Fondement de la Foi  | ראש אמנה

Chapitre 17. Réponses à la dix-huitième et à la dix-neuvième objections

Traduction R. Benjamin Mossé (1884)


Réponse à la dix-huitième objection. — Du véritable caractère du premier principe fondamental.

Cette objection est la première que le rabbin Hasdaï a soulevée contre Maïmonide, en ces termes :

« Comment a-t-il pu compter comme précepte l’Existence de Dieu, qu’il fonde sur ce texte : « Je suis l’Éternel, ton Dieu ! », tout précepte étant une chose relative qui implique nécessairement l’existence de celui qui l’ordonne ? »

Nous répondons: que le rabbin Hasdaï n’a pas complètement pénétré la pensée de Maïmonide, quand il a expliqué que, d’après ce grand Docteur, le premier principe, qui est en même temps le premier précepte, consiste à croire simplement que Dieu existe.

Si telle était la pensée de Maïmonide, certes, l’objection du rabbin Hasdaï serait très difficile à réfuter. Mais il n’en est point ainsi.

Selon que nous l’avons démontré dans notre second préliminaire, la pensée de Maïmonide est que le premier principe consiste à croire que l’Existence de Dieu est la plus parfaite possible, qu’elle est nécessaire en soi et non point contingente.

Conformément à cette explication vraie des paroles du grand Docteur, celui qui ordonne le précepte, c’est le Dieu dont nous avons établi l’existence, et le premier précepte qu’il ordonne, c’est de croire que son Existence est la plus parfaite possible, qu’il n’y a en lui aucune défectuosité, et qu’il est nécessairement existant et non contingent.

C’est ainsi que ce précepte, comme tout autre, est relatif à celui qui l’ordonne et qu’il ne consiste pas uniquement à croire, comme l’a prétendu Hasdaï, que Dieu existe, mais bien que l’Existence de Dieu est infiniment parfaite, qu’elle est nécessaire et indépendante de toute autre existence.

C’est ce que Maïmonide fonde sur ce texte : « Je suis l’Éternel, ton Dieu. »

Ces mots : « Je suis l’Éternel », enseignent que Dieu existe nécessairement, selon que notre grand Docteur l’écrit dans son Moré (ch. LXI, Ire partie), en ces termes :

« Tous les noms de Dieu, rapportés dans les Livres saints, sont dérivés de ses œuvres (de ses actions sur l’Univers) ; un seul tient à son essence, c’est celui qui est formé des quatre lettres : Yod, Hé, Vav, Hé ; c’est un nom spécialement consacré pour désigner Dieu, et, pour cela, appelé nom ineffable : Schem Méphorasch1.

Ce nom a pour objet d’enseigner d’une manière évidente, qu’il n’y a en Dieu aucune association d’être, etc. — J’ajoute qu’il est indubitable que ce nom essentiel — qui ne devait être prononcé que dans le sanctuaire par les prêtres de l’Éternel, et uniquement pour la bénédiction sacerdotale et par le grand Pontife, le jour d’Expiation, — enseigne l’Unité de Dieu et son indépendance de tout autre être.

Il est possible encore que ce nom renferme d’autres enseignements dont nous ne saisissons qu’une faible partie, en ce qui regarde la nécessité de l’Existence suprême.

Enfin, la grandeur de ce nom et le soin que l’on met à ne point le prononcer, tiennent à l’enseignement qu’il renferme touchant l’essence divine, enseignement qui ne saurait se rapporter à aucun des êtres créés, selon cette parole de Dieu lui-même : « Tel est mon nom ! », c’est-à-dire, tel est le nom qui m’est particulièrement consacré….

Il ressort de ce qui précède, que par ces paroles : « Je suis l’Éternel » Dieu a enseigné qu’il existe nécessairement, ce qu’atteste son nom ineffable : Yod, Hé, Vav, Hé.

Quant à ces autres paroles : « L’Éternel, ton Dieu, qui t’a tiré du pays d’Égypte », elles font connaître que cet Être premier qui existe nécessairement, possède la puissance infinie, indiquée par ce terme : « Ton Dieu », dont le pronom : « Ton » annonce : « Qu’il est le guide d’Israël », car il est le Dieu qui les a fait sortir du pays d’Égypte.

Et s’il rappelle la sortie d’Égypte, c’est afin que les Hébreux reconnaissent sa Divinité, de sorte que le texte en question revient à dire : « Ton Dieu qui t’a tiré du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage, c’est moi, l’Éternel » ; c’est-à-dire, que le Dieu puissant qui a veillé sur eux en Égypte, et qui les en a fait sortir, c’est l’Éternel, l’Être nécessairement existant.

Telle est la croyance qu’a voulu établir Maïmonide, par le premier principe fondamental, qui est à la fois le premier précepte ‘de la Loi, selon que je l’ai démontré et fait ressortir de ses propres paroles.

L’objection du rabbin Hasdaï n’a donc plus de valeur.

— L’auteur du Livre des principes, Albo, a réfuté cette objection, d’une autre manière II dit : « La manifestation de la gloire de l’Éternel qui a éclaté aux yeux des enfants d’Israël, le jour de la promulgation de la Loi, a prouvé véridiquement l’existence de Dieu, car, c’est cette gloire, qui planait sur le Mont divin, qui leur ordonnait de croire à l’Existence de Dieu. »

— Or, ce sont là des paroles vaines, car, ces mots : « Je suis l’Éternel, ton Dieu » sont les expressions de Dieu lui-même, et non point de la gloire de Dieu.

— D’autres prétendent que le premier commandement avait pour but d’ordonner aux Hébreux de croire que c’était Dieu lui-même qui leur donnait la Loi et qui leur parlait, et non point une parole descendue des corps célestes ou de la milice sublime : tel serait, d’après ces Docteurs, le sens de ce texte : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir de l’Égypte. »

— Mon opinion me paraît plus admissible et plus conforme aux principes et aux paroles du grand Docteur.

Réponse à la dix-neuvième objection. — La Connaissance qui précède la Croyance est seule l’objet du précepte.

Cette objection est la seconde que le rabbin Hasdaï a faite à Maïmonide, touchant le nom de précepte que notre grand Docteur donne aux paroles qui ouvrent le Décalogue : « Je suis l’Éternel, ton Dieu. »

Le nom de précepte, dit Hasdaï, ne doit s’appliquer qu’aux choses qui sont du ressort de la volonté et de la liberté, et non aux croyances, car elles ne s’acquièrent point volontairement ni librement.

Nous répondons, en rappelant les explications que nous avons données au neuvième préliminaire, où nous avons établi que, quand même les croyances pénètrent le cœur et l’âme de l’homme, indépendamment de toute liberté et de toute volonté, comme cela a lieu pour les formes naturelles qui pénètrent leur substratum fatalement et en dehors de toute libre volonté, toutefois il est impossible que les croyances s’implantent en nous, si nous n’y sommes préalablement préparés par la connaissance des objets qui font naître ces croyances et les fixent dans notre âme. Or, cette Connaissance présuppose des idées, des recherches, des démonstrations et des études qui constituent les conditions préparatoires et préliminaires de toutes les croyances, et il est hors de doute que ces conditions préparatoires sont du ressort de la volonté et de la liberté, et ne s’acquièrent que dans le temps.

En effet, l’homme est libre de vouloir écouter, apprendre, étudier et connaître les choses qui engendrent la croyance dans son âme, comme il est libre de s’y refuser.

Or, Maïmonide ne met pas au nombre des préceptes positifs, la forme de la croyance et sa réalité, mais uniquement la connaissance et l’étude des choses qui la font naître.

Aussi, à la première phrase de son Livre de la Connaissance, à propos du premier fondement, qui est la croyance à l’Existence de Dieu, Maïmonide dit, en en donnant l’explication :

« La connaissance de cette chose est un précepte positif, etc. »

Il ne dit pas : « La croyance en cette chose est un précepte positif », parce qu’il ne donne pas le nom de précepte à la croyance, mais seulement à la connaissance des choses qui l’amènent.

Il s’exprime de la même manière, à propos du second principe fondamental : l’Unité de Dieu : « La connaissance de cette chose, dit-il, est un précepte positif. »

Il donne donc le nom de précepte à la connaissance et à l’étude des choses, et non aux croyances qui en sont les conséquences et qui s’impriment dans l’âme. Que si dans son Livre du Nombre des Préceptes, il s’exprime, à propos des deux préceptes qui précèdent, en ces termes : « Tel est le précepte quel nous avons reçu, touchant la croyance à l’Unité, etc. », sa pensée n’était pas de donner le nom de précepte à la forme de la croyance qui s’imprime dans notre âme, mais bien à la connaissance des choses qui font naître cette croyance, et il s’en réfère à ce qu’il a écrit à ce sujet, dans son Livre de la Connaissance, où cette question trouve sa place naturelle et convenable, tandis que dans son Livre du Nombre des Préceptes, il ne s’occupe de ce nombre qu’accidentellement.


1Les mots Schem Méphorasch, — (Mischna, IIe partie, traité Yoma, ch. VI, § 2), signifient sans doute: le nom de Dieu distinctement prononcé, c’est-à-dire le nom tétragrammate, écrit an moyen des quatre lettres : Yod, Hé, Vav, Hé, et qu’on appelle aussi Haschem Hameyouhad, ou le nom particulier (Talm. de Bab. Synhédrin, fol. 56a ; Schébouoth, fol. 36a). Notre auteur entend le mot Méphorasch, dans ce sens que ce nom désigne expressément l’essence divine, et n’est point un homonyme, c’est-à-dire qu’il ne s’applique pas à la fois à Dieu et à d’autres êtres. Cette interprétation du mot Méphorasch, adoptée généralement par les théologiens qui ont suivi Maïmonide (Cf. Albo Ikkarim, II, 28), n’était certainement pas dans la pensée des anciens rabbins. (Munk, Ier partie).

Le principe de la foi ou la discussion des croyances fondamentales du Judaïsme par Don Isaac Abarbanel. Traduit par M. le Grand Rabbin Benjamin Mossé. Impr. Amédée Gros (Avignon), 1884. [Version numérisée : Google].

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