Commentaire sur le Séfer Yeṣira ou Livre de la Création par Saadia Gaon
Chapitre 3
Trad. Mayer Lambert (1891)
Sommaire
TogglePremier paragraphe
Traduction
Le sens de notre mot : dix nombres fermés est : Ferme ta bouche, pour ne pas parler trop là-dessus, et ferme ton cœur pour ne pas y réfléchir, et si ton esprit s’élance, ramène-le à sa place, comme il est dit des anges : Courant et revenant. Si nous disons que (les nombres) correspondent à dix (objets) infinis pour nous, cela signifie que leur fin est fixée dans leur commencement et que leur commencement est fixé dans leur fin, comme la flamme du feu qui est attachée au charbon.
Commentaire
(L’auteur) dit quelque chose de plus pour (expliquer) le sens de belîma (fermé) qui vient de : ʿedyo liblôm (sa parure sert à lui fermer la bouche)[1] ; (ce mot) veut dire : Clos ta bouche et ton esprit pour ne pas parler trop, ni trop peu sur les (nombres[2]). Si quelqu’un objecte que le calcul mathématique n’a que neuf nombres parce qu’on met la dizaine à la place de l’unité de façon que 20 soit à la place de 2, que 30 soit mis pour 3, de même jusqu’à 90 pour 9 ; ensuite on met la centaine à la place de l’unité, 200 à la place de 2, et ainsi jusqu’à 1000 et au-delà, nous répondrons qu’il n’est possible de faire ainsi que pour les signes des nombres numérotés par écrit sur le livre, et quant à ce que (les mathématiciens) croient des nombres eux-mêmes, il n’y a pas de doute pour eux que les dix ont un rang que l’unité ne peut remplir ; seulement on dit une dizaine, comme on dit une « cinquaine », un trio, etc. Si quelqu’un voulait inventer les figures de signes qui iraient jusqu’à cinq et se répéteraient ou qui ne se répéteraient pas avant d’atteindre quarante, on ne pourrait l’en blâmer. Mais le nombre parfait sur lequel est bâti (le calcul) c’est dix, ni moins, ni plus.
(L’auteur) dit donc, pour glorifier le nombre, que dans tout être existant, le commencement est partout où on le place, hormis dans le nombre, car son commencement est incontestablement l’unité et il n’est pas possible qu’il commence par autre chose. Il prend les objets existants pour exemple : c’est ainsi que nous voyons le feu dans le charbon, et que nous en prenons le commencement en quelque endroit que nous voulons, puisque sa forme est circulaire, de même l’eau et de même la sphère et tous les objets sphériques. Si on commence la sphère par le Chevreau, c’est parce que les végétaux poussent au temps où le soleil y arrive. De même parfois on place le commencement de l’eau et du feu là où la vue l’atteint, mais la chose sphérique en elle-même, n’a pas, par nature, d’endroit initial. C’est pourquoi (l’auteur) dit : Leur fin est fixée dans leur commencement et leur commencement dans leur fin. La traduction de na‘uṣ est fixé, comme il est dit : Or une échelle était fixée à terre[3], et le Targum dit : ne‘iṣ pour fixée. Mais pour le nombre il n’en est pas ainsi, parce qu’on ne peut pas le faire commencer où on veut, ni à trois, ni à cinq, ni ailleurs, on ne peut le faire commencer qu’à l’unité. Ceci est une proposition noble, qui glorifie l’unité, et c’est ce qui oblige de nommer le Créateur un, puisqu’il n’y a rien qui puisse exister ni être conçu avant l’unité. De même Dieu — qu’il soit exalté ! — n’a rien avant lui, et c’est lui qui précède les choses, mais aucune chose ne rentre dans sa nature, comme il est dit : Tu as appris à savoir que l’Éternel est Dieu, et qu’il n’y en a pas d’autre hormis lui[4], et ailleurs : Afin que vous sachiez, que vous croyiez et que vous compreniez que c’est moi ; avant moi, aucun dieu n’a été créé, et après moi il n’y en aura pas[5]. C’est-à-dire : Que vous sachiez ce qui est passé, que vous croyiez à ce qui est présent et que vous compreniez l’avenir. Que c’est moi (indique) qu’il est le premier, sans semblable, et perpétuel, sans changement. Le mot : Avant moi aucun dieu n’a été formé, et après moi, etc., n’implique pas que Dieu — qu’il soit loué et exalté ! — ait un avant et un après, au contraire, il est avant tout avant, et après tout après, pour (employer) une comparaison et une figure. (Mais l’Écriture) entend par le mot avant moi et après moi, avant que (Dieu) ait créé le monde et après qu’il l’aura fait disparaître. Il est possible aussi que cela signifie avant qu’il ait parlé sur le mont Sinaï, et après qu’il a cessé de parler. Il est possible encore que cela signifie avant d’avoir envoyé les prophètes, et après qu’ils ont cessé, ou avant la délivrance de l’Égypte et après, ou avant la délivrance (messianique) que nous attendons et après, ou avant l’existence du monde futur et après. Donc que ce soit l’un des (événements) que nous avons dits ou quelque autre époque célèbre où il a produit des miracles et des signes, les mots : Avant moi et après moi sont motivés et justifiés. J’ai d’ailleurs expliqué dans le commentaire d’Isaïe que dans la langue de nos ancêtres on dit parfois avant et après (quelqu’un) pour (avant et après) un acte quelconque, comme Joab a dit pour avant : Je n’attendrai pas ainsi avant toi[6], et comme Nathan a dit à Bat Schéba pour après (l’acte) : Et moi je viendrai après toi[7].
Deuxième paragraphe.
Traduction
Parmi les vingt-deux lettres, dont trois principales, sept doubles et douze simples, les trois principales sont : alef, mem, schîn, et elles correspondent au feu, à l’air et à l’eau. Le ciel (est tiré) de l’élément du feu, l’air (est tiré) de l’élément du vent et l’eau (est tirée) de l’élément de la terre. Le feu s’élève en l’air, l’eau descend en bas et l’air reste au milieu entre eux deux. Et de même sont les formes des trois lettres. Le mem semble s’accroupir en s’abaissant, le schin semble s’élancer en l’air et l’alef est comme posé au milieu. De plus, alef, mem, schin se permutent de six façons, et deviennent comme le mâle et la femelle ; et de là sache, discerne et crois que le feu parfois porte l’eau.
Commentaire
(L’auteur) a dans ce paragraphe quatre choses en vue :
1° Que le ciel vient du feu, comme il dit : La production du ciel est le feu, c’est-à-dire : La production du feu est le ciel, par une interversion que j’ai décrite à propos de : abanim schahaqu mayim[8], et que l’air vient du vent, avec une (interversion) analogue. Quant à la terre, l’eau en vient par la transformation naturelle que nous avons mentionnée plus haut[9] ; ici il n’y a pas d’interversion dans les mots[10].
2° Que tout élément plus lourd qu’un autre est (placé) plus bas que lui : l’eau est plus légère que la terre, c’est pourquoi la terre la supporte[11] ; et l’air est plus léger que l’eau, c’est pourquoi l’eau le supporte[11]. Le feu est plus léger que l’air, c’est pourquoi (l’air) le supporte[11] ; (le feu) est donc le plus élevé des éléments.
3° La forme du schin est comme celle du feu et ressemble à une pomme de pin qui s’élève en l’air[12]. La forme du mem est comme celle de l’eau, descendant vers le bas, et la forme de l’alef est comme l’air qui est posé entre les deux.
4° Les différentes combinaisons des lettres, comme cela sera expliqué, produisent des mots durs et des mots doux[13]. Ainsi tu dis : ’émesch (nuit), ’ascham (faute) ; le premier est plus puissant que le second ; maschscha’ (usure[14]), mê’esch (feu), le second est plus aigu que le premier ; sché’im (car si), schemma’ (peut-être[15]), le premier fort, le second mou ; et ce sont les six sceaux, trois forts et trois faibles ; de même les différentes combinaisons des éléments de l’homme et des autres animaux produisent nécessairement l’existence du mâle et de la femelle par la puissance du Créateur : s’il commence par telle de leur parties et termine par telle autre, cela produit un mâle ou une femelle. Cette proposition contient une des raisons données pour expliquer pourquoi (l’embryon) devient mâle ou femelle. (Cela dépendrait soit) du tempérament, soit de la nourriture, soit de l’ardeur, soit de la façon dont tombe (le sperme), soit du côté (d’où il part), soit des éléments qui commencent et qui terminent. L’auteur de ce livre penche pour cette dernière proposition[16].
Le sens de meḥuttal est : enveloppé, enroulé, comme il est dit : Et tu n’avais pas été emmaillotée[17], et aussi : (J’ai mis) la nuée comme son enveloppe[18]. (L’auteur) veut dire que cette chose est mystérieuse.
Troisième paragraphe
Nous avons déjà traduit un passage semblable dans ce qui précède. (L’auteur) ne le répète ici que pour que hé, vav, zayin, ḥet, ṭet, yod, lamed, noun, samekh, ‘ayin, ṣadé, qof, ne soient pas isolés dans le chapitre de la multiplication qu’il va mentionner ; il a donc parlé d’abord de ces sept et de ces trois pour donner le chapitre de la multiplication des vingt-deux lettres.
Quatrième paragraphe
Traduction
Les douze lettres simples avec les autres lettres, le Créateur les a tracées, les a découpées, les a multipliées, les a opposées, les a interverties, et quelle est la façon dont elles se multiplient ; c’est que de deux lettres dérivent deux mots, de trois lettres six mots, de quatre lettres vingt mots, de cinq lettres cent vingt mots, de six lettres sept cent vingt mots, de sept cinq mille quarante, et après cela tu peux compter jusqu’à ce que tu arrives à ce que la bouche ne peut dire, ni l’oreille entendre.
Commentaire
Il a répété les lettres ici pour le chapitre de la multiplication, et il a nommé chaque lettre pierre, par comparaison, de même que la terre a été appelée pierre, puisqu’il est dit : Ou qui a été sa pierre angulaire[19] ? De même le peuple, puisqu’il est dit : De là (vient) le pasteur de la pierre d’Israël[20]. De même le roi, ainsi qu’il est dit : Je vais fonder une pierre dans Sion[21]. De même l’auteur du livre a nommé les lettres pierres.
Il dit donc que le Créateur a donné à ces vingt-deux lettres cinq particularités : ḥaqaqan, ḥaṣaban, ṣerafan, scheqalan, véhémiran. Le sens de ḥaqaqan est : il les a tracées par la voix, ainsi qu’il l’explique ensuite[22] : ḥaquqot beqol (tracées par la voix). Haṣaban signifie : il les a taillées dans l’air, c’est-à-dire il les a séparées, comme il l’a expliqué ensuite : ḥaṣubot beruaḥ (découpées dans l’air). Scheqalan signifie : il les a mises en équilibre, il a donné à chaque lettre un équivalent ; en effet, aucun mot n’a moins de deux lettres. C’est pourquoi celui qui a écrit par inadvertance le jour du sabbat une seule lettre, n’est pas tenu d’offrir le sacrifice expiatoire, et celui qui a écrit avec préméditation n’est pas passible de la lapidation, puisque cela ne forme pas un mot, comme disent les anciens : Celui qui écrit deux lettres, etc.[23]. Toutefois en disant cela, ils ne prétendent pas qu’écrire une lettre soit permis. Hémiran signifie : il les a interverties, comme on dit : ’ab, ba’, ’ag, ga’, et les autres interversions. Pour le sens primitif de ce (mot), il est dérivé de (la signification) de « changement ».
(L’auteur) prend à part le fait qu’il les a multipliées et l’explique en disant : De quelle façon les a-t-il multipliées ? Il décrit donc que le mot composé de 2 lettres peut former 2 mots, par exemple : bg, gb ; s’il a 3 lettres il peut former 6 mots, exemple : ḥfs ; il y en a 2 dont l’initiale est un ḥet : ḥfs, ḥsf ; 2 dont l’initiale est un pé : pṣḥ et pḥṣ ; 2 dont l’initiale est un ṣadé : ṣḥf, ṣfḥ. S’il a 4 lettres, il forme 24 mots, exemple : sch-l-v-m (schalom) ; il y en a 6 qui commencent par schin, dont deux font suivre le lamed : sch-l-v-m, sch-l-m-v ; 2 le mem : sch-m-v-l, sch-m-l-v ; 2 le vav : sch-v-m-l, sch-v-l-m ; 6 avec l’initiale lamed dont 2 font suivre le vav : l-v-m-sch, l-v-sch-m ; 2 le mem : l-m-sch-v, l-m-v-sch ; 2 le schin : l-sch-v-m, l-sch-m-v ; 6 ont l’initiale vav : 2 font suivre le schin : v-sch-l-m, v-sch-m-l ; 2 le lamed : v-l-m-sch, v-l-sch-m ; 2 le mem : v-m-sch-l, v-m-l-sch ; 6 avec l’initiale mem : 2 font suivre le schin : m-sch-v-l, m-sch-l-v ; 2 le lamed : m-l-sch-v, m-l-v-sch ; 2 le vav : m-v-l-sch, m-v-sch-l. Cela fait 24 mots.
Si (le mot) a 5 lettres, comme le mot : ʾ-b-r-h-m (Abraham), il forme 120 mots dont 24 avec l’initiale alef, 6 font suivre le bet, 6 le resch, 6 le hé, 6 le mem ; puis 24 avec l’initiale bet, 24 avec l’initiale resch, 24 avec l’initiale hé, 24 avec l’initiale mem, donc 120.
Et s’il y a 6 lettres comme le mot : b-r-ʾ-sch-y-t (beréʾschit), il forme 720 mots, dont 120 avec l’initiale bet, 120 avec l’initiale resch, 120 avec l’initiale alef, 120 avec l’initiale schin, 120 avec l’initiale yod, 120 avec l’initiale tav, ce qui fait 720 mots.
S’il y a 7 lettres, par exemple : v-ʾ-r-p-k-sch-d (veʾarpakschad), il forme 5 040 mots, 720 avec l’initiale vav, 720 avec l’initiale alef, 720 avec l’initiale resch, 720 avec l’initiale pé, 720 avec l’initiale kaf, 720 avec l’initiale schin, 720 avec l’initiale dal, ce qui fait 5 040 mots.
Et si quelqu’un veut savoir combien de mots sont produits par un nombre supérieur de lettres, c’est-à-dire de huit, neuf, dix lettres et davantage, la règle ici est de multiplier le produit obtenu à l’aide du nombre précédent, par le nombre suivant ; ce qui en résulte, c’est le produit (cherché). Cela s’explique, parce que la conversion de deux lettres produit deux mots, et si tu multiplies 2 par 3, cela fait 6 ; si on multiplie 6 par 4 cela fait 24, ce qui est le produit de quatre lettres ; et si on multiplie 24 par 5, cela fait 120, ce qui est le produit de cinq lettres ; si on multiplie 120 par 6, cela fait 720, et c’est le produit de six lettres ; si on multiplie 720 par 7, cela fait 5 040, et c’est le produit de sept lettres. Si donc on cherche à connaître le produit de huit (lettres), on multiplie 5 040 que l’on a obtenu pour sept lettres par 8, cela fera 40 320 mots. Si on cherche le produit de neuf lettres, on multiplie les 40 320 par 9, tu obtiendras 362 880 mots ; si tu cherches le produit de dix lettres, multiplie 362 880 par 10, cela fera 3 628 800 mots, et si on cherche le produit de onze (lettres) on multiplie ces 3 628 800 par 11, cela fera 39 916 800 mots, et si tu veux savoir (le produit d’un nombre) supérieur (de lettres), tu n’as qu’à opérer d’après cette règle. Mais nous sommes arrivés à 11 et nous nous y sommes arrêtés, parce que le plus grand mot qui se trouve dans la Bible a onze lettres, c’est le mot vehaʾaḥaschdarpenim[24]. Et de la même façon dont se produit cette grande quantité de combinaisons de lettres, toutes les fois qu’on en ajoute une, se produit la grande quantité de combinaisons des hommes, des animaux et des autres plantes, chaque fois qu’il s’ajoute chez eux un accident. Et d’après cette comparaison aussi s’augmente le gain de celui qui cherche à connaître la science, chaque fois qu’il y découvre un fait au moyen duquel il en déduira d’autres, comme les intérêts du marchand s’augmentent chaque fois qu’il augmente le capital de son argent. La science est même supérieure parce que son intérêt s’ajoute toujours au capital de sa fortune et ce n’est pas comme l’intérêt de l’argent qui se dépense d’abord et disparaît[25] ; ainsi qu’il est dit : Car son commerce est meilleur que celui de l’argent, et son produit (vaut mieux) que celui de l’or[26].
Cinquième paragraphe
Traduction
Explication des dix noms que nous avons déjà donnés précédemment et dont nous avons dit que, avec eux, l’Éternel Dieu d’Israël, Dieu vivant, puissant, cause suffisante, noble, sublime, habitant l’éternité, dont le nom est saint, a tracé (les nombres et les lettres). Le nom de yah a deux lettres, le nom de yahvah[27] a quatre lettres. Sebaoth signifie qu’il est un signe[28] parmi son armée. Élohé Yisraël signifie que Israël est un prince pour Lui. Élohim hayyim signifie qu’il a créé tout ce qui est appelé vivant, parmi ce qui coule et ce qui croît. El signifie puissant, capable et fort. Sadday signifie que lorsqu’on arrive à sa conception, c’en est assez. Ram signifie qu’il est dans la (partie) la plus haute du monde, qu’il est plus élevé que tout être élevé. Nissa signifie qu’il porte tout, non comme les porteurs ordinaires, car tout porteur qui est créé a sa charge au-dessus de lui, mais Lui — qu’il soit béni ! — porte le haut et le bas par sa puissance. Qaddosch schemo signifie que lui et ses anges sont saints et le louent chaque jour par trois sanctifications.
La traduction de ce paragraphe en donne le commentaire, et ce sont de nouvelles significations pour l’explication des noms, outre les premières que nous avons mentionnées[29], et il ne reste après cela qu’à ajouter peu de chose que je vais exposer. En disant : Yah a deux lettres, Yahvah a quatre lettres, (l’auteur) entend par là que le nom Yah est la moitié du nom Yahvah. Or la moitié se disait en tout endroit et en tout temps, mais le (nom) entier ne se disait que dans le sanctuaire, dans un temps particulier, et c’est le moment de la bénédiction d’Israël. Car les prêtres disaient dans le temple : Que Yahvah te bénisse[30], comme les anciens ont dit : Dans le sanctuaire on prononçait le nom tel qu’il est écrit et dans le pays (on employait) des paronomasies[31]. Quant à : Il est un signe dans son armée, cela signifie que rien ne lui ressemble et que lui non plus ne ressemble à rien, même pas aux anges, comme il est dit : Qui dans le ciel égale l’Éternel, (qui) ressemble à l’Éternel parmi les enfants des dieux[32]? — Il est prince devant Dieu : c’est conforme à la parole de l’ange à Jacob : Car tu as été prince auprès des dieux et des hommes[33]. Force solide ce mot (’èl) est fréquent dans la Bible dans ce sens, comme il est dit : Je le livrerai au pouvoir (’èl) des nations[34]. De même tous les (exemples de) yesch le’êl (il est au pouvoir de) et ’ên le’êl (il n’est pas au pouvoir de). Certains disent que toutes (les fois qu’on trouve dans la Bible) ’êl à la place de ’êlleh (ceux-ci), (ce mot) désigne à la fois le fort et le faible[35] : d’autres disent que (ce mot) désigne une partie, et tout dépend alors des passages : Mais à ces hommes-ci[36] (ha’êl), ce sont deux sur trois ; et dans le mot : Car à toi et à ta postérité je donnerai tous ces pays-ci[37], il s’agit de sept peuplades sur dix ; quant aux Kénites, Quénizites, Qadmonites, le peuple (juif) ne les a pas soumis, il ne les soumettra qu’au temps de la délivrance (messianique). Et dans le mot : Car toutes ces abominations-ci[38], il s’agit de vingt (abominations) sur vingt-huit, car les (incestes) secondaires ont été transmis par la tradition. Dans le mot : Il s’enfuira vers une de ces villes-ci[39] (il y a ’êl) parce que Moïse a désigné trois (villes) et Josué en a ajouté trois, et dans l’avenir on en ajoutera six. (Dans) le mot : Ceux-ci naquirent aux Géants[40] ; (’êl est mis) parce que Goliat était l’un d’eux ; or il a été tué. Quant à : jusque-là, c’est assez, c’est qu’on remonte d’une cause à l’autre, jusqu’à ce que la dernière soit le Créateur — qu’il soit exalté ! — Car il est assis sur la hauteur du monde, cela ne veut pas dire qu’il soit dans tel endroit plutôt que dans tel autre, mais il est dans tout endroit, comme nous l’expliquerons dans le quatrième chapitre[41] ; nous disons seulement qu’il est dans le ciel, parce qu’il est supérieur à ce que nous pouvons concevoir, car le ciel est la chose la plus haute que nous voyions, nous disons donc qu’il est dans le ciel pour lui rendre hommage. Quant à : Il porte et soutient le monde, l’auteur a déjà donné à ce fait une garantie[42] tirée de l’âme : De même qu’elle est au milieu du corps et le porte tout entier, de même il n’est pas niable que l’objet central porte tous les côtés, comme il est dit : De même que tu ne sais pas de quelle façon l’âme (soutient) comme les os le corps plein, de même tu ne connais pas l’œuvre de Dieu qui fait tout[43]. Il est saint et ses serviteurs sont saints, signifie (qu’ils sont) exempts d’attributs mondains, gardés de toute mauvaise (qualité) comme il est dit pour le Nazir : Il est saint et restera saint[44], ce qui désigne l’abstinence. Chaque jour ils disent : Saint. Bien qu’il ne soit pas expliqué dans le discours d’Isaïe[45] que c’est chaque jour, cette idée se déduit du mot : Lorsque chantent ensemble les astres du matin et que tous les enfants des dieux se font entendre[46].
Sixième paragraphe
Traduction
Quand nous disons que la preuve nous en est (fournie par) des témoins dignes de foi : le monde, l’année et l’âme, c’est que dans tous les (trois) il y a douze degrés inférieurs, sept au-dessus d’eux et trois au-dessus de tous, et des trois éléments il a bâti son sanctuaire, et tous sont suspendus à l’un, signe pour l’être Un qui n’a pas de second, le roi proclamé Un dans son monde, qui est Un et dont le nom est Un.
Commentaire
Que tous les douze dans le monde, l’année et l’âme sont au-dessous des sept, et que les sept sont au-dessous des trois, (nous le voyons) dans le monde (parce que) les signes du zodiaque sont inférieurs en influence et en puissance aux sept planètes ; dans l’année (parce que) les douze mois ne sont comptés que par les sept jours, et dans l’homme les onze organes directeurs du corps sont au-dessous des sept ouvertures qui sont dans la tête ; et leurs principes à eux tous et leurs supérieurs, ce sont les trois éléments qui en comprennent quatre[47].
Dans le mot : Et des trois il a fondé son séjour (l’auteur) a en vue le tabernacle, comme il est dit : Éternel, j’aime le séjour de ta maison et l’endroit où réside ta sainteté[48]. En effet, la toiture du Tabernacle ressemble au ciel, car dans son tissu il y a de la couleur du ciel sombre, qui est l’azur ; et au milieu sont les agrafes pareilles à des boucles d’or, et qui ressemblent aux étoiles dans le ciel, comme on dit : Les agrafes paraissaient dans les étoffes comme les étoiles du firmament[49]. Les bases du Tabernacle qui sont appelées adanîm (soubassements) ressemblent aux bases de la terre, qui sont ses collines et ses montagnes, comme il est dit : Sur quoi ont été fixés ses soubassements[50] ? Et l’air y circulait et la lumière de la résidence y demeurait ; et comme nous croyons que lui — qu’il soit célébré et exalté ! — se trouve en tout, c’est donc comme s’il habitait tout. Et il y a là des points de comparaison pour lesquels peuvent être mis en parallèle le macrocosme qui est l’univers, le monde moyen qui est le tabernacle et le microcosme qui est l’homme. Par exemple, nous disons que les deux luminaires sont dans le monde, les deux yeux dans l’homme et la lampe du candélabre dans le Tabernacle ; nous disons aussi que le firmament sépare les deux eaux du monde, que le rideau sépare le sacré et le profane dans le Tabernacle et le voile qui est appelé « diaphragme » sépare l’organe de la nutrition et l’organe de la respiration dans l’homme. Le reste des dix-huit rapports sous lesquels les trois (mondes) peuvent se comparer, se trouve dans le commentaire sur la construction du Tabernacle. C’est pourquoi il est dit : Et des trois il a fondé son séjour[51].
Par le mot : Et tous sont suspendus à l’Un, il veut glorifier l’Un, parmi les nombres ; en effet, d’abord tout nombre impair est noble parce que, en l’additionnant, on produit des carrés parfaits, car si tu ajoutes 3 à 1 cela fait 4, qui est un carré ; si tu ajoutes 5 cela fait 9, qui est le carré de 3 ; si tu ajoutes 7 cela fait 16, qui est le carré de 4 ; si on ajoute 9 cela fait 25, qui est le carré de 5 ; si l’on ajoute 11 cela fait 36, et c’est le carré de 6 ; de même, chaque fois qu’on y ajoute (le nombre impair suivant). Mais les nombres pairs ne produisent pas par leur addition ce résultat, car si on ajoute 4 à 2 cela fait 6, si on ajoute 6 cela fait 12, si on ajoute 8 cela fait 20, si on ajoute 10 cela fait 30, de même aussi longtemps que tu ajoutes (le nombre pair suivant), il n’en résulte jamais un nombre carré. Telles sont les propriétés du nombre impair ; mais au-dessus de lui sont les propriétés de l’unité, parce qu’elle s’applique à tout (nombre), car on dit : une dizaine, une centaine, un millier et ainsi de suite jusqu’à la fin ; au point que l’on dit : un monde ; et au-dessus est la propriété de l’unité (absolue), car l’unité est ce au-dessus de quoi il n’y a pas d’unité et (Dieu) est au-dessus de toute chose qu’il conçoit dans son esprit avant qu’elle n’arrive à l’existence ; en effet, lorsque (cette chose) apparaît aux sens, elle se compose évidemment de parties assemblées qui ont été nommées (dans leur ensemble) unité, mais l’unité absolue, c’est ce que l’esprit conçoit comme l’origine de toute chose[52], sans que cela apparaisse aux sens, et d’après ce principe, (pour parler) par figure, nous croyons le Créateur — qu’il soit exalté ! — un, et il ne sort jamais de cette conception d’unité, et il y reste établi par la raison d’une façon immuable ; c’est pourquoi il est dit : Il est dans l’unité et qui peut l’en détourner[53] ? Par le mot dans l’unité (l’Écriture affirme que (Dieu) subsiste toujours dans sa nature d’être unique après qu’il a été dit : L’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un[54].
Quant au mot : Et son nom est un, il a été dit pour le temps de la délivrance (messianique)[55], lorsque toutes les langues se seront réduites à une seule, comme il est dit : Car alors je transformerai (les langues) des peuples en une langue pure[56]. Il est exact aussi que son nom sera un signifie (qu’il est) le bienfaiteur et non celui qui afflige, puisqu’il n’y aura au temps de la délivrance messianique ni afflictions, ni malheurs[57], comme il est dit : Et on n’entendra plus le bruit des pleurs ni le bruit des gémissements[58].
[1] Psaumes, xxxii, 9.
[2] Pour dire qu’il y en a plus de dix ou moins de dix.
[3] Genèse, xxviii, 12.
[4] Deutéronome, iv, 35.
[5] Isaïe, xliii, 10. Cf. Amanat, p. 108.
[6] I Samuel, xviii, 14. D’après Saadya, le sens de לפניך est : Avant que tu tues Absalon.
[7] I Rois, i, 14. אחריך signifierait : Après que tu auras parlé.
[8] Job, xiv, 19. Voyez ch. II, § 5. Il est inutile de chercher, comme Saadya le fait, une interversion, car תולדת signifie bien plutôt « origine » que « production ».
[9] Ch. II, § 2.
[10] En n’admettant pas, dans son système, l’interversion pour ce mot, Saadya fausse évidemment l’idée exprimée par תולדת ארץ מים. Le sens est que la terre vient de l’eau ; mais Saadya tient avant tout à ce que la terre soit considérée comme un élément, et il ne s’aperçoit pas qu’il contredit ainsi l’explication qu’il a donnée de la formation de la terre, p. 35.
[11] Litt. : Est une demeure pour lui.
[12] Saadya donne à שורקת et דוממת des sens assez forcés. Il est bien plus naturel d’expliquer, comme le font d’autres commentateurs, שורקת par שרק « siffler », et דוממת de דמם « être muet », ici « donner un son sourd, bas ».
[13] Au point de vue du sens des mots, ainsi אמש « nuit » donne une idée plus imposante, plus sombre que אשם « faute légère », etc.
[14] Nous ne croyons pas qu’il s’agisse ici de משא « fardeau ». Le feu serait plus aigu, plus mordant que l’usure (ou le fardeau ?).
[15] « Peut-être » donne une idée plus incertaine, moins tranchée que « car si ».
[16] Nous ne savons pas si Saadya fait ici allusion à un passage talmudique contenant les six raisons. La dernière est donnée par le Talmud Nidda, 31 a ; une autre dans Berakhot, 5 b.
[17] Ézéchiel, xvi, 4.
[18] Job, xxxviii, 9.
[19] Job, xxxviii, 6.
[20] Genèse, xlix, 24.
[21] Isaïe, xxviii, 16.
[22] Ch. iv, 8 ;
[23] Sabbat, xii, 3.
[24] Esther, ix, 3.
[25] Le marchand est d’abord obligé d’engager de l’argent afin d’en retirer un profit, tandis que la science reste toujours acquise ; on n’est pas obligé d’oublier ce que l’on savait pour apprendre de nouveau. Une pensée analogue se trouve dans l’introduction d’Ibn Djanach au Luma (éd. J. Derenbourg, p. 9).
[26] Proverbes, iii, 14.
[27] Le manuscrit porte יהוה avec deux qemâṣ.
[28] C’est-à-dire un être extraordinaire.
[29] Ch. i, 1.
[30] Nombres, vi, 24.
[31] Tamid, 33 b.
[32] Psaumes, lxxxix, 7.
[33] Genèse, xxxii, 29.
[34] Ézéchiel, xxxi, 11.
[35] Le mot אל indique qu’il y a des forts et par conséquent aussi des faibles. Voyez Yebamot, 21 a, et le Midrash Yalqut sur les trois premiers passages.
[36] Genèse, xix, 8. Deux anges sur trois, car celui qui devait annoncer à Abraham la naissance d’Isaac n’avait pas accompagné les deux autres à Sodome.
[37] Ibid., xxvi, 3. Le Yalqut dit à peu près la même chose.
[38] Lévitique, xvIII, 27. Yebamot, 21 a.
[39] Deuteronome, xix, 11.
[40] I Chroniques, xx, 8.
[41] §1.
[42] Nous corrigeons موضعا en مرحما, en nous rapportant à la fin du premier chapitre.
[43] Qohelet, xi, 5.
[44] Saadya paraît avoir fait ici une confusion de versets. Pour le Nazir il est dit : קדוש יהיה, Nombres, vi, 5 et קדוש הוא, v. 8. On trouve קדוש הוא קדוש יהיה, Exode, xxxii, 3o, à propos de l’huile d’onction.
[45] Isaïe, vi, 8.
[46] Job, xxxviii, 7.
[47] C’est-à-dire qui comprennent un quatrième : la terre.
[48] Psaumes, xxvi, 8.
[49] Sabbat, 99a.
[50] Job, xxxviii, 6.
[51] Les différents Midraschim établissent des rapports entre le tabernacle et ce monde, notamment le Midrasch Tadsché, § 2, 113. (V. Epstein, Beiträge zur jüdischen Alterthumskunde, p. IV, Vienne, 1887. — Revue des Études juives, t. XXI, p. 92.)
[52] Litt. : Pour toute origine.
[53] Job, xxiii, 13.
[54] Deutéronome, vi, 4.
[55] Zacharie, xiv, 9.
[56] Sophonie, iii, 9.
[57] Dieu sera un en ce sens qu’il ne sera plus que le Dieu bon et non le Dieu vengeur.
[58] Isaïe, lxv, 19.
Commentaire sur le Séfer Yeṣira ou Livre de la Création par le Gaon Saadya de Fayyoum. Publié et traduit par Mayer Lambert. Paris, 1891. [Version numérisée : Google].