Yoré Déa | יורה דעה
De la chair coupée d’un animal vivant | הלכות אבר מן החי
Traduction Jean de Pavly & R. Abel Neviasky (1898)
Sommaire
ToggleSiman 62. D’un membre détaché d’un animal vivant.
(Ce paragraphe contient 4 articles)
ARTICLE 1er. — Il1 est défendu de manger2 le membre détaché d’un animal vivant, soit d’un animal domestique, soit d’un animal sauvage, soit d’une volaille.
ART. 2. — Un3 membre entier détaché d’un animal vivant, et un simple morceau de chair détaché d’un animal vivant sont également défendus; ce dernier en raison des paroles de l’Écriture4 : « Vous ne mangerez point de la chair détachée5. »
La6 chair détachée d’un animal vivant est défendue alors même qu’après avoir été détachée, elle est restée dans la cavité abdominale jusqu’après la saignée de l’animal, par exemple un morceau de la rate ou du rein coupé et laissé dans le corps de l’animal7.
ART. 3. — Un8 membre, ou un morceau de chair, arraché du corps de l’animal sans en être entièrement détaché, est défendu, s’il9 n’est pas susceptible de coalescence, alors même que la séparation totale du membre ou du morceau de chair n’a eu lieu qu’après la saignée de l’animal. Glose : V. ci-dessus, § 5510. Il11 est permis de manger un membre excédant, situé de telle façon qu’il ne rend pas l’animal immangeable12 ; et on ne considère point ce membre comme arraché du corps sans en être entièrement détaché, en vertu du principe, suivant lequel un organe de plus est considéré comme un organe de moins13. Il14 est permis de manger un membre luxé à un tel endroit où la luxation ne rend pas l’animal immangeable15, alors même que l’articulation n’est pas couverte de la peau et des muscles. Il15 est cependant d’usage d’incliner à la rigueur, même en pareil cas.
ART. 4. — Les16 testicules arrachés de l’épididyme, mais adhérents encore à la tunique testiculaire, ne sont point défendus d’après la loi, puisque l’adhérence à la tunique suffit pour que l’organisme communique sa vitalité aux testicules, même arrachés de l’épididyme; et la preuve en est qu’en pareil cas, ils ne se putréfient jamais. Ils17 sont cependant défendus en vertu de l’usage établi parmi les israélites de ne pas manger les testicules en pareil cas, parce que ce cas à quelque ressemblance avec celui d’un membre détaché d’un animal vivant.
Notes
1 Tossefta, traité Zeva’im, section V, et Talmud, traité ‘Houlin, 101b, d’après Deuter., XII, 23. V, Introduction.
2 Il est bien entendu que chaque fois que l’on dit dans le présent paragraphe qu’il est défendu de manger tel membre ou morceau détaché d’un animal vivant la défense s’étend pour toujours, même après la saignée de l’animal. V, Talmud, traité ‘Houlin, 73b.
3 Talmud, traité précité, 102b, d’après Rabbi Yo’hanan. V. Rambam, traité Maakhalot Assourot, section V, 1.
4 Exode, XXII, 31.
5 Parmi les bizarreries de l’exégèse talmudique, il y a celle-ci qui consiste à donner diverses explications aux paroles de l’Écriture et à les déclarer toutes vraies. Le respect des auteurs du Talmud pour les Saintes Écritures est si profond, qu’ils s’épuisent en formules et même en stratagèmes pour rattacher leur enseignement aux principes du livre révélé. Ils ne reculent pour cela devant aucun moyen ; ils altèrent le texte ; ils font des jeux de mots incroyables : ils ont recours tantôt au notarikon (traité Shabbat, 104a), tantôt à la substitution d’une lettre à une autre (traité Sanhédrin, 22a, et traité Soucca, 57b), tantôt même à la transposition et à la permutation des lettres (traité Moed Katan, 2b) ; leur étrange exégèse descend jusqu’aux calembours les plus approximatifs, pour dériver d’un verset biblique une nouvelle pensée philosophique ou morale ; si le verset dont ils ont besoin leur fait défaut, ou s’ils désirent dériver deux idées d’un seul verset, ils interprètent les paroles de l’Écriture de différentes façons et en tirent autant de conclusions. C’est ce qui arrive pour l’interprétation du verset Exode, XXII, 31. Désireux de trouver dans la Bible une allusion également à la défense d’un simple morceau de chair détaché d’un animal vivant (et non seulement d’un membre entier), le Talmud a recours au verset d’Exode, XXII, 31 : Carnem quæ FORIS (בשדה) a bestiis LACERATA (טרפה) non comedetis. Il explique le mot foris de cette façon : la chair qui était dehors, c’est-à-dire, détachée de l’animal vivant, est considérée comme déchirée par les animaux et, par suite, immangeable. Or, le même verset et le même mot (בשדה) lui a déjà servi pour en dériver la défense d’un membre allongé hors de l’utérus (v. § 15, art. 2, note 4). Mais les rabbins ne sont pas embarrassés pour si peu : toutes les deux interprétations, dit Tossafot (traité ‘Houlin, 102b, s. v. ובשר), sont vraies ! — Quand les rabbins semblent tomber dans ce défaut, c’est de leur part un parti pris, un procédé ou un expédient pour atteindre un but plus élevé, pour placer sous la protection d’un texte de l’Écriture un précepte qu’ils croient utile ou juste. Que de généreuses pensées, que de grandes inspirations, que de sublimes maximes sortent de ce bizarre système exégétique !
6 Mishna du traité ‘Houlin, 68a.
7V. §14, art.6.
8 Talmud, traité précité, 73b.
9 D’après la Tossefta, traité ‘Houlin, section III.
10 Art. 5, Glose, au sujet du salage du membre détaché avec le reste de la viande.
11 D’après le Issour veHeiter haAroukh, §57.
12 V. § 55, art. 4.
13 V. § 33, note 14.
14 Selon le Shout haRashba, § 49.
15 V. § 55, art. 2 et 3. Cf. Shout haRosh, XX, 10.
15 Issour veHeiter haAroukh. l. c. V. Shakh, a. l., note 14.
16 Talmud, traité ‘Houlin, 93b. — Quant à l’étymologie du mot חשילתא, v. Aroukh, s. v. חשל, et Rashi au Talmud, traité Berokhot, 38a, s. v. אמר ליה רבא.
17 Id., ibid., d’après l’usage des Babyloniens. V. Rashi, ibid., 93b, s. v. אל תטוש תורת אמך.
Rituel du judaïsme. Traduit pour la première fois sur l’original chaldéo-rabbinique et accompagné de notes et remarques de tous les commentateurs, par Jean de Pavly avec le concours de M. A. Neviasky. Troisième traité : Des morceaux de viande percevable par les prêtres. Orléans, 1898. [Version numérisée : archive.org].