Chapitre 1

1.המשׂא וג״ Vous savez déjà qu’on appelle la révélation משׂא. — De ce prophète encore, on ne saurait préciser ni l’époque, ni la généalogie, car on ne nous donne là-dessus aucune explication. Dans cette prophétie on avertit que la domination des Chaldéens s’étendra, mais qu’ensuite elle cessera et que le règne de la maison de Nebouchadnéçar sera détruit.

2. עד אנה וג״ Il commence par des supplications, en parlant au nom d’Israël, en implorant le Très-Haut contre l’oppression que les Chaldéens faisaient peser sur eux (les Israélites) et en le suppliant de ne pas pousser plus loin l’indulgence qu’il leur accordait tout en connaissant leur tyrannie. Tel est le sens de ces mots :

3. למה וג״ Pourquoi me fais-tu voir, etc., c’est-à-dire : pourquoi, tout en sachant cela, leur permets-tu d’y persévérer ? — Le mot יִשָּׂא est pris ici dans le sens (neutre) de s’élever, et il a la valeur de יִנָשֵׂא ou de ישׂא ראשׁ (La querelle et la dispute s’élèvent ou lèvent la tête). Il y en a qui disent que la valeur est : L’homme de querelle et de dispute lève la tête ; comment se fait-il (dit le prophète) que le méchant arrive à une position élevée, puisque tu pénètres ses actions ?

4. על כן תפוג וג״ Le mot תפוג signifie elle se relâche, c’est-à-dire, sa force s’affaiblit ; il a un sens analogue à פּוּגַת (lamentations, ch. 2, v. 18). — מכתיר את הצדיק il environne le juste, c’est-à-dire, il l’assiège, et s’empare de lui ; מַכְתִּיר est employé dans le même sens que כִּתְּרוּנִי (Ps. 22, vers. 13), qui est d’une autre conjugaison lourde. Ce verbe est dérivé de כֶּתֶר couronne, car la couronne environne la tête. יצא a ici le sens de apparaitre. מעקל signifie tordu, opposé à ישר droit ; de là vient קלקלות (Juges, ch. 5, vers. 6). Il veut dire : par cette grande patience (que Dieu montre) pour l’impie, quoique celui-ci se rende maître du juste et qu’il l’opprime, il paraîtrait comme si la justice n’était pas debout, quoique, en réalité, il n’en soit pas ainsi. Il y en a qui expliquent מכתיר par il le domine, il s’impose sur sa tête comme une couronne, le faisant venir également de כֶּתֶר ; mais le premier sens est plus convenable.

5. ראו וג״ Ceci est l’allégation des paroles que le Très-Haut adresse à Israël ; le prophète, par son attitude, semble dire : Comment, ô Seigneur, patientes-tu malgré cela et nous dis-tu : ראו בגוים וג״ voyez ce qui arrive aux nations et vous serez étonnés ? Le mot התמהו est au Hithpaël ; le ת du Hithpaël est inséré dans la première radicale ; תמהו est l’impératif du verbe léger (Kal), et la répétition du verbe est pour donner de l’énergie. Peut-être a-t-il voulu (exprimer) par l’un des deux verbes l’étonnement et par l’autre la stupéfaction ; cette racine — je veux dire תמה — renferme les deux sens, qui s’approchent l’un de l’autre ; car celui qui s’étonne d’une chose en est stupéfait. Il en est ainsi dans ויתמהו (Genèse, 43, 33) — Dans les mots כִּי־פֹעַל פֹּעֵל, il faut suppléer אני, ou הנני, ou autre chose semblable, ainsi qu’il dit ci-après :

6. כי הנני מקים וג״ voici je fais lever les Chaldéens, etc. Il appelle ce peuple מר amer, à cause du grand mal qu’il faisait. נמהר a ici le sens de être léger, agir précipitamment, sans considération ni intelligence. On le traduit aussi par rapide, du sens de מְהֵרָה. Enfin on l’explique aussi par stupide, comme נמהרי לב (Isaïe, 35, 4) ; on dit que l’homme stupide est appelé ainsi (נמהר), parce qu’il manque de bien examiner, et qu’il se hâte d’agir sans réflexion.

7. ממנו משפטו ושאתו יצא de lui-même émane son autorité et son élévation ; c’est-à-dire, suivant son opinion.

8. וחדו signifie : ils sont aigus ou véhéments ; par véhémence on indique ici la rapidité et l’essor pour se mettre en mouvement, (lequel essor est) plus fort que celui que prennent les זאבי ערב pour aller déchirer (leur proie). Quant aux mots זאבי ערב, on les explique par loups du désert, comme זאב ערבות (Jérémie, 5, 6). D’autres disent loups du soir ou de la nuit ; car, pendant le jour, ils s’abstiennent de la proie, ayant peur des hommes ; ils se trouvent ainsi affamés, et leur assaut, lorsque le soir arrive, est d’autant plus violent. — וּפָשׁוּ : Nous avons déjà dit, à la fin du livre précédent (Na’houm, 3, 18), que ce verbe a été expliqué de différentes manières : on lui a d’abord donné le sens de פוץ, futur יפוץ, usité au Niphal, et on a traduit d’après cela ופשו פרשיו par et ses cavaliers se répandront. On l’a aussi expliqué, comme תפושו (Jérémie, 50, 11), dans le sens de danser, sauter ; il faudrait donc traduire : et ils danseront. Enfin on a dit qu’il est analogue à un mot du Thargoum qui rend פרו ורבו (Gen.1, 28) par פושו וסגו (Onqelos) ; le sens serait alors : ils croîtront et ils se multiplieront.

9. מגמת פניהם La meilleure traduction qu’on ait donnée de ces mots est : la direction de leurs visages. C’est l’opinion du maître Aboulwalîd ; le mot מְגַמָּת vient, selon lui, d’une racine qui a deux lettres pareilles (גמם), il est de la forme de מְשַׁמָּה (Ézéch. 6, 14, et passim) et le daghesch indique l’insertion de la pareille. C’est un mot qui ne se rencontre qu’une fois ; Aboulwalîd y trouve de l’analogie avec la racine arabe חמם, qui s’emploie dans le sens de se diriger. On pourrait ainsi traduire (en arabe) מגמת פניהם par מחמה וגוההם, c’est-à-dire la direction qu’ils prennent. Si le prophète dit קדימה, quoiqu’ils vinssent de l’Orient et qu’ils se dirigeassent vers l’Occident — [car Jérusalem, l’Égypte et, en général, les pays qu’ils envahissaient étaient situés pour eux à l’Occident] — il y en a qui disent que ce mot a la valeur de כקדימה et qu’il signifie comme le vent d’est ; c’est une image qui représente la rapidité de leur arrivée à l’endroit vers lequel ils se dirigent. Le ה dans קדימה serait alors (paragogique) comme celui de לשאולה (Ps. 9, v. 18). Il se peut aussi qu’il ait voulu désigner la direction qu’ils prenaient en retournant dans leur pays ; le sens serait alors qu’ils font des irruptions et qu’ils pillent, ayant pour but de retourner, avec le butin, à leur pays ; c’est pourquoi il dit après : Et ils ramassent le butin comme le sable.

10. והוא במלכים יתקלס il méprise les rois, il se moque d’eux, comme וקלסה לכל הארצות (un objet de mépris pour tous les pays, Ézéchiel, 22, 4).ויצבר עפר וילכדה Le pronom (suffixe) dans וילכדה se rapporte à מבצר, comme si on sous-entendait עיר ville (qui est du féminin). Le sens est que, vu le grand nombre de ses troupes, il méprise toute ville forte ; il n’a qu’à ramasser de la terre pour en couvrir la ville et pour la conquérir.

11. אז חלף רוח וג״ Il faut sous-entendre כ, comme s’il y avait חלף כרוח (il passe comme le vent). On le compare au vent, par rapport à la rapidité du mouvement et parce qu’il arrive sans obstacle en tout endroit ; ensuite on ajoute que cette faculté le porte au péché et à l’infidélité (envers Dieu), parce qu’il en attribue la cause à l’objet de son culte ; tel est le sens de ces mots : ואשם זו כחו לאלהו, — [זו a le sens de אשר, comme dans עם זו, Isaïe, 43, 21] — comme s’il disait : Il pèche en disant que sa force (doit être attribuée) à son Dieu. On se sert du mot אלהו, au singulier, pour rabaisser (ce dieu), parce qu’on veut parler d’un faux dieu. S’il est vrai qu’on dit aussi אלהים אחרים, ce n’est pas là un pluriel de majesté, mais un véritable pluriel, quoique, dans plusieurs endroits, ce pluriel s’emploie aussi comme terme de magnificence, (en parlant) selon l’opinion de ceux qui adorent ces dieux, comme, par exemple, לכמוש אלהי מואב à Camôs, dieu de Moab (I Rois, 11, 33), et autres expressions semblables. On peut, en effet, s’exprimer des deux manières (au singulier et au pluriel).

12. הלוא אתה Après avoir fini de réciter les paroles de Dieu, il (le prophète) continue : « Mais toi, ô Seigneur, n’es-tu pas notre Dieu, depuis le commencement de notre naissance ? Nous te prions donc de ne pas nous négliger, car nous mourrions sous la main de cet ennemi ; » c’est là ce qu’il exprime par les mots הלא…..לא נמות. Ensuite il ajoute : « N’es-tu pas le Seigneur, toi, qui l’as revêtu de l’autorité ? toi, le Tout-Puissant, qui l’as érigé, afin de punir par lui les pécheurs ? » ce qu’il exprime par les mots י״י למשפט….. יסדתו, qu’il faut compléter ainsi : הלא אתה ה׳ אשר למשפט שמתו והצור אשר להוכיח יסדתו ; car les mots הלא אתה, au commencement du verset, se rapportent aussi au second membre de la phrase. Peut-être aussi le sens des mots אלהי קדשי לא נמות est-il celui-ci : Tu es notre guide ; ainsi nous ne mourrons pas et nous ne périrons pas ; les mots הלא אתה se lieraient alors à ה׳ למשפט שמתו, et entre ces deux (membres de la phrase) il y aurait une parenthèse (אלהי קדשי לא נמות), qui serait une épithète de Dieu, pour exprimer le soin particulier qu’il prend des Israélites, afin qu’ils ne périssent pas.

13. טהור עינים וג״ Ceci est encore sous la dépendance des mots הלא אתה et fait suite à ce qui précède. Le sens est : Tu ne veux pas le mal et ton équité ne demande pas l’injustice ; comment alors se fait-il que tu prennes patience avec l’iniquité, malgré son iniquité envers celui qui est plus juste que lui ? C’est ce qu’il exprime par ces mots : למה….. צדיק ממנו ; (par ces derniers mots) il veut dire : quoiqu’il ne soit pas juste (dans le sens absolu), il l’est toujours en comparaison de l’impie qui le domine.

15. חכה est l’hameçon, comme dans Isaïe, ch. 19, vers. 8. — יְגֹרֵהוּ il le rassemble, comme יגורו עלי עזים (Ps. 59, vers. 4) ; mais ce dernier est un verbe neutre, tandis que celui-là est transitif. — חרמו veut dire son filet, de même que מכמרתו ; (ce sont deux espèces de filets) qui diffèrent dans la forme ; ainsi les expressions יגרהו בחרמו et יאספהו במכמרתו sont synonymes. Le sujet dans les verbes העלה, יגרהו et ויאספהו est l’ennemi mentionné plus haut.

16.שמן חלקו Le mot שָׁמֵן est ici un adjectif, gras, et on aurait dû mettre חלקו שמן, comme le prouvent les mots ומאכלו בריאה. Ce dernier mot (qui veut dire sain) s’emploie aussi dans le sens de gras, comme dans בריאות וטובות (Genèse, 41, 5). Le ה dans בריאה est paragogique, comme dans האהלה (Genèse, 18, 6 et passim), dans נחלה מצרים (Nombres, 34, 5) et dans d’autres mots semblables ; ce ne saurait être ici le ה du féminin, car מאכלו est du masculin. Il y en a qui disent que בריאה est le qualificatif d’un substantif (féminin) omis, et qu’il faut sous-entendre שֶׂה, ou un autre mot semblable.

17. העל כן יריק חרמו Il se peut que יריק ait ici le sens de tirer dehors, faire sortir, comme אריק חרבי (Exode, 15, 9) ; il veut dire par là étendre le filet, c’est-à-dire le jeter dans l’eau. Le ה dans העל est pour אשר ; le sens est : à cause de cela, c’est-à-dire parce qu’il trouve sa part grasse, etc., il tire son filet, etc. D’autres donnent au ה la valeur de הֲלֹא (n’est-ce pas que ?). Il y en a qui prennent יריק pour un verbe neutre dont le sujet est חרם et qui a le sens de יעלה ריקם ; c’est-à-dire : Est-ce que, avec un tel pouvoir, son filet pourrait remonter vide ? Le ו dans ותמיד aurait alors le sens de au contraire, comme dans ואחלצה (Ps. 7, vers. 5).

Chapitre 2

1. על־משמרתי אעמדה Ceci est une métaphore pour dire qu’il attend la révélation et qu’il espère entendre la réponse (de Dieu), comme c’est l’usage des gardes et des sentinelles de se placer sur les forts, pour observer ceux qui viennent de loin ; c’est pourquoi il dit : ואתיצבה על־מצור (et je me place sur une forteresse), ce qu’il explique ensuite par les mots pour voir, etc. Par ומה אשיב על־תוכחתי il veut dire : ce que je dois répondre et opposer aux reproches qui me sont adressés à moi-même dans ce sens. Le prophète s’attribue le reproche (en disant mon reproche) en ce sens qu’il en est l’objet de la part des autres ; (le suffixe dans ותוכחתי est objectif) comme dans ותוכחתי לבקרים (Ps. 73, vers. 14), et non pas (subjectif) comme dans ותוכחתי לא אביתם (Prov. 1, 25) ; car, dans ce dernier passage, celui qui parle est lui-même l’agent, c’est-à-dire celui qui adresse le reproche aux autres. Ensuite le prophète fait connaître la réponse qui lui est venue (de Dieu), et qui l’a instruit sur l’issue du règne des Chaldéens et sur leur fin, et il dit : Et Dieu me répondit, etc.

3. כי עוד חזון למועד On a dit que c’est une expression elliptique pour כי עוד יקום זה החזון למועד ; mais peut-être y a-t-il transposition, pour כי עיד מועד לחזון. Le sens est : il reste encore un certain temps pour cette prophétie (avant qu’elle s’accomplisse) ; ensuite elle se vérifiera et se manifestera. Le sens de ויפח לקץ est : elle parle de la fin, comme יפיח כזבים (Prov. 6, 19) ; le pronom dans elle parle (וְיָפֵחַ ) se rapporte à la prophétie (חזון). Ensuite il ajoute : Quoique’il doive se passer encore un certain temps, pendant lequel la chose (annoncée) sera retardée ou empêchée, tu dois pourtant l’espérer ; car elle arrivera prochainement et elle n’est pas éloignée. C’est là ce qu’il veut dire par les mots אם יתמהמה וג״.

4. הנה עפלה וג״ On explique עֻפְּלָה dans le sens de s’enorgueillir, s’élever : (c’est-à-dire son âme s’est enorgueillie,) c’est pourquoi elle ne se maintient pas debout, mais elle est courbée. עפלה vient de עֹפֶל ובחן (Isaïe, 32, 14), qui signifie le sommet d’une haute montagne. C’est comme s’il avait dit : הנה עפלה נפשו בו על כן לא ישרה ; le pronom dans נפשו se rapporte à l’impie, dont il a été parlé précédemment, et qui est Nabuchodnêçar. — Il ajoute ensuite : Quant au juste opprimé, c’est-à-dire Israël, il sera sauvé à cause de la confiance qu’il met dans la providence de son Dieu, et il survivra ; tel est le sens des mots וצדיק באמונתו יחיה. — Selon d’autres עפלה veut dire elle se désole, elle se tord (de douleur) ; ce serait une transposition de (la racine עֹפֶל, d’où vient) ויתעלף, comme nous l’avons expliqué dans le livre de Ionah (ch. 4, vers. 8), ou, si vous voulez, comme on a expliqué les mots בניך עֲלָפוּ (Isaïe, 51, 20) : le sens est qu’il (l’ennemi) a péri et que le châtiment l’a atteint. — D’autres, tout en faisant venir עפלה de עֹפֶל, disent qu’il veut parler de cette prophétie ; c’est-à-dire, comme elle est éloignée et que le terme (de son accomplissement) est retardé, — [semblable au עֹפֶל (sommet élevé), auquel on parvient difficilement, à cause de son élévation et de sa roideur] — les âmes ne sauraient y croire fermement ; mais le juste vivra par sa croyance et par sa foi. Mais ceci est une interprétation forcée et très-peu en rapport avec la suite du discours.

5. ואף כי־היין בוגד וג״ Il y en a qui disent que ce verset fait suite au précédent, et qu’il en complète le sens qui serait celui-ci : Celui dont l’âme est orgueilleuse ne se maintient pas dans son état, et le juste lui-même ne vit pas par sa foi… — la négation לא, qui précède le verbe ישרה, agirait donc également sur יחיה, comme si on lisait : הנה אשר עפלה נפשו בו לא ישרה וצדיק באמונתו לא יחיה ואף כי היין בוגד וג״. — Ces derniers mots signifieraient : à plus forte raison l’homme (enivré) de vin (איש היין), le perfide, et le sens serait conforme à ce verset (des Proverbes, 11, 31) : Certes, le juste lui-même est payé ici-bas ; à plus forte raison l’impie et le pécheur. — איש serait sous-entendu (avec היין), comme dans אל תהי מרי (Éz., 2, 8), pour איש מרי. — Ce serait donc un argument pour le châtiment qui doit frapper l’ennemi en question, et le prophète aurait dit : Si celui qui est plus juste que lui n’est pas sauvé, comment le serait-il lui-même, qui est de telle et telle nature ? Le verset se compléterait ainsi : ואף כי איש היין הבוגד אשר הוא גבר יהר ולא ינוה ; par איש היין on aurait voulu désigner l’homme submergé dans le vin de l’ignorance, enivré d’orgueil et d’amour-propre. — Selon la première interprétation que nous avons donnée au verset précédent, le vin serait une image pour le châtiment qui atteindra l’ennemi, désigné par l’épithète de גבר יהיר ; j’expliquerais donc ainsi : « Et, en outre, le vin qu’il a fait boire aux autres, je veux dire le châtiment (qu’il leur a infligé), sera perfide envers lui, c’est-à-dire, se retournera contre lui-même et l’enivrera. » בוגד signifie perfide, comme כל בוגדי בגד (Jérémie, 12, 1) ; יהיר est l’homme obstiné qui persévère dans la rebellion, comme זד יהיר (Prov., 21, 24) ; les Arabes aussi appellent l’obstination יהיר, prononcez yahr. ולא ינוה signifie : il ne reste pas établi et fixé dans sa demeure et il ne s’y retire pas — [de נוה, demeure (Jérém., 33, 42 et passim.)] — à cause de sa forte cupidité et de son avidité à rechercher la fortune et la domination ; comme il dit (en continuant) אשר הרחיב כשאול נפשו.

6. הלוא אלה כלם עליו וג״ Il veut dire que toutes ces nations qu’il  a rassemblées feront des proverbes (des satires) sur lui, lorsque le châtiment l’atteindra, et emploieront l’éloquence pour composer sur lui des discours ingénieux ; ce que le prophète exprime par ces mots : ומליצה חידות לו, comme להבין משל ומליצה (Prov. 1, 6), d’où vient מליץ (Genèse, 42, 23). Le mot ויאמר est pour ויאמרו (au pluriel) comme ישאו. — Il rapporte ensuite textuellement ce qu’on dira, savoir : הוי המרבה לא לו, ce qui veut dire : Malheur à celui qui rassemble ce qui ne lui restera pas, mais ce qu’il laissera à d’autres ; ainsi il se fatigue à porter de l’argile, c’est-à-dire, il travaille à la construction des forts et des châteaux, ce qui est exprimé par les mots ומכביד עליו עבטיט. (Quant au mot עבטיט) on l’explique par l’épais de l’argile, de sorte que ce mot serait composé de deux mots, de עב épais, comme בעב הענן (Exode, 19, 9), et de טיט argile, comme רפש וטיט (Isaïe, 57, 20), מטיט היון (Ps. 40, 3). D’autres disent qu’il faut traduire l’argile grosse ou épaisse, et que l’adjectif précède ici le substantif, comme dans כל־רבים עמים (Ps. 89, 51).

7. ויקצו מזעזעיך R. Iehouda ’Hayyoudj dit que dans ויקצו on pause sur le yod (c’est-à-dire le yod a un métheg, et on lit וְיִֽ-קְצוּ), pour indiquer le yod (omis) qui est la première radicale ; car ce mot signifie ils s’éveilleront, de יקץ, comme וייקץ נח (Genèse, 9, 24). Mais Aboulwalîd dit : « Nous ne l’avons trouvé dans les exemplaires corrects qu’avec une voyelle brève, sans pause (c’est-à-dire ויק-צוּ sans métheg) ; de plus la Masora dit sur ce mot : לית דכותיה חטוף (il n’y en a pas de semblable avec une voyelle brève). » C’est ainsi que nous l’avons trouvé nous-mêmes dans les exemplaires que nous possédons ; c’est donc un mot irrégulier, car on devrait le lire comme le dit Abou-Zacariyya ’Hayyoudj. Cependant, comme il n’a pas de métheg, le maître Aboulwalîd a pensé qu’il serait permis de le prendre pour le kal d’un verbe ל״ה (קצה), dans le sens de לְקַצּוֹת (II Rois, 10, 32), qui est l’équivalent du verbe arabe טרף couper les extrémités. On trouve dans le même sens l’infinitif kal קְצוֹת, comme nous allons l’expliquer tout-à-l’heure (verset 10). Le sens est donc, dit Aboulwalîd, ceux qui t’agiteront (tes ennemis) te couperont en pièces. Mais moi je dis que le premier sens (de יקץ s’éveiller) est plus convenable, puisque יקיצו n’a pas de pronom régime (suffixe), et qu’il se rattache à יקומו נשכיך ; il doit donc avoir un sens analogue (à יקומו). — מזעזעיך est une forme redoublée de (זוע, d’où vient) שיזעו (Kohéleth, 12, 3) ולא זע (Esther, 5, 9) : il indique le mouvement violent et l’agitation, de même que le verbe זעזע en arabe. Par נשכיך et מזעזעיך on veut désigner les ennemis qui le perdront, c’est-à-dire l’armée des Mèdes et des Perses.

8. שַׁלּוֹתָ tu as pillé, de שלל ; le daghesch indique l’insertion de la lettre pareille. Il en est de même de יְשׇׁלּוּךָ, qui est un verbe lourd de la conjugaison poël ; car régulièrement on aurait dû dire יְשׁוֹלְלוּךָ, et le qamets est changé du ḥolem. — מדמי אדם וחמס־ארץ Le מ agit sur les deux mots, car le sens est ומֵחמס ארץ ; le מ signifie ici à cause de, pour cela, comme dans מחטאות נביאיה (Lament., 4, 13).

10. קצות עמים רבים וחוטא נפשך Le sens de קצות est rogner, couper avec le glaive ; c’est un infinitif kal dans le sens de לְקַצוֹת, qui est du Piël. Cette phrase est, en quelque sorte, le commentaire des mots יעצת בושת לביתך, dont le sens est : Ta délibération et le conseil que tu as pris ont causé la honte à ta maison et à ta famille ; on veut dire par là que les peuples triompheront (du malheur) de ses enfants, lorsque le règne de sa maison aura cessé. C’est aussi le sens de ce qui est dit dans le verset précédent : הוי בצע בצע רע לביתו. Cette délibération, dit-il, c’est d’avoir voulu faire du mal à beaucoup de peuples, ce qu’il exprime par les mots קצות עמים רבים ; ensuite il ajoute : Et tu as péché par là contre toi-même, comme s’il y avait ותהיה חוטא על נפשך.

11. וכפיס מעץ יעננה On explique כפיס par brique, du langage de la Mischnah : כפיסים לבנים (des demi-briques et des briques entières). מֵעֵץ veut dire du milieu du bois ; car, dans certains bâtiments, on place les briques au milieu, entre des morceaux de bois entrelacés tout autour. Le sens serait donc à peu près le même que celui des mots כי אבן מקיר תזעק ; car אבן est la pierre taillée et כפיס la brique cuite. — C’est une locution exagérée et hyperbolique, pour dire que sa tyrannie est universelle, de sorte que tous les hommes se récrient contre lui, et que les choses inanimées elles-mêmes, qui n’ont pas l’usage de la parole, se plaignent de lui. — Selon d’autres, on veut dire par là qu’il est avide de bâtir et d’élever des forts avec ce qu’il a obtenu par l’oppression et le pillage, mais que (ces constructions) ne lui seront d’aucune utilité et ne le sauveront pas au temps de la punition ; c’est comme si les pierres, avec lesquelles on bâtit, lui adressaient la parole, dans leur langage muet, et lui disaient :

12. הוי בונה וג״ Malheur à celui qui bâtit une ville avec du sang et qui établit une cité avec l’iniquité. דמים sang désigne les péchés ; nous l’avons déjà rencontré dans cette acception. Quant au mot כונן, si c’est une forme redoublée (Po’lel) d’une racine ע״ו, on aurait dû dire מכונן, car c’est un participe comme בונה ; le redoublement (du נ) en fait une forme lourde (ou dérivée), et le participe des formes lourdes a un מ. Mais il est possible que ce soit le participe Kal, d’une autre racine de deux lettres pareilles (des כפולים), ayant le même sens.

13. הלוא הנה וג״ Le sens est : Ceci est un décret de Dieu, que les nations se donnent du mal pour ce que le feu dévorera, et que les peuples se fatiguent pour ce qui est frivole et vain. Il veut parler du travail des prisonniers qu’on emploie pour faire des édifices et des constructions que les ennemis ordinairement brûlent et dévastent. וייגעו à la valeur de שייגעו. On dit que le mot די (dans בְּדֵי) est ici explétif, ainsi qu’on a l’habitude de l’employer d’une manière pléonastique dans le discours ; c’est ainsi qu’on dit בדי שופר (Job, 39, 25) pour בשופר. C’est de la même manière qu’on ajoute מו au ב, et qu’on dit, par exemple, במו אש (Isaïe, 43, 2) pour באש. Cela peut bien être vrai dans בדי ריק, qu’on peut prendre dans le sens de בריק, mais non pas dans בדי אש ; car quand même on aurait dit וייגעו עמים באש, cela n’offrirait pas non plus un sens parfait. Il vaut mieux admettre que בדי est ici dans le sens de la particule ל seule, savoir : ייגעו לאשׁ. Il se peut aussi que בדי ait le sens de באשר et que le ל soit sous-entendu ; la valeur (de בדי אש) serait donc באשר לאש, et cela serait analogue au syriaque qui dit די en place de אשר, comme, par exemple, ולמן די יצבא יתננה (Daniel, 4, 14), et comme l’a dit Aboulwalîd au sujet de ובדמשק ערש (Amos, 3, 12), ainsi que nous l’avons expliqué.

14. כי תמלא הארץ לדעת וג״ Le ל dans לדעת a le sens de מן, (remplie de connaissance), comme כי מלאה הארץ דעה וג״ (Isaïe, 11, 10) ; à כמים יכסו il faut suppléer אֲשָׁר (comme s’il y avait אשר יכסו). Ceci indique le motif de ce qui a été dit dans le verset précédent, savoir que c’est là la volonté du Très-Haut ; c’est-à-dire : Il fait cela afin que sa grandeur et sa connaissance se répandent chez les nations du monde ; c’est comme s’il avait dit בעבור כי תמלא, ou bien למען תמלא, ou autre chose semblable.

15. הוי משקה רעהו וג״ Voici comment on a traduit ce verset : Ô toi, qui fais boire ton prochain et qui lui présentes ton outre, pour l’enivrer et pour regarder sa nudité. On dit que רעהו est ici un pluriel (pour רעיו) comme dans בהתפללו בעד רעהו (Job, 42, 10), et on cite pour preuve le mot מעוריהם (leurs nudités). Il y en a qui entendent מעוריהם de la totalité et רעהו de chacun d’eux ; mais c’est une opinion faible. Nous avons déjà mentionné un cas semblable dans le livre de Na’houm (2, 4) aux mots מגן גבריהו מאדם. D’autres enfin donnent à מעוריהם la valeur de מעורו (sa nudité), comme dans la traduction que nous avons citée. — Ces paroles s’adressent à Nebouchadnéçar, et on veut parler de l’avilissement et du mépris qu’il a fait subir à ses compagnons, c’est-à-dire, à ses semblables parmi les rois de la terre. — Le mot מְסַפֵּחַ est un verbe lourd dans le même sens que (le kal) סְפָחֵנִי נא (I Sam., 2, 36) ; ce verbe qui signifie joindre, est ici emprunté dans le sens de présenter, car la chose présentée est jointe à celui qui la porte. — Quant à חֲמָתְךָ, s’il vient de חֵמַת מים (Genèse, 21, 14), comme on l’a traduit (ton outre), il est irrégulier dans sa flexion, car חֵמֶת est de la classe de אֶרֶץ et on devrait le décliner comme אַרְצְךָ, סִפְרְךָ ; c’est pour cela aussi que d’autres le font venir de חֵמָה, et le sens serait, qu’il leur fait boire le vin de sa colère, comme וחמתו בערה בו (Esther, 1, 12). — מספח a besoin du ו copulatif ; שַׁכֵּר est l’infinitif en place du participe ; la phrase est donc virtuellement celle-ci : הוי משקה רעהו ומספח חמתו ואף משכר. Peut-être מספח a-t-il le sens du verbe arabe ציף traiter, régaler, qui a de l’affinité avec le verbe אנצאף se joindre ; c’est comme s’il eût dit ומספחו ou bien ומספחם בחמתו il les régale avec son outre, et il les enivre. — מעוריהם est une dénomination des parties honteuses, comme on l’a vu précédemment, dans והראיתי גוים מערך (Na’houm, 3, 5) ; seulement nous avons ici une autre forme, d’une racine ע״ו.

16. שבעת קלון מכבוד Le מ dans מכבוד signifie plus que, comme dans שמן ששון מחברך (Ps. 45, vers. 8) ; le sens est : « Tu seras rassasié de mépris, plus que tu n’as obtenu d’honneur » ; c’est-à-dire dire : puisque tu as fait boire les autres et que tu as découvert leur nudité, tu boiras aussi toi-même et tu seras découvert, » comme il le dit : שתה גם־אתה והערל. Avec cela le mot והערל pourrait aussi signifier sois étourdi, (soit qu’on le considère comme) transposé de (רעל, d’où vient) כוס התרעלה (Isaïe, 51, 17 et 22) ; סף־רעל (Zach., 12, 2), mots qui signifient étourdissement, ou bien (qu’on le prenne pour) un autre mot ayant le même sens. — קיקלון est la même chose que קלון (honte) ; la première radicale est redoublée, comme on l’a dit au sujet de בבת עינו  (Zach., 2, 12) et de כִּכַּר הירדן (Genèse, 13, 10, etc.) ; mais il se peut aussi que ce soient tous des mots à part (sans redoublement).  Il y en a qui disent que קיקלון est un mot composé de קיא (crachât) — comme קִיא צאה (Isaïe, 28, 8) — en état construit avec קלון, pour faire ressortir la honte avec plus d’énergie. Dans la composition le א est tombé de l’écriture, parce qu’il est toujours omis dans la prononciation. Le sens est ותקח קיקלון על כבודך : tu recevras la honte pour ta gloire, c’est-à-dire, parce que tu t’es glorifié et que tu as aimé l’honneur et l’orgueil.

17. כי חמס לבנון יכסך Ceci est une allégorie faite sur lui (Nébouchadnéçar), savoir, qu’il est semblable aux bêtes féroces qui assaillent les animaux dans leurs gîtes ; on mentionne le Liban parce qu’il y a là une multitude d’animaux. Le prophète dit : Ta violence contre les habitants du Liban t’enveloppera (toi-même). Les mots ושוד בהמות יחיתן signifient : et la rapacité des animaux les brise (les perd eux-mêmes) ; יחיתן a le même sens que וְחַתּוּ (Obadiah, vers. 9), et il y en a même qui disent qu’il est de la même racine, c’est-à-dire ayant deux lettres pareilles (חתת), mais que le daghesch a été remplacé par une lettre quiescente et douce (נח נסתר). D’autres disent que c’est une autre racine du même sens, mais ayant pour deuxième radicale une lettre faible. Le sens (de tout le verset) est celui-ci : De même que les animaux très-malfaisants donnent lieu, par leurs fréquentes irruptions, à ce qu’on s’assemble contre eux et qu’on les tue, de même ta trop grande persévérance à opprimer et à exercer des hostilités sera la cause qu’on se hâtera de tirer vengeance de toi. — Ensuite il explique l’allégorie par les mots מדמי אדם וחמס־ארץ que nous avons déjà expliqués dans ce qui précède (vers. 8). Il y en a qui disent que les mots ושוד בהמות יחיתן ont la valeur de ושודך הבהמות אשר יהיתן, et qu’ils sont la répétition et l’explication des mots חמס לבנון ; mais le premier sens est meilleur.

18. מה־הועיל פסל וג״ C’est pour lui reprocher d’avoir adopté les idoles qui n’ont aucune utilité, comme, par exemple, l’idole qu’érigea Nebouchadnéçar et qu’il voulait qu’on adorât. Par פסל on entend ce qui a été taillé de la pierre ; le mot כי a ici le sens de אשר, comme s’il y avait אשר יצרו יוצרו. Le sens est : (l’idole) que son sculpteur a façonnée, quoique le sens de créer soit aussi dérivé de ce verbe (יצר). De là aussi on appelle le potier יוצר, comme, par exemple, הנה כחמר ביד היוצר (Jérémie, 18, 6), parce qu’il façonne les vases de l’argile. Dans מסכה on a omis le ו copulatif ; car ce mot fait suite à מה־הועיל פסל, et on aurait dû mettre ומסכה, c’est-à-dire ומה הועיל מסכה ; il en est de même des mots ומורה שקר (où il faut également sous-entendre ומה הועיל). Par מסכה on entend ce qui est pris des matières fusibles ; mais, par une licence, on met ces deux noms (פסל et מסכה) l’un pour l’autre. — ומורה שקר (et qui enseigne le mensonge) est l’image des prêtres de l’idolâtrie, des prophètes de Baal, etc. — La particule כי, dans כי בטח, a le sens de pour que ; il veut dire : quelle est l’utilité qu’a cette idole, pour que celui qui la fait et qui façonne son image y mette sa confiance ? — יִצְרוֹ veut dire ici son image, sa création ; de même l’idée, que la pensée de l’homme forme, est appelée יֵצֶר לב האדם (Genèse, 8, 21). Le sens primitif de אלילים est faussetés, mensonges, pluriel de אליל (Job, 13, 4) ; ensuite on l’a employé pour les idoles, comme terme injurieux. On leur donne ici l’épithète de אלמים (muets), dans le sens de ce passage : Ils ont une bouche et ne parlent pas (Ps., 115, 5).

19. הוי אומר וג״ Il rapporte ici ce qu’ils disent aux objets de leur culte, lorsqu’ils implorent leur secours, savoir, qu’ils leur demandent de s’éveiller, tout en sachant que ce sont des êtres inanimés, morts, qui n’ont pas de mouvement. Le mot אומר agit en même temps sur הקיצה et sur עורי, comme s’il y avait ואומר עורי. — דומים est un adjectif ayant le sens du verbe (דום ,דמם) se taire, comme יִדְּמוּ. — Il met עורי au féminin, parce que אֶבֶן est un mot féminin ; par exemple, והאבן גדולה (Genèse, 29, 2). — Ce passage ressemble à celui-ci : Ils disent au bois : tu es mon père ; et à la pierre : tu m’as enfanté (Jérémie, 2, 27). — Il ajoute ensuite : הוא יור celui-là (cet objet de culte) montre par lui-même que ce qu’on lui attribue est faux ; car il est couvert et entouré d’or et d’argent, et, dans son intérieur, il n’y a point d’esprit qui donne le mouvement ; tel est le sens des mots הנה הוא תפוש וג״. Le simple sens de תפוש est saisi ; c’est comme s’il avait dit תפוש בזהב וכסף (il est saisi par l’or et l’argent). Ici ce verbe a le sens d’entourer ; car ce qui entoure une chose la saisit, en quelque sorte, de tous côtés.

20. וי״י בהיכל קדשו Après avoir dit que les objets de leur culte sont dépourvus d’utilité, puisqu’ils n’ont pas d’action, il ajoute : Mais notre maître — qu’il soit loué et exalté ! — est sur l’extrême degré de la perfection ; car sa lumière est dans son temple saint, et son action arrive jusqu’à la limite extrême des choses créées, dans tout l’univers. Tous les êtres subsistent par l’émanation de sa bonté ; il porte, en quelque sorte, la parole [allégoriquement parlant], et tous lui prêtent l’oreille pour profiter du sens de son discours. C’est là ce que le prophète exprime par ces mots : הס מפניו כל־הארץ. Suivant cette interprétation, il faudrait entendre par les mots son temple saint, le monde de la simplicité pure, au plus haut degré duquel se trouve Dieu, qui est l’être nécessaire par lui-même, duquel émane l’existence de tout être, comme il le dit allégoriquement dans les mots הס מפניו כל־הארץ. Selon le sens exotérique, il veut dire, par son temple saint, le sanctuaire ou Jérusalem, et, par toute la terre, les hommes de la terre, c’est-à-dire les royaumes de toute la terre habitée. Le sens est, qu’il manifeste sa lumière, que sa providence repose sur les Israélites et qu’il décrète le châtiment de leurs ennemis, en sorte que toutes les nations de la terre, ainsi que leurs rois, sont stupéfaits et troublés devant lui. Le mot הס est employé ici pour la stupéfaction, — quoique son sens primitif soit se taire, de ויהס כלב (Nombres, 13, 30), — parce que celui qui se tait et qui écoute est stupéfait, en entendant le discours. Ce mot, du reste, est étrange dans sa flexion ; il ne suit absolument ni la règle du nom ni celle du verbe, et il ressemble au mot צה des Arabes (qui veut dire chut !) comme nous l’avons déjà expliqué dans un autre endroit. Ce sens (du mot הס) est aussi adopté par l’auteur du Thargoum, qui traduit : « Toutes les idoles de la terre se consumeront devant lui. »

Chapitre 3

Chapitre 3

1. תפלה לחבקוק הנביא וג״ Le mot תְּפִלָּה, partout où il se présente, signifie invocation, prière. Cette prière est (composée) à la manière des cantiques, par rapport à la concision, et en ce que les sujets y sont seulement indiqués, sans qu’on s’exprime clairement. Il en est ainsi dans le cantique de Déborah, dans le poème écrit par Hiskiah (Is., 38, 9), et dans plusieurs psaumes, comme par exemple le psaume ישב בסתר עליון (Ps. 91), et d’autres semblables, où l’on rencontre souvent la concision, l’obscurité, la licence dans la variation des pronoms, et les métaphores. En outre, ce morceau renferme, en partie, des louanges où l’on décrit le temps passé, et, en partie, des prophéties pour l’avenir, exprimées sous forme de prières et de supplications, comme dans le cantique de la mer (Exode, ch. 15) et dans celui de האזינו (Deut. ch. 32). C’est pourquoi il est difficile d’en comprendre parfaitement le sens, et les opinions varient beaucoup sur l’interprétation des textes et sur ce qu’il faut y sous-entendre. Nous nous bornerons, sous ce rapport, à ce que nous avons lu de meilleur dans les paroles des commentateurs. Ils tombent tous d’accord, que le prophète a décrit d’abord les miracles passés que le Très-Haut a faits pour Israël. – Quant à la (seconde) partie où, au moyen d’une sainte inspiration, on annonce (l’avenir), au sujet duquel le prophète prend l’attitude d’un homme priant pour eux (les Israélites) ; il y en a qui supposent qu’il s’agit là de la domination que les ennemis exerceront sur les Israélites, de la victoire que ceux-ci remporteront ensuite, de la vengeance qu’ils tireront de leurs ennemis, de l’anéantissement des peuples qui les auront tyrannisés, et ainsi de suite. D’autres disent que le prophète prédit une famine et une disette, qui auront lieu, dans le pays des Israélites, en même temps que l’ennemi se mettra en mouvement contre eux, de sorte qu’ils seront incapables d’aller à sa rencontre, et à cause de cela le prophète prie pour eux ; ensuite il leur promet à la fin que tout cela cessera. Ceux qui professent l’une ou l’autre de ces deux opinions trouvent, dans le texte, des preuves dont ils invoquent le témoignage, en faveur de leur interprétation respective, ainsi que nous l’expliquerons dans la suite du texte. — Par les mots על שגיונות il veut dire que cette prière est dite sur un certain rythme, conforme à une mélodie particulière qui porte ce nom, comme on l’expliquera dans le livre des Psaumes, aux mots שגיון לדוד (Ps. 7, 1) ; ou bien c’est un instrument de musique, connu chez eux sous ce nom. Il y en a qui disent que le sens de על שגיונות est : pendant sa gaité et son plaisir, et on a donné le même sens à שגיון, comme on l’expliquera en cet endroit. Enfin on a dit aussi que, par שגיונות, il veut dire les erreurs, comme שגיאות (Ps., 19, 13), ou bien les préoccupations, de שגה dans le sens de s’occuper, se préoccuper, comme ולמה תשגה (Prov. 5, 20) ; le sens serait alors : qu’il prie pour eux à cause de leur erreur et parce qu’ils négligent le culte de Dieu en s’occupant de choses vaines, ce qui leur cause le châtiment. — Ce verset est l’épigraphe de la prière, dont le commencement est :

2. י״י שמעתי שמעך יראתי. Il veut dire : Ce qui nous est parvenu, au sujet de ce que tu faisais autrefois pour nous, est grandiose, redoutable ; nous te prions donc d’en faire revivre les traces déjà effacées et d’agir encore de la sorte avec nous. C’est là ce qu’il exprime par les mots י״י פעלך בקרב שנים חייהו, au milieu des années, pour les années passées ; après פעלך il faut sous-entendre אשר פעלת (ce que tu as fait dans les années passées, fais-le revivre). Les mots בקרב שנים תודיע font suite au premier (hémistiche), comme s’il avait dit : ופעלך בקרב שנים תודיע ; le sens de תודיע est publie-le, manifeste-le, et fais-le connaître aux peuples de l’univers. Ensuite il demande que la miséricorde descende à l’époque du châtiment, qu’il désigne par le mot רוגז qui veut dire colère, — car le Thargoum du mot אף est רוגזא ; il dit donc : Dans la colère rappelle-toi la miséricorde, dans le même sens que זכר רחמיך יהוה (Ps. 25, vers. 6). — Selon d’autres, le pronom dans חייהו se rapporterait à Israël, c’est-à-dire : Fais revivre leur puissance et agis avec eux comme autrefois ; תודיע aurait, comme וַיֹּדַע (Juges, 8, 16), le sens de punir, c’est-à-dire : hâte le châtiment de leurs ennemis, comme tu as agi envers leurs ennemis d’autrefois. Mais cette interprétation s’éloigne du contexte, et le premier sens est plus convenable.

3. אלוה מתימן יבוא En rapportant ces actes glorieux, il commence par la révélation sur le Sinaï, qui en est le plus magnifique et le plus énergique. Il parle de la lumière qui resplendit du Sinaï sur les montagnes qui l’entouraient, et il désigne la montagne par (le nom de) Thémân qui est une tribu des fils d’Ésaü, ses habitants, et qui est appelée אלוף תימן (Genèse, 36, 11). Le mot יבוא est en place de בָּא, et ces paroles sont analogues à ce que Dieu dit (dans la Torah) : L’Éternel vint du Sinaï, et leur apparut de Séïr ; il resplendit du mont Parân, etc. (Deut., 33, 2). Ensuite il fait allusion, selon le sens exotérique, à l’effusion des lumières et aux éclairs (qui se répandirent) sur la surface de la terre, et, selon le sens ésotérique, aux lumières de la vérité qui brillèrent d’en haut sur les âmes qui régissent les corps, et il dit : Son éclat couvrit les cieux, etc. הוֹדוֹ veut dire son éclat, et תְהִלָּתוֹ sa splendeur et sa brillante lumière, de בְּהִלּוֹ (Job, 29, 3). Il y a en qui disent que תהלתו signifie sa louange ; le sens serait, que les habitants de la terre le louèrent alors et publièrent sa grandeur. Mais le premier sens est plus expressif et plus convenable.

4. תהיה est pour היה ; קרים exprime la lueur et le rayonnement, de קרן rayonner (Exode, 34, 29). יָּדוֹ est ici sa puissance, et חֶבְיוֹן עֻזֹּה la tente de sa gloire et de sa force, dérivé de חבי (Isaïe, 26, 20) ; la racine est חבה (se cacher), de même que חזיון vient de חזה, et רשיון de רשה. C’est une description de la marche de la colonne de nuée et de la colonne de feu devant le camp des Israélites ; et de sa tente de gloire descendant parmi eux, c’est-à-dire, du Tabernacle. D’autres disent que par חביון עזה, il veut dire l’arche sainte et les tables qu’elle renfermait et dans lesquelles étaient déposés ses mystères qui indiquaient la grandeur de sa puissance.

5. דבר signifie la peste et la mortalité, et רשף les étincelles du feu, comme רשפיה רשפי אש (Cant., 8, 6). Il y en a qui disent que רשף veut dire ici les flèches, que l’on compare aux étincelles, comme, par exemple, רשפי קשת (Ps. 76, 4). D’autres disent que רשף a le même sens que דבר, et qu’il en est de même dans מזי רעב ולחמי רשף (Deut. 32, 24). Quoi qu’il en soit, on veut parler ici des châtiments qui atteignirent les impies et les ennemis qui s’opposèrent à Israël, comme, par exemple, Amalek, qui fut le premier à s’opposer. Le pronom dans לפניו et dans רגליו se rapporte à Dieu, ou bien à חביון עזה, selon l’une des deux interprétations ; le sens de לרגליו est : dans sa marche, car on emploie métaphoriquement רגלים (pieds) pour course, comme, par exemple, נר לרגלי דברך ta parole éclaire mes pas (Ps. 119, 105).

6. עמד, qui signifie être debout, est une métaphore, par rapport à Dieu, et désigne la victoire qu’il donne à Israël. וימדד ארץ (en arabe) מסח אלארץ, c’est-à-dire : il a mesuré la terre, comme ומדותם (Nombres, 35, 5) ; mais וַיְמֹדֶד est un verbe lourd (Poël), dont le prétérit est מֹדֵד. Il veut dire, que le Très-Haut a distribué la terre aux tribus ; car la distribution de la terre se fait habituellement par le mesurage. Le sens de ראה ויתר גוים est celui-ci : Il a vu qu’ils l’ont méritée (cette terre), par la promesse qu’il a faite à leurs ancêtres, et il en a expulsé les peuples et les en a retranchés. — Quant au mot וַיַּתֵּר, il est dérivé de נַתֵּר (Lévit., 11, 24) qui veut dire sauter, s’élancer ; ainsi le sens de ויתר גוים est : Il a fait sauter les peuples, fugitifs et expulsés de leurs demeures, pour que les Israélites en prissent possession. — ויתפצצו a le sens de se séparer, se rompre ; c’est le Hithpaël de יפוצץ (Jérém., 23, 29). Par la rupture des montagnes et l’abaissement des collines, il veut dire que les royaumes puissants ont été brisés devant eux, et que les peuples se sont soumis à eux. — Les mots הליכות עולם לו veulent dire : que ces montagnes et ces collines ont été brisées et abaissées, en sorte qu’elles sont devenues pour lui — c’est-à-dire devant lui — comme les chemins aplanis et battus dès les temps anciens. — D’autres disent que les mots ויתר גוים signifient : il a dissous leurs conseils et dispersé leurs réunions, de התיר délier, comme ה׳ מתיר אסורים (Ps. 146, 7). On a dit aussi que, dans הליכות עולם לו, le mot לו est pour להם, et que ce pronom se rapporte aux Israélites, c’est-à-dire : ces montagnes et ces collines sont devenues pour eux comme des sentiers antiques. — On a aussi traduit הליכות עולם par le changement des temps et la variation des âges, tout en prenant לו pour להם ; mais ce pronom se rapporterait alors aux ennemis, comparés aux montagnes et aux collines, et le sens serait : Les vicissitudes du siècle et les singularités du temps leur sont arrivées. — Selon d’autres enfin, toujours en donnant à לו la valeur de להם, le sens serait, que les voies de la ruine qui les a atteints sont des voies éternelles pour eux, c’est-à-dire, ils y marcheront tout le reste du temps, et ils n’en pourront jamais échapper. Mais le contexte, si on le considère attentivement, fait pencher pour l’analyse que nous avons donnée d’abord.

7. תחת און veut dire sous leur tyrannie et leur injustice, c’est-à-dire, leur tyrannie précédente est retombée sur eux-mêmes, et ils ont été écrasés dessous ; comme s’il avait dit : ואיתי אהלי כושן תחת אונם. Il fait ici allusion à l’expédition entreprise par les Israélites contre les Midianites, à cause de l’hostilité que ces derniers avaient exercée contre eux d’abord, et du mal qu’ils leur avaient causé. כושן est aussi un des noms des Midianites, ou bien une de leurs tribus ; on dit aussi כוש (en parlant des Midianites) et de là vient l’adjectif relatif כושית dans אשה כשית לקח (Nombres, 12, 1), comme l’ont expliqué les docteurs, qui disent que c’est Tsippora, car elle descendait de Midian. Les expressions אהלי כושן (tentes de Couschan) et יריעות ארץ מדין (pavillons de la terre de Midian) seraient donc synonymes. יריעות s’explique (en arabe) par ארחגֹזת, c’est-à-dire : Ils (les pavillons) tremblèrent et furent agités de la peur ; le futur est en place du prétérit רגזו. On trouve dans le même sens : מוסדות השמים ירגזו (II Sam. 22, 8).

8. הבנהרים חרה ה׳ Nous avons déjà parlé des deux opinions émises par les commentateurs sur l’avertissement contenu dans cette prière, et au sujet duquel le prophète intercède (pour le peuple). Ceux qui adoptent la première opinion, interprètent ce verset sur la séparation du Jourdain par Josué, et sur la séparation de la mer de Souph par notre maître Moïse. Le prophète dit donc, en exprimant son étonnement sur la séparation du Jourdain : הבנהרים חרה ה׳ — en sous-entendant אףest-ce que la colère de l’Éternel s’est enflammée contre les fleuves ? Puis il répète la même idée pour la corroborer, et il dit : אם בנהרים אפך, en sous-entendant חרה. Ensuite il mentionne la séparation de la mer de Souph, et il dit de même : אם בים עברתך ; car עברה est aussi un des noms de la colère. Le sens est : Cela arrive par ton ordre, car c’est toi qui les fais couler (les fleuves et les mers), et ils s’enfuient devant toi. On trouve dans le même sens : Il menace la mer et la met à sec (Na’houm, 1, 4) ; de même : La mer le vit et s’enfuit (Ps. 114, 3). Enfin il rapporte ce qui a occasionné tout cela : la cause en est, dit-il, que Dieu, par sa puissance, remporte la victoire pour les Israélites, et devient par là leur secours ; il exprime cela par le verbe רכב, employant métaphoriquement le mot סוס cheval, dans le sens des mots ורכב שמים בעזרך (Deut., 33, 25) et d’autres pareils. C’est dans ce sens qu’il dit : Car tu montes sur tes chevaux, tes chars (portent) la victoire. — S’il mentionne la séparation du Jourdain avant celle de la mer de Souph, quoique cette dernière soit plus importante et plus ancienne, c’est que, après avoir conduit son discours jusqu’à la conquête de Midian, il décrit d’abord ce qui l’a suivie, et il mentionne la séparation du Jourdain ; ensuite il passe de là à ce qui est (un miracle) dans le même genre, mais plus grand, savoir la séparation de la mer de Souph. — Il y en a qui pensent que les mers et les fleuves sont ici une métaphore, pour désigner les peuples et les armées qui prirent la fuite devant Moïse et les enfants d’Israël, savoir, les armées de Sihon et de Og ; c’est pourquoi il les mentionne à côté de Midian dont la conquête, par les Israélites, tombe également dans ce temps. — Quant à ceux qui adoptent la seconde opinion, ils disent que le prophète, après avoir décrit les actes anciens du Très-Haut, commence ici à parler de la calamité au sujet de laquelle il intercède (auprès de Dieu), savoir, de la famine, de la disette, du manque de pluies et du dessèchement des eaux, et il dit avec étonnement : l’Éternel est-il en colère contre les fleuves ! voulant parler des fleuves de la terre d’Israël. Il mentionne aussi la mer, parce que c’est d’elle que montent les vapeurs dont se forment les nuages ; il nomme ceux-ci métaphoriquement chevaux et chars, qu’il attribue à Dieu, comme dans ce passage : Voici l’Éternel est monté sur un nuage léger, etc. (Isaïe, 19, 1) ; et dans cet autre : Il fait des nuages son char (Ps. 104, 3). Le sens serait, qu’il accourt avec ces nuages pour nous secourir, ce qu’il exprime par ces mots : Car tu montes sur tes chevaux ; tes chars (portent) le secours.

9. עריה est un nom (d’action) ou un infinitif d’un verbe dont le lamed est une lettre faible (ל״ה), comme עָרוּ  עָרוּ (Ps. 137, 7), et הֶעֱרָה (Lévit., 20, 18), qui sont de la même racine et ont le même sens, c’est-à-dire découvrir. תֵּעוֹר, de même, a le sens de être découvert ; mais c’est le Niphal d’une racine עור ayant le ‘ayin faible (ע״ו) et employée dans le même sens (que ערה). Il est de la même forme que תִּכּוֹן, et il devrait avoir un daghesh (dans la première radicale), si ce n’était la lettre ע ; le sujet de ce verbe est קשת, et la traduction de la phrase est : Denudando denudabitur arcus tuus. Selon la première opinion, le prophète veut parler de la puissance divine qui se manifesta sur les Cananéens dans la victoire des Israélites ; תֵעוֹר serait donc ici un futur en place du prétérit. — Par les mots שבעות מטות אמר סלה, il veut dire, que Dieu a confirmé par là les serments qu’il avait faits aux patriarches, et la promesse qu’il leur avait donnée de faire le bien à leurs enfants, qui sont le מטות, c’est-à-dire, les tribus d’Israël ; car ces promesses se sont accomplies quand ils ont pris possession des pays. — Ensuite il décrit le bien qui se répandait sur eux, la fertilité des pays qui furent abreuvés par les pluies, et il dit : נהרות תבקע־ארץ ; le pronom, qui est le sujet dans תבקע, est de la seconde personne et se rapporte à Dieu, et la terre est le régime (tu fendis la terre par les fleuves). D’après cela le mot תבקע est également un futur tenant lieu de prétérit. — Il y en a qui disent que ce verset est le commencement de la prière qu’il adresse à Dieu, pour délivrer les Israélites de leurs ennemis ; ce serait alors une phrase énonciative pour exprimer la prière (c’est-à-dire un indicatif employé comme subjonctif ou optatif). Par les mots נהרות תבקע־ארץ, il aurait demandé que Dieu manifestât sa puissance sur eux (les ennemis) ; il aurait emprunté pour cela le mot קשת qui, dans le langage hébreu, désigne une des armes par lesquelles on obtient la victoire, et ce serait une métaphore, dans le sens de ces paroles de David : Tire la lance, etc. (Ps. 35, 3). Il continue ensuite : Et confirme-nous tes promesses que tu as faites aux tribus d’Israël, par tous tes prophètes ; c’est là ce qu’il exprime par les mots שבעות מטות אמר סלה. Puis il ajoute : Et défais les royaumes et les armées qui s’élèvent contre nous, en les désignant métaphoriquement par le mot fleuves, et leur défaite par la division et le dessèchement, ce qu’il exprime par les mots נהרות תבקע־ארץ ; il faut sous-entendre, avant ארץ, le mot ויהיו ou ותשׂימם, c’est-à-dire que, par le dessèchement de leur eau, (les fleuves) se divisent et se séparent et deviennent comme la terre sèche. D’autres disent que le sens est : תבקע נהרות וארץ (divise les fleuves et la terre), que, par les fleuves, il désigne les armées et les troupes, et par la terre, le vulgaire des nations. — Selon la seconde opinion, ce serait également une prière pour (que Dieu fasse) monter les nuages avec les pluies ; par les mots עריה תעור קשתך il aurait voulu parler de l’apparition de l’arc-en-ciel, qui a lieu dans le temps des nuages et des pluies, comme l’a dit le Très-Haut : J’ai placé mon arc dans le nuage (Genèse, 9, 13) ; quand je ferai monter le nuage sur la terre, l’arc se montrera dans le nuage (Ib. vers. 14) ; et comme l’a dit le prophète : Comme la vue de l’arc, qui est dans le nuage au jour de la pluie (Ézech., 1, 28). Par les mots שבעות מטות, dit-on, il veut parler des flammes et des éclairs ; il les appelle מטות (bâtons), par métaphore, de même que, dans le verset suivant, il les appelle flèches et lances, en disant לאור חציך וג״, toujours d’après cette (seconde) interprétation. Le sens est : Ils (les éclairs) ont juré, en quelque sorte, de ne pas désobéir à ta volonté, en arrosant la terre par les pluies, ainsi confirme par là leurs serments. — Mais on pourrait avec cela (même selon la seconde opinion) expliquer les mots שבעות מטות comme nous l’avons fait dans la première interprétation. — Enfin il implore l’abondance des pluies, afin qu’elles abreuvent la terre et que les eaux y coulent comme des fleuves, ce qu’il exprime par les mots נהרות תבקע־ארץ.

10. יחילו Ce verbe signifie primitivement : être dans les douleurs de l’enfantement, de חיל כיולדה (Jérém., 6, 24 ; Ps. 48, 7) ; mais on l’emprunte pour (exprimer) la peur et l’agitation, et on l’applique aux montagnes, par métaphore, pour désigner leur ébranlement. — זרם est le courant des eaux et leur entraînement violent, c’est-à-dire, leur impétuosité ; de là vient le verbe זורמו (Ps. 77, 18). — תהום est le nom de l’Océan et l’abîme des eaux élémentaires ; קולו signifie : son bruit retentissant et son mugissement produit par les vagues qui s’entrechoquent dans lui. — רום est le ciel, ou la hauteur ; la traduction simple des mots רום ידהו נשא est : Au ciel il a levé sa main. Il veut dire par là : il a élevé ses vagues, et, par métaphore, il compare celles-ci avec les mains ; ainsi le pronom (de la troisième personne) dans נשא et dans ידהו se rapporte à תהום. Selon d’autres, on veut dire par là qu’il (l’Océan) a levé ses mains au ciel, jurant qu’il ne dépasserait pas sa limite ; ce serait conforme au sens de ces mots : Car je lève ma main au ciel (Deut., 32, 40). Ou bien, (il lève les mains) en suppliant, pour demander une retraite et un refuge, parce qu’il ne peut dépasser l’endroit qui lui a été fixé ; ce qui serait dans le sens de ce passage : J’ai placé le sable comme limite à la mer, borne éternelle qu’elle ne saurait dépasser (Jérém., 5, 22). Ceci est l’explication littérale de la phrase. Quant à l’interprétation du sens, ce serait, selon la première opinion, encore une description de la défaite des ennemis et de leur fuite devant Israël ; il les compare aux montagnes et aux abîmes, selon la manière métaphorique déjà connue. Peut-être veut-il désigner, par les montagnes, les rois, et par les eaux, leurs armées et leurs troupes. יחילו est, selon cette explication, un futur en place du prétérit ; il faut aussi, pour que le sens soit clair, admettre une transposition, savoir, ראוך הרים ויחילו. Il y en a qui disent qu’il décrit ici de nouveau le jour de la station du mont Sinaï, par le tremblement des montagnes et l’agitation des mers, faisant allusion aux miracles contraires à la nature, qui se manifestèrent en ce jour. D’autres disent que, par les mots ראוך יחילו הרים, il fait allusion, en effet, à la station du mont Sinaï, comme le dit Dieu (dans la Torah) : Et toute la montagne fut fortement ébranlée (Exode, 19, 18) ; mais les mots זרם מים עבר se rapportent aux pluies qui tombèrent alors, comme l’a dit Déborah : La terre trembla et les cieux dégouttèrent, et les nues distillèrent de l’eau (Juges, 5, 4). En outre, il y aurait dans cela une allusion allégorique sur l’inspiration, comparée à l’eau, qui descendit du monde intellectuel, et par laquelle eut lieu la conception des vérités de la création que l’on comprit dans ce lieu. Enfin les mots נתן תהום קולו se rapporteraient à la séparation de la mer de Souph et au choc de ses vagues, lors de la submersion de Pharaon et de son armée. Ce serait donc une nouvelle description de ce qu’il a déjà décrit auparavant. — Selon la seconde opinion, tout le verset est une prière et une invocation présentée sous la forme énonciative ;  ,ראוךעבי et les autres verbes devraient donc être au futur, puisque c’est une prière, mais c’est de la même manière qu’on trouve, dans le Cantique de la mer, נחית et נהלת (Exode, 15, 13) dans le sens de נְחֵה et נַהֵל. Je vous ai déjà fait connaître, sous ce rapport et sous d’autres analogues, l’usage suivi dans les prophéties. Quant au sens des mots ראוך יחילו הרים, ils se rapportent (selon cette seconde interprétation) aux tremblements de terre qui arrivent par l’accumulation des vapeurs cherchant à monter ; c’est là aussi une des causes de la formation des nuages et des pluies, et du jaillissement des sources ; c’est pourquoi il fait suivre les mots זרם מים עבר. Ensuite il parle du choc des vagues de la mer causé par le mouvement des vents ; car tout cela est la suite nécessaire des vapeurs qui s’élèvent, et par lesquelles les nuages se forment et les pluies descendent. Tel est aussi le sens de ces mots : Il appelle les eaux de la mer et il les verse sur la surface de la terre (Amos, 5, 8), et c’est dans ce sens qu’il dit ici נתן תהום קולו. Il y en a qui, suivant cette (seconde) interprétation, ont expliqué les mots רום ידהו נשא d’une autre manière, en faisant rapporter le pronom dans ידהו à רום, qui serait aussi le sujet de נשא ; le sens serait alors, que les cieux ont étendu la main sur la mer, c’est-à-dire, qu’ils ont manifesté leur action sur elle, en attirant les vapeurs, afin de faire naître les phénomènes célestes ; car les causes de tout cela descendent du ciel par ordre de son créateur.

11. שמש ירח עמד זבלה Ici le ו copulatif a été omis, car le sens est : le soleil et la lune. Le mot זבול s’applique primitivement à la demeure, comme par exemple בית זבול (I Rois, 8, 13) ; de là vient le verbe יזבלני (Genèse, 30, 20 : il demeurera avec moi) ; ensuite on l’emploie métaphoriquement pour le ciel, comme on emploie, dans le même sens, le mot מָעוֹן. Le ה (dans זבולה) est ajouté pour la magnificence (c’est-à-dire, pour rendre le mot plus sonore). עמד (s’arrêta) est pour עָמְדוּ (s’arrêtèrent) ; mais on peut dire aussi que le sens est : Chacun des deux s’arrêta. Il faut nécessairement sous-entendre la préposition ב, pour que la phrase soit complète ; c’est comme s’il avait dit : שמש וירח עמדו זבלוה, c’est-à-dire, (le soleil et la lune s’arrêtèrent) au ciel. — Selon la première opinion, cette phrase aurait le sens qui a été expliqué dans le livre de Josué, aux mots : Et le soleil s’arrêta et la lune resta immobile (Jos., 10, 13) ; cette interprétation nous ferait pencher à voir dans les mots ראוך יחילו הרים une allusion aux royaumes des Cananéens et à leurs armées ; car ce fut alors (dans la guerre contre les Cananéens) que Josué prononça ces mots : Soleil arrête-toi à Gabaon, et toi, lune, dans la vallée d’Ayyalon (ib., vers. 9). — Les mots לאור חציך יהלכו se rapportent aux Israélites, de même que les mots לנגה ברק חניתך, qu’il faut faire précéder du ו copulatif. Par חצים et חנית il désigne, métaphoriquement et par comparaison, la Providence qui les protégeait et qui les secourait contre les ennemis, comme le font les armes de guerre. Il y en a qui disent que, si le prophète fait précéder ces derniers mots par la phrase : Le soleil et la lune s’arrêtèrent au ciel, il veut dire par là — en parlant hyperboliquement — qu’ils ne furent pas guidés par eux (par le soleil et la lune), se trouvant suffisamment éclairés par la lumière de Dieu qui les guidait ; c’est donc comme si ces luminaires, par rapport à eux, s’étaient arrêtés dans leur mouvement, car eux, ils marchaient par la seule lumière de la Providence. Tel est le sens de ces mots : לאור חציך וג״ (Ils marchaient à la lumière de tes flèches, à la lueur de l’éclair de ta lance) ; c’est, comme vous voyez, une interprétation allégorique, conforme à cette promesse du Très-Haut : Le soleil ne te servira plus de lumière le jour, la lune ne t’éclairera plus de sa clarté, mais Dieu sera pour toi une lumière éternelle (Isaïe, 60, 19). — Selon la seconde opinion, cette phrase a également le sens optatif, exprimé par le prétérit ; voici ce que le prophète aurait voulu dire : « Cache la lumière du soleil et de la lune, par les nuages qui s’amoncellent ; afin que ceux-ci planent entre nous et ces luminaires, et que ces derniers n’apparaissant pas, semblent s’être arrêtés dans leur mouvement et ne plus se lever de l’Orient, puisqu’ils ne se montreront pas à la vue ; et remplace leur lumière par celle des flammes et des éclairs, faisant partie aussi des phénomènes célestes qui accompagnent généralement les nuages et les pluies. » — Il aurait donc dit métaphoriquement, que les deux luminaires s’arrêtent, pour dire qu’ils soient voilés, et de même il aurait désigné les flammes et les éclairs, par les mots flèches et lances ; et dans ce sens il aurait dit : לאור חציך וג״ (Puissent-ils marcher à la lumière de tes flèches, à la lueur de l’éclair de ta lance).

12. בזעם תצעד־ארץ וג״ Le verbe צעד signifie faire des pas, comme dans ויהי כי צעדו (II Sam., 6, 13) ; ארץ a la valeur de בארץ, ou על הארץ. Par rapport à Dieu, c’est une expression figurée et métaphorique, pour dire, qu’il fasse tomber le châtiment sur les royaumes de la terre, rebelles (à son culte) ; ensuite le prophète en explique lui-même le sens, en disant באף תדוש גוים, ce qui signifie littéralement : tu les fouleras, mais il veut parler de leur défaite et de leur ruine. Selon la première opinion, c’est une prière par laquelle Habakkouk prie contre les ennemis qui dominent sur Israël, tels que les rois d’Assyrie, Nébouchadnétsar, etc. ; il semble dire : Ces grands exploits que tu as faits contre les ennemis d’autrefois, fais-les de nouveau contre ceux-ci. Selon la seconde opinion, le sens est absolument le même, je veux dire, qu’il prie pour qu’ils soient sauvés, ou pour qu’ils tirent vengeance de l’ennemi qui se dirigera sur eux au moment même de la famine qui les rendra trop faibles pour qu’ils puissent marcher à sa rencontre. Le tout est une prédiction et un avertissement sous forme de prière, comme vous le savez déjà.

13. יצאת לישע עמך Le verbe יצא appliqué à Dieu signifie la manifestation de sa puissance et de sa providence au moyen de l’action qu’il fait par sa volonté, comme, par exemple, י״י כגבור יצא (Isaïe, 42, 13), ויצא י״י ונלחם (Zachar., 14, 3). Ceci est également une prière exprimée par le prétérit, de même que מחצת ; car le sens est צֵא et מְחַץ. — La particule את dans לישע את־משיחך est superflue et on n’en a pas besoin, car le sens (ne demande que) לישע משיחך, conformément à לישע עמך ; seulement il faut faire précéder les mots לישע משיחך par le ו copulatif ; mais on aurait pu se passer de la particule את, à moins que לישע ne soit ici en place de l’infinitif, comme s’il avait dit להושיע את משיחך. Il paraît clair que le prophète fait allusion par là à la grandeur que Dieu manifesta en détruisant l’armée de San’hérib qui assiégeait Jérusalem, comme il est dit : Un ange de l’Éternel sortit et frappa, dans le camp des Assyriens, cent quatre-vingt-cinq mille hommes (II Rois, 19, 35). Ainsi le mot משיחך désigne ici Hizkiah, roi de Juda, et c’est de San’hérib qu’il dit : מחצת ראש מבית רשע (tu as brisé la tête de la maison de l’impie), c’est-à-dire, qu’il a fait périr les chefs de son armée ; ou bien qu’il l’a fait périr lui-même dans son pays, après sa fuite, de sorte que ces mots auraient la valeur de מחצת ראש רשע בביתו. — Les mots ערות יסוד עד־צואר סלה signifient que Dieu les a découverts depuis le bas jusqu’au cou, à perpétuité. ערות est l’infinitif de ערו ערו (Ps. 137, 7) ; יסוד, opposé à צואר (cou), signifie ici le bas, et est une dénomination des parties honteuses. C’est dans le même sens qu’on trouve והראיתי גוים מערך (Na’houm, 3, 5), de même למען הביט על־מעוריהם (ci-dessus, 2, 15) et d’autres expressions semblables ; le sens est qu’il a déchiré le vêtement de leur gloire, qu’il a fait paraître leur honte dans leurs œuvres et qu’il a fait cesser la fortune qui cachait leurs vices. — Il se peut aussi que le prophète ait voulu parler ici de la ruine de Nebouchadnéçar et de son règne, et de la sortie de Ioïachîn de sa prison, ou bien de la ruine totale de l’empire des Chaldéens, du triomphe que les Israélites obtiendraient depuis par Coresh, et du gouvernement de Zeroubabel, fils de Schealthiël, au commencement du second Temple ; ce serait de lui qu’il aurait dit לישע את־משיחך. — Il y en a qui disent que tout ceci, ainsi que le verset précédent, est un complément de la description des actes passés, et que le prophète veut parler de l’apparition du règne de David, de l’humiliation que les rois des nations subirent devant lui, des pays dont il fit la conquête, et ainsi de suite. — Enfin il y en a qui y voient une promesse pour le temps futur, au sujet du Messie que nous attendons — puisse-t-il apparaître bientôt ! — et de la vengeance (qu’on tirera) des peuples qui oppriment Israël dans l’exil. — Le texte, comme vous voyez, supporte (plusieurs interprétations) ; mais la fin du discours et le contexte indiquent celle que nous avons rapportée en premier lieu.

14. נקבת וג״ Le pronom dans במטיו et dans פרזיו se rapporte à l’ennemi en question, dont il a été dit מבית רשע. — מטיו veut dire ses bâtons, et פרזיו ses gîtes (ou ses demeures). ראש a ici la valeur du pluriel, comme si on lisait ראשי פרזיו ; ce sont les chefs qui dominent sur les pays. Or, comme il les appelle ראשים (têtes), il désigne métaphoriquement leur ruine et leur destruction, en disant qu’ils ont été percés avec le bâton, et il s’exprime : נקבת במטיו (tu as percé avec ses bâtons) ; les bâtons sont ici attribués à ceux-là mêmes qu’ils servent à châtier, pour dire que leur châtiment (s’exécute) avec leurs propres instruments, savoir, avec ce qu’ils avaient préparé pour châtier les autres ; il veut dire par là qu’ils ont été châtiés comme ils le méritaient par leurs propres œuvres. C’est là l’explication qui conviendrait le mieux, si on suppose qu’il est ici question de San’hérib et de sa suite ; car leur châtiment n’eut lieu que par la parole divine et non pas par une arme visible. Si on admet une des autres interprétations (données au verset précédent), il est encore possible (d’expliquer celui-ci) de la même manière ; mais alors il se pourrait aussi que le pronom dans במטיו se rapportât à celui qui est mentionné (sous le nom de) משיח et (le pronom) dans פרזיו à l’ennemi. — Quant au mot פרזיו, on a pensé aussi qu’on pourrait le comparer à ferzan, mot qui, dans la langue persane, s’emploie pour un vézir (ou un homme de distinction) ; on traduirait alors : les têtes de ses vézirs, ou bien, en donnant (à ces deux mots) la valeur de ראשיו ופרזיו, (on traduirait) ses rois et ses vézirs. Mais cela est invraisemblable. Les mots יסערו להפיצני signifient : Ceux qui s’agitent, c’est-à-dire, qui se hâtent dans leur mouvement, pour nous séparer et nous disperser ; יסערו est dérivé de la racine סער, qui s’applique à la mer orageuse, par exemple כי הים הולך וסער (Jona, 1, 4) et d’où vient aussi רוח סערה (vent orageux, tempête, Ps. 107, 25). להפיצני est dérivé de הפיץ disperser, p. ex. ויפץ י״י אתם (Gen. 11, 8). עליצותם se lie avec ce qui précède, et il devrait être précédé d’un ו ; le mot כמו n’est pas nécessaire pour le sens, car on doit traduire : Et (c’est) leur joie de dévorer le faible à la dérobée, c’est-à-dire, de le piller et de le perdre ; עליצותם vient de עלץ (I Sam. 2, 1). Par עני il veut désigner le peuple faible, c’est-à-dire les Israélites, par rapport à l’état dans lequel ils se trouvaient alors. Le sens est : Inflige-leur le châtiment, en revanche des actions qu’ils commettent contre nous. — Par rapport à la seconde opinion, on explique les mots לכל במסתו עני עליזותם dans un autre sens, savoir : Puissent-ils être punis pour la joie qu’ils éprouvent de ce que l’indigent parmi nous prend sa nourriture à la dérobée, craignant, à cause de sa grande faim, qu’on ne la lui ravisse.

15. דרכת veut dire tu as marché (tu t’es avancé), comme דרך כוכב מיעקב (Nombres, 24, 17), de là le chemin est appelé דֶרֶך. Comme c’est un verbe neutre, il aurait fallu joindre le ב instrumental à סוסיך, qui a valeur de בסוסיך. — Les mots חמר מים רבים sont l’appositif ou le conjoint de ים (mer), et se trouvent également sous la dépendance du ב dans בים ; c’est comme s’il avait dit : דרכת בים סוסיך ובחמר מים רבים. — חֹמֶר est ici le singulier de חֳמָרִם (Exode, 8, 10), qui signifie des monceaux ; il veut parler des eaux qui s’amoncelaient. — Si on prend דרכת pour un verbe transitif ayant pour régime סוסים, bien qu’il soit au Kal, on n’a pas besoin de sous-entendre le ב avec סוסיך ; car ce serait alors comme s’il avait dit : הדרכת בים סוסיך tu as fait marcher tes chevaux dans la mer. — Il se peut que דרכת signifie tu as écrasé, foulé, comme ואדרכם באפי (Isaïe, 63, 3), et que חמר מים רבים en soit le régime ; la traduction serait alors : Tu as foulé avec tes chevaux, dans la mer, les monceaux des eaux abondantes. — Il y en a qui expliquent ici חמר par argile, boue, comme כחמר ביד היוצר (Jérémie, 18, 6) ; mais la première explication me paraît plus convenable. Le prophète veut ici parler également de la défaite des troupes de l’ennemi en question, qui est comparé à la mer et aux eaux abondantes ; par סוסים il veut désigner la Providence qui accomplit ces actions, car le mot סוסים (chevaux), dans notre langage, désigne aussi des instruments de la victoire et du triomphe — Il y en a qui disent que דרכת a le sens de fouler, écraser, et que (en même temps) il est transitif, ayant pour régime les chevaux, qui sont ceux de Pharaon et de son armée ; on les attribue à Dieu (en disant tes chevaux), parce qu’il manifesta sa puissance et sa grandeur en les submergeant. Avec חמר boue, limon, il faudrait alors sous-entendre ותשׂימם ou ויהיו — tu en as fait, ou ils sont devenus (comme) le limon des vastes eaux — ou quelque autre verbe semblable — On a dit aussi que le prophète veut parler de la manifestation de la puissance (divine), dans la séparation de la mer de Souph, et que le sens est : « Tu pris alors pour tes chevaux חמר מים רבים. » Il faudrait alors construire : דרכת דרכת בים וסוסיך חמר מים רבים et traduire de cette manière : Tu as marché dans la mer, et tu y as fait des eaux amoncelées tes chevaux, c’est-à-dire, tu as pris les eaux amoncelées en place des chevaux, en détruisant l’ennemi. Mais le contexte répugne à tout cela, et il est plus convenable que ce (verset) soit la suite de ce qui précède, comme nous l’avons dit d’abord. — Par rapport à la seconde opinion on a encore indiqué un autre sens, savoir que סוסיך est une expression métaphorique pour les nuages, comme on l’a déjà dit au sujet des mots כי תרכב על סוסיך. Le sens serait que le prophète prie pour que les vapeurs montent rapidement de la mer et qu’il s’en forme des pluies ; ou bien (selon d’autres) il se plaint de ce que Dieu, pour les punir (les Israélites), pousse les vapeurs avec les pluies du côté de la mer, où il n’en résulte aucun profit pour la terre d’Israël, et c’est pour cela qu’il dit immédiatement après : שמעתי  ותרגז בטני, comme on l’expliquera.

16. שמעתי Par ותרגז בטני il veut parler de l’agitation et du tremblement des entrailles par la forte peur, comme nous l’avons dit au sujet des mots ירגזון יריעות ארץ מדין (ci-dessus, vers. 7) ; il en est de même de ותחתי ארגז. — Le ל dans לקול a le sens du מ, c’est-à-dire מקול ; c’est comme s’il avait dit : ומן הקול צללו שפתי. — צללו signifie elles bourdonnent, comme תצלינה (I Sam. 3, 41) ; le sens est que, par la forte peur qu’il éprouvait de ce bruit qu’il entendait, ses lèvres tremblaient en parlant et proféraient leurs paroles avec un son tremblant, comme si c’était un bourdonnement. — רקב est la vermoulure qui atteint les ossements après la mort ; si on l’emploie en parlant des vivants, c’est une métaphore pour peindre la forte frayeur et la tristesse, comme il est dit (dans les Proverbes, 15, 30) : Une bonne nouvelle rend moelleux les os, et, au contraire (ib. 17, 22) : un esprit abattu dessèche les os. — ותחתי veut dire à ma place, comme ישבו החרים (Deut. 2, 12 et suiv.) pour במקומם (à leur place). — יגודנו exprime l’attroupement des armées, car les troupes s’appellent גדוד, par exemple בא מהגדוד (II Sam. 3, 22) ; le même verbe se trouve dans גד גדוד יְגוּדֶנּוּ (Gen. 49, 19), la lettre quiescente (le וּ) remplace le redoublement (du ד) qui devait avoir lieu à cause de l’insertion de la lettre pareille. — Le sens de tout ce verset, conformément à la suite et à la liaison mutuelle des textes, est, selon la première opinion, celui-ci : savoir, que c’est une relation faite par le prophète de ce que diront ces ennemis qui faisaient des expéditions contre Israël, tels que les Assyriens, les Chaldéens, etc., lorsque le châtiment les atteindra ; ils diront, à cause de la frayeur qui les saisira : שמעתי  ותרגז בטני וג״. Quant à ces mots : אשר אנוח ליום צרה וג״, il est possible qu’ils soient la suite de la phrase, et le sens serait : Nous étions tranquilles et à couvert jusqu’à l’époque du châtiment et du malheur et jusqu’à ce que montât le peuple qui nous fit la guerre et qui s’attroupa contre nous. Le ד de יגודנּו devrait alors avoir un céré au lieu du ségol ; le ג devrait perdre le daghesch, et le ל dans לעם serait superflu pour le sens, car la valeur (de ces derniers mots) serait : ולעלות העם אשר יגוד אותנו. Mais il se peut aussi que ce soit la relation du discours des Israélites ; le sens serait alors : Nous serons tranquilles et nous resterons là à attendre le jour de leur malheur et l’époque où l’ennemi rangé en bataille marchera contre eux et leur fera la guerre. Le ל dans לעם serait également superflu et la valeur (des mots) serait ולעלות העם אשר יגוד אותם. — On a dit aussi que c’est la relation de ce que disaient les Cananéens et leurs semblables en apprenant la nouvelle de la sortie d’Égypte, ainsi que l’a dit (Moïse) : Les peuples l’entendirent et ils tremblèrent (Ex., 15, 14) ; et cela serait conforme à ce qui a été rapporté plus haut, savoir, que les mots דרכת בים סוסיך se rapportent à la séparation de la mer de Souph. Je vous ai déjà fait savoir que le contexte ne s’accorde pas bien avec cette interprétation ; si cependant quelqu’un la préfère, il n’y a pas de mal à cela. — Quant au sens (qu’aurait le verset) selon la seconde opinion, le prophète, dans ce verset et dans celui qui suit, se prononcerait enfin clairement au sujet de l’avertissement (qu’il a donné) sur la famine qui devait avoir lieu à l’époque où l’ennemi s’avancerait, et avant son arrivée, et il dirait, en continuant et en exprimant toute la gravité de la chose, que la frayeur l’a saisi à cause de cet événement, dès qu’il en a eu connaissance, parce qu’il craignait pour Israël. Tel serait le sens de ces mots : שמעתי  ותרגז בטני וג״. — On dit qu’il mentionne le ventre, parce que c’est là que se fait sentir la douleur de la faim, et les lèvres, parce que c’est par là qu’entre la nourriture. Avant les mots אשר אנוח il faut sous-entendre כי אמרני. — Le sens serait : Nous avions pensé que nous serions tranquilles et en repos jusqu’à l’époque de l’adversité et de l’invasion de l’ennemi — [ainsi que nous avons expliqué la valeur (des mots) selon la première interprétation] — mais il n’en fut pas ainsi ; au contraire, il arriva à cette époque ce qu’il va décrire dans le verset suivant, en disant : Le figuier ne fleurit pas, etc.

17. כי־תאנה לא־תפרח וג״ Le nom de יבול désigne les fruits ; il dérive de הוביל, faire venir, amener, produire, par exemple תובלנה בשמחת (Ps. 45, vers. 16) : elles seront amenées avec joie. — (On appelle ainsi les fruits) parce qu’ils proviennent à une époque connue, de même qu’on appelle le blé תבואה (proventus) de בא venir. Quelquefois on appelle par ce nom (יבול) en général tout ce que la terre fait germer, comme p. e. את־פריו והארץ תתן יבולה  : l’arbre du champ donnera son fruit, et la terre donnera son produit (Ézéch., 34, 27). — כִּחֵשׁ appliqué au produit de l’olivier, signifie il a été coupé, il a manqué ; ce sens est dérivé (au figuré) de celui de mentir, — p. e. כחש לו (I Rois, 13, 18) — comme dans cette autre locution אשר לא־יכזבו מימיו (comme une source d’eau) dont les eaux ne manquent pas (Isaïe, 58, 11). Nous avons déjà donné une explication semblable aux mots ותירוש יכחש בה (Hos., 9, 2). — Quant à שדמות, on dit que ce sont les ceps ; cependant (la phrase ושדמות לא־עשה אכל) n’est pas une répétition des mots ואין יבול בגפנים, car ce qui distingue les deux (plantes), c’est que la גפן est couchée sur la terre, et la שדמה est élevée au-dessus d’elle. Il en est de même dans le passage כי־מגפן סדם גפנם ומשדמת עמרה (Deut., 32, 32). — D’autres disent que שדמה est ici la semence, comme p. e. ושדמה לפני קמה (Isaïe, 37, 27) ce qui signifie la semence imparfaite qui n’est pas encore parvenue à la maturité, et avant de former l’épi qui est debout et mûr, et qu’on appelle קמה. Il y en a cependant qui disent que dans ce dernier passage שדמה a le même sens que שדופת קדים (Genèse, 41, 6 et 23), le פ étant changé en מ (car les deux lettres sont de la classe בומף) ; le sens serait alors la semence corrompue et vide, opposée à קמה qui est le (blé) parfait et mûr. — מִכְלָה est le nom de l’endroit où l’on enferme les troupeaux, savoir l’étable ; מכלאת צאן (Ps. 78, 70) est la même chose, quoiqu’il soit écrit avec א. Ce mot est dérivé de בית הכלא, prison. — גזר est ici un verbe neutre, car il est en place de נגזר et il a le sens de être retranché, manquer. רפתים signifie les parcs de bœufs ; ce mot est très-usité dans le langage des anciens (docteurs), qui disent au singulier רפת בקר. — Tout ce discours, selon la première opinion, renferme une image pour représenter la ruine des nations ennemies, de leur armée, leur bas peuple, leurs chefs, leurs gouverneurs, leurs rois, leurs héros ; de même, on les représente dans le cantique de האזינו par les mots חמאת בקר וג״ la crème des vaches, etc. (Deut. 32,14), comme l’a expliqué le traducteur (chaldaïque) en disant : Il leur a donné le butin de leurs rois et de leurs souverains, etc. — Selon la seconde opinion, c’est un avertissement clair et sans allégorie de l’arrivée de la stérilité, (qui sera telle) que les plantes se dessécheront, que les fruits manqueront et que les animaux périront faute de fourrage pour se nourrir, et parce que les hommes les prendront pour leur seule nourriture, ne trouvant, à cause de la grande sécheresse, ni blé, ni fruits, ni herbes. — Ce verset est la preuve la plus forte dont s’appuie cette (seconde) opinion ; nous avons montré qu’elle est admissible, mais Dieu seul connaît (la vérité).

18. ואני בי״י אעלוזה Après avoir parlé de la satisfaction que Dieu tirera des ennemis par les malheurs qui les frapperont, ou bien, selon la seconde interprétation, de la détresse qui arrivera à Israël dans cet état, il dit, en annonçant le salut à Israël : Mais nous, nous serons réjouis après cela par le secours de Dieu et parce que ce sera lui qui nous secourra et nous aidera. Ensuite il ajoute : C’est parce que la force et la puissance nous viendront par sa providence, car c’est lui qui est la source de notre force et de notre puissance par lesquelles nous remporterons la victoire sur les ennemis. C’est là ce qu’il exprime par ces mots :

19. אלהים י״י חילי וג״ dont le sens est : En lui est ma force et ma puissance. Les mots וישם רגלי כאילות sont une image de la rapidité de leur arrivée et de leur victoire sur les ennemis, semblable à la rapidité et à la légèreté des gazelles. Par במותי il veut dire les hauteurs de mes ennemis, comme במותימו (Deut., 33, 29). במות signifie primitivement les sommets des hautes montagnes ; ensuite on l’emploie métaphoriquement, dans ce passage et dans d’autres, pour désigner les plus grands d’entre les chefs. Peut-être aussi veut-il désigner par במותי les montagnes et les forteresses de la terre d’Israël — [comme on l’a dit au sujet de על במותיך חלל (II Sam., 1, 19)] — savoir qu’il nous les fera posséder depuis, et qu’il nous fera marcher sur elles ; mais le premier sens est plus solide, quoiqu’il faille suppléer במות אויבי. — Dans le mot למנצח le מ est superflu et on aurait dû écrire לנצח, savoir qu’il fera cela pour que nous l’exaltions et que nous le glorifions par nos louanges mélodieuses ; peut-être aussi ce mot a-t-il la valeur de להיות מנצח. Cette expression (נַצֵּחַ) signifie primitivement vaincre, dominer ; mais on l’emploie métaphoriquement pour chanter des louanges, comme nous l’expliquerons dans le livre des Psaumes. נגינות sont les mélodies musicales et les mots chantés par ces mélodies ; de là vient cette expression קחו־לי מנגן וג״ (II Rois, 3, 15). Les anciens (docteurs) appellent le chant נגון et le chanteur מנגן. — Il y en a qui disent que ואני בי״י אעלוזה et ce qui suit est le discours du prophète parlant en son propre nom, pour annoncer que lui, par la confiance qu’il a en Dieu, ne s’inquiète pas de ces circonstances qu’il vient de décrire. Mais il me semble qu’il vaut mieux entendre ces mots de tout Israël ; car on ne voit pas pourquoi le prophète dirait cela de lui-même et pourquoi il nous en parlerait. La vérité est, au contraire, que, après avoir dit, en parlant au nom de tous להפיצני : יסערו, et ensuite אשר אנוח ליום צרה וג״, il dit aussi pour leur annoncer le salut : ואני ביהוה אעלוזה אגילה באלהי ישעי יהוה אדני חילי וג״.

FIN DU COMMENTAIRE DU LIVRE DE ḤABAKKOUK.

BÉNI SOIT CELUI QUI NOUS AIDE PAR SA MISÉRICORDE !

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