Meguilat Ta’anit ︱ מגילת תענית
Rouleau des jeûnes
Commentaire de Moïse Schwab (1898)
Commentaire de Moïse Schwab
Il n’est plus nécessaire de s’arrêter spécialement aux trois questions suivantes, clairement et amplement résolues par M. Brann[1] :
1° Ces journées ont-elles été instituées comme fêtes nationales, successivement par la suite des temps, ou en une fois ?
2º Quand le texte et quand le commentaire ont-ils reçu leur forme actuelle ?
3° Quelles sources ce dernier a-t-il utilisées ? C’est incidemment, en passant, que ces diverses questions sont traitées ici. Toutefois rappelons que le point capital du travail de M. Brann consiste dans la démonstration que le scoliaste a utilisé le Midrasch Bereschit rabba, et qu’en conséquence la scolie n’est pas antérieure au VIIe siècle de l’ère vulgaire.
En notant les diverses dates du tableau qui précède, on a fait la remarque que l’on ne trouve aucune fête pour dix quantièmes, savoir les 4, 5, 6, 10, 11, 18, 19, 26, 29, 30, dans aucun mois.
On peut diviser en cinq rubriques cette succession de 35 journées mémorables. La 1ère série comprend trois jours ; la 2e, quinze ; la 3e, dix, la 4e, quatre ; la 5e, deux. La première époque, antérieure à celle des Macchabées ou des Hasmonéens, comprend : 1° la mention de « l’inauguration des murailles de Jérusalem », sous Néhémie, le 7 Eloul (VI, 1, § 13) ; 2º la fête de Pourim, les 14 et 15 Adar (XII, 4, § 31) ; 3º la fête des bois, le 15 Ab (V, 1, § 11).
Sommaire
Toggle1. Époque antérieure aux Macchabées et aux Hasmonéens (avant le IIe siècle av. è. c.)
L’inauguration des murailles de Jérusalem (7 Éloul)
« Le 7 Éloul est le jour de l’inauguration du mur de Jérusalem ; le deuil y est interdit. »
À la mention de la solennité du 7 Éloul (vi, 1), le commentateur ajoute : « Les murs de Jérusalem avaient été renversés par les païens (Syriens). Lorsqu’Israël reconquit la suprématie, il reconstruisit ces murailles, ainsi qu’il est dit (dans Néhémie, VI, 15) : le mur fut achevé, etc.[2] ». À ce propos, le commentaire donne des détails de topographie sur la montagne sainte, et il expose les destinations religieuses des chambres et cellules sacrées.
La fête de Pourim (14 et 15 Adar)
« Le 14 et le 15 sont les jours de Pourim (fête d’Esther) ; le deuil est interdit. »
Sur la fête de Pourim[3], la glose rapporte l’opinion suivante de R. Josué b. Korḥa : « À partir de la mort de Moïse, il ne s’est plus levé de prophète qui ait prescrit aux Israélites quelque nouveau commandement, hormis celui d’observer la fête de Pourim. Il y a seulement une distinction à établir entre les fêtes établies par prescription mosaïque et cette dernière fête : la délivrance de l’Égypte, par exemple, se célèbre pendant sept jours, tandis que la fête de Mardochée et d’Esther n’a lieu qu’un jour. De plus, si nous fêtons la sortie d’Égypte, de ce pays où la vie des garçons avait été seule mise en péril, à bien plus forte raison devons-nous être joyeux au jour anniversaire du miracle accompli sous Mardochée et Esther, qui ont tiré du danger les hommes et les femmes, les enfants et les vieillards. » Du reste, les récits divers de l’histoire d’Esther sont assez nombreux pour dispenser d’insister.
La fête des bois (15 Ab)
« Le 15 Ab est le jour des offres de bois aux prêtres ; le deuil y est interdit. »
La fête des bois, selon le commentaire, a pour origine le retour de la captivité de Babylone[4]. Par ordre des Sages (docteurs de la Loi), les Israélites affranchis durent apporter du bois, au lieu de sacrifices, pour l’usage du Temple. Cette journée a été instituée comme fête commémorative, parce qu’à diverses reprises les ennemis de la Palestine avaient tenté inutilement d’abolir cet usage.
Comme ces trois journées sont amplement connues, il est inutile de s’y arrêter davantage. L’histoire n’a rien à revendiquer de ce récit.
2. Époque contemporaine des Hasmonéens (IIe siècle av. è. c.)
À la seconde époque, contemporaine des Hasmonéens, se rapportent quinze des journées mémorables mentionnées dans notre petite chronique. Les unes rappellent des victoires remportées sur les Syriens et les Grecs ; les autres sont des souvenirs d’heureux événements survenus à la suite des premiers faits ; enfin il y a commémoration d’entreprises émanant des Hasmonéens. Toutes ces journées sont circonscrites entre les règnes des trois premiers Hasmonéens : Juda Macchabée, Jonathan et Simon, d’une part, et le règne de leur successeur immédiat, Jean Hyrcan, d’autre part.
1ère journée : retrait des Simôt (3 Kislew)
« Le 3 Kislew, les Simôt furent enlevées de la Cour. »
— À l’autorité de Juda Macchabée se rattache le souvenir des préparatifs faits pour la nouvelle consécration du Temple, comme celui d’éloigner du sanctuaire les statues d’idoles[5] et d’enlever l’autel impur.
Pour ce passage, le scoliaste offre par hasard une explication exacte : les Grecs avaient érigé des statues dans la cour antérieure ou parvis public ; et, 22 jours avant la consécration du Temple, les Hasmonéens avaient enlevé ces idoles. De même, le Ier livre des Macchabées (iv, 43) parle de « pierres impures » que les purificateurs du Temple transportèrent dans quelque lieu écarté, et le rédacteur de ce livre a soin d’établir une distinction entre ces grandes pierres impures et les morceaux impurs de l’autel[6]. À l’égard de ces derniers, un conseil fut tenu pour savoir ce que l’on en ferait, et il fut décidé de ne pas les placer dans le même endroit impur, où ils seraient confondus avec les pierres des idoles, mais de les conserver à part, jusqu’à l’arrivée du prophète[7]. Les pierres impures n’étaient donc que des fragments d’idole, que la domination tyrannique des Syriens fit placer dans l’antichambre du Temple.
« Les païens, dit le commentateur, avaient bâti plusieurs Simôt dans la cour du Temple, et lorsque les Hasmonéens remportèrent la victoire, ils firent démolir les Simôt que l’on retira de cette cour, événement célébré par une fête. »
Les mots sirouga et simôt, selon M. Derenbourg (ibid., p. 60), sont d’une signification incertaine ; seulement il s’agit, comme on a pu le voir, de deux sortes d’objets en pierre, dont les uns commandaient quelque respect, tandis que les autres étaient jetés sans hésitation. Les deux livres des Macchabées mentionnent une double purification qui précéda l’inauguration du Temple.
Voici en quels termes s’exprime le Ier livre (iv, 43-46) : « Ils purifièrent le sanctuaire et enlevèrent les pierres de souillure qu’ils emportèrent à un endroit impur, et ils délibérèrent au sujet de l’autel d’holocauste, qui avait été souillé (ne sachant pas) ce qu’ils devaient faire, et ils prirent la bonne résolution de le démolir, de peur qu’il ne devînt pour eux un objet de scandale, puisque les païens l’avaient souillé. Ils démolirent donc l’autel et en déposèrent les pierres dans un coin du Temple, à un endroit convenable, jusqu’à l’apparition du prophète, qui pourrait décider de leur sort. » Le IIe livre des Macchabées est moins explicite ; il parle cependant (x, 2 et 3) des autels élevés sur la place par des étrangers, démolis plus tard, puis d’un autel d’holocauste, que l’on construisit après avoir purifié le Temple (comme ci-après, 5e jour).
À ce fait se rattache aussi le commentaire sur le § 17 (viii, 1), qui par erreur avait été déplacé et se trouvait égaré loin de là. Après quelques corrections dans les termes, on voit parfaitement qu’il est question du même fait dont parle le livre des Macchabées ; car voici ce passage : « Dans un endroit de l’avant-cour, les Grecs (Syriens) avaient construit un emplacement où se trouvaient des pierres bonnes ; on les enleva de là. Quant aux fragments de l’autel, on les laissa déposés là jusqu’au retour du prophète Élie, afin de savoir par lui s’il fallait les considérer comme impurs ou non. Un vote eut lieu, et il fut décidé qu’ils seraient enfouis sur place. En souvenir de cette décision, cette journée fut consacrée et fêtée. »
Frænkel[8] rapporte cette mention mémorable à un autre fait, bien postérieur. Selon lui, il s’agirait là des images de l’empereur sur les étendards des légions que Ponce-Pilate fit apporter à Jérusalem, et dont il ordonna ensuite l’enlèvement.
— Quelque ingénieuse que soit cette explication, dit Grætz à ce sujet[9], elle est réfutée par deux objections : la première repose sur une divergence de lectures hypothétiques des textes, détails philologiques dans lesquels il serait trop long d’entrer ici ; la seconde a pour base une rectification chronologique, savoir que la date du 3 Kislew ne concorde pas avec l’érection des étendards sous Pilate. Ce dernier fait, selon Josèphe[10], a eu lieu au commencement de l’automne, probablement vers l’époque de la fête des Tabernacles, lorsque Pilate envoya les troupes munies des images impériales en garnison d’hiver à Jérusalem. Mais les troupes prirent leurs quartiers d’hiver au commencement de la saison des pluies, laquelle commence régulièrement avec la nouvelle lune de Marḥeschwan. Entre le placement des étendards et leur retrait, il ne s’est passé que peu de jours, au dire de Josèphe. Il s’agit donc d’un fait arrivé encore en Tischri (mois précédent), et il ne saurait être reculé au 3 Kislew. D’après la conjecture de Grætz, au contraire, la date s’accorde sans effort avec les événements, si la demi-fête du 3 Kislew sert de préliminaire à celle de Ḥanouca, qui suit.
2e journée : Inauguration du Temple (25 Kislew)
« Le 25, commencent les huit jours de l’inauguration du Temple (Ḥanoucah) ; le deuil est interdit. »
À ce propos, il y a lieu d’observer en général que le commentateur révèle là, d’une façon très notoire, son caractère de compilateur, puisqu’il réunit sans distinction ce qui a été dit de cette demi-fête comme histoire doctrinale, Halakhah, et comme légende, Hagadah. En passant, il donne un renseignement qui dénote une bonne source primitive : c’est que cette fête dure huit jours, parce qu’il a fallu un temps égal pour l’inauguration[11]. Il ne met pas même en doute une autre raison empruntée à la tradition, d’après laquelle on trouva une fiole d’huile pure intacte, qui par miracle suffit pendant huit jours à entretenir le luminaire.
Toutefois, après les souvenirs historiques ou dramatiques auxquels cet épisode a donné naissance, on peut s’arrêter à quelques détails philologiques[12]. Au dire de Josèphe[13], la fête de Ḥanouca reçut le nom de « fête des lumières », τά φῶτα. Ewald[14] pense que cette dénomination a pour but de rappeler son origine ou sa raison politique, motif qui rendrait cette fête d’autant plus stable ». Ainsi, en principe, cette fête aurait été celle de la rotation du soleil, c’est-à-dire la célébration de l’arrivée de la lumière nouvelle pour l’année. A ce moment seulement, les Israélites lui auraient donné une haute signification historique, et elle aurait été transformée en solennité commémorative de l’inauguration du Temple.
En conséquence, le point de départ de cette fête serait une fête païenne, puisque la fête du soleil était célébrée en l’honneur de Jupiter, et l’historien Ewald est d’avis que, pendant les persécutions, les Juifs furent contraints par leurs adversaires de solenniser cette coutume. Mais les Macchabées et leurs contemporains, qui s’opposèrent avec beaucoup de zèle à toute pratique de paganisme et s’efforcèrent d’anéantir en Judée toute trace d’idolâtrie, n’auraient certes pas consenti à établir une fête païenne, si même elle devait servir à un but plus moral, en obtenant un cachet juif. Aussi la fête de Ḥanouca reçut formellement le nom de « fête des lumières », parce qu’en ces jours on allume des lumières. Ce détail essentiel de la cérémonie doit être fort ancien, quoiqu’il n’en soit pas question dans les deux livres des Macchabées ; car, déjà avant l’ère vulgaire, les disciples des écoles de Hillel et de Schammaï se livrent à des discussions minutieuses sur la façon dont ces lumières doivent être allumées chaque soir[15].
Il ne reste qu’à élucider la question de savoir quelle est la cause originelle de cette cérémonie. Pour résoudre ce point douteux, il suffira d’admettre l’avis de Josèphe : il indique comme cause fondamentale de cette désignation le fait qu’en ce jour solennel il s’éleva pour les Juifs une lumière inattendue, de même qu’il est dit dans l’histoire d’Esther (viii, 16) : « Pour les Israélites, il y eut de la lumière, de la joie, etc. » Il est également loisible de supposer qu’il y eut un acte extraordinaire, lors de l’inauguration du Temple, en corrélation étroite avec l’acte d’allumer les lampes au Temple, fait dont la relation est restée peu claire ou confuse. En effet, au IIe livre des Macchabées (x, 3), on fait ressortir tout particulièrement la charge d’allumer les lampes au Temple, dévolue aux purificateurs de ces lieux saints. C’est la base historique d’où émane la tradition d’une trouvaille d’huile pure[16].
3e journée : Anniversaire de la mort d’Antiochus (28 Schebat)
« Le 28 (Schebat), le roi Antiochus fut enlevé de Jérusalem. »
Dans le texte primitif, il y a : « Le roi Antiochus fut enlevé de Jérusalem ». Ces termes ont fait supposer à Herzfeld (I, 280-286) qu’il s’agissait du départ subit de Lysias avec le jeune Antiochus, fils du roi, et, à ce propos, Herzfeld réunit les fables répandues sur la fin du roi.
Le commentaire de la Meghilla fournit une explication exacte : c’est que la mort de ce tyran parut avoir un caractère merveilleux, en ce qu’il succomba loin de son pays, étant parti à la suite des mauvaises nouvelles qu’il reçut. Ce départ se rapporte à la marche militaire d’Antiochus contre les Parthes, campagne dans laquelle ce roi succomba honteusement[17]. Cette indication historique, quelqu’obscure qu’elle soit en général, ne relate pas la vieille légende d’après laquelle Antiochus se serait repenti de sa cruauté envers les Israélites, de ses blasphèmes contre Dieu, et se serait proposé de se convertir au judaïsme. Cette légende se retrouve au IIe livre des Macchabées (chap. x), encore amplifiée par quelques formes oratoires. Le Ier livre connaît aussi cette légende des regrets d’Antiochus ; mais il n’en parle qu’à titre de fable rejetée (vi, 12-19).
Aussi, selon une autre explication, la demi-fête a été établie parce que ce roi fut obligé de s’éloigner de Jérusalem après une défaite. En effet, selon la glose, le roi syrien avait voulu ruiner la capitale et anéantir les Juifs, qui ne pouvaient y entrer ou en sortir que la nuit. Il reçut de mauvaises nouvelles qui l’obligèrent à s’éloigner et à rentrer dans ses états[18]. Comme on sait, le jeune roi Antiochus Eupator, fils d’Antiochus Épiphane, après avoir pénétré jusqu’à Jérusalem et l’avoir longtemps assiégée, apprit que Philippe, à la mort d’Épiphane, cherchait à s’emparer du pouvoir royal en Syrie. Cette nouvelle contraignit Eupator à conclure la paix avec les Juifs, à se retirer et à se rendre dans Antioche, sa résidence. Cette retraite, inespérée pour les assiégés, fut célébrée par eux périodiquement.
4e journée : Souvenir de la défait de Nicanor (13 Adar)
« Le 13 (Adar) est le jour [commémoratif de la défaite] de Nicanor. »
On sait que cette journée mémorable est aussi mentionnée dans les deux livres des Macchabées (Ier livre, vii, 49 ; IIe livre, xv, 36). Le récit des circonstances secondaires, ou comment les vainqueurs se conduisirent avec le cadavre de Nicanor, a donné lieu à de nombreuses additions imaginaires, parmi lesquelles ressortent le plus le IIe livre des Macchabées et le commentaire de notre Meghilla. Les narrateurs les plus simples, et par conséquent les plus véridiques, sont le Ier livre des Macchabées (viii, 47) et les deux Talmuds[19]. Selon eux, Nicanor ayant insulté Dieu et le Temple par paroles et gestes, on le renversa de son char, et on lui coupa la tête et les mains que l’on suspendit aux portes de Jérusalem en effigie. Le IIe livre des Macchabées y joint déjà cette addition légendaire, que l’on a suspendu les doigts isolés de la main de Nicanor en face du Temple (xv, 33). Cette assertion a donné lieu, bien plus tard, à une erreur d’étymologie : l’historien Josipon, du Ve siècle, ou le pseudo-Josèphe, prétend que, depuis ce fait, on a donné à une porte du Temple le nom de porte Nicanor. C’est évidemment une interprétation fausse, puisque déjà le Talmud donne une autre explication. Tout l’extrait tiré de Jason de Cyrène, au IIe livre des Macchabées, semble fait en vue de cette fête, qui termine ce livre.
D’autre part, le commentateur de notre chronique avait bien sous les yeux le même texte que le Talmud de Jérusalem, au sujet de la victoire remportée sur Nicanor ; mais il n’a pas compris l’une des expressions employées. Le Talmud de Jérusalem raconte qu’un Hasmonéen a renversé Nicanor de son char de guerre, קרוכין ; au lieu de ce dernier mot, dont le commentateur n’a pas deviné le sens, il a pensé qu’il s’agissait de ses parents, קרובין, et il ajoute de son chef que l’on est allé jusqu’à s’emparer des parents de Nicanor, et qu’on leur coupa la tête, ainsi que les doigts des mains et des pieds. En présence de telles confusions, il ne faut accueillir ces données qu’avec la plus grande circonspection.
À la suite vient un fait accompli sous le principat de l’Hasmonéen Jonathan.
5e journée : Renversement et restauration de la muraille intérieur du Temple (23 Marḥeschwan)
« Le 23 Marḥeschwan, on enfouit la Sôréga pour la faire disparaître dans la cour du Temple. »
Il s’agit d’une séparation en bois, située entre l’avant-cour des païens et celle des femmes[20], et elle a reçu le nom de sôréga ou sirouga, parce qu’elle se composait de lattes superposées, en grillage. La journée commémorative a été instituée en souvenir de ce fait que le grand-prêtre Alcimos avait voulu renverser la clôture de séparation, sanctifiée par les prophètes eux-mêmes. Pour son châtiment, il fut frappé de paralysie, et il mourut bientôt après. C’est cette intervention providentielle, entravant une aussi funeste entreprise, que l’on solennisa plus tard.
Le Ier livre des Macchabées (ix, 54-56) nomme ce mur τὸ τεῖχος τῆς αὐλῆς τῶν ἁγίων τῆς ἐσωτέρας, et il le désigne ἔργα τῶν προφητῶν. Le projet d’Alcimos apparaît comme un acte d’autant plus coupable, dont il a été puni par le Ciel, que son entreprise n’a pas abouti. De ce prêtre proviennent les 13 brèches à ce mur, que la Mischna attribue aux satellites du roi Antiochus, par l’expression vague de « rois grecs ». Elle raconte qu’en l’honneur des 13 ruptures, réparées plus tard, on établit dans le service divin 13 génuflexions.
Le commentateur, qui n’a pas compris de quoi il s’agissait, a confondu cette date avec celle du 1er Nissan ; il a ainsi obscurci plutôt qu’éclairé la question (comme Grætz le fait ressortir). Les païens, dit le commentateur, avaient élevé sur une place de cette cour une construction, à laquelle ils avaient aussi employé de bonnes pierres. On décida donc de laisser les pierres jusqu’à l’arrivée d’Élie (c’est-à-dire jusqu’à la fin des jours), pour que ce prophète témoignât de la pureté des unes et de l’impureté des autres. Après en avoir délibéré, on les enfouit.
Aussi, M. Derenbourg (p. 61) traduit ainsi le texte relatif à cette date : « On enfouit le sirouga (pour le faire disparaître) de la cour du Temple », et il ajoute, à l’appui de sa version, l’argumentation suivante : « Il suffit d’avoir comparé les passages de notre petite chronique avec ceux du Ierlivre des Macchabées, pour reconnaître que le sirouga devait être la portion de l’autel d’holocauste qui avait été souillée, ou bien un assemblage à claire- voie en pierres, élevé au-dessus de l’autel et sur lequel les païens avaient sacrifié. On était incertain sur le parti à prendre à l’égard de ces pierres, soit parce qu’elles avaient été saintes à l’origine, soit parce qu’on ne savait pas distinguer entre les matériaux apportés du dehors et ceux pris sur l’ancien autel. La décision à laquelle on s’arrête est la même dans le Ier livre des Macchabées et dans la Meghillat Taanith. De plus, on en retrouve un indice dans la Mischna[21] : elle indique l’endroit où les Hasmonéens ont enfoui les pierres de l’autel, que les rois de la Grèce avaient souillés ». Quant aux simôt ou bimôt, comme il faudrait peut-être lire, ce sont probablement les Βωμοί, autels, ou les pierres de souillure, οί λίθοι τού μιασμού, que l’on avait dressées en dehors de l’ancien autel, afin d’y immoler des victimes, et que, sans hésiter, on jeta hors de l’enceinte du Temple. » Cette interprétation est trop plausible pour ne pas être admise.
Les quatre mentions suivantes se rapportent au règne du prince Simon.
6e journée : Prise d’Acra et expulsion des Syriens (23 Iyar)
« Le 23 (Iyar), les fils de l’Acra sortirent de Jérusalem. »
Dans le texte, il y a les fils de l’Acra », comme dans I Macchabées, iv, 2 : αὶ υἱοὶ τῆς ἄκρας, pour désigner les défenseurs de l’Acra. C’est cette expression qui a donné lieu à une grave erreur d’étymologie (déjà signalée ci -dessus, chap. 1er), supposant à tort qu’il s’agit des Karaïtes. Le mois et le jour de cet événement important sont attestés par le Ier livre des Macchabées (xi, 51). Il est curieux de voir qu’ailleurs (I, 13), ce livre historique identifie Acra avec Sion, la ville de David, et le commentateur en prend texte pour établir, à propos de ce fait, la même identification avec Acra[22], citée deux fois dans ce seul passage de notre chronique.
7e journée : Prise de la forteresse de Betsour (17 Siwan)
« Le 17 Siwan, la tour de Sour fut prise. »
Abahou (à la fin du IIIe siècle) comprend sous le nom de cette forteresse « Césarée, fille d’Édom, ville établie dans les sables, qui était un point malheureux pour Israël pendant la domination grecque ». Cependant il identifie ces deux villes avec Ekron, ou « la ruine future[23] ». Toutefois, on ne saurait trouver nulle part la moindre allusion à une prise aussi importante et aussi grave de conséquence que celle de Césarée, pour qu’il y ait eu lieu d’en consacrer la mémoire par un jour de solennité. Cette ville, au contraire, avait toujours été habitée par des Grecs et des Syriens, et elle n’a reçu d’habitants juifs que sous le règne d’Hérode. Mais l’expulsion des Hellénistes de Betsour a dû être grave, autant que celle des habitants d’Acra, et c’est évidemment à cette victoire que se rapporte la demi-fête commémorative dont il s’agit ici.
Le Ier livre des Macchabées (xiv, 33) ne fait mention de la prise de Betsour qu’incidemment ; c’était une conquête, אחיד[24], des Syriens. Aussi, M. Oppenheim[25] s’était efforcé de démontrer qu’il s’agit là de la prise de la tour de Straton à Jérusalem : hypothèse peu fondée, dit Grætz, car ce n’était qu’un passage insignifiant, menant vers la tour d’Antonia (Antiquités, XIII, II, 3). Il a donc pensé avec raison à la ville de Bet-sour au sud de Jérusalem, sur la route de Hébron, appelée par la Peschito Bit Souro, et encore aujourd’hui nommée Bourdj-Sour[26]. On connait, en effet, l’importance de cette ville pendant les guerres des Hasmonéens ; et depuis que, sous Juda Macchabée, elle était tombée au pouvoir d’Antiochus Épiphane[27], elle conserva, comme l’Acra de Jérusalem, une forte garnison de Syriens, jusqu’à la prise de possession par Simon (I Macchab., XIV, 33).
8e journée : Extermination des renégats (22 Éloul)
« Le 22 (Eloul), nous revînmes pour tuer les renégats. »
Le commentaire à ce sujet donne une explication exacte, puisée probablement à une bonne source ancienne ; la voici : Sous l’autorité païenne, les Juifs n’avaient pas d’action sur les impies ; mais une fois libres, ils avisèrent les mécréants, leur accordèrent trois jours pour réfléchir sur leur conduite, leur laissant le temps de se repentir, de revenir à des sentiments plus religieux. Comme les infidèles ne tinrent pas compte de l’avertissement, le peuple se rua sur eux et les extermina.
Une indication du Ier livre des Macchabées semble, il est vrai, contredire ce fait, puisque ce livre raconte que Simon, lors de la reddition de l’Acra, accorda aux renégats hellénisants le passage libre, sans coup férir. Mais la même source laisse deviner, par d’autres versets (XIV, 14 et 36), qu’au moins une partie de ces gens fut anéantie[28]. Le prince fut sans doute forcé plus tard d’agir avec plus de sévérité. En effet, le commentaire cite à ce propos des exemples[29], où la législation rabbinique s’est montrée très sévère dans le prononcé des pénalités, en vue de frapper les masses attentives.
Au lieu d’« hellénisants », Cassel[30] traduit משמדיא « les apostats », ἄνομοι.
9e journée : Cessation de l’impôt de la couronne pour les rois syriens (27 Iyar)
« Le 27 (Iyar), les impôts du fisc furent retirés de Juda et de Jérusalem. »
Le commentaire donne une signification impropre au mot essentiel de cette phrase du texte : kelilâ « l’impôt ». Cependant le sujet ne saurait être mis en doute et se rapporte à un fait, raconté au Ier livre des Macchabées (xш, 39), à savoir qu’en général Démétrius II avait imposé au peuple juif des tributs à payer au trésor d’Antioche, et qu’il y renonça.
Le texte primitif ― il faut bien le reconnaître pourtant dit littéralement : « On a enlevé les couronnes » kelilâ. Ce terme avait fait supposer au commentateur qu’il s’agissait d’un ornement idolâtre, enlevé par les soins des Hasmonéens ; car il se réfère à un passage analogue du Midrasch[31]. Aussi, selon Cassel (ibid., p. 90-93), les gens « couronnés sont ainsi nommés par allusion aux adorateurs de Bacchus, couronnés de pampre et de lierre.
Les cinq ou six faits suivants se rapportent à la domination de Jean Hyrcan.
10e journée : Destruction du Temple samaritain sur le mont Garizim (21 Kisłew)
« Le 21 (Kislew) est le jour du mont Garizim ; le deuil y est interdit. »
L’addition jointe à cette mention de fête fait savoir qu’il ne peut y avoir aucun deuil public le jour de Garizim. C’est dire la grande importance de cette victoire sur le temple voisin, celui des idolâtres samaritains, remportée par Jean Hyrcan.
Tous les témoignages rabbiniques semblent affirmer qu’Alexandre le Grand, lors de la conquête de Tyr et de Gaza, s’est éloigné de la côte pour s’avancer dans l’intérieur du pays. Est-il allé à Jérusalem ? Le glossateur de la Meghillath Taanith le soutient à propos du texte de notre journée commémorative ; car il ajoute le récit suivant :
« Il s’agit du jour où les Cuthéens demandèrent à Alexandre de Macédoine l’autorisation de détruire la maison de notre Dieu. Accorde-nous, lui dirent-ils, cinq kours (mesures) de terrain sur le mont Moriya. Le roi les leur donna. Instruit de ce fait, Siméon le juste endossa ses vêtements sacerdotaux, et se fit accompagner par la noblesse de Jérusalem, par mille conseillers habillés de blanc et par les jeunes prêtres qui faisaient retentir les vases sacrés (les instruments de musique). Toute la nuit, précédés de flambeaux, ils marchèrent sur deux rangs. Quels sont ces hommes ? demanda Alexandre (en les voyant de loin). Ce sont, répondirent des délateurs, les Juifs qui ont méconnu ton autorité. Au moment où le soleil se leva, on arriva au premier poste, à Antipatris. À ce point de rencontre, on dit aux Juifs : Qui êtes-vous ?
— Des habitants de Jérusalem, fut la réponse ; nous sommes venus pour être admis en présence du roi. Alexandre, apercevant le visage de Siméon le juste, descendit aussitôt de son siège et se prosterna devant lui : Quoi, dirent ses courtisans, un grand roi comme toi se prosterne-t-il devant les Juifs ?
— Oui, leur répliqua-t-il, parce que cette figure m’apparait toutes les fois que j’entreprends une guerre d’où je sors victorieux. Puis, s’adressant aux Juifs, il leur dit : Quelle cause vous amène ?
— Ce peuple (de délateurs) te trompe, répondit Siméon, lorsqu’il réclame pour lui le lieu où nous prions Dieu pour toi et pour la durée de ton règne.
— Et quel est ce peuple ?
— Ce sont les Cuthéens qui sont debout devant toi.
— Leur sort est entre vos mains, dit Alexandre. Aussitôt, on fit des trous aux talons des Cuthéens, que l’on attacha aux queues des chevaux, et ils furent ainsi traînés sur des ronces et des épines, jusqu’à l’arrivée au mont Garizim. Là, les Juifs passèrent la charrue sur l’emplacement du temple (de leurs ennemis) et y semèrent des fèves, comme les Cuthéens avaient eu l’intention de le faire pour le temple de notre Dieu. Ce jour est donc institué comme une fête. »
Le fond de ce récit, qui se rencontre encore ailleurs[32], est d’accord avec celui de Josèphe. (Antiquités, XII, vш, 3-6 ; XIII, IX, 1.)
11e journée : Prise et destruction de Samarie (25 Marḥeschwan)
« Le 25 (Marḥeschwan), Samarie fut prise. »
Le commentaire à ce sujet contient une explication empruntée à un document antique, et cela avec d’autant plus de certitude, qu’il s’accorde d’une façon étonnante avec l’historien Josèphe pour des détails secondaires, sauf quelques variantes de termes. — Selon Josèphe, Hyrcan n’a pas seulement détruit la ville de Samarie, mais il la fit encore inonder par des canaux et des cours d’eau, au point qu’elle ressemblait à un fleuve débordé, n’offrant plus de traces d’habitations (Ant. XII, 10, 3). C’est pourquoi, ajoute le commentateur, on l’appelait « la ville changée en canaux » ; et, à ce propos, il raconte aussi l’origine de cette ville, appelée parfois Sébasté, née de l’agglomération des maisons bâties successivement par les premiers arrivants, puis entourée d’une muraille[33].
Une autre remarque est à faire sur une expression du commentaire : certaines éditions ont ici les mots לים בוסטי, qui n’ont aucun sens. Ils proviennent de ce que, par erreur, on a coupé en deux la transcription du mot Sébasté, autrement dit Samarie. Du reste, Cassel (ibid., p. 100) traduit ainsi ce passage du commentaire : « Ils vinrent à Sébasté-Samarie, et ils eurent des villes סמרתנא, Samaratna. »
12e journée : Incorporation de la ville de Bethséan et de la vallée de Jezréel dans la Judée (15 et 16 Siwan)
« Le 15 et le 16 (Siwan), les habitants de Bethsean et de la plaine furent exilés. »
Comme date approximative, Grætz (t. III, p. 68, et note 1) indique : Juin 110 avant l’ère vulgaire.
Cette circonstance, si importante pour l’extension du territoire de la Judée sous Hyrcan, est confirmée par Josèphe (De Bello jud., I, 2, 7, quoique brièvement) : Antiochus de Cyzique avait reçu de Latyre des troupes auxiliaires, tournées contre Hyrcan, placées sous le commandement des généraux Calimandre et Épicrates, pour continuer la guerre. Après que le premier fut battu, le second livra contre argent, aux fils d’Hyrcan, la ville de Scythopolis avec ses environs s’étendant jusqu’au mont Carmel, c’est-à-dire toute la vallée de Jezreél.
— La glose, toujours vague, n’indique pas qu’il s’agit en même temps, dans cette journée mémorable, de l’expulsion des païens de Scythopolis.
13e journée : suppression du nom divin des documents (3 Tisri)
« Le 3 Tisri, le nom divin fut enlevé des actes. »
La glose ajoute : Après leur victoire, les Hasmonéens adoptèrent l’usage de placer le nom divin dans les pièces et contrats, de sorte que l’on prit par exemple l’habitude d’écrire « l’an tel du grand-prêtre Iohanan, qui sert l’être suprême ». En l’apprenant, les sages le désapprouvèrent : ils firent la remarque que mainte pièce pour dette, étant déchirée après ce payement, pouvait être jetée à terre. Pour éviter cette profanation, on supprima ledit usage, et le jour de l’adoption de cette règle fut célébré comme fête.
Cette glose, évidemment, est mal fondée. Il est inadmissible que l’on ait voulu glorifier une règle aussi peu importante, faite en prévision d’une exception fâcheuse. La raison est plutôt celle-ci : Sous le règne de Simon, on supprima l’usage forcé de l’ère des Séleucides, dans les pièces officielles. Cette ère, dite aussi des contrats מנין שטרות, imposée par les Syriens aux Juifs, leur était odieuse, et l’on s’explique la joie de l’avoir vu supprimer. — Ewald s’imagine à tort[34] que, malgré l’introduction d’un comput selon les années du règne des princes hasmonéens, l’ère des Séleucides ait été maintenue chez les Juifs dans la vie ordinaire, jusqu’au moyen âge. Or, ni pendant l’existence du Temple de Jérusalem, ni sous la domination romaine, les Juifs palestiniens ne se sont servis de l’ère des Séleucides, et l’emploi de cette ère annulait au contraire l’acte de divorce qui portait une telle date[35]. On n’attribue cet usage qu’aux Juifs de Babylone[36], et le moyen âge en offre des exemples épars.
Un autre historien explique différemment la demi-fête qui célèbre l’introduction de l’usage de supprimer la mention du tétragramme divin dans les actes officiels et publics. Selon lui, cette journée mémorable n’appartient qu’indirectement au temps des Hasmonéens. Le Talmud[37]ajoute ce commentaire, qu’en raison de l’abus du nom divin employé dans les actes d’obligation et autres pièces analogues, on a introduit la désignation nominale, jointe au nom du grand-prêtre hasmonéen.
Si cette explication est exacte, ce fait se trouve partiellement en contradiction avec la relation du Ier livre des Macchabées, d’après laquelle on aurait simplement écrit la date en ces termes « En l’an du grand-prêtre Simon », sans ajouter les mots du dieu élevé. Il faut donc croire que le rédacteur ultérieur du livre des Macchabées a modifié la formule originale, en se conformant à ladite prescription.
Aussi, Cassel (ibid., p. 97) propose de traduire ainsi : « Le 3 Tissri, on supprima des contrats les images, אנדרנתא, άνδρι-άντα, sous-entendu « des Syriens » (cf. I Macchab., XIII, 41), sauf qu’au lieu de fêter à cet effet les deux premiers jours de ce mois qui constituent le nouvel an, on a adopté le troisième jour de Tissri.
14e et 15e journées : Reconstruction des murs de Jérusalem (16 Adar et 7 Iyar)
« Le 16 (Adar), on commença la construction du mur de Jérusalem ; le deuil est interdit. »
« Le 7 Iyar eut lieu l’inauguration du mur de Jérusalem ; le deuil y est interdit. »
Le 16 Adar (xii, 5), ce travail fut commencé[38], et il a été achevé le 7 Iyar (ii, 1), jour de l’inauguration de ces murailles. On ne saurait préciser l’époque de ce second Ḥanouca, ni dire sous quel règne des princes hasmonéens la consécration de ces journées a eu lieu, puisque cette restauration occupe toute la période d’ensemble des quatre premiers hasmonéens depuis Juda jusqu’à Jean Hyrcan. Par confusion, le commentaire fait remonter cette restauration jusqu’à Néhémie (il faut réunir ici le § 32 au § 3).
3. L’indépendance de la Judée (110 av. n. è.)
Après que l’indépendance de la Judée fut assurée à l’extérieur, commence une série de dissensions à l’intérieur, entre les deux sectes des Pharisiens et des Sadducéens, jusqu’après la mort d’Alexandre Jannée. Sous la reine Salomé Alexandra, le principe pharisien l’emporta, et les Pharisiens solennisèrent tous les jours où ils eurent des victoires partielles sur leurs adversaires.
Mais, avant d’aller plus loin, il convient de dire quelles sectes religieuses dominaient à cette époque en Judée, et en quoi elles influèrent sur les destinées politiques de ce malheureux petit pays[39]. L’histoire nous a conservé le nom et les doctrines des sectes les plus importantes. Qui ne connaît, au moins sous leur dénomination générale, les Pharisiens, les Sadducéens, les Esséniens, ces trois grandes sections du judaïsme, depuis le retour de la captivité de Babylone ?
De nombreuses écoles existaient, en outre, sous ces appellations générales. On connaît moins les discussions intérieures des Sadducéens et des Esséniens que celles des Pharisiens, dont le Talmud nous a conservé avec tant de soins les doctrines diverses ; mais, d’après le grand nombre de leurs écoles, il faut croire que les autres grandes sectes n’étaient pas moins divisées que le pharisaïsme sur leurs doctrines générales. Il est inutile d’étudier ici les caractères particuliers à chacune de ces grandes sectes. On sait que les Sadducéens, qui d’ailleurs étaient en réalité plutôt un parti politique qu’une secte religieuse et qui disputaient aux Pharisiens le pouvoir populaire, s’en tenaient rigoureusement au texte biblique, n’admettant pas l’autorité de la loi orale et traditionnelle, renfermant obstinément tous les progrès de l’esprit humain dans la lettre de la loi écrite. Tout ce qui n’était pas clairement et positivement écrit dans les livres sacrés était impitoyablement repoussé par eux. A leurs yeux, il n’y avait d’autre être immatériel que Dieu : ils n’admettaient ni la doctrine des anges, ni l’immortalité de l’âme, ni les peines et les récompenses de la vie future.
Au point de vue social et pratique, c’étaient, si l’on peut parler ainsi, des conservateurs opiniâtres ; tandis que les Pharisiens étaient les libéraux et les progressistes du Judaïsme, vivifiant la lettre par l’esprit, proclamant la liberté de la pensée, donnant aux décisions de la majorité une puissance d’obligation, marchant, suivant les mœurs et les époques, dans une voie indéfiniment progressive, qui a sauvé le Judaïsme de l’immobilité et de la mort. A côté d’eux, les Esséniens étaient des espèces d’ascètes, des mystiques, qui faisaient de la pureté absolue, de la vertu sans tache, le but de la vie humaine.
Il est impossible de passer sous silence une autre grande secte, que l’on peut nommer l’hellénisme, et qui avait tenté jusqu’à un certain point de concilier le mosaïsme avec la philosophie ; école puissante dont Philon a été l’expression et Alexandrie le foyer, école qui a frayé évidemment la voie au triomphe des apôtres chrétiens. Alexandrie avait un temple à l’exemple de Jérusalem ; mais la langue grecque et les mœurs grecques avaient envahi la population juive de ce grand centre intellectuel, et le Judaïsme pur y avait beaucoup dévié de sa rigidité primitive.
Ceci dit, continuons la série d’éphémérides, que désormais l’on comprendra mieux.
16e journée : les Sadducéens sont écartés du Sanhédrin (28 Tébet)
« Le 28 Tébet, la réunion fut rétablie d’après la Loi. »
À ce texte la glose ajoute : Le Sanhedrin (tribunal suprême) ; depuis qu’Hyrcan eut abandonné le Pharisaïsme, n’avait été composé que de membres sadducéens, parce que les Pharisiens ne pouvaient ou n’osaient être en fonctions à côté des Sadducéens. Seul Simon ben Schetaḥ a surmonté ce scrupule, en se laissant recevoir comme membre de cette magistrature. Mais, dans les séances auxquelles le roi Jannée et son épouse Salomé avaient l’habitude d’assister, les Sadducéens ne savaient pas donner de réponses basées sur les termes de l’écriture sainte, pour les questions qui étaient présentées. Simon ben Schetaḥ fit alors la remarque que nul ne méritait d’occuper un siège dans ce tribunal s’il ne savait baser toutes ses assertions sur un terme de la Bible (conformément au principe des Sadducéens de respecter la lettre). Sur ce, il arriva, pour une question de droit, qu’aucun membre sadducéen ne pouvait trouver de solution légale basée sur la Bible. Tous se turent. Seul un vieillard dit en murmurant (à l’oreille de Simon ben Schetaḥ) : « Donne-moi trois jours de temps pour réfléchir ». Mais comme, après cet espace de temps, il n’avait pas trouvé de réponse à donner, il fut si honteux qu’il ne retourna plus au Sanhedrin ; et Simon ben Schetaḥ, prouvant par des textes que le nombre des membres du Sanhédrin devait être de 71, y introduisit un pharisien. Ainsi, il réussit successivement à écarter les Sadducéens et à leur substituer des Pharisiens. C’est le jour où cette substitution fut complète, qui fut institué comme anniversaire de fête. Telle est la glose.
Or, malgré la sagesse notoire et l’influence de ce Simon à la cour du roi Jannée[40], il est peu probable qu’il ait pu éliminer ainsi tous les Sadducéens et opérer un aussi brusque changement. Il vaut mieux admettre que cette journée a pour but de rappeler la reprise de la haute juridiction par le grand conseil, après le triomphe des Hasmonéens sur les Syriens. On a voulu célébrer ce fait spécial, d’une importance capitale pour la vie intime des Juifs.
Pour Grætz au contraire[41], le récit du commentateur n’est pas inventé : il s’adapte bien au texte primitif, à, l’énoncé du fait. Il en résulterait, selon lui, que, déjà sous le règne de Jannée, les Pharisiens ont dû former un Sanhedrin, et que par conséquent ce roi était en bonnes relations avec eux.
17e journée : Anniversaire de la mort d’Alexandre Jannée (7 Kislew)
« Le 7 (Kislew) est un jour de fête. »
Dans cet énoncé, on n’a pas indiqué le motif de cette journée mémorable, ce qui est singulier. Le commentaire seul rapporte ce jour à l’anniversaire de la mort d’Hérode ; mais comme Hérode est mort au commencement du printemps, l’on ne peut attribuer à ce décès que le jour mémorable mentionné comme tel au mois de Schebat ; tandis que la journée du 7 Kislew peut plutôt se rapporter à Alexandre Jannée. Le commentateur semble avoir confondu ces deux faits, si même l’on admet que son explication pour les deux jours de demi-fête soit la vraie ; et ce qui prouve la confusion, c’est qu’à la date du 2 Schebat, le commentaire parle des deux morts.
Il existe aussi une autre hypothèse, celle de Cassel (ibid., p. 79) : « Le 7 Kislew, dit-il, ne peut pas être l’anniversaire de la mort d’Hérode[42], comme l’insinue le commentaire, mais celui de la mort d’Antiochus Eupator, aussi haïssable que son père. »
18e journée : Suppression du code pénal sadducéen (14 Tamouz)
« Le 14 Tamouz, le livre des décisions fut abrogé[43] ; le deuil y est interdit. »
Le commentaire donne la raison de cette solennité, qui paraît puiser son importance spéciale dans une cause rattachée à une bonne source. Les Sadducéens avaient leur propre code, en dehors des prescriptions pénales de la loi mosaïque, pour prononcer les peines en cas de crime. Les Pharisiens, après leur victoire, rejetèrent ce code particulier, par la simple raison que « les lois traditionnelles ne doivent pas être mises par écrit ». La suprématie que les Pharisiens avaient acquise, par la sympathie de la reine Salomé Alexandra en faveur de leur propre parti, a dû leur rendre possible le rejet du code pénal sadducéen, pour y substituer leurs propres règles. Il se peut aussi les Pharisiens aient voulu repousser, non la mise que par écrit des lois, mais la grande sévérité de l’exercice de la justice selon les Sadducéens. On sait par Josèphe[44] que les Sadducéens agissaient avec la plus grande rigueur dans les procès criminels, tandis que les Pharisiens accordaient une large place à l’indulgence.
Cassel (ibid., p. 107) traduit : « … le livre de l’ordre », savoir celui d’Antiochus, supprimé par son fils Alexandre (I Macchabées, x).
19e journée : Introduction du droit d’héritage selon les Pharisiens (24 Ab)
« Le 24 (Ab), nous revînmes à notre Loi. »
En ce point, le Talmud[45] n’est pas d’accord avec notre petite chronique, et, à ce même objet, il assigne pour date le 14 du mois de Tébet. Mais au moins il explique en quoi ce jour est particulier, selon l’observation du commentateur ; ce dernier, qui l’explique maladroitement, l’a confondu avec une autre circonstance. Il énonce d’un trait deux faits différents, sans les distinguer l’un de l’autre : 1° pendant la domination tyrannique des Grecs, les Juifs avaient été obligés de se soumettre à la procédure grecque ; 2° les Sadducéens avaient introduit un autre mode d’héritage[46], supprimé ce jour-là.
20e journée : Décret pharisien sur les sacrifices quotidiens (du 1er au 8 Nissan)
« Depuis le 1er jusqu’au 8 Nissan, le sacrifice quotidien devait être payé aux frais du Temple ; le deuil y est interdit. »
Pour cette journée mémorable, le commentaire à une addition très importante, qui ne se trouve pas dans le passage parallèle du Talmud[47] : selon lui, cette perception régulière des revenus du temple, en vue de construire une chambre supérieure à l’usage des sacrifices de la communauté, fut seulement introduite à la suite de la victoire remportée par le principe pharisien sur le principe sadducéen. Cette institution ne peut dater que de l’époque de la chute complète des Sadducéens, c’est-à-dire du règne de la reine Salomé Alexandra ; elle a probablement eu pour promoteurs les deux membres du Sanhédrin, Judda b. Tabbai et Simon b. Schetah[48].
D’après l’Exode (xi, 17), le jour où l’on dressa la tente de l’assignation et où l’on offrit en même temps le sacrifice quotidien pour la première fois, ce fut le 1er Nissan[49]. On aura donc profité de la collecte de sicles faite au mois d’Adar, pour inaugurer le payement des sacrifices avec les deniers du trésor.
En dehors de sa relation tirée d’une bonne source, le commentateur a cru, par déduction, pouvoir ajouter un détail qui repose sur une erreur. Il suppose que cette demi-fête dure huit jours, parce que la victoire sur les Sadducéens n’a eu lieu qu’après huit jours de débats. Ceci est peu exact : on mentionne l’extension des débats à huit jours seulement pour faire ressortir la gravité de l’opinion prédominante, et le rejet de l’opinion sadducéenne au sujet de la fête des semaines (Pentecôte).
Ainsi, il est déjà tenu compte du principe de la nationalité, pleinement reconnu en ce jour !
21e journée : Décret pharisien sur la date de la Pentecôte (du 8 au 22 Nissan)
« Du 8 (Nissan) jusqu’à la fin de la fête de Pâques (le 22), on rétablit la fête des Semaines (Pentecôte) ; le deuil y est interdit. »
À cause de l’importance de la victoire, constatant que le principe de la tradition est supérieur même aux paroles textuelles de l’Écriture sainte, la fête dure aussi longuement. Les Pharisiens ont attaché à ce principe tant de gravité, qu’ils ont émis la loi suivante : si la Pentecôte se trouve être un samedi, le lendemain dimanche après la fête, le grand- prêtre ne devait pas porter ses ornements pour opérer la combustion des restes de sacrifices, afin que le peuple ne soit pas enclin à adopter ce lendemain comme jour réel de la fête.
Bien entendu, depuis la fixation du calendrier hébreu, Pâques n’est jamais un vendredi, ni (par suite) Pentecôte un samedi, et par conséquent ladite hypothèse est nulle.
Il faut croire que, pendant un certain temps, lors de la suprématie des Sadducéens ou des Baithusiens (selon les termes du glossateur), la fête de Pentecôte a été célébrée conformément à leur enseignement, c’est-à-dire toujours un « lendemain de samedi (le dimanche). Le commentateur rapporte la discussion subtile des expressions bibliques, entamée à ce sujet entre R. Yohanan b. Zaccaï, R. Eliézer, R. Ismaël et R. Juda Betéra[50]. Lorsque les Pharisiens prédominèrent, ils remirent la fête au 50e jour, compté depuis le second jour de Pâques. En souvenir de cette victoire de doctrines et d’enseignement, on célèbre toute la quinzaine, du 8 au 23 Nissan, pendant laquelle on suppose que les débats ont eu lieu.
Le commentateur semble reporter à l’époque de l’existence de ces sectes les interprétations variées émises à ce sujet entre les docteurs ou rabbins, qui notoirement ont vécu deux siècles plus tard. Quel anachronisme !
22e journée : Décret pharisien sur le sacrifice de farine (27 Marḥeschwan)
« Le 27 (Marḥeschwan), on offrit de nouveau la farine sur l’autel. »
Le commentaire indique que les Sadducéens avaient suivi l’avis contraire. De cette journée il faut rapprocher la 16e (§ 24) qui traite du même sujet : il semble que ce soit aussi le rétablissement de la prépondérance des Pharisiens, sous Simon ben Schetaḥ, qui en est cause[51].
23e journée : Délivrance des législateurs pharisiens (17 Adar)
« Le 17 (Adar), les païens s’étaient levés contre les règles des scribes dans le pays de Chalcis et des Zabédéens, et Israël fut délivré. »
Cassel (ibid., p. 105) traduit : « Le 17 Adar, le peuple vint délivrer les écrivains ספריא, dans la province de Seleucia, סלקס, et la maison de Zebedaï devint un refuge pour Israël. »
D’après les termes employés pour cette date, on ne saurait reconnaître si la persécution provenait de Jannée, ou d’un autre roi. Seulement, le commentaire rapporte à ce roi le fait en question. Il doit avoir pour cela de bonnes raisons[52], puisqu’il cite des autorités et des documents historiques. Voici son explication pour cette journée mémorable : « Lorsque Jannée persécuta les docteurs de la loi, ils se réfugièrent en Syrie et séjournèrent dans la contrée[53] de Kouslikos (Séleucie). » — Josèphe (Antiquit., I. XIII, c. xiv, 2) atteste la fuite des Pharisiens, au nombre de 8,000, et il ajoute ce détail que la nuit, après la mise en croix de 800 Pharisiens, le reste se sauva et partit en exil jusqu’à la fin de ce règne.
De plus, cette journée mémorable ne doit pas seulement rappeler la délivrance « du reste des scribes » échappant aux fureurs de Jannée, mais bien aussi les persécutions des païens. Le commentateur explique ainsi cette circonstance : Les sages, dans leur premier lieu de refuge, furent attaqués, et une partie d’entre eux s’enfuit de là pour se sauver à Bet-Zabdaï. Il ajoute d’autres détails aussi peu clairs : les fuyards ont trompé leurs ennemis en plaçant devant leur porte, le jour du sabbat, des chevaux tout harnachés, comme s’ils étaient des voyageurs, afin de détourner d’eux le danger, en écartant les apparences de pratiques religieuses ; puis, grâce à la nuit obscure, ils se seraient mis en route ; ou bien encore, au moment de la persécution, une grande inondation dévasta le pays.
Comme passage parallèle, utile à l’intelligence de ce texte et des noms de localités, il faut noter une ligne du Talmud de Jérusalem[54]. Il manque le nombre dix à la date (ce qui donne le 7 Adar, au lieu du 17) ; mais on retrouve ailleurs le nombre complet[55]. — Dans un passage du Midrasch Rabba sur la Genèse (ch. 98), on lit que Bet-Zebid est près de Sidon.
À l’époque du règne des deux derniers princes hasmonéens, Hyrcan II et Aristobule II, se rapportent deux autres journées mémorables. Les voici :
24e journée : Arrivée miraculeuse de la pluie (20 Adar)
« Le 20 (Adar), le peuple jeûna pour obtenir de la pluie, et la pluie tomba. »
Le Talmud de Jérusalem[56] établit une corrélation entre cet événement et le récit de la Mischnâ, au sujet de la prière d’Onias, pour obtenir de la pluie. Ce récit, dans toutes ses circonstances, est confirmé par Josèphe (Antiquit., I. XIV, ch. 1, § 1) : « Onias, dit-il, homme pieux et aimé de Dieu, invoqua l’Éternel au moment d’une grande sécheresse, afin de détourner une grande calamité publique, et sa prière a été exaucée. Ce fait parut tellement digne de remarque, que l’on institua une fête en son honneur. » Le commentaire rapporte la source historique qu’offre le Talmud, mais s’en écarte sur un point, la question de durée : d’après le Talmud, le manque de pluie ne persista qu’en hiver ; tandis que, selon notre document, la pluie fit défaut pendant trois ans, ce qui provoqua une grande famine[57]. Ceci mérite un examen plus détaillé.
« Le 20 Adar, dit le texte (§ 34), le peuple jeûna pour obtenir de la pluie, et la pluie tomba. » Comme cette date précède de quelques semaines seulement la fête de Pâques, on s’explique comment les « fours en plein air » étaient déjà établis pour les étrangers faisant le pèlerinage à Jérusalem, afin d’y rôtir l’agneau pascal. Notre chronique seule parle des trois ans de famine ; par suite, les dates du 8 et du 9 Adar ci-après, également notées (§ 28) comme fêtes à cause de la pluie survenue après une grande sécheresse, pourraient bien se rapporter aux deux premières années de cette période de stérilité.
Voici à quoi se rattache cette fête commémorative : La fertilité paraît avoir été extraordinaire du temps de Salomé. Selon une tradition, sous Simon b. Schetah et la reine Salomé, la pluie tombait la veille du Sabbat. Or, en cette nuit, — lorsque, grâce à la solennité sabbatique, aucun voyageur ne peut se trouver en route, — la pluie est regardée comme opportune[58]. Aussi, le froment devenait gros comme des rognons, l’orge comme des noyaux d’olive, et les lentilles comme des dinars d’or. Les docteurs ramassèrent de ces grains et en conservèrent des échantillons, pour montrer aux générations futures moins bien dotées où mène le péché[59]. Le souvenir de cette fertilité se grava d’autant plus profondément dans la mémoire des contemporains, que, peu, que, peu de temps après la mort de la reine, cette abondance fut suivie de trois années de stérilité et de disette. On dit alors à Ḥoni (Onias) le faiseur de cercles, selon le récit de la Mischna : « Prie pour qu’il y ait de la pluie ! » Onias recommanda alors au peuple de rentrer d’abord les fours en terre (que l’on avait déjà établis en plein air, pour y rôtir les victimes de Pâques), de peur qu’ils ne pourrissent. Il pria, mais la pluie ne tomba pas. Il traça un cercle, et y étant entré : Seigneur du monde, dit-il, tes enfants se sont adressés à moi, parce que je suis devant toi comme un fils de la maison ; je jure par ton grand nom de ne pas sortir d’ici avant que tu n’aies eu pitié de tes enfants. Quelques gouttes commencèrent à tomber. Ce n’est pas, reprit Onias, ce que j’ai demandé, mais une pluie qui remplit les citernes, les puits et les cavernes. Aussitôt il y eut une averse terrible. Ce n’est pas, répéta Onias, ce que j’ai demandé, mais une pluie qui montre ta bienveillance, ta bénédiction et ta bonté. La pluie devint régulière, mais se prolongea jusqu’à ce que les Israélites, pour y échapper, montassent de Jérusalem à la montagne du Temple. Comme tu as prié, lui dit-on, pour que l’eau tombe, fais d’autres prières pour qu’elle cesse. Allez voir, dit-il, si la pierre des égarés est submergée. — Mais Simon b. Schetaḥ lui dit Tu joues devant Dieu, comme un enfant gâté devant son père, qui fait toutes ses volontés. »
Cette histoire, sans doute embellie et dont il y a des versions encore plus ornées, est rappelée par Josèphe[60]. Grâce au nom de Simon b. Schetaḥ qu’elle contient, on sait qu’elle se place aux premiers temps de la guerre fratricide qui éclata alors entre Hyrcan et Aristobule, les fils de Salomé. Aussi n’est-il pas étonnant que la prospérité et l’abondance, qui n’avaient pas cessé de régner sous la pieuse princesse, aient été regardées comme une juste récompense du Ciel, et que le fléau de la famine qui sévit au début de ces luttes ait été considéré comme un juste châtiment de Dieu !
25e journée : Prières publiques pour la pluie (8 et 9 Adar)
« Les 8 et 9 Adar furent des jours d’allégresse, à cause de la pluie. »
Cette journée est la plus étonnante de toutes, puisque l’on n’y observe pas que les prières aient été exaucées, et le commentaire n’ajoute pas de tradition pour l’expliquer. Celui-ci ne s’arrête pas non plus à la difficulté que nulle mention n’est faite du secours divin probable ; il se demande seulement comment l’on a pu instituer deux jours successifs de prières et de jeûnes publics. Il résoud la question en se disant que la première journée peut se rapporter à une année, et la seconde à une autre année. Il y a bien plutôt lieu de croire que ces deux journées sont en corrélation intime avec celle du 20 Adar (citée précédemment). En ces jours, l’on avait institué sans doute la procession d’usage pour le manque de pluie, et lorsque plus tard la pluie tomba, on se rappela que cette prière n’avait pas été vaine, et l’on transforma les deux jours de pénitence en demi-fêtes[61].
4. Époque romaine (Ier siècle av. è. c.)
Les quelques journées qui restent à être fixées forment la quatrième période, ou l’époque romaine. Elles sont de beaucoup moins nombreuses que les souvenirs de victoires remportées à l’époque syrienne. Elles offrent le témoignage de la vive participation des représentants du judaïsme et de la nation aux heureux événements de ce temps. On peut placer également dans ce groupe, mais en tête, la journée suivante ; car, au fond, il s’agit d’un élément romain, haï comme tel par Israël.
26e journée : Anniversaire de la mort d’Hérode (Schebat)
« Le 2 Schebat est un jour de fête ; le deuil est interdit. »
Ni dans la mention de cette journée, ni dans celle du 7 Kislew (plus haut, § 17), on n’indique en toutes lettres la véritable raison ; le commentateur seul s’est chargé d’ajouter les causes de ces réjouissances, en disant qu’il s’agit de la mort d’Hérode. Or, c’était un sujet de joie au point de vue politique, comme la mort de Jannée a satisfait les aspirations religieuses du parti pharisien.
Toutefois il importe de rétablir l’ordre des faits et de ne pas s’en référer trop aux indications du commentateur, qui ne sont exactes qu’en partie. D’après les calculs établis par les chronologistes, Hérode n’est pas mort au mois de Kislew, mais en Schebat (à l’inverse de l’avis du commentateur). Le point de départ le plus certain pour démêler la vérité dans ces confusions est offert par Josèphe (Antiquit., XVII, 6, 4) : il mentionne une éclipse de lune qui a eu lieu quelques jours avant la mort d’Hérode. Or, cette éclipse, selon le calcul de Scaliger[62], a eu lieu au mois de Schebat.
Cette date, dit F. de Saulcy[63], ne doit être exacte qu’approximativement ; car Schebat correspond à peu près à février, et la date de l’éclipse rapportée plus haut prouve que la mort d’Hérode arriva bien après la fin de février. — D’autre part, au lieu de בשנים י״ט « au deux, c’est fête », Cassel (ibid., p. 77-78 et 108) est d’avis de lire בשנים י״, le douze, en se basant sur ce que la différence entre les « 1290 jours » et les « 1335 jours » dont parle Daniel (XII, 11, 12) est de 45 jours. Or, ce dernier nombre équivaut juste au temps écoulé depuis l’inauguration du Temple, le 25 Kislew, jusqu’au 12 Schebat, date de la mort d’Antiochus Épiphane. Et le 23 Adar, vint la « bonne nouvelle » que son successeur se montrait tolérant envers les Juifs (II Macchab., XI, 15).
Voici, sans doute, par suite de quelle confusion est née l’erreur de date en question : On raconte que l’ordre avait été donné d’exécuter, au jour du décès du roi, les docteurs de la Loi en Israël, et qu’une femme, nommée Salominon, laissa cet ordre inexécuté, n’ayant pas la cruauté de l’accomplir, tout comme le rapporte Josèphe (De Bello, I, 33, 6). Mais comme le scoliaste ne connaissait sous ce nom que la reine femme de Jannée, il l’a confondue avec la sœur d’Hérode ; puis il a attribué au roi Jannée l’ordre sanguinaire d’une exécution générale, plaçant par conséquent aussi la mort de ce souverain en Schebat. — Josèphe, de même, semble avoir connu l’existence de la demi-fête célébrant l’anniversaire de la mort d’Hérode, puisque, en racontant les derniers instants de la vie de ce roi, il lui fait dire : « Je sais que les Juifs se réjouiront au jour de ma mort comme à une demi-fête. »
27e journée : Mort de l’empereur Caius Caligula (22 Schebat)
« Le 22 (Schebat), on détruisit l’œuvre que l’ennemi avait ordonné de porter au Temple ; le deuil est interdit. »
Dans notre chronique, la mort de Caligula est inscrite comme un événement heureux en ces termes : « Le 22 Schebat, on interrompit l’ouvrage que l’ennemi avait ordonné de porter au Temple. Le deuil est interdit. » Il s’agit de la folle passion qui domina Caligula, de se voir adoré comme un dieu dans tout son empire. Pétrone, qui gouvernait alors la Syrie, reçut l’ordre de faire placer la statue de l’empereur dans le Temple. Mais aucune menace ne put fléchir la résistance inébranlable des Juifs, et Pétrone était dans un cruel embarras entre les ordres précis qui lui venaient de Rome, et la volonté ferme qu’on lui opposait à Jérusalem. Heureusement, Agrippa, qui était alors à Rome, obtint de Caligula de renoncer à cette extravagance, en faveur des Juifs. Cependant Pétrone n’échappa au châtiment, dont il était menacé pour avoir été trop indulgent envers la nation juive, que par la mort violente du tyran[64].
Le commentateur ajoute : « La nouvelle que Caius Caligula avait envoyé ses statues pour les faire placer dans le sanctuaire se répandit dans Jérusalem la veille du premier jour de la fête des Tabernacles. Mais Siméon le Juste dit aux siens : Célébrez votre fête avec joie ; de tous ces bruits que vous avez entendus, il ne sera rien. Celui dont la Majesté habite cette maison nous fera encore des prodiges en ce temps, comme il en a fait de tout temps pour nos ancêtres. Aussitôt une voix se fit entendre de l’intérieur du Saint des saints et dit : Il ne sera pas achevé, cet ouvrage que l’ennemi a ordonné de porter au Temple. Caius Caligula a été tué, et ses ordres ne seront pas exécutés. L’heure fut notée exactement. Siméon, voyant que l’on tardait à venir, dit : Allez à la rencontre des Romains. Aussitôt tous les hommes considérables de Jérusalem sortirent avec lui de la ville, en déclarant : Nous mourrons tous plutôt que d’admettre une chose semblable (l’idole). Ils adressèrent des supplications au légat (Pétrone) ; mais Siméon leur dit : Au lieu de supplier le légat, suppliez et priez votre Dieu au ciel, pour qu’il vous accorde son secours. Arrivé près des châteaux forts, le légat vit la foule s’avancer de tous côtés. Cet aspect l’étonna. Quelle multitude ! dit-il. — Ce sont, répondirent les espions, des Juifs qui viennent à ta rencontre de partout. Dans une ville, il aperçut les habitants couchés sur les places publiques, en cilice et couverts de cendres ; mais avant d’atteindre Antipatris, une lettre lui annonça la mort violente de Caligula et l’annulation de ses ordres[65]. Les Juifs jetèrent bas les statues et les traînèrent par les villes. Ce jour fut donc institué comme fête. »
On trouve la mention de ces faits dans un midrasch, mais entourée d’une auréole légendaire. Après avoir reproduit la formule d’oracle que Siméon le Juste entendit à l’intérieur du Saint des saints[66], le Midrasch du Cantique des cantiques (VIII, 9) ajoute ces mots : « Et Caius Loukis (Caligula) a été tué, et ses ordres ont été abolis. » Cette interprétation est confirmée par un passage du Talmud de Jérusalem (tr. Sôta, IX, 13), où on lit le nom de Goulikos, mieux approprié au nom du troisième empereur et justifiant la glose sur ce paragraphe. On sait par Philon[67]que Pétrone, pour gagner du temps, avait engagé les statuaires à mettre autant de lenteur que possible dans l’exécution de l’ouvrage qui leur avait été commandé. On l’interrompit complètement lorsque les ordres de Caligula furent retirés.
Toute autre est la version, plus originale que fondée, de Cassel (ibid., p. 87) : « Le 22 Schebat, fut empêchée l’œuvre dont l’ennemi avait dit qu’elle aurait lieu au Temple », et il s’agirait de la mort du grand-prêtre Alcim le traître (I Macchab., IX, 1). On a vu l’histoire de ce prêtre plus haut, à la 5e journée.
28e journée : Arrêt des impôts payés aux Romains (25 Siwan)
« Le 25 (Siwan), les publicains furent retirés de Juda et de Jérusalem. »
C’est ainsi que Grætz explique cette journée, tenant compte des termes du texte primitif et de l’emploi de l’expression « douaniers », ou percepteurs, publicains[68]. En effet, Josèphe (De Bello, II, 16, 5) raconte que le premier acte de la rébellion ouverte consista dans le refus de l’impôt. Le roi Agrippa le reprocha au peuple, et qualifia cet acte de « défection envers Rome. On peut même déterminer approximativement le jour du refus de ce payement : il doit avoir eu lieu entre le départ de Florus, le 16 ou 18 Iyar, et le moment où Agrippa engagea le peuple à se soumettre. Ce dernier fait s’accomplit avant le commencement de la lutte des partis à Jérusalem, donc avant le mois d’Ab. Par conséquent, le payement des impôts a dû être interrompu entre les mois d’Iyar et d’Ab, et plus près d’lyar que d’Ab ; car, après le départ d’Agrippa, commença la cessation du sacrifice offert pour l’empereur, l’envoi de députés auprès de Florus et d’Agrippa, enfin l’entrée des troupes. Aussi la date du 25 Siwan peut parfaitement s’adapter à l’expulsion des percepteurs, et dès lors la perception de l’impôt passa des mains de l’étranger à celles de Joseph le Receveur. — Les passages parallèles du Talmud (B. Sanhédrin, f. 91 b) et du Midrasch (Rabba sur Genèse, ch. LXI) n’offrent pas de ressources pour l’explication. Seulement, d’après Sanhédrin, la date serait le 24 Nissan, et non le 25 Siwan.
D’autre part, Cassel (ibid., p. 94) traduit : « les douaniers furent écartés… » ; car, dit-il, דמסנאי équivaut à δημοσιωυης, « publicain », comme le mot rabbinique דמוסיא égale δημόσια.
29e journée : Expulsion des Romains de Jérusalem et de Judée (17 Eloul)
« Le 17 (Eloul), les Romains se retirèrent de Juda et de Jérusalem. »
Au lieu de Romains, Cassel (p. 96) traduit « … les traîtres ». Il lit רמאי, invoquant le livre I des Macchabées (VI, 22 ; VII, 5 et 22), auquel on peut comparer Josèphe (XII, 6, 4, et 9,7). Effectivement, comme le raconte ce dernier, le 6 Eloul, les troupes d’Agrippa tirèrent les armes devant les chefs des zélateurs, Elazar ben Hanania et Menaḥem. La garnison romaine, sous la conduite de Metilius, continua encore quelque temps la lutte, jusqu’à ce qu’elle fût également forcée de se rendre à la merci de ses ennemis. Donc, le 17 Eloul, il n’y avait plus de Romains dans la vraie Judée[69]. En souvenir de cette heureuse journée, la fête commémorative a été instituée.
Le commentateur attribue cette délivrance à Matathias, fils de Johanan, grand-prêtre, l’exaspération des habitants ayant été portée au paroxysme par les violences de ces étrangers sur les jeunes fiancées ; mais l’on sait que cette opinion a pour base une simple légende[70].
5. Les événements postérieurs à la destruction du Temple de Jérusalem et de l’indépendance d’Israël (après 70 ap. è. c.)
Les événements postérieurs à la destruction du Temple de Jérusalem et de l’indépendance d’Israël ne constituent plus ici que deux journées[71] :
30e journée : Victoire contre Trajan (12 Adar)
« Le 12 (Adar) est le jour de Trajan. »
Une glose sur le premier de ces faits nous donne un exemple de l’administration de Quietus : « Les deux frères Julien et Pappos, dit le glossateur, furent faits prisonniers à Laodicée. Si vous êtes de la nation de Hanania, Michael et Azaria, dit le général, que votre Dieu vienne et vous sauve de mes mains, comme il a sauvé ces trois hommes de la main de Nabucodonozor. — Hanania, Michael et Azaria, répondirent les frères, étaient de vrais justes ; Nabucodonozor était un roi parfait, qui méritait d’être l’occasion d’un pareil miracle. Mais toi, tu es un tyran, indigne de devenir la cause d’un miracle. Si nous avons mérité la mort devant le Ciel et que tu ne nous tues pas, Dieu a bien des moyens à sa disposition, des ours, des lions, des serpents et des scorpions en grand nombre, pour nous atteindre. Si tu nous tues, Dieu te demandera un jour compte de notre sang que tu auras versé. On raconte qu’à peine le général eut quitté cet endroit que, sur un décret[72] arrivé de Rome, on lui fendit le crâne à coups de pierres. »
Julien et Pappos étaient d’Alexandrie, aux termes d’un commentaire biblique[73]. Fugitifs en Palestine, ils avaient peut-être excité les soupçons de Quietus, qui avait été à la tête des légions en Égypte et à Chypre ; ils n’échappèrent à la mort que par l’arrêt qui frappa le général lui-même. En effet, la nomination en Palestine d’un homme du rang de Quietus avait été faite par Trajan au détriment d’Adrien, le gouverneur de la Syrie, qui, selon Dion, en conçut un vif ressentiment contre son rival. Or, l’empereur, à ce que raconte Dion, n’avait adopté aucun successeur ; il semble avoir hésité entre Quietus et Adrien. Devenu empereur, Adrien se débarrassa de Quietus en le faisant tuer.
Enfin le glossateur de la Meghilla avait rattaché le récit concernant les deux frères alexandrins à la journée du 12 Adar, appelée par le chroniqueur iom Tyrion « jour de Trajan ». Si le Polemos de Quietus a fourni un prétexte pour supposer une « guerre » en Judée, le jour de Trajan inscrit dans la Chronique a donné un autre motif pour inventer une victoire, que les Juifs auraient remportée sur les Romains dans les derniers jours de Trajan. Les historiens, qui ne parlent pas de la guerre, ne peuvent parler de victoire. Selon quelques savants[74], le livre apocryphe de Judith suppléerait à ce silence. Le peuple juif serait figuré par Judith, Trajan par Nabucodonozor, Quietus par Holopherne. Le livre de Judith, comme celui d’Esther, serait écrit en souvenir d’un triomphe sur un autre Haman. Mais rien n’est moins certain.
C’est peut-être par un motif analogue que Cassel (ibid., p. 85) introduit une légère variante dans le texte, qu’il traduit ainsi 12 Adar, jour de Seron, סרון » (au lieu de טריון), ou victoire sur ce général syrien battu par Juda Macchabée (I Macchab., III, 26).
31e journée : Fin de la persécution sous Adrien (28 Adar)
« Le 28 (Adar), les Juifs reçurent la bonne nouvelle qu’ils ne seraient plus empêchés de suivre les prescriptions de la Loi ; le deuil y est interdit. »
Passons maintenant au dernier de ces anniversaires (§ 35). « Le 28 du mois d’Adar, une bonne nouvelle arriva aux Juifs, savoir qu’ils ne seraient plus empêchés de suivre les prescriptions de la Loi ». La fin inattendue de la persécution et l’ère de la liberté de conscience rappela les fugitifs dans leur patrie.
Le commentateur rapporte ce paragraphe au retrait des édits d’Adrien, qui mit fin à la persécution[75]. « Les gouvernements étrangers, dit-il, avaient défendu aux Israélites de s’occuper de la Loi, de faire circoncire leurs enfants, d’observer le repos sabbatique, et ordonné de pratiquer l’idolâtrie. Cependant, en vertu de plusieurs versets bibliques, une alliance avait été conclue avec Israël, promettant l’inamovibilité de la Tôra. Que firent donc Juda ben Schamoua et ses compagnons ? Ils se levèrent et allèrent chez une matrone, auprès de laquelle rendaient tous les grands de Rome, et la consultèrent. Revenez la nuit, leur dit- elle, et implorez-moi alors ; ce qu’ils firent. Par les cieux, s’écrièrent-ils, ne sommes-nous pas vos frères ? Ne sommes-nous pas les enfants d’un même père, d’une même mère ? En quoi différons-nous des autres nations, pour que vous nous imposiez des interdictions pénibles ? — Ils ne quittèrent pas leurs places jusqu’à ce que l’autorisation leur fût de nouveau accordée de remplir les trois préceptes de la circoncision, de l’étude de la Loi et du Sabbat, outre la suppression de l’idolâtrie. Ce jour-là fut institué comme fête. »
En raison de la similitude de cette persécution avec celle d’Antiochus, M. Derenbourg (p. 59) voit dans la glose une allusion à une lettre de ce roi, qui, sur les instances de Lysias, retira les interdictions prononcées contre la circoncision, l’observation du Sabbat et l’étude de la Loi (II Macchab., XI, 16–32). En effet, le commentateur peut aussi bien parler de Grecs ou chrétiens que des Romains : le terme est le même.
Toutes ces journées, riches en précieux souvenirs, étaient encore pieusement observées au IIIe siècle de l’ère vulgaire ; des passages talmudiques le prouvent[76]. On les retrouve encore dans la première moitié du IVe siècle, à propos de R. Zeira ; il est dit qu’il jeûna en pénitence 300 jours de l’année, ne s’abstenant de jeûner qu’aux susdits jours de demi-fêtes. Au IVe siècle seulement, fut établie la distinction entre les jours de Pourim et de Ḥanouca d’une part, et tout le reste des demi-fêtes d’autre part les premiers furent seuls maintenus, et les autres tombèrent en désuétude.
Un seul de tous ces paragraphes, le paragraphe 4, relatif au sacrifice de l’agneau pascal le 14 Iyar, ne comporte pas de renseignement historique et ne se rattache pas à une journée commémorative spéciale. On sait bien par le Pentateuque (Nombres, XI, 1), que, si un obstacle matériel empêche un israélite d’offrir le sacrifice de la Pâque au 14 Nissan, le fidèle l’accomplira le 14 Iyar. Le souvenir de cette demi- fête rétrospective était probablement de provenance sadducéenne, puisqu’il s’agissait de rendre hommage aux termes mêmes du texte. Le commentateur de notre chronique n’ajoute à ce paragraphe qu’une réminiscence talmudique (B. tr. Houllin, f. 129 b), où cette Pâque secondaire est mentionnée comme jour de demi-fête ; mais elle n’explique pas son origine, et la controverse rabbinique jointe au texte n’est que la reproduction de ce passage du Talmud.
En résumé, abstraction faite de ce § 4 et des trois journées (période A) comprises dans le canon biblique, qui correspondent aux § 13, 11 et 31 de notre liste chronologique, on peut établir la concordance suivante :
1ère journée |
§ 20, ou 3 Kislew. |
2e |
§ 23, ou 25 Kisiew. |
3e |
§ 27, ou 28 Schebat. |
4e |
§ 30, ou 13 Adar. |
5e |
§ 17, 0u 23 Heschwan. |
6e |
§ 5, ou 23 lyar. |
7e |
§ 7 ou 17 Siwan. |
8e |
§ 15, ou 22 Eloul. |
9e |
§ 6, ou 37 lyar. |
10e |
§ 22, ou 21 Kislew. |
11e |
§ 18, ou 25 Heschwan. |
12e |
§ 8, ou 13 Siwan. |
13e |
§ 16, ou 3 Tissri. |
14e |
§ 32, ou 16 Adar. |
15e |
§ 3, ou 7 lyar. |
16e |
§ 24, ou 28 Tébet. |
17e |
§ 21, ou 7 Kisslew. |
18e |
§ 10, ou 14 Tamouz. |
19e |
§ 12, ou 24 Ab. |
20e |
§ 1, ou 1° Nissan. |
21e |
§ 2, ou 8 Nissan. |
22e |
§ 19, ou 27 Heschwan. |
23e |
§ 33, ou 17 Tamouz. |
24e |
§ 34, ou 20 Adar. |
25e |
§ 28, ou 8 Tébet. |
26e |
§ 25, ou 20 Schebat. |
27e |
§ 26, ou 22 Schebat. |
28e |
§ 14, ou 36 Siwan. |
29e |
§ 14, ou 17 Eloul. |
30e |
§ 29, ou 12 Adar. |
31e |
§ 35, ou 28 Adar. |
On n’admet plus, comme autrefois, que toutes les journées célèbres ont été érigées en solennités au fur et à mesure que des faits heureux sont survenus, ni qu’elles ont été célébrées à partir de ce moment d’une manière fixe, de façon à constituer plus tard un ensemble, telles qu’elles avaient subsisté « depuis les temps les plus anciens[77] ». Trois raisons s’opposent à l’admission de cette hypothèse :
1ère Dans le livre des Macchabées, où il est bien question de certains événements importants lors de l’institution des fêtes qui en furent la conséquence, il ne s’agit pas des autres journées commémoratives qui se rapportent à la même époque, telles que les journées 6, 7, 15, 20 et 27 de la présente liste ;
2e Quel eût été, en ce cas, l’instigateur, le metteur en œuvre de ces jours de fête, au même titre que les Macchabées établirent la solennité qui porte leur nom ? Le peuple, il est vrai, a bien pu conserver spontanément le souvenir joyeux des victoires remportées ; mais, pour interdire en ces anniversaires soit le deuil, soit les jeûnes publics, soit une démonstration d’affliction, il a fallu une autorité judiciaire supérieure, celle d’un collège ou d’un tribunal ;
3e La constitution de ce calendrier est attribuée aux disciples des écoles de Hillel et de Schammaï, acte auquel les hommes les plus éminents de l’époque prirent une part active. Ce sont donc ces derniers qui furent les auteurs de la Meghilla ; ils n’ont pas seulement rédigé la liste des jours, mais ils ont encore institué légalement la plupart d’entre eux, en les entourant de règles déterminées, qui n’avaient pas existé auparavant, en leur assignant enfin un caractère religieux nouveau, que ne comportaient pas de simples souvenirs populaires. À neuf solennités, il a suffi de donner la consécration religieuse, parce qu’elles étaient célébrées depuis longtemps. Ce sont : les deux jours de Pourim, les huit jours de Ḥanouca, le jour de l’érection des murs de Jérusalem, le jour de Nicanor, celui de Garizim, les anniversaires de la mort de Jannée et de celle d’Hérode, le sacrifice ou offrande des bois, et les deux jours de prières pour la pluie.
Ce qui vient d’être dit, en vue de déterminer qui a rédigé la chronique, confirme du même coup l’époque de sa rédaction. La constitution du calendrier des victoires n’a eu lieu ni après la destruction du Temple au collège scolaire de lamnia[78], entre l’an 80 et l’an 118 après J.-C., ni pendant la période des quatre années de révolution qui ont précédé la ruine de Jérusalem[79], après le triomphe passager des zélateurs sur les Romains, mais bien avant cette époque, du vivant de Hillel et de Schammaï, en vertu d’une tradition écrite qui est confirmée par deux sources rabbiniques[80]. Elles présument une époque où les patriotes se sentaient soulevés par les événements, pour ranimer partout dans le peuple l’étincelle de la liberté, pour atteindre en quelque sorte un effort libérateur proposé d’avance comme but.
En indiquant les nombreux dangers qu’autrefois l’on avait surmontés victorieusement, le narrateur, tout en se proposant un but liturgique, a voulu relever le courage faiblissant de la nation, lui inspirer plus de confiance en elle-même et en Dieu. Peut-être aussi a-t- on recherché des règles préventives contre ce qu’Israël supposait être la source de tous ses maux actuels (la lutte des Pharisiens et des Sadducéens), afin de donner aux esprits et aux hommes d’action une autre direction. Le moment où Hillel et Schammaï, très avancés en âge, pouvaient encore présider leurs écoles si florissantes, fut celui où la Judée venait d’être transformée en province romaine, avec l’introduction du cens. Les esprits avaient été gravement affectés ; un mouvement profond en était résulté, et l’amertume de la population s’était élevée à un degré tel, que l’on pouvait craindre un acte de désespoir. Il fallut une énergie supérieure, au moins égale à celle des temps passés, pour résister à l’oppression des Romains, après avoir supporté toutes les brutalités despotiques de l’iduméen Hérode et de son successeur Archélaüs. Ce fut un puissant adoucissement aux maux présents, de se reporter par le souvenir à la période des souffrances passées.
Donc, la rédaction de ce calendrier et son introduction a dû avoir lieu l’an 1 ou 2 du consulat de Capionius en Judée, c’est-à-dire l’an 7 ou 8 de J.-C., ou 62-63 ans avant la destruction du Temple de Jérusalem.
Les commentaires hébreux mis à la suite du texte araméen sont, cela va de soi, d’une rédaction bien postérieure au texte fondamental. Les avis ne diffèrent que sur la question de savoir si ces gloses, au moins la plupart d’entre elles, remontent à l’époque de la rédaction du Talmud et de celle qui l’a suivie de près, comme le pense Grætz[81], ou s’il faut descendre pour ces gloses jusqu’au temps des Gaônim, au IXe siècle. Cette dernière opinion est professée par Rappoport et Zunz[82]. Selon eux, un écrivain de ce siècle ou du suivant a réuni les explications de ces journées commémoratives. Le principal élément de cette hypothèse consiste dans la fameuse interprétation de la journée du 23 Iyar, § 5 : il y est dit que « les fils (habitants) de l’Acra », חקרא, sortirent alors de Jérusalem. Le scoliaste, pour expliquer la reprise de la forteresse juive par les Macchabées sur les païens, ajoute ces mots : « Comme il est déjà dit que David conquit la forteresse de Sion, ce qui est la ville de David (II Samuel, V, 7 ; I Chron., XI, 5), cette localité est celle qu’habitent maintenant les Karaïtes. » L’auteur de cette glose, dit Rappoport pour conclure, n’a donc pas compris le mot Acra, et, au lieu de lire « les fils de l’Acra », il a entendu par là les Karaïtes, secte qui lui était très familière, et dont la fondation remonte seulement au milieu du vire siècle.
En raison de l’anachronisme énorme, Schmilg (p. 37) s’est refusé à le porter au compte du scoliaste anonyme, lui attribuant de préférence le désir d’avoir voulu susciter une coïncidence fortuite, ou laissant supposer des erreurs de copiste, faciles à commettre. Il en a tiré une conséquence pour la date ; et, se basant sur une sorte d’indépendance du scoliaste à l’égard du Talmud, il conclut que ces gloses ne sont pas du temps des Gaônim, mais antérieures. Ce seraient de vieilles traditions, transmises longtemps dans les écoles par la voie orale, puis recueillies, à l’instar des boraïthas, par les premiers Amoraïm ou rédacteurs de la Guemara, au commencement du IIIº siècle, qui les revisèrent, les coordonnèrent et finalement les mirent par écrit. Cet avis, comme on a vu ci-dessus chap. 11, a été combattu par Brann, qui est resté sans réplique.
[1] Dans l’article précité de la Monatschrift.
[2] Il faut observer que l’achèvement définitif a eu lieu le 25 Éloul ; sans doute, dès le 7 Éloul, cette construction était fort avancée.
[3] B., tr. Meghilla, f. 5 b.
[4] Tr. Taanith, f. 26 a.
[5] Voir Josèphe, Antiquit., 1. XVIII, ch. 1, § 1 ; De Bello, II, 1x, 2, où cet historien emploie en ce sens le mot σημαίατ = simôt.
[6] Dans le Talmud B., tr. Abôba zara, f. 53 b, R. Yohanan donne la définition des termes : Bimos, dit-il, signifie « une pierre», et Mizbeaḥ « autel », « l’ensemble de plusieurs pierres ».
[7] I Macchab., iv, 44-46 : Mischna, 5° partie, tr. Middoth, ch. 1, S 6 ; cf. Grælz, t. III, p. 116 et 423-424.
[8] Monatschrift, t. III, 1854, p. 444.
[9] Geschichte, t. III, p. 424.
[10] Antiquités, I. XVIII, ch. 3, § 1.
[11] Dans le Talm. B., tr. Schabbath, f. 21 b, on ajoute la défense de jeûner en ces jours. Cf. I Macchab., IV, 18 ; IIe, 1. X, 5.
[12] Selon le travail précité de Schmilg, p. 6, note 2.
[13] Antiquités, XII, VII, 7.
[14] Geschichte des Volkes Israel, t. III, 2e partie, p. 357, note 1.
[15] Talm. B., tr. Schabbath, f. 21 b.
[16] Revue des études juives, t. XXX, p. 24-48 et 204-231.
[17] Grætz, Geschichte, t. III, p . 419.
[18] Livre Ier des Macchabées, ch. vi, v. 51-63.
[19] Jérus., tr. Taanith, ch. 1, § 4 ; B., même tr., f. 18 b ; Josèphe, Antiq., XII, x, 5. Cf. Munk, Palestine, p. 552 b.
[20] V. Mischna, Ve partie, tr. Middoth, II, 3 ; VIe partie, tr. Kélim, I, 2.
[21] Tr. Middoth, I, 6.
[22] Sur la position exacte de ce château-fort, voir Zeitschrift der deutschen morgenl. Gesellschaft, 1861, p. 185.
[23] B., tr. Meghilla, f. 6 d. Selon l’Aruch., rappelé par la glose de l’édit. Juda Löb, il s’agit de la « Tour des démons ».
[24] Voir la note sur ce terme, ci-après, 11e journée.
[25] Monatschrift, 1860, p. 195.
[26] F. de Saulcy, Voyage en Terre-Sainte, t. Ier, p. 419.
[27] Josèphe, Antiquités, XII, IX, 5.
[28] Grætz, ibid., t. III, p. 49.
[29] Ils sont tirés du Talmud B., tr. Yebamoth, f. 20 b; tr. Sanhédrin, f. 46 b.
[30] Messianische Stellen d. alten Testaments II. Angehängt sind Anmerkungen über Megillat Taanith (Berlin, 1885, 8°).
[31] Bereschith rabba, ch. 62 ; Tanhouma, section tazria.
[32] B., tr. Yôma, f. 69 a, où il y a la date du 25 Tébet. Cf. Vayikra rabba, ch. xvi fin. Toutefois Grætz (ibid.) traite cette explication de légendaire, ce temple ayant subsisté jusqu’au temps de Jean Hyrcan.
[33] Dans le texte primitif, une curiosité philologique est à noter pour l’histoire des langues sémitiques ; c’est évidemment là que nous possédons le premier exemple d’emploi de la racine אחד dans le sens de prendre, comme en arabe XXXX, tandis qu’en hébreu ce mot signifie invariablement « un ».
[34] Histoire du peuple d’Israël, t. III, 2e partie, p. 385.
[35] Tr. Guittin, f. 80 a.
[36] Seder ‘olam rabba, fin.
[37] Tr. Rosch ha-schana, f. 18 b. Au lieu d’Intilat « enlevé », le Talmud a : Btélat « détruit ».
[38] Premier exemple de l’emploi du mot שרא, avec le sens de « commencer ».
[39] Voir l’Introduction à la traduction du Talmud de Jérusalem, I, p. LXXII.
[40] Comp. Talmud de Jérus., tr. Berakhôth, ch. v, § 2 (traduction, I, p.130) ; B., ibid., f. 48 a.
[41] Grætz, Geschichte, t. III, p. 111 et note 1.
[42] Cf. Josèphe, Antiquités, I. XVII, c. vi 8, § 1, et c. 9, § 1 ; De Bello, I. II, c. 1, § 2 et 3.
[43] Premier emploi du mot ערא, avec le sens de « perdition ».
[44] Antiquités, 1. XIII, ch. x, § 6 ; 1. XX, ch. x, § 1.
[45] B., Baba bathra, f. 115 b.
[46] Grætz, Geschichte, t. III, p. 125 et 424.
[47] B., tr. Menahoth, f. 65 a.
[48] Grætz, ibid., p. 116-130.
[49] Comment. de Raschi à Lévitique, XI, 1. Cf. Seder ‘olam rabba, ch. vii.
[50] B., tr. Taanith, f. 17b ; Rosch haschanah, f. 5 a.
[51] Grætz, t. III, p. 125.
[52] Ibid., p. 115, 119 et 425.
[53] M. Neubauer (Géographie du Talmud, p. 296) a pris le mot מדינה, employé à ce propos, comme en arabe dans le sens de « ville », au lieu du sens de « province », qui cadre bien avec la Séleucie.
[54] Tr. Taanith, ch. 1, § 4 (8), f. 66 a (trad., t. VI, p. 163).
[55] Tr. Meghilla, ch. 1, § 6, f. 70 c.
[56] Tr. Taanith, III, 9 (trad., t. VI, p. 172).
[57] Grætz, ibid., p. 134 et 425 ; J. Derenbourg, Essai, etc., p. 112.
[58] Voir Commentaires sur Lévitique, XXVI, 4, et Deutéronome, xi, 14.
[59] Tal. B., tr. Taanith, f. 23 a.
[60] Antiquit., I. XIV, ch. II, § 1.
[61] C’est à ce propos que le commentateur rappelle comment cette Meghilla suit l’ordre des mois , non celui des années.
[62] De emendatione temporum, V, 463 ; Noldius, De vita et gestis Herodum, p. 70.
[63] Sept siècles de l’histoire judaïque, p. 265.
[64] Grætz, Geschichte, t. III, p. 271 ; Derenbourg, Essai, etc., p. 207.
[65] L’analogie avec la 10e journée ci-dessus est frappante.
[66] Talmud B., tr. Sôta, f. 33 a.
[67] Legatio ad Caium, édit. Mangey, t. II, p. 582.
[68] Grætz, t. III, p. 344 et 427 ; Herzfeld, t. I, p. 374, note.
[69] Grætz, t. III, p. 347.
[70] Revue d’études juives, t. XXXII, p. 39-50.
[71] Voir Grætz, t. IV (2 ° édition), p. 137 et 185.
[72] La glose emploie ici le terme דיופלה dérivé de δύο βουλαιοι, duumviri, selon l’usage fréquent à cette époque.
[73] Sifra sur Lévitique, XXVI, 19 : « Je briserai l’orgueil de votre force, c’est- à-dire : les hommes fiers qui sont l’orgueil d’Israël, tels que Pappos et Julien d’Alexandrie, avec ses compagnons,
[74] Volkmar et Hilgenfeld.
[75] Grætz, t. III, p. 428 ; t. IV, p. 185.
[76] Talmud Jérus., tr. Taanith, II, 13, f. 15 b ; B. tr. Rosch ha- schâna, f. 10 b et 19 a ; tr. Taanith, f. 18 a.
[77] Voir Herzfeld, t. I, p. 266 ; t. II, 2° partie, p. 127.
[78] Hypothèse de Zunz, Gottesdienstliche Vorträge, p. 128.
[79] Comme le voulait Herzfeld, ibid.
[80] Talmud de Jérus., tr. Schabbath, ch. 1, § 4 (trad., t. IV, p. 17) ; B., même traité, f. 13 b.
[81] Grætz, Geschichte, t. III, appendice, note 1.
[82] Erech Millin, p. 189 et 278 ; Zunz, Ritus, p. 125 et suiv.
Moïse Schwab, « La Meghillath Taanith, ou « Anniversaires historiques » », Actes du congrès international des orientalistes, 1898, IVe section, p. 199-259. [Édition tirée à part : The National Library of Israel]