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Fondement de la Foi | ראש אמנה
Introduction d’Abravanel
Traduction R. Benjamin Mossé (1884)
Ainsi a dit Isaac, fils de mon maître, prince et grand en Israël, Juda Abarbanel ; de la race de Jessé de Bethléhem ; de la postérité de David, chef et bienfaiteur de ma nation ; enfant du peuple dispersé et répandu en tous lieux, descendant des exilés de Jérusalem en Espagne :
J’ai lu les Maroth-Hatsobeoth, ces écrits élevés qui traitent de la Loi de l’Éternel et des prophéties, avec une science merveilleuse, avec une logique admirable ; mon cœur et mes yeux les ont étudiés dans leurs moindres détails ; j’ai également approfondi sous leurs formes les plus célèbres, et examiné dans leurs pensées les meilleures, les paroles des sages et leurs maximes excellentes, pleines de sens, d’intelligence, pures et dégagées de toute erreur ; et j’ai été confus de voir la pauvreté de mon peuple, les enfants chéris de Sion, en connaissance des fondements de la Loi de l’Éternel et des racines de la foi divine des Hébreux : croyance qui est une obligation pour les bons et pour les justes, pour lesquels elle est le feu de la doctrine qui leur enseigne la droiture, et sur lesquels resplendit la lumière de la Loi qui éclaire la terre et ses habitants.
Or, le nombre des principes fondamentaux de la Loi n’a été indiqué clairement ni par les livres, ni par les docteurs. Le langage contradictoire de ces derniers à cet égard, n’engendre qu’obscurité et désordre. Chacun marche devant soi dans la voie de l’exploration et bondit séparément sur les collines.
Examinons chaque théorie et ses adeptes.
D’abord, c’est le grand maître Maïmonide qui est à la tête des moissonneurs, et qui, suivi par plusieurs sages d’Israël, dociles à sa voix, enseigne qu’il y a treize principes dans la foi d’Israël.
Après lui, de nouveaux venus, enhardis par son exemple, prétendent qu’il n’y en a que sept ou huit.
D’autres, renchérissant sur ces derniers dont ils condamnent la théorie, affirment qu’il n’y en a que deux ou trois.
C’est ainsi que la Loi, quoique couverte de saphir, est impuissante, que la foi disparaît, que ses colonnes s’ébranlent, que la vérité est bannie ; qu’elle est isolée comme un lieu de ruines, que tous ceux qui la cherchent ne l’atteignent que dans les sentiers étroits où elle habite pour échapper au bouleversement des idées qui se manifeste en toutes choses, bouleversement que l’on fait naître parmi les pasteurs du troupeau d’Abraham, les sages d’Israël, les vrais croyants, soit à propos des préceptes que l’on déduit de l’explication même et de l’étude approfondie de la Loi, soit à propos des sources où l’on puise l’eau vive pour la communauté d’élite, soit à propos des arguments défensifs que l’on oppose à toute attaque.
Et le peuple murmure, et la nation est éplorée de voir que la flamme de la discussion et de la guerre a éclaté parmi les forts, lesquels aiguisent les flèches de l’argumentation, tendent leur arc contre les racines de la loi bénie, contre le nombre de ses fondements, détruisant ses bases et menaçant son empire !
J’ai entendu les cris des enfants d’Israël, ces fils de Dieu ; ils disent : où allons-nous donc ! Les saints qui habitent la terre, les grandes lumières, les hommes sages et illustres qui siègent sous leurs tentes et à l’ombre desquels nous voulons vivre, se détournent de leurs sentiers, allant à droite et à gauche, recevant sur eux les charbons ardents que soulève le marteau des ouvriers qui frappent sur le feu des querelles. Et dans la lutte de la discussion, nos chefs sont courbés sous le fardeau.
Ces frères qui nous découragent, nous les appelons des destructeurs, car ils se séparent les uns des autres et se livrent à leurs juges. Leur cœur est divisé ; chacun marche dans sa voie, dans des sentiers non frayés ; chacun trouve le sien bon à ses yeux et agréable à l’Éternel ; ils ne se rapprochent ainsi jamais les uns des autres dans leurs pensées ; ils ressemblent à des intelligences séparées.
Et c’est ce qui afflige les vrais fidèles d’Israël, les Jehoudim, qui ignorent à qui s’attacher, boitent des deux côtés et sont comme des insensés. L’âme du croyant est pleine de trouble ; elle est en proie à des angoisses inouïes.
« Qui montera, s’écrie-t-elle, qui montera sur la montagne de l’Éternel ? Qui se maintiendra sur le lieu de sa sainteté, au milieu des Séraphim et des Arélim ? »
Car, nous ignorons sur quel chemin se trouve la lumière pour que les affranchis des ténèbres y marchent. Est-ce celle que nous montre l’aigle des cieux, le grand chef Maïmonide qui préside à la tête des enfants de notre peuple, à la tête des exilés ? Le juste doit-il s’attacher à sa voix et vivre ainsi par sa foi, sans honte ; ou bien, doit-il suivre les sentiers ouverts par les derniers rabbins dont le langage s’est acharné contre Maïmonide, au visage duquel ils ont jeté des orties ?
Ce juste, cette colonne du monde, dont le cœur est comme l’entrée du saint portique, est écrasé par les paroles de ses adversaires qui se laissent aveugler par leur orgueil ; et du haut de la vie éternelle, son esprit et son âme crient vers moi et me disent :
« Les enfants que j’ai fait grandir et que j’ai élevés sont devenus mes ennemis. Ils ont mangé mon pain, ce pain fortifiant, selon leurs besoins ; ils ont bu le vin que j’ai versé ; ils ont puisé l’eau vive, depuis le plus jeune jusqu’au plus grand, à ma source bénie ; et puis ils m’ont jeté la pierre, ils m’ont repoussé, poursuivi, et, dans leur petitesse, ils se sont moqué de moi.
Rêve inouï ! Les esclaves se soulèvent contre leur maître, dont ils secouent l’autorité ; ils l’oppriment, le persécutent !
Parmi ces hommes armés de dards, qui se partagent le butin, se trouvent deux Hébreux querelleurs, deux petits hommes, non encore formés, disciples du rabbin Nissim1 ; tout le monde a pris la fuite à leur voix !
Et toi, fils de l’homme, pourquoi resterais-tu insensible à mon cri, à ma supplication ! Je fais appel à ton zèle ! Que le malheureux ne s’en retourne pas confondu !
Lève la lance pour la gloire de mon nom ; arrête ceux qui me poursuivent ; sois fort, sois vaillant ; que ceux qui en veulent à mon âme soient honteux de voir leurs pieds glisser dans le piège qu’ils m’ont tendu ; donne-leur selon l’œuvre de leurs mains ; que leurs méfaits retombent sur leurs têtes ; qu’ils aient selon leurs mérites ! »
Telle est la voix que j’ai cru entendre ; car j’ai connu les souffrances et les angoisses de mon père, ce char d’Israël, ce sujet de joie pour les exilés d’Ariel (Jérusalem), cette couronne de gloire pour son peuple ; et mon cœur a été rempli de tristesse, en voyant insulter et dépouiller par ses oppresseurs ce nouveau Moïse, à qui Dieu a parlé face à face.
L’excès de mon chagrin et de mon affliction enflamme mon cœur, quand j’entends les hommes intelligents qui instruisent la foule, dire : « Suivons nos amis Hasdaï et Albo, et secouons les liens qui nous attachent à Moïse », cet homme divin, cette lumière de l’Occident ; mon cœur s’agite, ma chair frémit, la crainte et l’épouvante m’envahissent, car j’ai goûté le miel de ses principes fondamentaux, je l’ai trouvé délicieux, j’ai savouré son vin et son lait, tandis qu’eux s’écrient : « Détruisons ses principes, arrachons ses racines, brisons-lui les dents dans sa bouche : brisons les dents du lionceau. »
Mes entrailles bouillonnent et ne seront plus apaisées tant que mon âme sera dans mon corps, car, j’ai fait des recherches dans tous les ouvrages de mon père, et j’ai trouvé que toutes ses pensées sont saines et bonnes, qu’elles triomphent de l’examen, tandis qu’eux l’ont calomnié, qu’ils ont considéré ses paroles comme celles d’un homme égaré, d’un insensé, et qu’ils lui ont rendu la vie amère, le querellant par les arguments faibles, subtils, arides, qu’ils ont dirigés contre lui !
Je suis plein de chagrin, et mon cœur est malade, quand je vois deux colombes orgueilleuses, ou deux chevreuils, se lever pour railler cet aigle aux grandes ailes, ce lion !
Et mon cœur, oubliant son devoir, pourrait-il, pour diminuer mon chagrin, enfouir ma souffrance !
Certes, l’Éternel a créé une chose nouvelle sur la terre : la vigne arrachée de l’Égypte s’est étendue d’une mer à l’autre, jusqu’au pays de la beauté (la terre sainte), et contre elle s’est élevé un rejeton, une racine sortant d’un pays desséché, pour en frapper le fruit, pour en transformer le cep, qui était tout entier d’une espèce supérieure, en branches dégénérées d’une vigne étrangère !
Oui, la douleur a rempli mon âme, quand mes yeux ont été éclairés par la lumière qui attend les justes, et quand j’ai vu à travers ma fenêtre que nul n’est sauvé sur la terre, que nul n’est innocent, que nul ne rend hommage à l’homme de Dieu.
C’est alors que j’ai pris la résolution de lui faire rendre justice, par ma plume et par ma parole. Je veux lui consacrer tout ce qu’il y a de meilleur en moi. Je viens pour le délivrer de la main des Égyptiens qui l’oppriment, qui l’humilient et qui s’écrient : « Détruisez, détruisez ses fondements, éteignez sa flamme ! » Je viens pour l’élever à la hauteur de sa sagesse, en faisant éclater la richesse, la gloire de son savoir, le souffle de son intelligence, dont la magnificence, la beauté et la grandeur se manifestent dans l’ordre avec lequel il a exposé les principes de sa croyance, et dans le livre où il a formulé les racines de sa Loi, où sa doctrine est une : ce qui le sauve de la main de ceux qui en veulent à son âme, qui rompent avec lui toute alliance. Je viens pour le faire asseoir sur les cimes du rocher où repose sa gloire, pour lui donner le rang qui lui est dû, pour découvrir la profondeur et les secrets de sa science, encore enfouis sous la tente mystérieuse qui l’entoure, dans les ténèbres qui l’environnent. Je viens le défendre, le justifier, exciter même les regrets de ses ennemis. Je viens, enfin, faire expiation pour lui et pour sa maison, afin que son âme me bénisse !
Daigne, ô Éternel, je t’en supplie, faire réussir mon entreprise. Accorde à ton serviteur un cœur humble et capable de comprendre les enseignements de l’intelligence ; accorde-lui la grâce et une saine raison ; tourne vers lui les rayons de ta face, pour qu’il puisse pénétrer la pensée du Maître dont la doctrine doit être le soutien et la pierre angulaire de la foi ! Ceins-moi de force, afin que je puisse découvrir, grâce au mérite de mon Maître, la vérité qui ressort de ses écrits et qui s’y épanouit comme une fleur. Que ton conseil me guide dans la recherche du remède qui doit calmer ses blessures ; de grâce, ô mon Dieu, daigne le guérir !
Que ton secours soit ma cuirasse et mon bouclier ; qu’il me permette d’instruire sans péril l’adversaire qui le poursuit, de lui démontrer son erreur ; de dessiller les yeux de tous ceux qui s’éloignent, dont le langage n’est point sincère et qui sont au nombre des pécheurs.
Car, j’ai, comme Maïmonide lui-même, la conviction que dans sa vieillesse (dans l’avenir), il goûtera la joie, qu’il aurait dû éprouver dans sa jeunesse, (de son vivant), la joie de voir les fidèles rendre hommage à la vérité de ses enseignements.
Que de la source la plus haute de tes trésors, ô mon Dieu, ta bénédiction daigne descendre sur le cœur de ton serviteur, afin qu’il puisse faire arriver la lumière des principes de la Loi, de la Doctrine, à la race d’Abraham, pour qu’elle en fasse sa propriété : pensée nouvelle, douce et heureuse ! conviction de mon cœur, forte, inébranlable !
Daigne, ô Éternel, garder ma langue de toute erreur ! Fais que je m’éloigne de toute parole trompeuse, que j’échappe à tout péché, à tout délit ; fais que les expressions de mon cœur, pures et droites, soient accueillies favorablement, d’abord, par les hommes sages et intelligents, puis, à leur exemple, par les premiers de la nation, et, enfin, par tout le peuple !
Or, comme j’expose fidèlement dans ce livre les racines de la Loi et les principes de la Foi, je l’appelle pour toujours :
Le Livre du Principe de la Foi
L’Auteur.
1Ce rabbin vivait en 1040-4800.
Le principe de la foi ou la discussion des croyances fondamentales du Judaïsme par Don Isaac Abarbanel. Traduit par M. le Grand Rabbin Benjamin Mossé. Impr. Amédée Gros (Avignon), 1884. [Version numérisée : Google].