Fondement de la Foi  | ראש אמנה

Chapitre 6. Préliminaires explicatifs de la théorie de Maïmonide (1ère partie)

Traduction R. Benjamin Mossé (1884)


Premier préliminaire : Définition des mots : Hikar : principe,— Schoresch : racine, — Yessed : fondement.

Le mot Hikar : principe, n’a pas le même sens que les mots Schoresch : racine, et Yessod : fondement.

En effet, le Schoresch, racine, se dit du commencement de la plante, de la première portion de son être, de laquelle dépendent et sur laquelle reposent le tronc et les branches de l’arbre, selon la comparaison de Jérémie (ch. XVII) : « Comme un arbre planté sur l’eau et qui vers le ruisseau étend ses racines » et selon ses autres paroles : « Au-dessous de lui, ses racines se dessèchent. »

Le Yestod : fondement, se dit des fondements sur lesquels l’édifice repose, selon ces paroles du psaume CXXX : « Découvrez, détruisez jusqu’à ses fondements » et selon cet autre texte : « Les fondements du monde seront à découvert. »

Donc les mots Schoresch et Yessod ne s’appliquent qu’à un objet qui est la condition sine qua non de l’existence d’un autre objet.

Certes, le mot Hikar a parfois le sens précédent, comme par exemple dans Daniel, ch. II, où il est dit : «  Laissez dans la terre la souche (Hikar) de ses racines » ou, comme dans le langage des Sages qui disent : « Lancez un bâton en l’air, il se tiendra sur sa pointe (Hikar) », ou bien : « Telle prescription a sa source fondamentale (Hikar) dans la loi, ou ne l’a pas. »

Néanmoins, les Sages se servent encore de ce mot pour désigner un objet remarquable dans son espèce, bien qu’il ne soit pas la condition d’existence d’un autre objet.

C’est ainsi qu’ils disent : « Il faut faire la bénédiction sur l’objet principal du repas (Hikar), et cette bénédiction dispense d’en faire une sur l’objet accessoire (Taphel) ; par exemple, on bénit de préférence les fruits de Guinossar : côtes de la mer salée, comme objets principaux du repas, parce qu’ils sont d’une qualité excellente (Berachoth XLI).

Également : (Berachoth XII) à propos du souvenir de la sortie d’Égypte — que Ben Zoma prétend ne devoir plus être rappelée à l’époque du Messie, se fondant sur ce texte formel de Jérémie (xxii). « En ces jours, on ne dira plus : vive l’Éternel qui a fait sortir les enfants d’Israël du pays d’Égypte, mais bien : vive l’Éternel qui a ramené la race de la maison d’Israël du pays du Nord et de tous les lieux où il les avait dispersés », — ils disent que la sortie d’Égypte ne sera pas supprimée de sa place historique, mais seulement que la délivrance de l’asservissement des nations occupera le rang principal (Hikar), et la sortie d’Égypte le rang accessoire (Taphel). De même, ajoutent-ils, quand l’ange dit à Jacob, qu’il ne s’appellerait plus Jacob, il ne voulait pas dire que son nom de Jacob serait effacé, mais que son nom d’Israël serait le principal (Hikar), et celui de Jacob l’accessoire (Taphel).

Il est donc évident que le nom de Hikar s’applique fort souvent à un objet important, bien que cet objet ne soit pas la condition d’existence d’un autre objet ; et c’est encore dans ce sens que les Sages ont dit : « Ce n’est pas l’étude qui est la chose essentielle (Hikar) ; c’est la pratique. »

Il l’a donc lieu de s’étonner que le savant docteur Joseph Albo, au IIIe chapitre de son premier livre, affirme que le nom de Hikar s’applique exclusivement à tout objet qui est la condition sine qua non de l’existence d’un autre objet : affirmation qui engendre l’objection qu’il soulève contre le grand docteur, au sujet des principes de la foi, que celui-ci compte dans son Commentaire sur la Mischna, et qui aux yeux d’Albo ne justifient pas le nom de (Hikar) : principe, dans son sens exclusif.

Il y a d’autant plus lieu de s’en étonner que cette objection peut se retourner contre son auteur lui-même. D’où vient, peut-on dire, que dans la troisième partie de son livre, Albo appelle la Divinité de Dieu un principe (Hikar), auquel il donne pour conséquence le Prophétisme, tandis que c’est tout le contraire ? Le Prophétisme étant le principe par rapport à la Divinité de la loi, qui est la conséquence.

Albo répond, il est vrai, que lorsqu’il pose la Divinité de la loi comme un principe (Hikar), auquel il donne pour conséquence le Prophétisme et lorsqu’il pose de même la Rémunération comme un principe (Hikar), auquel il donne pour conséquence la Providence divine, ce n’est pas qu’à ses yeux le Prophétisme trouve sa raison d’être dans la loi, ni la Providence dans la Rémunération, mais uniquement parce que la loi est le but final de la Prophétie et la Rémunération le but final de la Providence. C’est donc l’importance seule de ces deux croyances, et non leur caractère essentiel, qui leur a valu à ses yeux le nom de principes. C’est ainsi qu’Albo faisant ses objections au grand Docteur, prétend que le nom de Hikar : principe, ne se dit que de la matière d’un objet ou de sa forme essentielle, tandis que, répondant aux objections dont il est l’objet à son tour, il prétend que ce nom se dit du but final d’un objet: contradiction manifeste.

Ce qui est certain, c’est que ce nom peut s’appliquer également aux trois cas précités, savoir : à la matière d’un objet, à sa forme, et à son but final, qui en est le côté le plus essentiel.

Cela posé, on comprendra les paroles du grand Docteur, quand il dit dans son Commentaire sur la Mischna, au commencement des principes qu’il formule : « Qu’il convient d’expliquer que les principes et les fondements de notre loi sont au nombre de treize, parmi lesquels les uns sont des fondements réels, des principes essentiels de la loi, tels que l’Existence de Dieu, la Divinité de la loi, l’Omniscience divine, la Rémunération, et les autres, bien qu’ils soient au rang des fondements, ne sont néanmoins que des principes de croyances excellentes, essentielles, et d’une haute importance.

Après cette distinction préliminaire entre les principes de croyances et les fondements essentiels de la loi, notre Docteur ne s’est plus occupé de les désigner par leur caractère respectif ; il n’a eu en vue que d’enraciner dans le cœur de ses disciples des croyances véridiques, trouvant suffisant d’avoir établi préalablement la distinction précitée, afin d’éloigner de sa théorie toute objection.

De plus, on peut remarquer que les principes de croyance et les fondements établis par le grand Docteur ne sont pas seulement des principes de croyance et de doctrine, mais des principes de foi juive, de sorte que quiconque y ajouterait foi, serait compris au nombre des enfants d’Israël et participerait aux promesses du monde futur, selon ces paroles de la Mischna : « Tout enfant d’Israël aura sa part au monde futur ! »

C’est-à-dire : 1° que ces principes sont les fondements sur lesquels s’établit et se consolide la possession spirituelle du monde futur, pour quiconque s’affirme comme enfant d’Israël ; 2° que celui qui en fait l’objet de sa croyance, quelque nombreux que soient ses péchés, les expiera tout d’abord selon leur importance, et, après son expiation réparatrice, participera au bonheur du monde futur ; et, 3° que sans la foi à ces croyances et à ces principes, l’homme ne pourra prendre possession du monde futur.

C’est ce que confirment les paroles du grand Docteur lui-même, à la fin de son exposé des principes en question: « Lorsque tous ces principes seront entrés dans le cœur d’un homme et qu’il y ajoutera foi, il sera mis au nombre des enfants d’Israël, et alors il faudra l’aimer, avoir compassion de lui, lui faire tout ce que le Créateur recommande à l’homme de faire à l’égard de son prochain en amour et en fraternité. Et ferait-il toutes les transgressions qu’engendrent la concupiscence, les mauvaises passions et l’emportement d’une nature incomplète, transgressions dont il subirait le juste châtiment, qu’il n’en aurait pas moins sa part de la félicité future, pareillement à tout autre pécheur d’Israël. Tandis que l’homme qui ne croit point à un seul de ces principes, comme il convient d’y croire, s’exclut de la communauté d’Israël, nie l’essentiel de la foi, mérite le nom d’hérétique, d’épicurien, détruit les plantes de la croyance, et doit encourir notre aversion, notre répulsion et la perdition selon ces paroles du psalmiste : « Je hais, ô Éternel, ceux qui te haïssent. »

Par ces paroles, notre Docteur prouve évidemment qu’il n’a pas formulé ces principes fondamentaux pour indiquer que la négation d’un seul de ces principes serait la négation de toute la loi, mais pour expliquer cette Mischna qui enseigne que « tout enfant d’Israël aura sa part au monde futur », et pour déterminer les conditions nécessaires pour reconnaître celui qui peut être appelé enfant d’Israël, homme juste, puisant la vie dans sa foi, auquel fait allusion la Mischna en question.

C’est ainsi que notre Docteur enseigne que celui qui ajoute foi aux treize principes fondamentaux qu’il mentionne, mérita le nom de fils d’Israël et une part au monde futur, bien qu’il ne connaisse rien autre de toute la loi ; la croyance à ces treize principes suffisant pour atteindre à la perfection spirituelle.

C’est pourquoi, à tout enfant d’Israël, ou à tout étranger qui séjourne parmi nous et qui vient s’abriter sous les ailes de la divine protection (Schehina), et nous dire : « Enseigne-moi la loi, afin que je sois digne du monde futur », il suffit d’apprendre ces treize principes fondamentaux, sans la croyance desquels on ne mérite point le nom d’Israélite, ni la vie future.

Quant à la raison pour laquelle Maïmonide a fait choix de ces croyances, pour les formuler en principes, plutôt que d’autres, elle sera expliquée dans la suite de ce travail.

Le principe de la foi ou la discussion des croyances fondamentales du Judaïsme par Don Isaac Abarbanel. Traduit par M. le Grand Rabbin Benjamin Mossé. Impr. Amédée Gros (Avignon), 1884. [Version numérisée : Google].

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