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Fondement de la Foi | ראש אמנה
Chapitre 19. Réponses aux vingt-unième, vingt-deuxième et vingt-troisième objections.
Traduction R. Benjamin Mossé (1884)
Sommaire
ToggleRéponse à la vingt-unième objection. — Explication de l’omission de plusieurs principes, dans son Livre de la Connaissance, reprochée à Maïmonide.
Cette objection et les suivantes sont celles que j’ai formulées moi-même, et que je vais successivement réfuter :
Pourquoi, ai-je dit, Maïmonide, dans son Livre de la Connaissance, au Traité des Fondements de la Loi, omet-il une partie des principes fondamentaux qu’il formule dans son Commentaire sur la Mischna ?
Réponse : En bien approfondissant les chapitres qui composent les Traités des Fondements de la Loi, on y découvre tous les principes fondamentaux ; avec cette différence, qu’ils n’y sont pas présentés dans le même ordre que dans le Commentaire sur la Mischna, où ils sont exposés dans un ordre logique et rationnel.
Ainsi, dans le premier chapitre, notre Docteur rappelle explicitement les trois premiers principes fondamentaux, qui sont : 1° le principe d’un Être infiniment parfait et nécessairement existant ; 2° celui de l’Unité de cet Être ; 3° celui de son Immatérialité.
Dans le second, il rappelle le principe de la Création, en discourant sur toutes les créatures et particulièrement sur les catégories des Intelligences séparées.
Il confirme ce principe, dans le troisième et le quatrième chapitres, où il traite des corps célestes, ainsi que des quatre éléments et de leurs composés.
L’exposé de ces trois chapitres a manifestement pour but de démontrer que Dieu est Antérieur à toutes choses, que tout autre être que lui est contingent, et n’est point antérieur par rapport à lui. C’est ce qui ressort, en effet, de la division que notre Docteur fait des êtres, en supérieurs, intermédiaires et inférieurs, êtres qui sont tous créés ; or, puisqu’ils sont créés et contingents, il faut nécessairement que nous admettions un Dieu Antérieur qui les a créés.
De cette démonstration, ressort encore pour nous le cinquième principe, à savoir : Qu’il est convenable d’adorer Dieu et de célébrer son élévation ; ce que nous ne devons point faire à l’égard de tout autre être, car l’action des autres êtres est une action ordonnée et limitée, ces êtres n’ayant ni volonté ni libre arbitre dans ce qu’ils font, soit les êtres spirituels et célestes qui ont en partage la vie et l’intelligence, soit les êtres inférieurs qui n’ont point ces deux facultés.
Dans ces trois chapitres, — le second, le troisième et le quatrième — Maïmonide rappelle les grandeurs du Saint-béni-soit-il, afin de nous apprendre qu’il nous convient de l’adorer et que tous les êtres lui doivent l’existence.
Il comprend dans ce principe le précepte d’aimer Dieu, et celui de le craindre, parce que c’est par l’amour et par la crainte que nous adorons Dieu.
C’est sur ces deux sentiments que nos sages fondent deux genres d’Adoration: « Quand nous adorons Dieu par amour, disent-ils, c’est pour lui ; quand c’est par crainte, ce n’est point pour lui. »
Notre amour nous amène naturellement à sanctifier son nom ; notre crainte, à ne point le profaner, et à ne point détruire les objets où il se trouve écrit : préceptes qui relèvent du cinquième principe, qui est l’Adoration de Dieu.
Dans le septième chapitre, il expose le sixième et le septième principes fondamentaux : le Prophétisme et la Supériorité prophétique de Moise, d’heureuse mémoire.
Dans le huitième et le neuvième, il expose le huitième et le neuvième principes fondamentaux : la Divinité de la Loi, et son Éternité (Immutabilité).
De plus, en revenant sur les chapitres précédents, nous remarquons.: 1° Que dans le second, il rappelle également le dixième principe fondamental : la Science de Dieu et la manière dont il connaît les choses ; que dans le cinquième, il enseigne le onzième principe : la Rémunération, à propos de la sanctification du nom de Dieu et d’autres préceptes, dont l’observance ou la transgression entraînent une récompense ou un grand châtiment.
Quant aux deux derniers principes : la Venue du Messie, et la Résurrection des Morts, Maïmonide ne les expose pas dans les Traités des Fondements de la Loi, par la raison qu’ils entrent dans le onzième, qui est la Rémunération, comme des espèces dans le genre qui les contient, selon que je l’ai démontré dans le cinquième préliminaire.
Toutefois, il en fait mention au Traité du Repentir, chapitre IXe, parce qu’ils ne se rapportent pas à des préceptes.
De tout ce qui précède, il ressort que les treize principes fondamentaux que Maïmonide formule dans son Commentaire sur la Mischna, sont rapportés également par lui, dans son Livre de la Connaissance, dans le Traité des Fondements de la Loi, de la manière que je viens de rappeler, et que s’il les a rapportés en ces lieux, c’est que la matière de ces Traités se rattache à ces principes fondamentaux.
Réponse à la vingt-deuxième objection. — Différence du but de Maïmonide dans son Mischné Thora et dans son Commentaire sur la Mischna : le premier étant consacré à déterminer les préceptes, et le second à formuler les principes.
Pourquoi Maïmonide place-t-il, dans son Mischné Thora, parmi les fondements de la Loi, des préceptes qui n’ont pas ce caractère, tels que ceux qui ordonnent d’aimer Dieu, de le craindre, de marcher dans ses voies, de sanctifier son nom, de ne point le profaner, de ne point détruire les objets où se trouve écrit son nom, et autres qui entrent dans l’ordre scientifique des lois naturelles et divines ? (tandis qu’il ne les compte pas parmi les principes fondamentaux du Judaïsme, dans son Commentaire sur la Mischna).
Réponse : Notre grand Docteur, dans son Commentaire sur la Mischna, expose les principes auxquels tout fidèle doit croire, afin de distinguer ceux qui sont appelés enfants d’Israël, avec droit au monde futur, de ceux qui ne sont point dignes de ce nom, à cause de leur incrédulité, et qui n’auront point de part au monde futur.
C’est pour cette raison qu’il écrit ce qui suit au commencement de son exposé des principes : « C’est ici le lieu où il convient d’établir que les principes fondamentaux de la Loi sont au nombre de treize… »
Il dit clairement qu’en ce lieu il convient d’exposer les principes de la Doctrine, en tant que principes, tandis que dans son grand ouvrage du Yad Hazaka ou Seconde Loi : Mischné Thora, il n’avait d’autre pensée que de déterminer les préceptes qui se trouvent contenus dans la Loi divine, selon qu’il l’a déclaré dans la Préface de cet ouvrage, où il énumère d’abord tous les préceptes un à un, afin d’en faire le compte ; après quoi, il divise son ouvrage en livres et en traités, ayant soin de désigner les préceptes que chaque livre et chaque traité renferment.
Cette pensée apparaît évidente dans le sommaire de cet ouvrage, ainsi formulé :
« Traité des fondements de la Loi. — Ils sont au nombre de dix, dont six préceptes positifs et quatre préceptes négatifs, à savoir :
1° Connaître que Dieu existe ;
2° Ne point croire qu’il existe un Dieu hormis lui ;
3° Proclamer son Unité ;
4° L’aimer ;
5° Le craindre ;
6° Sanctifier son nom ;
7° Ne point le profaner ;
8° Ne point détruire les objets qui portent son nom ;
9° Ecouter tout prophète parlant en son nom ;
10° Ne point mettre Dieu à l’épreuve.
— Préceptes qui se trouvent expliqués dans les chapitres suivants — »
— Il ressort de ces paroles que le but principal de son ouvrage est l’explication des préceptes, et non celle des principes fondamentaux, ceux-ci ayant été déjà expliqués en leur lieu convenable, dans son Commentaire sur la Mischna.
Et si Maïmonide rapporte ici les règles des fondements de la Loi, c’est afin de déterminer les fondements qui sont à la fois des préceptes. Aussi ce traité n’a-t-il point pour titre : Traité de tous les Fondements de la Loi ; mais bien d’une manière indéterminée : Traité des Fondements de la Loi.
Il n’est donc pas étonnant qu’il n’y mentionne que les principes fondamentaux qui sont à la fois des préceptes, ou bien auxquels des préceptes se rattachent.
C’est pourquoi dans la Préface de son ouvrage, lorsqu’il le divise en quatorze livres, il dit à propos du premier : « Je réunirai dans le premier livre tous les préceptes qui sont des fondements de la Doctrine de Moïse, d’heureuse mémoire, et que l’on doit connaître avant toute chose ; telles sont, par exemple, l’Unité de Dieu et la Défense de l’idolâtrie » ; et j’appellerai ce livre : Livre de la Connaissance.
Il énonce donc clairement que son premier livre a pour but de déterminer les préceptes ; aussi n’y mentionne-t-il que les fondements de la Loi, auxquels se rattachent des préceptes ; ainsi, aimer Dieu, le craindre, sanctifier son nom, sont autant de préceptes fondamentaux qui se rattachent et se rapportent aux principes fondamentaux qui ont le même objet ; et comme le premier livre est essentiellement consacré à l’explication des préceptes, Maïmonide a mentionné les préceptes précités, parmi les lois contenues dans ce premier livre.
Réponse à la vingt-troisième objection. — Raison pour laquelle Maïmonide ne compte parmi les préceptes de la Loi, que les deux premiers principes fondamentaux.
Pourquoi Maïmonide, qui compte parmi les préceptes de la Loi, les deux premiers principes fondamentaux de la croyance : l’Existence de Dieu et son Unité, ne compte-t-il pas les autres principes ni parmi les préceptes positifs, ni parmi les préceptes négatifs ?
Réponse : Maïmonide n’a pas cru devoir compter au nombre des préceptes, le troisième principe, l’Immatérialité de Dieu : (ni corps ni force dans un corps),— bien qu’il soit fondé sur ce texte de la Loi : « Prenez bien garde à vous, car vous n’avez vu aucune figure… » — parce que ne sont comptées parmi les préceptes, que les ordonnances prescrites par le Saint-béni-soit-il lui-même, telle que l’Unité de Dieu, dont Dieu a ordonné la croyance en ces termes : « Écoute, ô Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est Un ! », c’est-à-dire : Écoute et crois que… et l’Existence de Dieu, fondée sur ce texte : « Je suis l’Éternel, ton Dieu », et à laquelle Maïmonide reconnaît le caractère de précepte.
Quant à la forme négative du texte qui sert d’appui à l’Immatérialité de Dieu : « Vous n’avez vu aucune figure », elle exprime une privation et non une défense.
Or, déjà Maïmonide a enseigné, — dans son Livre du Nombre des Préceptes, à la Huitième des Racines, dont il fait précéder l’énumération des préceptes, — qu’il ne faut pas confondre une proposition négative avec une défense, et il cite comme exemples de propositions négatives, celles-ci: « La jeune fille n’a point de péché mortel. — Ils ne mourront point, car elle n’avait pas été affranchie. — Le prêtre n’examinera point. »
C’est dans ce sens que l’Auteur des Grandes Lois, appelle ce texte : « La terre ne sera pas vendue pour toujours », une proposition négative, et non une défense.
Ce texte : « Prenez bien garde à vous ! » est la défense générale de se tromper dans sa croyance, et celui-ci qui le suit : « Car vous n’avez vu aucune figure » est une proposition négative, et non une nouvelle défense ; il n’est que le motif de la défense qui précède. Or, notre Docteur, à la Cinquième Racine du Livre du Nombre des Préceptes, enseigne encore qu’il ne faut pas confondre le motif des préceptes eux-mêmes. Par exemple, dit-il, ce précepte : « Le premier époux d’une femme répudiée, ne pourra pas la reprendre si elle est renvoyée par son second mari » ne doit pas être confondu avec le motif qui l’explique et qu’exprime le texte suivant : « Afin que tu ne corrompes pas le pays ! »
Telle est la raison pour laquelle Maïmonide ne compte pas parmi les préceptes de la Loi, le principe de l’Immatérialité de Dieu.
D’ailleurs, il déclare lui-même au premier chapitre du Livre de la Connaissance, que le principe de l’Immatérialité de Dieu est une ramification de celui de son Unité « car, dit-il, si le Créateur était matériel, il serait divisible, multiple et non unique. »
Donc, l’Immatérialité étant comprise dans l’Unité, il a suffi à notre Docteur de formuler l’Unité comme un précepte, sans compter comme tel l’Immatérialité, que l’Unité comprend.
Et, en cela, il se conforme au système de formation de précepte qu’il proclame, à la Onzième Racine du Livre du Nombre des Préceptes, à savoir : « Qu’il ne faut pas compter les parties d’un précepte, comme autant de préceptes particuliers, car le précepte n’est constitué tel que par la réunion totale des parties qu’il embrasse.
De toutes les raisons qui précèdent, il ressort évidemment que le troisième principe fondamental : l’Immatérialité de Dieu, ne devait pas être mis au nombre des préceptes de la Loi.
— Le quatrième principe, qui est celui de l’Antériorité (Éternité) de Dieu : l’Être unique est antérieur à toutes choses et, par conséquent, aucun autre être n’est antérieur par rapport à lui — s’appuie, selon Maïmonide, sur ce texte : « Demeure du Dieu Antique. »
Néanmoins, bien que ce texte soit un appui certain pour le principe en question, il ne renferme rien qui donne à ce principe de croyance, le caractère de précepte. De même la non-antériorité du monde, conséquence du principe précédent, et qui se fonde sur ce texte : « Car, en six jours, l’Éternel fit les deux et la terre » ne reçoit pas de ce texte le caractère de précepte, car ce texte n’est que le motif du jour du Repos : Schabbath, attestant le principe de la Création.
Or, j’ai déjà rappelé que Maïmonide, dans ses Racines, enseigne que le motif d’un précepte ne saurait être compté, à son tour, comme un nouveau précepte.
— Le cinquième principe, à savoir : Que nous devons n’adorer que le Saint-béni-soit-il, n’est point, nous le répétons, établi par Maïmonide sur les textes suivants : « Vous servirez l’Éternel, votre Dieu » — « C’est lui que vous servirez » ; car, ces textes ordonnent la pratique du culte et la prière, tandis que le principe en question consiste, non à servir Dieu en acte, mais à croire que Dieu seul est digne de notre culte. Aussi Maïmonide dit-il explicitement, à propos de ce principe : « Il nous est enseigné par le précepte qui nous défend l’idolâtrie. »
C’est donc un précepte qui nous enseigne ce principe, et il n’est donc pas un précepte lui-même.
Quant aux autres huit principes, à savoir : l’Existence de la Prophétie dans l’espèce humaine ; la Supériorité prophétique de Moïse ; la Divinité de la Loi ; l’Immutabilité de la Loi ; l’Éternité de la Loi ; la Science de Dieu ; la Rémunération ; la Venue du Messie, et la Résurrection ; ce sont là certainement, des croyances véridiques, enseignées clairement par la Loi, les Prophètes et les Écrits saints, mais elles ne sont pas comptées au nombre des préceptes, parce qu’il n’existe pas de textes qui ordonnent d’y croire au nom de Dieu.
Toutefois, bien qu’elles ne soient pas l’objet de préceptes particuliers, ce n’est pas à dire qu’il soit facultatif d’y croire, car, tous les récits de la Loi et tous ses enseignements ne sont point comptés au nombre des préceptes, et pourtant il est obligatoire d’y croire, sans exception.
En effet, principes, récits, enseignements, tout est compris dans ces paroles de nos sages : « Quiconque prétend que la Loi entière vient de Dieu, à l’exception d’un seul verset, se trouve compris dans la catégorie de ceux que l’on condamne pour avoir méprisé la parole de l’Éternel », parce que nous sommes tenus de croire à la Loi entière, à ses récits, comme à ses préceptes, d’un e manière complète, quoique une partie de ses enseignements nous soient donnés sous forme de défenses et d’ordonnances recommandées particulièrement par Dieu, tandis que le reste nous est donné sous forme de récits, d’enseignements, de remontrances, qui, à l’égal des préceptes, ont pour but la vérité.
Le principe de la foi ou la discussion des croyances fondamentales du Judaïsme par Don Isaac Abarbanel. Traduit par M. le Grand Rabbin Benjamin Mossé. Impr. Amédée Gros (Avignon), 1884. [Version numérisée : Google].