Fondement de la Foi  | ראש אמנה

Chapitre 20. Réponse à la vingt-quatrième, à la vingt-cinquième et à la vingt-sixième objections

Traduction R. Benjamin Mossé (1884)


Ce sont les quatrième, cinquième et sixième objections que j’ai faites et qui portent sur les paroles de Maïmonide, au commencement du premier chapitre de son Livre de la Connaissance.

Je vais les réfuter en expliquant les paroles en question du grand Docteur.

Réponse à la vingt-quatrième objection. — Justification des caractères de Fondement des fondements, de Colonne des Sciences, d’Être nécessaire, et des textes qui appuient ces caractères attribués par Maïmonide au premier principe.

« Le Fondement des fondements, dit Maïmonide, et la Colonne des Sciences, c’est l’idée d’un premier Être qui a tout produit, dans l’existence unique duquel trouvent leur raison d’être tous les êtres des deux, de la terre et des espaces qui les séparent ; qui subsisterait seul, si tous les autres êtres cessaient d’exister : leur cessation d’existence ne pouvant nullement entraîner la sienne, eux tous ayant besoin de Lui, tandis que Lui-béni-soit-il n’a besoin ni d’eux tous réunis, ni d’aucun d’entre eux séparément. »

Maïmonide commence donc par établir le premier principe qui est l’Existence du premier Être, c’est-à-dire de l’Être qui est premier en élévation, en perfection, et qui existe nécessairement, selon que cela ressort des termes qui l’expriment.

Or, ce principe étant le premier de tous les autres principes et la Colonne sur laquelle tous les autres reposent, notre Docteur l’appelle le Fondement des fondements ; car, de même que les fondements de la Loi sont les principes et les racines sur lesquels la Loi est établie et dont la disparition entraînerait celle de la Loi elle-même, de même le premier fondement n’est pas seulement un des fondements de la Loi, mais encore le Fondement des autres fondements, sur lequel tous s’appuient, et dont l’anéantissement, s’il était possible, entraînerait celui de tous les autres : et c’est là la raison pour laquelle Maïmonide l’appelle le Fondement des fondements, déclarant ensuite que c’est là le grand principe sur lequel tout repose.

Et si au commencement de la seconde partie de son Moré (Guide des Égarés), Maïmonide étaie ce principe sur des arguments rationnels, tandis que dans son Livre de la Connaissance, il le fonde sur des textes bibliques, il n’y a pas là, d’après notre Docteur lui-même, la moindre contradiction, car la raison et la foi s’accordent parfaitement sur la proclamation de ce principe.

C’est au nom de la Loi que Maïmonide l’appelle le Fondement des fondements et qu’il l’appuie, dans le chapitre qui nous occupe, sur des textes bibliques, et c’est au nom de la Science démonstrative qu’il l’appelle la Colonne des Sciences et qu’il l’appuie, dans le Moré, sur des arguments rationnels.

Quant au mot (scham), dont il se sert en formulant le premier principe : « Le premier principe, c’est qu’il y a un premier être, ce mot n’exprime pas dans la pensée de Maïmonide une allusion à un lieu quelconque, mais bien l’existence dans sa généralité ; c’est comme s’il disait : le Fondement des fondements et de tous les principes de la Loi, et la Colonne des Sciences rationnelles, c’est l’idée qu’il l’a dans l’ordre des existences un Être premier par rapport à’ tous les êtres, c’est-à-dire, supérieur en existence, premier et producteur de tout être ; c’est-à-dire, encore, cause première de tous les êtres, puisque tous les êtres des cieux et de la terre, soit les corps célestes qui se meuvent sans cesse, soit les intelligences séparées qui leur communiquent le mouvement, soit la terre qui est le centre (Merkas) autour duquel ils se meuvent, soit les ,êtres qui les séparent, c’est-à-dire, les éléments et leurs composés qui sont entre les cieux et la terre, tous tiennent leur existence de la réalité de l’existence divine.

C’est ainsi que Maïmonide démontre clairement que Dieu est la Cause des causes.

Après quoi, il établit la Nécessité de l’Existence divine en ces termes :

« Si l’on pouvait supposer que Dieu n’existât pas, sa non-existence entraînerait celle des autres êtres — c’est-à-dire, que la Cause ayant disparu, tous ses effets disparaîtraient de même, —tandis que l’anéantissement des effets n’entraînerait nullement celui de la Cause qui fait qu’ils sont. »

L’anéantissement de la Cause première, étant une hypothèse impossible, notre Docteur la pose en ces termes : « S’il venait à la pensée que Dieu n’existât pas… », car, c’est là une chose que l’homme peut imaginer, mais qui ne saurait être.

Les paroles de Maïmonide reviennent à dire : Que tous les êtres ont besoin de Dieu, tandis que Dieu n’a nul besoin des autres êtres, ni réunis, ni pris séparément, car, c’est là ce qui caractérise l’Être nécessaire : son existence ne dépend d’aucune autre, tandis que l’existence de toutes choses dépend de la sienne.

« C’est pourquoi, continue Maïmonide, la réalité de son Existence n’est point comme celle d’aucun autre être, selon que le prophète Jérémie le proclame (ch. X) : « L’Éternel est le Dieu de vérité, lui seul est vérité! », et nul autre être n’a une réalité comme la sienne, selon que la Loi le proclame: « Nul n’existe hormis lui », c’est-à-dire : il n’y a point d’être qui existe réellement comme lui. »

Par là Maïmonide veut expliquer ce que c’est que la réalité de Dieu. Il veut dire : bien que nous disions que Dieu existe et que les autres êtres existent, nous ne voulons pas attribuer à ceux-ci l’existence au même degré qu’à Dieu, mais seulement à des degrés suffisants pour qu’ils vivent, mais variables en moins et en plus d’actualisation.

En effet, l’actualisation des êtres mesure leur existence, et leur existence mesure leur réalité.

Or, l’existence des créatures ne reposant que sur un mélange de forces en puissance et de forces en acte, de forces possibles et de forces nécessaires, et non point sur un système de forces complètement et absolument en acte, il en résulte qu’elles n’existent pas (les créatures) d’une existence complète, d’une réalité absolue, tandis que la réalité absolue convient complètement à la Cause première, parce que son existence est nécessaire en soi et non contingente, et parce qu’elle est entièrement en acte et non point constituée par des forces en puissance ou possibles.

C’est pourquoi l’existence de Dieu n’est pas comme l’existence des autres êtres, ni sa réalité, c’est-à-dire, ses actes, comme la réalité, les actes des autres êtres : son existence étant nécessaire et sa réalité, absolue, tandis que l’existence des autres êtres est en soi contingente, que leur réalité n’est point en acte, mais seulement en puissance, que leur être est mêlé au non-être.

L’existence et la réalité ne sont donc applicables d’une manière absolue qu’à Dieu-béni-soit-il, et non aux autres êtres.

C’est là précisément ce que Maïmonide a voulu déduire du texte de Jérémie : « L’Éternel est le Dieu de vérité ! » — Le sens de ce texte est, en effet, défini par celui du chapitre où il se trouve :

« Écoutez, dit Jérémie (ch. X), écoutez la parole que l’Éternel vous adresse, ô maison d’Israël ! Ainsi dit l’Éternel : N’apprenez pas à marcher dans la voie des nations ; n’ayez point peur des signes des cieux, dont s’épouvantent les nations ! »

Ces paroles contiennent deux avertissements pour les Hébreux : 1° elles les avertissent de ne pas imiter les mœurs des nations, c’est-à-dire, le culte des idoles vides de toute réalité ; 2° elles les avertissent de ne point s’épouvanter des signes des cieux dont s’effraient les nations, car, celles-ci étant sous la conduite des chefs supérieurs, selon ce texte : « L’Éternel, ton Dieu, les a donnés en partage à tous les peuples », il était naturel qu’elles les craignissent, mais les enfants d’Israël qui sont spécialement sous la conduite de Dieu, selon cet autre texte : « Mais vous l’Éternel vous a pris, etc. » ne doivent point s’effrayer des signes des cieux, puisqu’ils n’ont point de puissance ni de prise sur le peuple d’Israël.

Jérémie revient au premier avertissement qui a pour but d’éloigner Israël des mœurs des nations, quand il ajoute : « Car, les règles de la vie des peuples sont chose vaine ; ils ont pour objet d’adoration, des bois coupés dans la forêt, façonnés par des mains habiles, ornés d’argent et d’or, et dont les parties sont fortement réunies par le fer ; des bois que l’on redresse comme des palmiers, qui ne parlent point, et que l’on transporte, car, ils ne marchent point ! »

C’est-à-dire, qu’ils n’ont point en eux d’esprit moteur, et bien moins encore de langage ; donc : « N’en ayez point peur, car, ils ne font point de mal et ne peuvent même faire du bien. » C’est-à-dire, qu’ils n’ont point la force de mal faire, non plus que celle de bien faire, car, ce sont des corps inertes.

Et il revient au second avertissement qui a pour but de rassurer Israël contre les signes des cieux, quand il ajoute : « Nul n’est comme toi, ô Eternel, tu es grand et ton nom est puissamment grand ! »

Paroles qui signifient : « Nul n’est comme toi, ô Éternel, ni parmi les corps célestes, ni parmi les intelligences séparées.

Elles signifient encore : Que le Saint-béni-soit-il est grand par lui-même et qu’il ne reçoit d’aucun autre être l’influence que tous les êtres reçoivent de lui : c’est le sens de ces mots : « Tu es grand ! »

Quant aux paroles suivantes du prophète : « Qui ne te craindrait, ô Roi des nations ! C’est toi qu’il convient de craindre, car parmi les sages des nations et dans tous leurs royaumes, nul n’est comme toi ! », elles sont très étranges, car le Saint-béni-soit-il n’est pas au nombre des Rois des nations ni de leurs sages, pour que la comparaison que fait ici Jérémie ait un sens quelconque ; elle ne peut se comprendre qu’à l’aide de l’explication que voici :

« Même les Rois des nations et leurs sages, que n’éclaire point la lumière de la Loi divine, reconnaissent et apprécient au milieu de leurs investigations et de leurs méditations, la Grandeur de Dieu et son Élévation, ce qu’atteste plus tard Malachie (ch. I), en ces termes : « Mon nom est grand parmi les nations, du couchant à l’aurore ! »

Tel est le sens des paroles de Jérémie : « Qui ne te craindrait, ô Roi des nations ! » c’est-à-dire : Quel est le Roi des nations qui ne te craindrait ? » C’est toi qu’il convient de craindre », car, c’est toi qui es le grand Auteur, et non point les cieux ni leurs moteurs, « car, parmi tous les sages des nations et dans tous leurs royaumes, nul n’est comme toi », c’est-à-dire, que leurs sages et tous les gens des royaumes reconnaissent que nul n’est comme toi.

« En un seul point ils délirent et sont insensés, c’est qu’un bois est l’objet de leur vaine morale », c’est-à-dire : Qu’à l’endroit de la Cause première, tous les sages des nations reconnaissent l’élévation de son existence ; ils ne font erreur qu’en un point, c’est au sujet des intermédiaires qu’ils établissent entre eux et le Créateur, car, ils se font des talismans dans le but de s’attirer la faveur des êtres supérieurs, et c’est là ce que le prophète appelle : « Une morale de vanité ; un argent étendu en lingots, apporté de Tarais, un or apporté d’Ouphaz, travaillé par les mains habiles d’un fondeur, et revêtu de pourpre et d’écarlate : œuvre de tous leurs sages ! »

Par ces dernières paroles, Jérémie indique que ceux qui délirent ainsi ne sont pas seulement les gens du peuple, mais que tous les sages des nations font la même erreur, et établissent de semblables intermédiaires entre eux et le Créateur : erreur énorme qu’il flétrit en déclarant : « Que l’Éternel est le Dieu de Vérité ! »

Nous avons déjà fait remarquer que le nom composé des lettres j. h. v. h. qui signifie l’Éternel, se dit seulement de la Cause première, à laquelle aucun autre être ne saurait être associé, et que le nom l’Elohim, se dit du Guide tout-puissant et infini.

Or, les sages des nations reconnaissent l’Existence nécessaire de Dieu, ce qu’indique ce texte de Jérémie : « Nul n’est comme toi, ô Éternel ! » ; mais ils nient qu’il surveille et conduise ce bas-monde, ce que Jérémie fait entendre, en omettant dans ce texte le nom d’Elohim. C’est pourquoi il leur rend hommage sur le premier point et les condamne sur le second, en proclamant que : « l’Éternel (j. h. v. h.) est le Dieu (Elohim) de Vérité ! », c’est-à-dire : Que l’Être nécessaire, tout-puissant, qui guide le monde, est le Dieu réellement vrai.

Et c’est par opposition aux idoles que Jérémie ajoute : « Il est le Dieu vivant ! », enseignant par là qu’en Dieu seul se trouvent et la vie et le sentiment, et non dans les idoles.

À propos des signes des cieux, le prophète dit encore, en parlant de Dieu : « Il est le Roi du monde, son courroux fait trembler la terre et les nations ne pourront contenir sa fureur ! », car, c’est lui qui est l’Auteur et le vrai Conducteur du monde ; c’est donc son courroux qui fera trembler la terre, et non, les signes des cieux.

Jérémie continue en langue chaldéenne : « Ainsi vous leur direz : les dieux qui n’ont point fait les cieux et la terre, périront sur la terre et sous les cieux ! »

Par ces paroles, il apprend, disent les commentateurs, il apprend aux Juifs à répondre aux Chaldéens qui discutaient avec eux sur ce point.

Mais la meilleure explication de ce texte me paraît être celle-ci : le prophète veut donner par ce texte chaldéen, une preuve fondamentale de la Divinité du Tout-Puissant et de la Nécessité de son existence, à propos des cieux et de leurs moteurs.

Ce texte signifie donc : Ainsi vous direz à ces nations qui adorent les idoles, et à leurs sages : les dieux qui n’ont point fait les cieux et la terre, qui ne sont pas la cause qui les a produits et qui les conserve, ces dieux-là doivent périr au-dessous des cieux, c’est-à-dire, ne doivent pas, être adorés, car, la création des cieux et de la terre prouve qu’ils sont contingents, qu’ils n’ont que des forces en puissance, et qu’ils n’ont point la plénitude de l’être et de la réalité, contrairement au Dieu (vrai) qui les crée et qui les renouvelle sans cesse.

Telle est l’explication de ces paroles : « L’Éternel est le Dieu de Vérité » invoquées par Maïmonide, et telle est l’explication du chapitre de Jérémie qui confirme son opinion.

Quant à ce texte du Pentateuque, également invoqué par notre Docteur : « Tu as appris à connaître que l’Éternel est le Dieu et que nul n’existe hormis lui », par lequel il démontre qu’il n’y a pas d’existence (vraie), réelle, hormis celle de Dieu, nul doute que le mot vraie. Emeth, ne se trouve pas exprimé dans ce texte, mais, aussi, nul doute que ce mot ne s’y trouve sous-entendu selon que l’indiquent les termes du texte en question.

En effet, ces paroles : « Nul n’existe hormis lui » ne peuvent être entendues qu’en ce sens : Il n’y a rien de réel dans l’existence, si ce n’est Dieu-béni-soit-il ; car, ce texte ne vient point nier la multiplicité des êtres, puisque ceux-ci tombent sous les sens ; il ne peut non plus signifier qu’il n’y a point de dieux (forces) hormis lui (la sienne), car les intelligences séparées sont appelées des dieux (forces) ; comment donc ce texte pourrait-il nier qu’il existe d’autre dieu (force) que lui ?

D’après Maïmonide, ce texte ne peut que se rapporter au précédent : « Que l’Éternel est le Dieu » delà manière suivante :

« Le nom d’Éternel : (j. h. v. h.) désignant l’Être nécessaire et étant le nom ineffable de Dieu, et, d’autre part, le nom de Dieu : (Elohim) désignant l’Être tout-puissant, le Guide de l’Univers ; la réunion de ces deux noms (des attributs qu’ils expriment) constituent l’Être hormis lequel il n’en est point d’autre, l’Être nécessaire et infiniment puissant. »

Or, la nécessité d’existence, c’est l’actualisation absolue, la complète réalité de l’être, selon que je l’ai déjà indiqué ; aussi Maïmonide affirme-t-il que nul n’existe hormis l’Être nécessaire ; et c’est le nom formé parles quatre lettres j. h. v. h. qui exprime par son sens littéral la réalité de cet Être.

Réponse à la vingt-cinquième objection. — Justification des preuves rationnelles apportées par Maïmonide à la démonstration de l’Existence de l’Être nécessaire, premier et unique.

Après avoir posé l’Existence du premier Être comme Être nécessaire, Maïmonide continue :

« Cet Être, c’est le Dieu de l’Univers, le maître de toute la terre, qui conduit la sphère du monde par une force illimitée, infinie et incessante : car, la sphère tourne continuellement ; or, elle ne peut tourner sans une force qui la fasse mouvoir ; cette force motrice, qui n’a à son service, ni main, ni corps, c’est Lui-béni-soit-il. »

C’est ainsi que — après avoir écrit, au commencement de son Livre de la Connaissance : que le premier principe est le Fondement des fondements de la Loi et la Colonne des Sciences rationnelles, ce qu’il démontre par le raisonnement et à l’aide des textes les plus concluants de la Loi, — Maïmonide a cru devoir faire connaître que ce principe est le même que celui que les philosophes appellent : le Dieu de l’Univers, le maître de la terre, le moteur de la sphère.

C’est comme s’il avait dit : Cet être que nous avons expliqué conformément aux textes de la Loi, est celui-là même que l’étude et la réflexion nous font concevoir.

Or, les preuves que Maïmonide apporte à l’appui de l’Existence de cet être, au second chapitre de son Guide (Moré), sont tirées, soit de la considération de l’existence de l’Univers et de l’harmonie de ses parties, soit de la considération de l’existence des choses et de leur anéantissement, soit de la considération du mouvement de la sphère du monde.

La preuve tirée de cette dernière Considération est admise à la fois parles partisans de l’Éternité du monde et par ceux de la Création ex-nihilo, selon que notre Docteur le fait remarquer lui-même à l’endroit précité.

C’est à ces trois ordres de preuves que correspondent ici les paroles de Maïmonide ;

Ces paroles : « Cet être est le Dieu de l’Univers » correspondent à la preuve tirée de la Considération générale de l’Univers.

Celles-ci : « Maître de toute la terre » correspondent à la preuve tirée de la Considération de l’existence des êtres et de leur destruction.

Celles-ci, enfin : « Conducteur de la sphère du monde » correspondent à la preuve tirée de la Considération du mouvement céleste, soit d’après les partisans de l’Éternité du monde, soit d’après ceux de la Création ex-nihilo. Et comme l’infini existe à la fois en immensité et en durée, notre Docteur, en établissant que Dieu conduit la sphère du monde avec une force sans limite et sans fin, exprime les deux sortes d’infini, désignant l’infinité d’immensité par ces paroles : « Avec une force sans limite et sans fin », et l’infinité de durée, par celles-ci : « Avec une force sans cessation. »

Il ressort de ce qui précède, que la preuve tirée par notre Docteur du mouvement céleste illimité et infini, est conforme à l’opinion du philosophe et non à celle du croyant, ce qui n’empêche pas qu’elle soit valable, car Maïmonide ne la rapporte qu’à titre de preuve philosophique.

Nous pouvons encore dire que l’infinité dans le temps que rapporte ici Maïmonide, a un sens tout autre que celui donné par le philosophe. D’après Maïmonide, ce n’est pas un infini dans le passé, à parte ante, puisque la sphère a eu un commencement, mais seulement un infini à parte pont, c’est-à-dire, ne regardant que l’avenir.

Quant à ces termes : « C’est Dieu qui la fait mouvoir », ils sont conformes à l’opinion qui prétend que le premier moteur c’est la cause première, ce qu’admet également notre Loi, où nous lisons : « L’Éternel est debout sur le monde. » — « Tu chevauches sur les deux (tu les fais mouvoir) par ton salut. » — « Exaltez celui qui chevauche dans les plaines des deux : (Araboth) (qui les fait mouvoir). » — « Gloire à celui qui chevauche sur les deux des deux antiques (qui les fait mouvoir) » (Ps. LXVIII.)

— Maïmonide ajoute encore : « Que la connaissance de cette vérité est un précepte positif de la Loi, ainsi formulé : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison des esclaves ;

« Que quiconque prétend qu’il y a un autre Dieu que Lui, transgresse un précepte négatif de la Loi, ainsi formulé : « Il n’y aura pour toi point d’autre Dieu devant ma face », et nie par là le principe fondamental sur lequel tout repose. »

La vérité dont parle ici Maïmonide, n’est point celle de l’Existence de Dieu, mais celle de la Nécessité de son Existence, telle que la démontrent les textes mêmes rapportés précédemment par notre Docteur.

J’ai déjà expliqué que le nom de précepte n’est applicable qu’à la recherche des vérités en question, à savoir : Que Dieu est le premier être, qu’il est l’auteur de tous les autres êtres, et qu’il existe nécessairement: ces vérités étant du ressort de la connaissance et de l’enseignement, et la connaissance et l’enseignement étant l’effet de la libre volonté, laquelle justifie le nom de précepte donné à la recherche des vérités que la connaissance et l’enseignement ont pour objet, bien que cette connaissance et cet enseignement engendrent dans l’âme sur laquelle ils agissent, la croyance, qui n’est point du ressort de la volonté, ni de la liberté, selon que cela est expliqué au dernier préliminaire.

— J’ai également expliqué par quel système d’exégèse, notre Docteur tire ce précepte, du texte : « Je suis l’Éternel, ton Dieu » : les lettres j. h. v. h., dont est formé le nom d’Éternel, signifient la Nécessité d’existence, et le nom d’Elohim : (ton) Dieu, signifie la puissance infinie, quand il est appliqué à l’Être Suprême.

— Après avoir formulé le précepte positif qui se trouve dans ce principe fondamental, Maïmonide formule, dans les termes suivants, le précepte négatif qui s’y trouve également : ’

« Quiconque prétend qu’il existe un autre Dieu que celui en question, transgresse un précepte négatif de la Loi. »

C’est-à-dire, que quiconque prétend que l’Être nécessaire n’est pas le Dieu d’Israël, et que le Dieu de ce peuple est un tout autre être, celui-là transgresse un précepte négatif de la Loi et nie le premier principe fondamental, qui est le plus grand de tous les principes et la base sur laquelle tous reposent.

Le précepte négatif dont il s’agit, ne correspond pas au précepte positif de l’Unité, c’est-à-dire, qu’il n’a pas pour but de défendre de croire qu’il existe un autre Dieu qui serve de second au premier, mais il correspond au précepte positif du premier principe, c’est-à-dire, qu’il a pour but de défendre de croire que le Dieu vrai n’est pas le premier être, mais un autre être, ce qui serait la négation absolue du premier être.

Et c’est là précisément le sens des termes de Maïmonide, quand il dit: « Celui-là nie le principe fondamental », ce qui veut dire, non point « qu’il ajoute à la Divinité un second Dieu », mais « qu’il nie le premier principe lui-même », en lui retirant le caractère divin pour l’attribuer à un autre être, ou bien, en contestant même l’existence d’un Dieu dans l’Univers, selon la doctrine des Epicuriens.

Maïmonide appuie cette démonstration sur ce texte :

« Tu n’auras pas d’autre Dieu devant ma face ! », conformément à l’explication qu’il donne, dans son Guide (Moré) Iʳᵉ partie, chap. 37, du mot panim : (face), qui signifie d’après lui, Existence, de sorte que ce texte veut dire :

« Tu n’auras pas un autre Dieu et tu ne croiras pas à la divinité d’un autre être en opposition à l’Existence de l’Être nécessaire et essentiellement véridique ; ou bien, conformément aux sens à Antériorité qu’a parfois le mot panim : (face), comme dans ce texte du psaume 102 : « Antérieurement tu fondas la terre » ou dans celui de Ruth, chap. 4: « Jadis en Israël », de sorte que le texte en question signifierait :

« Qu’il ne faut pas s’imaginer qu’il y ait eu un Dieu antérieur à lui, d’une antériorité quelconque, cela ne pouvant être, car les dieux (les puissances adorées par les païens) sont indubitablement Ahérim : derniers, postérieurs à l’Être nécessaire dont ils dérivent, et sont d’une existence postérieure à celle de cet Être et non sur sa face, c’est-à-dire antérieure.

— Maïmonide écrit encore :

« Ce Dieu est un, et non pas deux, ni plus de deux ; il est un, d’une unité comme il n’y en a point parmi les unités des êtres du monde ; son unité n’est point comme celle de l’espèce qui embrasse un grand nombre d’êtres uniques, ni comme celle du corps qui se divise en diverses parties et en divers linéaments ; il est d’une unité comme il n’y en a point de comparable dans l’Univers. »

C’est ainsi qu’après avoir expliqué le premier principe qui est celui de l’Existence nécessaire de Dieu, il rapporte le second principe qui est celui de l’Unité de Dieu.

Et parce que dans l’Unité de Dieu sont comprises deux idées, selon que je l’ai expliqué au troisième préliminaire, à savoir : 1° que Dieu est unique sans second ni associé, et 2° sans multiplicité ni composition d’éléments, notre Docteur les rappelle en formulant le principe fondamental de l’Unité.

Ainsi quand il dit : « Ce Dieu est un et non deux, ni plus de deux », il a en vue la première idée, à savoir : que Dieu n’a ni second ni associé ; et quand il dit : « Il est un d’une unité sans pareille parmi les unités de l’Univers, etc. », il a en vue la seconde idée, à savoir : que Dieu est sans multiplicité et sans composition d’éléments.

C’est ce qui explique les paroles suivantes : « Son unité n’est pas comme celle de l’espèce qui embrasse de nombreuses unités, ni comme celle du corps qui se divise en de nombreuses parties et divers linéaments », tout corps se subdivisant à l’infini et ne pouvant par conséquent constituer une unité absolue.

Réponse à la vingt-sixième objection. — Justification de la preuve l’Unité de Dieu, tirée par Maïmonide du principe de l’Incorporalité de Dieu, et du mouvement incessant de la sphère.

Maïmonide continue : « S’il l’avait plusieurs dieux, ils seraient corporels, parce que les êtres égaux en existence, ne se distinguent les uns des que par les accidents qui surviennent à leurs corps. »

« Or, si le Créateur était corporel, il serait limité et fini, car il est impossible qu’un corps ne soit pas limité et fini, et tout être qui a un corps limité et fini, n’a qu’une force également limitée et finie. »

« Mais notre Dieu-béni-soit-il, a une force infinie et incessante, — puisque la sphère du monde tourne continuellement et que c’est lui qui la fait mouvoir, — cette force ne peut être celle d’un corps ; et, puisqu’il n’est pas corporel, il ne saurait être soumis aux accidents corporels qui le différencieraient et le distingueraient d’un autre que lui.

« Donc, il est impossible qu’il ne soit unique.

La connaissance de ce principe est l’objet d’un précepte positif de la Loi, formulé en ces termes :

« Écoute, Israël, l’Éternel notre Dieu est unique ! »

Cette nouvelle démonstration de l’Unité de Dieu, Maïmonide l’établit sur le raisonnement, en la faisant reposer sur le principe de l’Incorporalité, parce que l’Unité et l’Incorporalité de Dieu ne forment au fond qu’un seul et même principe et impliquent également la nécessité de l’Existence.

C’est ce qui explique ces paroles : « S’ils étaient plusieurs dieux, ils seraient nécessairement corporels, car les choses égales en existence ne se distinguent les unes des autres que par les accidents qui les atteignent. » C’est ainsi que l’on dit que Ruben se distingue de Siméon, parce que l’un est blanc et l’autre brun, l’un grand, l’autre petit.

Or, si le Créateur était corporel, soumis aux accidents, il serait limité et fini, car il serait impossible qu’il fût à la fois corporel et infini.

De plus, s’il était corporel et fini, sa force ne pourrait être également que finie, selon que Maïmonide l’explique dans son huitième livre, intitulé : Du Schéma, en ces termes : « Il est impossible qu’une force infinie réside dans un corps fini. Et puisque nous savons que le Saint-béni-soit-il a une force infinie — ce qui est prouvé par le mouvement de la sphère du monde qui tourne continuellement, depuis le commencement de la Création, sans que jamais elle ne cesse de se mouvoir, d’où il résulte que le monde serait-il éternel et son mouvement éternel, le Saint-béni-soit-il n’en aurait pas moins nécessairement une force infinie — il n’est ni un corps ni une force dans un corps, car dans l’un et l’autre cas, il ne serait pas infini en force.

Telle est la nouvelle preuve de l’Unité de Dieu, donnée par notre Docteur.

Si l’on objecte que son argument n’embrasse point ici les deux espèces d’unité déjà mentionnées par lui-même, puisqu’il ne repose que sur ce principe : qu’il n’y a pas deux dieux ni plus de deux ; laissant de côté celui-ci : que Dieu n’est pas une Unité composée ?

Nous répondons que par ces paroles : « Si le Créateur était corporel, il serait limité et fini », notre Docteur embrasse précisément la seconde espèce d’unité en question, car, il en résulte, comme conséquence logique, qu’il est impossible que le Créateur ne soit pas l’Unité absolue.

— À propos de l’argument qui établit que : « S’il l’avait plusieurs dieux, ils ne pourraient être que corporels : les êtres ne se distinguant les uns des autres que par les accidents qui atteignent les corps », à propos de cet argument, si l’on objecte que les intelligences séparées de la matière, ainsi que les âmes après la mort, d’après l’opinion des croyants, tombent pourtant sous la multiplicité et sous le nombre, et que rien n’empêcherait qu’il en fût de même pour la Divinité si elle était multiple ?

Nous répondrons : que notre auteur partage l’opinion d’Ibn-Sina1, à savoir : « Que les substances séparées ne tombent sous le nombre que parce que l’une est la cause de l’autre qui est son effet » ; mais que même partagerait-il l’opinion d’Ibn-Rosch2, à savoir : « Que les êtres séparés ne diffèrent les uns des autres que par le degré de perfection propre à chacun d’eux », aucune de ces deux opinions ne serait applicable à des dieux multiples qui devraient être égaux en élévation divine, car elles ne sont applicables qu’aux âmes qui se distinguent les unes des autres par les connaissances intellectuelles acquises au moyen du corps, de même que les corps ne diffèrent les uns des autres que par la forme qui fait leur différence, distinction et différence auxquelles la Divinité ne saurait être soumise.

— Ainsi se trouvent justifiées ces paroles de Maïmonide, à savoir: Que les êtres égaux en existence ne sauraient être distingués les uns des autres.

Quant à la question de savoir si l’opinion d’Ibn-Sina touchant les substances séparées, est la vraie, ou bien si c’est celle d’Ibn-Rosch, ce n’est point ici le lieu de la trancher, non plus que le lieu d’approfondir cette opinion préliminaire, à savoir : que toute force répandue dans un corps est finie, pareillement au corps où elle se trouve, cette doctrine méritant de longues réflexions.

— Dans le Livre de la Connaissance, toutes les questions qui précèdent, se présentent superficiellement, relativement au but de l’ouvrage.

Ainsi Maïmonide tire le précepte de croire en l’Unité de Dieu, de ce texte : « Écoute, ô Israël : l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un », auquel il donne le sens que voici: le Nom-béni-soit-il a ordonné que l’on écoute, c’est-à-dire, que l’on comprenne, que l’on connaisse cette vérité, à savoir, que ces mots : L’Éternel, notre Dieu, qui expriment l’existence éternelle et la puissance infinie, ne s’appliquent qu’à Un seul Être, car la théodicée démontre que l’Être nécessairement existant ne saurait être qu’unique.

C’est pourquoi, après ces mots : L’Éternel est notre Dieu, le texte ajoute : L’Éternel est un.

C’est ainsi que Maïmonide établit à la fois le second principe de notre croyance, à savoir : L’Unité de Dieu, et le troisième, à savoir : Son Incorporalité, ces deux principes se démontrant par les mêmes arguments.

Et comme il cite des textes à l’appui du principe de l’unité, il en cite également à l’appui de celui de l’Incorporalité :

« Il est prouvé, dit-il, par des textes de la Loi et des Écrits saints, que le Saint-béni-soit-il n’est pas corporel, etc. »

Il croit, ensuite, devoir repousser les objections que l’on pourrait tirer de certains textes contre l’Incorporalité de Dieu, en affirmant : que la Loi parle le langage des hommes pour se mettre à la portée de leur intelligence, et que les anthropomorphismes que l’on trouve chez les prophètes, ne sont que l’effet de leur vision prophétique, c’est-à-dire, sont subjectifs en eux et n’ont point d’objectivité en Dieu.

— Tel est le sujet du chapitre du Livre de la Connaissance précité ; tel est son objet général, que je n’ai pas cru devoir expliquer ici complètement, mais seulement d’une façon suffisante pour résoudre les vingt-quatrième, vingt-cinquième et vingt-sixième objections, faites aux paroles de notre Docteur.


1Philosophe arabe du Xe siècle, né en août 980.

2Autre philosophe arabe du XIIe siècle, ni en 1126.

Le principe de la foi ou la discussion des croyances fondamentales du Judaïsme par Don Isaac Abarbanel. Traduit par M. le Grand Rabbin Benjamin Mossé. Impr. Amédée Gros (Avignon), 1884. [Version numérisée : Google].

Retour en haut