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Fondement de la Foi | ראש אמנה
Chapitre 23. Explication de la pensée véritable qui a dirigé Maïmonide dans l’établissement des principes fondamentaux du Judaïsme
Traduction R. Benjamin Mossé (1884)
Je crois fermement que notre grand Docteur et ses imitateurs ont été de bonne foi quand ils ont établi des principes fondamentaux dans la Loi divine, et qu’en cela, ils ont suivi la méthode, des savants des autres nations.
Ils ont vu que toutes les sciences, soit naturelles, soit mathématiques, ont des racines et des fondements qui ne sauraient être niés, ni discutés, et que celui qui les enseigne n’est pas tenu d’expliquer ni de justifier: ce sont les principes premiers, admis comme tels et s’appuyant déjà sur une autre science plus générale et antérieure, ou bien sur la science divine, antérieure et première, par rapport à toutes les autres sciences, et dont les principes premiers sont évidents par eux-mêmes : de sorte que si un homme doutait de l’un des principes préliminaires d’une science quelconque, on pourrait le lui expliquer et lui en démontrer l’évidence, à l’aide des principes généraux posés comme autant de racines sur lesquelles repose toute entière cette science que le penseur ne saurait contester et que la critique ne saurait atteindre, puisque les principes sur lesquels cette science repose, sont admis comme tels et démontrés déjà par une autre science qui les embrasse, ou bien sont d’eux-mêmes évidents.
Par exemple, les sciences naturelles ont leurs fondements dans la science divine, et la science musicale a les siens dans la science des nombres.
Or, nos Docteurs, mêlés aux autres nations, instruits dans leurs livres et dans leurs sciences, apprirent leurs méthodes et les appliquèrent à la Loi divine. Voyant que les peuples enseignaient leurs sciences au moyen de principes préliminaires et de racines qui servaient de bases à leurs études, ils en firent de même, en donnant à la Loi divine des principes fondamentaux.
Cependant, à mes yeux, il n’y a pas de ressemblance entre la Loi divine et les autres sciences. Celles-ci ne s’enseignant qu’à l’aide de la spéculation et de l’étude, on avait besoin, pour ne pas se tromper dans l’explication de leurs préliminaires, de poser des principes primordiaux, lesquels devaient être admis, au préalable, par quiconque étudiait l’une de ces sciences, ces principes primordiaux étant déjà expliqués par une autre science qui les embrasse, ou bien étant évidents par eux-mêmes, comme le sont les axiomes, tandis que la Loi divine, c’est Dieu qui lui a préparé sa voie, c’est lui qui l’a donnée à son peuple, à l’aide de la tradition et de la foi, selon que cela a paru nécessaire à sa perfection ; aussi, point n’a été besoin d’y distinguer des croyances plus fondamentales les unes que les autres, non plus que de donner tels préceptes pour bases à tels autres, tous émanant d’un unique pasteur. De même, il n’est pas une autre Loi, une autre science, une autre intelligence divines qui embrassent notre Loi et qui lui soient antérieures, pour que nous ayons à y puiser les principes primordiaux qui l’expliquent et la justifient.
C’est pourquoi j’affirme avec conviction que notre Loi divine, avec ses croyances, est toute entière véridique, que tous ses préceptes descendent du Ciel, que là base réelle,’éternelle, est la même pour toutes ses croyances, pour tous ses préceptes, soit pour les moindres comme pour les plus graves.
Je crois donc qu’il est inutile de poser dans la Loi divine des principes fondamentaux, au sujet des croyances qu’elle renferme, puisque nous sommes tenus de croire à tout ce qui est écrit dans la Loi, et qu’il ne nous appartient pas de douter du moindre précepte qu’elle contient, ni de croire que nous ayons besoin d’en justifier un seul à l’aide de principes fondamentaux préalablement formulés par nous : car celui qui nie soit les croyances, soit les récits contenus dans la Loi, soit les moindres préceptes, soit les plus importants, ou qui en doute, celui-là est un hérétique, un épicurien, les croyances et les récits de la Loi ne se surpassant point les uns les autres en vérité.
C’est ce qui ressort du passage suivant du Thalmud, Sanhédrin, XCIX :
« Un Docteur enseigne que le contempteur de la parole de l’Éternel, dont parle le Livre des Nombres, ch. XV, c’est celui qui affirme que la Loi ne vient pas du Ciel. — Un autre enseigne que c’est celui qui, tout en admettant que toute la Loi vient du Ciel, en excepte un seul verset qu’il prétend n’avoir pas été prononcé par le Saint-béni-soit-il, mais seulement par la bouche de Moïse ; ou bien, c’est celui qui, tout en admettant que la Loi entière vient du Ciel, en excepte une explication, un raisonnement traditionnel quelconque. »
Donc, d’après ces enseignements, il n’y a dans la Loi divine rien que l’on puisse contester, rien, non plus, que l’on soit tenu particulièrement de croire touchant les principes de la science religieuse et de ses explications ; car, toutes les parties de la Loi, qu’elles aient une petite valeur ou une grande valeur, tout enfant d’Israël est obligé de ‘les accepter avec une égale croyance : la défense de nier la Loi dans son ensemble et d’affirmer qu’elle ne vient pas du Ciel, n’étant pas plus sévère que celle d’en nier un verset, une explication, une interprétation traditionnelle quelconque.
C’est pourquoi les Docteurs du Thalmud (Ibid.) ont considéré Manassé, fils d’Ézéchias, comme un négateur et un épicurien, par la raison, disent-ils, qu’il ne s’appliquait qu’à donner une fausse interprétation à la Loi ; que, par exemple, il disait ironiquement, à propos du texte qui apprend que « Timna était la sœur de Lotan » : « Moïse n’avait-il donc pas à écrire autre chose que Timna était la sœur de Lotan ? »1
Tel est d’ailleurs l’enseignement du grand Docteur, dans son Commentaire sur la Mischna, où il énumère les principes, à propos du huitième: « Que la Loi vient du Ciel » ; voici son langage :
« Soit ces paroles : « Les fils de Cham furent Cousch et Mizraïm » ; soit celles-ci : « Je suis l’Éternel, ton Dieu. » — « Écoute, ô Israël, l’Éternel, notre Dieu, est un! », elles sortent également de la bouche de la Toute-Puissance et font également partie de la Loi de l’Éternel, qui est parfaite, sainte et véridique. »
Ainsi, Maïmonide enseigne qu’au sujet des croyances et de la recherche de la vérité, il ne convient pas de poser dans la Loi de Dieu telles croyances comme bases et principes que le fidèle serait tenu de croire, et telles autres dont il serait permis de douter, car, le fidèle est obligé d’accepter toutes les croyances de la Loi et de croire qu’elles sont véritablement divines : le doute et la discussion ne pouvant tomber sur aucune d’elles.
Et de même que, parmi les croyances, il n’est point permis de distinguer des principes fondamentaux, de même, parmi les préceptes, il n’est point permis de désigner les uns comme étant fondamentaux et plus importants que d’autres.
Nous trouvons, en effet, dans la Loi, des préceptes généraux et très élevés, au sujet des rapports qui existent entre l’homme et Dieu, entre l’homme et son prochain, tels que le souvenir du jour de la Station du Sinaï, celui de la Sortie d’Égypte, la pratique de la droiture et du bien, l’amour du prochain, etc. Or, aucun de nos auteurs précités n’en a mis un seul au nombre des principes fondamentaux. Comment donc, nous, de notre propre autorité, irions-nous apprécier les préceptes et en faire un choix ? La Mischna ne dit-elle pas expressément : « Observe un précepte de peu d’importance avec le même zèle qu’un précepte de grande importance, parce que tu ignores la valeur de la récompense qui est attachée à l’accomplissement des préceptes » (Aboth, II).
Nous ne pouvons donc établir une distinction entre eux, ni poser les uns comme racines ou principes, et les autres comme ramifications ou conséquences.
Quant à notre grand Docteur, nous le justifierons en disant qu’il n’a pas eu l’intention d’établir des principes fondamentaux parmi les préceptes de la Loi, puisqu’il n’a compté, parmi ceux qu’il a énumérés, aucun précepte positif, selon que je l’ai fait remarquer.
De même pour les croyances : il n’a pas appelé principes, celles qu’il a énumérées, pour enseigner que ce sont là des principes que nous sommes tenus de professer exclusivement : sa pensée unique était, en les formulant, de guider dans le bon sentier les hommes qui n’approfondissent pas la science de la Loi, qui ne l’étudient pas et ne la pratiquent pas d’une manière suffisante.
Ces hommes ne pouvant embrasser ni saisir toutes les croyances et les idées que renferme la Loi divine, Maïmonide choisit entre toutes les croyances les treize les plus générales, afin de leur apprendre d’une manière abrégée les connaissances scientifiques que j’ai rapportées au cinquième préliminaire, et afin que tous les hommes, même les ignorants, puissent se perfectionner par l’acceptation de ces croyances.
Telle est la raison pour laquelle il les a désignées sous le nom de principes fondamentaux, ayant en vue la pensée du disciple qui les reçoit et non point le caractère réel du sujet enseigné.
Cela est prouvé, d’ailleurs, par les paroles dont Maïmonide fait suivre l’énumération de ces principes, selon que je l’ai rapporté au commencement de cet ouvrage.
— Et si notre grand Docteur n’a pas mentionné ces principes dans son Guide des Égarés, — où il se livre à de profondes études sur les croyances de la Loi, — tandis qu’il les a énumérés dans son Commentaire sur la Mischna — qu’il fît dans sa jeunesse, — c’est qu’il les a énoncés en vue de la foule et de ceux qui commencent l’étude de la Mischna, et non en vue des hommes d’élite qui approfondissent la connaissance de la vérité et pour lesquels il composa son Guide des Égarés.
Telle est la pensée véritable qui a dû inspirer à Maïmonide l’énonciation des treize principes en question : pensée pieuse dont la réalisation a dû être agréable à Dieu.
— Toutefois, le rabbin Hasdaï, l’auteur du Livre des Principes (Albo), et leurs successeurs, ont pris à la lettre les paroles de Maïmonide et lui ont attribué l’intention de donner aux croyances qu’il a énumérées, le caractère de principes fondamentaux, comme à des axiomes scientifiques, selon que je l’ai indiqué.
Or, à mes yeux, c’est là une grande erreur ; car, bien que nous reconnaissions que les croyances sont profondément différentes les unes des autres et supérieures les unes aux autres, selon l’élévation des sujets auxquels elles se rapportent et qui sont : l’Essence du Créateur, les Intelligences séparées, les Sphères, etc., ce n’est pas à dire que nous pensions que telle de ces croyances soit le principe fondamental, tandis que telle autre n’aurait pas ce même caractère, car, toutes les croyances sont véridiques, et, comme telles, sont toutes également des principes sur lesquels la Loi divine est fondée, au point que nier ou contester la moindre de toutes, c’est nier que la Loi vienne du Ciel. Donc, puisque la Divinité de la Loi serait atteinte par l’annulation d’un récit, d’une idée, d’une croyance quelconque que la Loi renferme, il en résulte nécessairement que tous les récits, toutes les croyances, toutes les idées et tous les préceptes contenus dans la Loi sont tous, et chacun d’eux séparément, des principes fondamentaux de la Loi, et que nous ne devons pas ajouter foi aux uns moins qu’aux autres.
Plusieurs preuves viennent à l’appui de la vérité que j’avance :
La première, c’est que s’il y avait dans la Loi, des principes fondamentaux, il eût été convenable, lors de la Station du Sinaï et de la Promulgation des Dix commandements donnés par Dieu à son peuple, que ces principes fussent mentionnés et formulés, afin qu’ils fassent tous entendus, et que le peuple les reçût et les gardât pour lui et sa postérité ; or, parmi les treize principes énoncés par Maïmonide, un seul, et, d’après Maïmonide, deux seulement, sont mis au nombre des Dix commandements.
La seconde, c’est que si les treize principes en question étaient des principes fondamentaux de la Loi divine, ils auraient été énoncés au commencement de cette Loi, comme cela a lieu pour les principes fondamentaux de toutes sciences, et selon que je l’ai expliqué moi-même, à propos des premières paroles du Pentateuque : « Au commencement Dieu créa les deux et la terre », paroles qui énoncent le principe fondamental de la Loi : la Création du monde : principe formulé, comme on le voit, au commencement de la Loi.
Or, puisque les treize principes fondamentaux en question n’ont été énoncés ni au commencement de la Loi, ni lors de la Station du Sinaï parmi les Dix commandements, il est évident qu’ils ne sauraient être les fondements de la Loi.
La troisième preuve, c’est que s’il l’avait des principes fondamentaux dans la Loi, il eût fallu que la Loi édictât contre quiconque les nierait, un châtiment plus fort que contre quiconque nierait les autres parties de la Loi ; or, cela n’étant pas, — puisque le châtiment de celui qui nie le moindre des préceptes ou le plus petit des textes, est le même que le châtiment infligé à celui qui nie ces paroles : « Je suis l’Éternel, ton Dieu », ou le précepte de n’adorer qu’un seul Dieu, — il est de la dernière évidence qu’il n’y a, dans la Loi, point de paroles qui puissent être mises au rang de principes fondamentaux.
Aussi, au Traité Sanhédrin, f. XCIX, à propos de ce texte talmudique qui ordonne « de considérer comme contempteur de la parole de Dieu, celui qui nie que la Loi vienne du Ciel », le Docteur Eliezer, le Modaïte. enseigne : Que profaner les choses saintes, dédaigner la célébration des fêtes, transgresser l’alliance de notre patriarche Abraham (la Circoncision), donner à la Loi des interprétations contraires à la règle (traditionnelle), c’est se rendre indigne de la vie future, quand même l’on s’amenderait par le repentir et les bonnes œuvres. »
À ces cas, la Guémara ajoute les suivants : « Faire rougir son prochain en public, l’injurier, se glorifier de sa honte. » (Ibid).
Or, la raison de cette privation de la vie future n’est pas comme l’écrit Maïmonide dans son Commentaire sur la Mischna ; « Que ceux, qui se rendent coupables de tels actes, ont une âme inférieure, imparfaite et indigne du monde futur », car, quelle infériorité l’a-t-il à faire de semblables transgressions, qui ne serait pas plus grande encore à transgresser d’autres préceptes non cités par le passage de la Guémara en question ?
La raison de cette privation est que toutes les prescriptions de la Loi, les vertus et les idées qu’elle proclame, sont également divines, et que nier la moindre d’entr’elles, c’est se rendre indigne de la vie future, par cela seul qu’on déracine quelque chose de la Loi et qu’on la conteste dans une de ses parties, fût-ce la moindre.
Enfin, la quatrième preuve, c’est que s’il l’avait dans la Loi des principes fondamentaux, nos Docteurs auraient dû les énoncer, les rapporter et les expliquer séparément, de préférence aux préceptes de la Loi et aux principes de la morale des Pères.
Or, puisque, eux qui nous ont tracé la voie à suivre, ne s’en sont point préoccupés et n’ont point formulé des principes fondamentaux, il est d’une évidence incontestable que, dans leur sagesse, ils n’ont point cru devoir poser des principes fondamentaux dans la Loi divine, parce qu’elle est tout entière, véridique et divine, et que les croyances qu’elle renferme sont également, et au même degré, fondamentales.
1Timna était la sœur du prince Lotan ; elle voulut, dit la tradition, se convertir à la foi des patriarches ; elle se présenta à Abraham, à Isaac et à Jacob qui ne l’y admirent point. Elle devint alors la concubins d’Eliphaz, fils d’Esaü, préférant être une servante dans la race des patriarches qu’une princesse dans une toute autre nation. D’elle descendit Amalek, qui persécuta Israël, ce qui ne fut point arrivé si les patriarches ne l’eussent point repoussée, s’ils l’eussent reçue dans leur foi (Traité Sanhédrin, XCII).
Le principe de la foi ou la discussion des croyances fondamentales du Judaïsme par Don Isaac Abarbanel. Traduit par M. le Grand Rabbin Benjamin Mossé. Impr. Amédée Gros (Avignon), 1884. [Version numérisée : Google].