Fondement de la Foi  | ראש אמנה

Chapitre 13. Réponse à la quatrième objection. — Immutabilité (Éternité) de la Loi

Traduction R. Benjamin Mossé (1884)


La quatrième objection porte sur le caractère de principe fondamental, donné par Maïmonide, à l’Éternité de la Loi.

Avant de répondre à cette objection, nous dirons que le Gaon Saadia, dans son Livre des Croyances, multiplie les arguments en faveur de l’Éternité de la Loi, expose les objections, soit rationnelles, soit bibliques, des adversaires de ce principe, et y répond victorieusement. Mais, sans recourir à ses arguments, nous donnerons nous-mêmes une réfutation solide et suffisante de l’objection qui nous occupe.

Et tout d’abord, le docteur Hasdaï démontre l’Éternité de la Loi, par le raisonnement que voici :

« Notre Loi, qui est divine, est complètement parfaite ; cela étant admis, il faut qu’elle soit éternelle ; car, de deux choses l’une : ou bien elle serait remplacée par une Loi moins parfaite, ou bien par une Loi plus parfaite : or, ces deux hypothèses sont impossibles. La première, parce que la suprême perfection de Dieu s’oppose à ce qu’il crée une chose quelconque qui n’ait tous ses degrés possibles de perfection : il est donc impossible que la Loi actuelle soit changée en une Loi inférieure, émanant également de Dieu. La seconde, parce que si la Loi actuelle était changée en une Loi supérieure, c’est qu’elle n’aurait pas eu tous ses degrés possibles de perfection : or, c’est là une chose impossible pour une Loi émanant de Dieu.

Et l’on ne saurait prétendre que la Loi actuelle sera changée en une autre d’égale perfection, car ce changement serait inutile et ne serait point conforme à la sagesse de Dieu. »

Cette argumentation a été réfutée par des rabbins postérieurs à Hasdaï, de la manière suivante :

« Il est en effet impossible que la Loi actuelle soit changée en une Loi supérieure ou inférieure, mais, il est possible qu’elle soit changée en une autre loi d’égale perfection, sans qu’il l’ait, pour cela, atteinte à la Sagesse divine.

En effet, la perfection vers laquelle tend la Loi, s’acquiert par une infinité de moyens ; or, il est dans l’ordre des choses possibles, que ceux que la Loi a pour but d’amener à la perfection, disparaissent pour faire place à d’autres, qui, à leur tour, doivent être conduits à la même perfection. Donc, il est nécessaire que la Loi qui conduit à la perfection, se change et se modifie, selon le changement et la modification des sujets qu’elle a pour but de conduire à la perfection, laquelle s’acquiert par différents moyens, selon ces êtres qui l’aspirent.

La Loi actuelle pourrait donc être changée en une autre loi d’égale valeur, et cela, nécessairement, sans qu’il l’ait là ni inutilité, ni atteinte à la Sagesse divine. »

Une seconde preuve apporté en faveur de l’éternité de la Loi, est celle-ci :

« La Loi divine, possédant le dernier degré de la perfection, ne peut évidemment changer en aucun temps, ni en aucun lieu, car, ce qui est parfait ne saurait être spécial à tel temps ou à tel lieu, étant par essence de tous les temps et de tous les lieux.

Cette preuve est fortifiée par la comparaison avec la ”science médicale, dont l’efficacité ne s’expérimente pas sur un seul sujet, en un seul temps, en un seul lieu, mais bien sur tous les hommes et en tous lieux.

Et la Loi divine échappe d’autant moins à cette règle de toute perfection, qu’elle émane de l’Être parfait, et qu’elle a pour but d’exciter la créature humaine à aimer cet Être parfait et à s’attacher à lui.

De plus, il est évident qu’elle fournit à chacun, selon sa nature, ce qui lui manque, ce qui lui est nécessaire pour s’approcher de la perfection.

Il est donc impossible qu’elle soit modifiée d’aucune façon.

Cette nouvelle argumentation est réfutée des différentes manières que voici :

Premièrement, ce principe, que ce qui est parfait ne saurait être relatif ni à un heu, ni à un temps, n’est applicable qu’à la perfection absolue, à l’Être béni, car lui seul possède toutes les perfections, lui seul est la cause suprême, unique, de laquelle tous les autres êtres sont les effets, lui seul ne saurait être remplacé par aucun individu des espèces diverses dont se compose l’Univers. Néanmoins, de même que le langage appelle l’espèce humaine, parfaite parmi toutes les espèces, la substance du ciel, parfaite parmi tous les substances, notre maître Moïse, parfait parmi tous les hommes ; de même notre Loi divine est appelée par le langage, la Loi parfaite, c’est-à-dire, parfaite parmi toutes les lois, d’une perfection relative, et non d’une perfection absolue.

Il en résulte qu’elle peut subir le changement et la modification, de même que Moïse, notre maître, les a subis à sa mort, bien qu’il fût le plus parfait des prophètes.

Secondement, la Loi est dans l’ordre des choses relatives ; c’est l’enseignement proportionné à celui qui le reçoit. Or, tout ce qui est sous la loi de la relation est soumis au changement de l’objet avec lequel il est en rapport. Aussi, la Loi, bien qu’elle soit parfaite en elle-même et de la dernière perfection, n’en est pas moins susceptible de changement, selon ce qui s’opère chez ceux à qui elle est destinée, et non point par suite d’une défectuosité qui lui soit propre.

Troisièmement, le but de la Loi divine actuelle, consiste à inspirer aux hommes l’amour de Dieu, mais rien n’empêche que ce même but ne soit atteint par d’autres moyens et par d’autres préceptes.

Quatrièmement, l’argument emprunté à la comparaison de la science médicale, est erroné. Car l’hygiène s’applique à des choses physiques, qui ont leur fondement dans la nature, où deux contraires ne peuvent se trouver réunis, où, par exemple, l’on ne verra point la chaleur dilater et le froid condenser en un temps, et agir contrairement en un autre, tandis que la Loi, comme toute règle de conduite morale, repose sur des principes qui ont leur source dans la volonté et la liberté, où assurément se rencontrent les contraires ; l’homme voulant aujourd’hui ce que souvent il repoussera demain. Il l’a donc entre ces deux ordres d’idées, la différence de leurs principes qui sont la loi physique d’une part, et la volonté d’autre part ; toute analogie entre elles est donc faible et sans portée.

— Après l’exposé des deux preuves précédentes et de leur réfutation, il nous parait convenable de prouver l’Éternité de la Loi, par la considération de la nature de Celui qui l’a créée et promulguée.

En effet, puisque la Loi, dans son ensemble comme dans ses parties, est l’œuvre de Dieu, elle a été ordonnée par sa sagesse qui fait toutes choses dans un but à lui connu.

Or, Dieu a dû, dans sa sagesse, ordonner les choses de manière à ce qu’elles durent, et, conséquemment, toutes les choses créées subsistent selon que Dieu les fait subsister. Ainsi la nourriture d’un être vivant est conforme à la nature et aux besoins de cet être, et tous les êtres, soit d’un rang supérieur, soit d’un rang inférieur, ont reçu de Dieu les éléments de leur existence et de leur conservation, pour tout le temps que leur a fixé la Sagesse divine.

Et de même que Dieu a voulu que le corps de l’homme se nourrisse d’aliments indispensables, sans lesquels il ne pourrait subsister, de même il a fixé pour la nourriture de l’âme, les aliments, également indispensables, qui se trouvent dans sa Loi.

De même encore que la nourriture du corps humain ne change jamais et n’est jamais autre que celle ordonnée par le Saint-béni-soit-il, de même la Loi divine qui est la nourriture de l’âme humaine ne saurait jamais changer : l’une et l’autre émanant de la même Sagesse et du même Auteur.

C’est sans raison que l’on tire contre le principe, en question, une objection des lois données à Adam et à Noé, lesquelles ont reçu des modifications successives ; parce que ces lois n’apportaient pas assurément la perfection à l’âme humaine ; parce qu’elles n’avaient pour but que la conservation de la société humaine, relativement aux mœurs des époques où elles ont été données, et qu’elles entraient dans l’ordre des lois civiles, tandis que la Loi divine qui conduit l’âme à son dernier degré de perfection, ne peut être que la Loi de notre maître Moïse, laquelle, seule, est l’aliment indispensable à l’âme humaine, pour qu’elle acquière la vie et soit délivrée de la mort.

C’est encore sans raison que l’on objecte contre le principe de l’Éternité de la Loi, le cas où la nécessité imposerait un changement, à certaines époques, dans certains actes prescrits par la Loi ; car, de même que la nature du pain, du vin et de la chair qui sont la nourriture du corps, ne change pas, parce que, à certains moments où le corps est malade, ces divers aliments ne lui conviennent plus — le changement amené accidentellement par la nécessité ne portant nulle atteinte à l’essence des choses qui restent ce qu’elles sont, tout accident n’ayant pas de durée ; — de même une modification imposée par la nécessité à certains préceptes, — comme par exemple, celle qui concerne le précepte de se rappeler la sortie d’Égypte, précepte qui n’aura plus de raison d’être et sera modifié à l’époque messianique, — ne porterait nulle atteinte au principe de l’Éternité de la Loi, non plus que l’abstention de donner la dîme, abstention qui s’impose à quiconque n’a ni champs, ni vignes. Car, les préceptes dont l’accomplissement est soumis à des conditions indispensables, ne sont en vigueur et immuables qu’autant qu’ils sont dans les conditions voulues ; ces conditions supprimées, les préceptes qui y sont subordonnés, pour ne pas être possibles en pratique, n’en conservent pas moins leur valeur en théorie. Aussi la science thérapeutique dont l’action est subordonnée à l’existence des maladies, et qui, à leur défaut, n’est pas mise en pratique, n’en existe pas moins en elle-même, et d’une existence éternelle ; de même, si la logique des évènements nous obligeait à faire mention de la délivrance future à la place de la délivrance passée, le précepte qui regarde le souvenir de la Sortie d’Égypte n’en subsisterait pas moins tout le temps que durerait la condition de ce précepte, à savoir : qu’une délivrance plus grande ne viendrait pas en effacer le souvenir.

Règle générale : toute modification apportée à l’observance d’un précepte conditionnel quelconque, résidant dans la condition de ce précepte et non dans le précepte lui-même, ne porte nulle atteinte à l’Éternité de la Loi.

Le principe de l’Éternité de la Loi repose essentiellement sur le caractère des préceptes qui portent leur raison d’être en eux-mêmes, dont l’observance n’est subordonnée à aucune condition, et dont le changement n’est possible d’aucune façon, puisqu’ils constituent l’aliment spirituel que l’âme humaine a reçu de la Sagesse divine : aliment qui né change jamais, pas plus que celui du corps humain, si ce n’est accidentellement.

— Il reste maintenant à prouver que les préceptes de la Loi constituent uniquement la nourriture de l’âme et que cette nourriture spirituelle ne se trouve ni ailleurs, ni dans un plus grand nombre de préceptes, ni dans un plus petit nombre.

Pour cela, il faut démontrer la supériorité des prophéties de Moïse sur toutes celles des autres prophètes, et prouver que lès prophéties du grand Prophète ne sont pas le fait de son imagination.

À cet égard, il ne peut l’avoir de doute. Le texte biblique déclare que Dieu a voulu qu’aucun prophète ne pût rien ajouter aux paroles de Moïse, en ces termes :

« L’Éternel l’instruisait face à face » tandis qu’il ne se communiquait aux autres prophètes qu’à l’aide d’intermédiaires. Or, comment celui qui n’était pas en rapport direct avec Dieu, aurait-il pu recevoir les instructions que n’eût pas reçues celui qui n’avait entre Dieu et lui aucun intermédiaire ? Le texte dit clairement « qu’aucun prophète semblable à Moïse ne s’est plus élevé, en Israël, parlant à Dieu face à face. »

Il est donc certain qu’aucun prophète ne pourra jamais rien ajouter aux préceptes de la Loi de Moïse.

En effet, quand le texte dit précédemment : « Que Josué, fils de Nun, était rempli de l’esprit de sagesse, parce que Moïse avait apposé ses mains sur lui, et que les enfants d’Israël l’écoutèrent et firent ce que l’Éternel avait ordonné à Moïse », il enseigne par là que l’inspiration de la Sagesse divine dont l’esprit de Josué était rempli ; lui avait été transmise par la force prophétique de notre maître Moïse, d’heureuse mémoire, et que le peuple, en l’écoutant, restait fidèle à la voix de Moïse.

La supériorité de la Loi de Moïse est donc à l’abri de toute objection, puisque cette Loi est l’expression de la volonté de Dieu. Et il n’y a plus lieu de demander si elle est bien la vraie nourriture de l’âme, pas plus qu’il n’y a lieu de demander si le pain est la vraie nourriture du corps ; car, à l’une ou à l’autre de ces deux questions serait faite la même réponse, à savoir: que ces deux nourritures ont été créées par la Sagesse divine et jugées par elle seules convenables au but qu’elle leur a assigné.

Que si nous ignorons les lois qui ont présidé à ce choix, notre ignorance ne saurait en infirmer le caractère divin, pas plus que notre ignorance des milliers de lois qui régissent l’Univers et particulièrement de celles qui ont présidé à la Création de l’homme tel qu’il est constitué, ne saurait nous autoriser à douter de l’existence réelle de l’Univers et de l’homme. Or, les philosophes et les médecins ont témoigné de l’ignorance de l’homme, en avouant que la science humaine n’a pu atteindre encore qu’à une faible partie des lois divines qui ont présidé à la Création de l’homme et à bien moins encore de celles qui régissent l’Univers.

— D’après tout ce qui précède, il est évident que la Loi divine que nous avons en nos mains est éternelle, qu’il est impossible qu’elle soit changée à aucune époque ; car l’Agent suprême, qui, dans sa sagesse infinie, l’a produite, a su apprécier quelle convient à tout nomme et à toute époque. La science divine ne saurait certes s’arrêter à une limite quelconque, elle connaît les choses et tous les rapports qu’elles ont avec tous les temps, tous les hommes et tous les lieux ; aussi aucune de ses œuvres générales ne saurait-elle subir une modification essentielle. Et si parfois la nécessité du moment l’apporte un changement comme, par exemple, celui qu’opéra Élie sur le mont Carmel, ce ne peut être qu’un changement accidentel, tel qu’il s’en opère miraculeusement dans les lois de l’existence physique, selon la nécessité du moment, selon le temps et selon les lieux où le changement miraculeux s’opère : la forme de l’existence et celle de la Loi divine étant soumises aux mêmes conditions, émanant du même Auteur et ayant le même but, à savoir, l’existence et la conservation de l’univers.

Or, de même que la forme de l’existence ne change point dans son ensemble, de même la Loi divine ne saurait changer ; et de même que la forme humaine sépare et distingue l’espèce humaine des autres espèces, de même la Loi israélite sépare et distingue une nation des autres nations, selon ce texte : « Je vous ai distingués parmi les peuples » ; de même encore que la forme humaine est une et égale dans son ensemble, bien qu’elle soit variée dans ses individus, dont les uns atteignent tous les degrés de la forme humaine, tandis que les autres ne sauraient jamais l’arriver, ainsi la Loi a par elle-même une forme égale pour l’ensemble des enfants d’Israël, bien qu’elle soit variable par rapport aux individus, dont les uns observent tous ses préceptes, tandis que d’autres n’en pratiquent qu’une partie, ce qui n’empêche pas qu’elle soit essentiellement invariable et incomparable, et qu’elle offre pour toutes les plaies et les maladies de ses fidèles, tous les remèdes dont l’âme peut avoir besoin pour revenir à la santé et être remise dans son état normal.

— C’est ce qu’enseignent nos sages, à la fin du Traité des Pères, f. XII, en ces termes: « Le Saint-béni-soit-il a voulu faire acquérir des mérites aux enfants d’Israël et dans ce but, il leur a donné la Loi et de nombreux préceptes », c’est-à-dire, de nombreux moyens, dont chacun séparément est propre à conduire l’âme à sa perfection.

Cela ressort également de ce qui est rapporté au Traité de l’idolâtrie, f. XVIII, à propos de celui qui demande :

« Quel droit puis-je avoir au monde futur ? » et à qui l’on répond : « Tu n’as donc jamais accompli un précepte de la Loi ? », ce qui veut dire : que l’accomplissement convenable d’un seul précepte nous fait gagner la vie future.

— À ce sujet, cependant, sont en désaccord Risch-Lakisch et Rabbi Johanan, au Traité Sanhédrin, f. CXI. à propos de ce verset du Psalmiste : « C’est pourquoi le Schéol élargit son gouffre et l’ouvre sans limite. »

Risch-Lakisch prétend que c’est pour engloutir celui qui néglige d’observer un seul précepte de la Loi.

Rabbi Johanan prétend, au contraire, que c’est pour engloutir les impies, à l’exception de celui qui observe un seul précepte de la Loi.

Risch-Lakisch pense donc que tous les préceptes de la Loi sont nécessaires pour la guérison de l’âme et pour l’acquisition de la perfection, ce qui explique pourquoi le Schéol, qui est le Guéhinam, s’entr’ouvre pour engloutir celui qui néglige d’observer un seul précepte de la Loi, tandis que Rabbi Johanan pense que la pratique libre et intelligente d’un seul précepte de la Loi suffit pour procurer à l’âme une complète guérison, et que le grand nombre des préceptes donnés par Dieu, sont un effet de sa bonté, qui a bien voulu fournir à l’homme des moyens nombreux, dont chacun séparément peut le conduire à la perfection.

Ainsi ferait un savant médecin à l’égard d’un malade qui serait dégoûté, s’il mettait à la disposition de son malade de nombreux aliments, différents les uns des autres, pour le mettre à même de choisir celui qui serait le plus à sa convenance, le plus propre à sa nourriture, et à la guérison de son dégoût.

Ainsi Dieu a composé sa Loi de nombreux préceptes, afin que nous puissions les prendre et les accomplir un à un, selon la convenance, et que, du moment que nous en accomplirons un seul d’une manière complète, avec liberté et intelligence, nous y trouvions notre salut, qui sera d’autant mieux assuré que nous aurons pratiqué plus d’un précepte complètement et selon le devoir.

C’est en vertu de ce principe que nos sages ont déclaré, Traité Sabbath, f. CXVIII : « Que si les enfants d’Israël observaient convenablement deux jours de Sabbat seulement, ils seraient aussitôt délivrés ! »

— De tout ce qui précède, il ressort qu’il est impossible que la Loi soit changée, soit dans son ensemble, soit dans ses parties, en raison de la Sagesse et de la Puissance de Dieu-béni-soit-il qui l’a donnée.

Les paroles suivantes du prophète Malachie, ch. m, viennent à l’appui de cette conclusion : « Moi, l’Éternel, je ne change point, et vous, enfants d’Israël, vous ne périssez point ! »

Ce qui veut dire : que la Loi de Dieu est éternelle, qu’elle ne peut changer, et qu’éternelle aussi est la nation d’Israël.

Ainsi se trouvent justifiées les paroles du grand Docteur, au sujet du principe de l’Éternité de la Loi.

— Toutefois la preuve que Maïmonide tire en faveur de ce principe, de ce texte : » Tu n’y ajouteras rien, et tu n’en retrancheras rien » est combattue par l’auteur du Livre des Principes, au chapitre XIV, premier Discours, en ces termes :

« Il n’était pas non plus convenable de compter comme principe fondamental celui-ci, à savoir : « Que la Loi ne saurait être ni modifiée, ni changée », puisque c’est là l’objet d’un précepte particulier, selon que l’écrit Maïmonide lui-même. »

Albo paraît penser que dans l’opinion de Maïmonide, le principe de l’Éternité de la Loi n’est autre que ce précepte particulier, à savoir : que nous ne devons rien ajouter à la Loi ni rien en retrancher.

Or, c’est là une erreur manifeste, commise sur le sens des paroles de Maïmonide ; car, le précepte particulier consiste à nous défendre d’ajouter à la Loi et d’y ôter, tandis que le principe consiste à croire à l’Éternité de la Loi et à ce que Dieu n’y ajoutera rien et n’en retranchera rien. Le sens du principe ici est donc loin d’être équivalent à celui du précepte qui défend à Israël de rien ajouter à la Loi ou de n’en rien retrancher.

Ce qui prouve que telle est bien la pensée de Maïmonide, ce sont ses propres paroles par lesquelles il termine l’exposé de ce principe et que voici :

« Nous avons déjà expliqué tout ce qu’il faut pour faire comprendre ce principe, au commencement de cet ouvrage. »

Il veut parler de la Préface de son Commentaire sur la Mischna, où il dit :

« Tous les sages et tous les prophètes sont inférieurs au prophète Moïse, et incapables de produire les prodiges qu’il a opérés.

Le Saint-béni-soit-il a implanté dans nos cœurs, la confiance que nous devons avoir en son prophète, par ces paroles : « Et en toi également ils ajouteront foi pour toujours ! »

Or, Moïse nous annonce, au nom du Saint-béni-soit-il, que de la part du Créateur ne viendra jamais une autre Loi, selon ce texte : « La Loi n’est pas dans les cieux pour que tu désespères de l’en faire descendre ; elle n’est pas au-delà des mers pour que tu désespères d’aller l’y chercher ; elle est très près de toi : elle est dans ta bouche et dans ton cœur : là est son accomplissement ! »

Dieu nous a également avertis, ajoute Maïmonide, de ne rien ajouter à la Loi et de ne rien en retrancher, selon ce texte : « Tu n’y ajouteras rien et tu n’en retrancheras rien ! » paroles sur lesquelles se sont fondés les sages qui ont enseigné, au Traité Méguila, f. II : « Qu’il n’est permis à aucun prophète de rien innover dans la Loi ! »

Or, Maïmonide, en nous rappelant que Dieu a implanté dans nos cœurs la foi que nous devons avoir en Moïse, par ces paroles : « Et en toi également ils auront une confiance éternelle ! » a pour but de poser comme principe fondamental de la Loi actuelle : « Qu’elle ne sera jamais changée et qu’aucune autre Loi n’émanera jamais de Dieu » ; but que démontre encore le texte suivant qui se rapporte à la Loi : « Elle n’est pas dans les cieux, ni au-delà des mers… elle est dans ta bouche et dans ton cœur… »

Et quand notre Docteur ajoute ensuite : que Dieu nous a également avertis de ne rien ajouter ni de rien ôter à la Loi, il veut parler du précepte en question, aussi emploie-t-il le mot : Azhara : avertissement : défense.

Il est donc clair ici que le principe ne saurait être confondu avec le précepte.

Et si pour expliquer le principe, Maïmonide invoque ce texte : « Tu n’y ajouteras rien et tu n’en retrancheras rien ! » ce n’est pas qu’il ait la pensée de tirer de ce texte la croyance au principe en question, à savoir : « Que Dieu ne changera ni ne modifiera jamais la Loi » — puisque ce texte ne se rapporte qu’au peuple d’Israël, auquel il défend de toucher à la Loi, — c’est uniquement pour nous enseigner que nous devons croire que cette Loi ne subira jamais ni augmentation ni diminution, et qu’à cause de cette croyance, nous avons reçu le précepte qui nous défend d’ajouter ou d’ôter quoi que ce soit à la Loi.

Combien, d’ailleurs, Maïmonide ne nous a-t-il pas enseigné de principes fondamentaux en les déduisant des préceptes qui y correspondent, bien que le principe diffère du précepte, celui-là étant l’objet d’une croyance générale, celui-ci l’objet d’une pratique particulière.

À la fin de l’exposé qu’il fait du cinquième principe, nous lisons : « Ce principe fondamental, nous le déduisons du précepte qui nous défend l’idolâtrie, etc. »

De même, du précepte par lequel Dieu nous défend d’ajouter et d’ôter quoi que ce soit à sa Loi, Maïmonide tire ce principe général : La Loi divine ne saurait subir ni augmentation ni diminution, soit de la part d’Israël qui a reçu de Dieu une défense formelle à cet égard, soit de la part du Créateur, ce qui nous est enseigné par ces paroles : Elle n’est pas dans les cieux, etc….

Et certes, la défense de ne rien ajouter ni ôter à la Loi, s’applique à tous les préceptes de la Loi : Ainsi, nos sages demandent dans le Siphri (Paraschath Réhé) : « D’où vient que l’on ne peut rien ajouter aux prescriptions de la palme et des franges ?» et ils répondent : C’est qu’il est dit : « Tu n’ajouteras rien à la Loi ! »

— Quant aux autres objections faites au principe en question, à savoir : 1° que nos sages, au Traité Bérachoth, f. XX, déclarent qu’en certains cas, le tribunal religieux permet de transgresser par l’abstention un précepte positif de la Loi ; permission qui porte atteinte au principe de l’Éternité de la Loi ? et 2° que Salomon, en instituant le précepte du Hiroub et celui de se laver les mains, a augmenté par là le nombre des préceptes et porté ainsi également atteinte au même principe ? Nous répondons: que Maïmonide lui-même a prévu ces objections, et les a clairement réfutées d’avance dans son Livre de la Connaissance, chapitre IX.

En effet, de ces deux textes qui se contredisent, dont l’un : « Tu n’ajouteras rien (à la Loi) et tu n’en retrancheras rien », en vertu duquel les sages ont déclaré (au Traité Méguila, f. III) : « Qu’il n’est permis à aucun prophète de rien innover dans la Loi » ; et dont l’autre : « Tu ne te détourneras point, ni à droite ni à gauche, de la chose qu’ils (les prêtres ou les juges) t’auront enseignée. » — « Te diraient-ils, ajoute la tradition, que la droite et la gauche, et que la gauche est la droite ! » ; le premier est conforme à la Loi et à la tradition véridique, lesquelles formulent également la défense d’ajouter et d’ôter quoi que ce soit à la Loi : défense qui s’étend et à tout ce qui a rapport à l’idolâtrie, sujet du texte en question, et à tout autre précepte de la Loi, pour l’augmentation ou la diminution de laquelle on ne devrait écouter aucun prophète, quel qu’il fût, parlât-il au nom de Dieu, selon que cela ressort clairement de ce texte : « Et en toi, également, ils ajouteront foi pour toujours ! » ; le second, avec le sens qu’y attache la tradition, porte sur tout précepte qui n’a point rapport à l’idolâtrie, et n’a d’application que dans le cas de nécessité présente et temporaire, sans engagement pour les générations à venir : de là, les décisions, les institutions et les mesures de précaution établies par le grand Sanhédrin et par les sages de toutes les époques, sans qu’il l’ait là changement opéré dans la Loi, ni augmentation, ni diminution, car, ce procédé est inhérent à la Loi et à la tradition ; il est de plus une preuve de la sagesse divine, laquelle, prévoyant le cas où la Loi ne répondrait pas également aux tempéraments et aux besoins de tous les fidèles, a permis aux prophètes et au grand Sanhédrin d’établir des institutions, de faire des barrières, de fixer des limites à la Loi et de la consolider, proportionnellement à la force morale de ceux par lesquels elle est reçue. Or, ce n’est point là annuler la Loi, ni la changer, ni contrevenir à la défense de n’y rien ajouter et de n’en rien retrancher, car, le délit d’augmentation ou de diminution n’existerait que dans le cas où, déclarant la Loi incomplète, on l’ajouterait quoi que ce soit, pour la compléter, et dans celui où, déclarant y trouver du superflu et de la répétition, on la diminuerait pour la rectifier.

Certes, quand nous établissons des limites et des institutions, elles tiennent à l’essence de la Loi et n’ont en vue que sa conservation, conformément à ces paroles de nos sages : « Observez ma garde ! »

La défense d’augmenter la Loi et de la diminuer ne saurait donc les regarder.

— Est également sans portée l’objection tirée du Midrasch (Vaïkra-Rabba), à savoir: qu’à l’époque messianique toutes les fêtes seront abrogées, à l’exception du jour de Pourim (fête d’Esther) et du jour de Kippour ou d’Expiation, car, la suppression en question est loin de concerner les fêtes elles-mêmes ; elle ne regarde que le souvenir qui s’y rattache, celui de la sortie d’Égypte.

D’après le Midrasch, à l’époque de la délivrance, messianique, les enfants d’Israël n’appliqueront plus leur attention au souvenir des prodiges et des merveilles opérés par Dieu en leur faveur, lors de leur sortie d’Égypte, car, le spectacle des grands phénomènes que Dieu fera éclater pour eux à l’époque messianique, leur fera oublier ceux de l’Égypte, dont le souvenir ne reviendra plus à leur mémoire, selon ces paroles du prophète : « Ils ne diront plus : Vive l’Éternel qui nous a fait sortir de l’Égypte et nous a amenés, etc. »

C’est ce qui explique l’exception faite : 1° à l’égard de Pourim, qui rappelle le souvenir des prodiges accomplis en exil, et 2° à l’égard du jour d’Expiation, auquel se rattache nécessairement celui de Rosch-Haschana : Premier de l’an : jours solennels, uniquement institués pour disposer les coupables au repentir, au pardon, à l’expiation, et tenant par conséquent d’eux-mêmes leur caractère de durée, leur raison d’être.

— Il en est de même de l’objection tirée de ce que nos sages prétendent que le nom hébreu du porc : hazir, indique par son sens étymologique que Dieu retirera un jour la défense faite à propos de cet animal prohibé. Cette objection se trouve réfutée dans le Midrasch Yélamédénou, où l’on explique que la prohibition de cet animal sera suspendue par Dieu temporairement, pendant les guerres de la délivrance messianique, comme elle l’a été durant la conquête de la terre promise, selon ce texte: « Vous trouverez dans la terre promise des maisons remplies de provisions », provisions parmi lesquelles la tradition comprend le porc.

Ainsi est justifiée l’explication donnée par la tradition au mot hébreu qui désigne le porc, comme aussi celle donnée par le Midrasch Yélamédénou, à ce texte : « L’Éternel délivre les personnes », que le Midrasch traduit par ces paroles : « L’Éternel permet les choses prohibées ! ».1

— Est sans valeur encore l’objection tirée du changement fait aux noms hébreux des mois de l’année, du temps d’Ezra ; car, ce changement ne constitue ni une annulation, ni une modification de la Loi divine. Qu’importe, en effet, telle ou telle désignation des mois, pourvu que le nombre, l’ordre et les noms qu’ils ont dans le texte de la Loi, leur soient également maintenus ? Ce n’est là qu’une simple explication ou une traduction complètement inoffensive.

— Enfin, Albo, à l’appui du changement possible de notre sainte Loi, invoque une preuve qu’il puise dans le Midrasch Hazit, à propos de ce verset du Cantique des Cantiques : « Puisse-t-il me donner les baisers de sa bouche ! »

Voici cette preuve :

« Rabbi Juda, dit le Midrasch, raconte qu’au moment où les enfants d’Israël entendirent ces paroles : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, etc. » et celles-ci: « Tu n’auras point d’autre Dieu que moi… », ils sentirent le goût de l’étude de la Loi s’implanter dans leur cœur. Ils l’étudièrent avec succès et vinrent dire à Moïse : « Maître, sois notre intermédiaire auprès de Dieu », selon ce texte: « Parle, toi, avec nous, et nous t’écouterons ! » Mais bientôt, sentant l’oubli se glisser dans leur mémoire, ils se dirent : « De même que Moïse, formé de chair et de sang, est passager parmi nous, de même sa Loi doit être passagère et destinée à l’oubli ! »

« Ils revinrent alors auprès de Moïse et lui dirent : « Moïse, puisse Dieu nous apparaître une seconde fois ! puisse-t-il nous donner les baisers de sa bouche ! » —

« Pas maintenant, leur répondit Moïse, mais dans l’avenir ! », selon ce texte de Jérémie, chap. XXXI : « J’ai placé ma Loi dans leur cœur ! »

Cette preuve invoquée par Albo, nous étonne profondément. Comment, en effet, a-t-il pu arguer de ce récit en faveur d’un changement quelconque possible dans la Loi ? N’est-il pas évident, au contraire, que la demande faite, d’après ce récit légendaire, à Moïse par les enfants d’Israël, avait pour but de fortifier en leur cœur la croyance à la Loi, qu’ils venaient de recevoir, qu’ils désiraient entendre une seconde fois de la bouche de Dieu, et que, conséquemment, il ne s’agissait nullement d’une Loi nouvelle, étrangère à celle de Moïse ? D’ailleurs, la réponse de Moïse, appuyée par le récit sur ce texte : « J’ai placé ma loi dans leur cœur ! » ne confirme-t-elle pas qu’il est question uniquement de la Loi qu’il venait de leur donner, laquelle, si elle s’échappe de leur mémoire, sera remise par Dieu, dans leur cœur, à l’époque messianique ?

— Les objections soulevées contre le principe de l’Éternité de la Loi, peuvent encore être réfutées d’une autre manière, que voici.

L’Éternité de la Loi doit s’entendre de ses principes généraux, c’est-à-dire, de la Loi écrite avec l’explication que Moïse en a reçue lui-même au Sinaï.

Or, tout ce que les prophètes et les sages de chaque génération ont fait, par nécessité momentanée, ou par mesures de précaution, soit en augmentation, soit en diminution de ce qui est écrit explicitement dans la Loi, ainsi que tous les changements futurs qu’ils ont annoncés pour l’époque messianique, tels que l’annulation des têtes, la permission du porc et autres semblables, tiennent à l’essence de la Loi, et ont tous été annoncés et prescrits à Moïse au Sinaï, comme devant être réalisés chacun en son temps, soit dans leurs parties, soit dans leur ensemble. C’est donc Moïse qui en a confié l’indication à la tradition, pour qu’elle la transmît de bouche en bouche jusqu’au moment de leur réalisation.

C’est ainsi qu’Élie a pu sacrifier sur les hauts-lieux, en dehors de Jérusalem, instruit qu’il était par la tradition qu’il lui était permis d’agir ainsi, dans la nécessité impérieuse où il se trouvait.

C’est ainsi encore que Salomon, en instituant le Hiroub et le devoir de se laver les mains, n’a agi que conformément à l’explication traditionnelle de la Loi.

C’est ainsi, enfin, que nos sages ont autorisé le tribunal religieux à permettre la transgression, par l’abstention, d’un précepte positif quelconque de la Loi : cette transgression accidentelle, tenant également à l’essence de la Loi, et l’autorisation en ayant été transmise aux sages par la tradition.

Et ce qui sanctionne ce procédé traditionnel, c’est cet ordre divin : « Tu ne te détourneras point de la chose qu’ils (les prêtres ou le juge) t’auront enseignée, ni à droite, ni à gauche ! » — « Te diraient-ils, ajoutent les sages, que la droite est la gauche, que la gauche est la droite ! »

Certes, par ces paroles, nos docteurs n’avaient point la pensée d’enseigner que les sages peuvent supprimer quoi que ce soit de la Loi et prononcer des décisions qui lui soient contraires, faisant de la droite la gauche et de la gauche la droite. L’expérience prouve bien qu’ils n’en agissaient point ainsi, car, toutes les décisions de nos sages sont inhérentes à la Loi et lui sont conformes. Ce qu’ils ont déclaré être la droite, l’est réellement, loin d’être une suppression, ou une interversion, non plus qu’un changement ou une modification. Tout ce qu’ils ont établi est en rapport avec les règles qui nous dirigent, touchant les choses de la Loi, et avec l’appréciation que nous faisons de ses textes formels.

D’ailleurs, toutes les décisions qu’ils ont pu formuler, avaient déjà été prescrites traditionnellement, soit qu’elles eussent été fondées sur un précepte particulier, soit qu’elles eussent été déduites d’un précepte collectif ; de sorte que tout ce qui a été fait ou sera fait, tient à l’essence de la Loi, et est éternel comme elle.

— Il ressort de tout ce qui précède que la Loi divine, dont nous sommes les dépositaires, est éternelle, qu’il est donc impossible qu’elle soit changée ou qu’elle disparaisse.

C’est ce que j’avais pour dessein de démontrer.


1Le même mot eu hébreu, hassourim, sert à désigner ces deux noms.

Le principe de la foi ou la discussion des croyances fondamentales du Judaïsme par Don Isaac Abarbanel. Traduit par M. le Grand Rabbin Benjamin Mossé. Impr. Amédée Gros (Avignon), 1884. [Version numérisée : Google].

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