’il fût, à être un guide pour les hommes comme il est dit : Il planta un bocage à Beêr-Schéba, il invoqua là le nom du Dieu Éternel[13] ; et il est dit ailleurs : Les nobles des nations se sont réunis avec le Dieu d’Abraham[14]. — Le mot : Il en a fait son ami est conforme à ce qui est dit : La postérité d’Abraham mon ami[15]. Et les docteurs que la sollicitude pour le peuple a agités, au point qu’ils lui ont fait comprendre le détail des préceptes (de Dieu) et les règles de son code, et les autres révélations non écrites, ont examiné ensuite ce livre, en sorte qu’ils en ont réuni les idées, leur ont donné une expression et les ont étalies comme guide et (marque d’)affection pour ceux qui viendraient après eux. Nous demanderons à Celui qui est près (de nous) pour (nous) entendre, qu’il nous donne une part dans leur société et nous joigne à leur réunion. Et nous serons de ceux qui lui ont demandé : Tu me feras connaître le chemin de la vie : la satiété des joies est devant toi et le bonheur est toujours à ta droite[16]. Amen !

AMEN !


[1] Baba Batra, 146a.

[2] On ne voit guère pourquoi la pauvreté et les autres contraires ne sont plus positifs que la cécité et la surdité.

[3] Chapitre VI (fin).

[4] Genèse, xv, 7. Voir Beréschit Rabba, sur xi, 28.

[5] Exode, xvii, 7.

[6] Nombres, xi, 3.

[7] Isaïe, xxxi, 9.

[8] Ibid., xliv, 16.

[9] Ibid., xlvii, 14.

[10] Ibid., l, 11.

[11] II Chroniques, xxiv, 13.

[12] Jérémie, i, 5.

[13] Genèse, xxi, 33.

[14] Psaumes, xlvii, 10.

[15] Isaïe, xli, 8.

[16] Psaumes, xvi, 11.

Commentaire sur le Séfer Yeṣira ou Livre de la Création par le Gaon Saadya de Fayyoum. Publié et traduit par Mayer Lambert. Paris, 1891. [Version numérisée : Google].

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